CJCE, 20 septembre 1988, n° 302-86
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
Défendeur :
Royaume de Danemark
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mackenzie Stuart
Présidents de chambre :
MM. Bosco, Due, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias
Avocat général :
Sir Gordon Slynn
Juges :
MM. Everling, Bahlmann, Galmot, Kakouris, Joliet, Schockweiler
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 1er décembre 1986, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en instituant et en appliquant le système obligatoire de reprise des emballages de bières et de boissons rafraîchissantes instauré par l'arrêté n° 397, du 2 juillet 1981, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.
2 Le système dont la Commission conteste la compatibilité avec le droit communautaire est caractérisé par l'obligation, imposée aux producteurs, de commercialiser la bière et les boissons rafraîchissantes uniquement dans des emballages susceptibles d'être réutilisés. Ces emballages doivent être agrées par l'Agence nationale pour la protection de l'environnement, qui peut refuser son agrément pour un nouveau type d'emballage, notamment si elle estime que l'emballage n'est pas techniquement adapté à un système de reprise, que le système de reprise prévu par les intéressés ne garantit pas le réemploi effectif d'une proportion suffisante d'emballages, ou si un emballage d'égal volume, accessible et adapté à la même utilisation, a déjà été agrée.
3 Une modification de la règlementation précitée a été introduite par l'arrêté n° 95, du 16 mars 1984, qui a admis, pour autant qu'un système de consigne et reprise soit mis en place, l'utilisation d'emballages non agrées, à l'exclusion de tout emballage métallique, dans la limite de 3 000 hl par producteur et par an, ainsi que dans le cadre d'opérations effectuées par des producteurs étrangers, en vue de tester le marché.
4 Par ordonnance du 8 mai 1987, le Gouvernement du Royaume-Uni a été admis à intervenir dans l'affaire, au soutien des conclusions de la Commission.
5 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
6 Aux fins de la solution du présent litige, il importe tout d'abord de constater que, conformément à une jurisprudence constante (arrêt du 20 février 1979, Rewe, 120-78, Rec. p. 649 et arrêt du 10 novembre 1982, Rau, 261-81, Rec. p. 3961), en l'absence d'une règlementation commune de la commercialisation des produits dont il s'agit, les obstacles à la libre circulation intracommunautaire résultant de disparités de règlementations nationales doivent être acceptés dans la mesure où une telle règlementation nationale, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives du droit communautaire. Encore faut-il qu'une telle règlementation soit proportionnée à l'objet visé. Si un Etat membre dispose d'un choix entre différentes mesures aptes à atteindre le même but, il lui incombe de choisir le moyen qui apporte le moins d'obstacles à la liberté des échanges.
7 En l'espèce, le Gouvernement danois soutient que le système obligatoire de reprise des emballages de bières et de boissons rafraîchissantes, en vigueur au Danemark, est justifié par une exigence impérative tenant à la protection de l'environnement.
8 La protection de l'environnement a déjà été considérée par La Cour, dans son arrêt du 7 février 1985 (Association de défense des brûleurs d'huiles usagées, 240-83, Rec. p. 531), comme "un des objectifs essentiels de la Communauté", pouvant justifier, en tant que tel, certaines limitations au principe de la libre circulation des marchandises. Cette appréciation est d'ailleurs confirmée par l'acte unique européen.
9 Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu de constater que la protection de l'environnement constitue une exigence impérative pouvant limiter l'application de l'article 30 du traité
10 La Commission fait valoir que la règlementation danoise viole le principe de proportionnalité, en ce que l'objectif de la sauvegarde de l'environnement pourrait être atteint par des moyens moins restrictifs du commerce intracommunautaire.
11 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans son arrêt du 7 février 1985, précité, la Cour a précisé que des mesures adoptées en vue de sauvegarder l'environnement ne doivent pas "dépasser les restrictions inévitables, justifiées par la poursuite de l'objectif d'intérêt général qu'est la protection de l'environnement ".
12 Dans ces conditions, il convient de vérifier si toutes les limitations que la règlementation litigieuse imposé à la libre circulation des marchandises sont nécessaires pour atteindre les objectifs poursuivis par cette règlementation.
13 En ce qui concerne, tout d'abord, l'obligation de mettre en place un système de consigne et de reprise des emballages vides, il y a lieu de constater que cette obligation est un élément indispensable d'un système visant à assurer la réutilisation des emballages et apparaît donc comme nécessaire pour atteindre les buts poursuivis par la règlementation litigieuse. Au vu de cette constatation, les limitations qu'elle impose à la libre circulation des marchandises ne doivent pas être considérées comme disproportionnées.
14 Il y a ensuite lieu d'examiner l'obligation pour les producteurs ou les importateurs d'utiliser uniquement des emballages agrées par l'Agence nationale pour la protection de l'environnement.
15 Le Gouvernement danois a indiqué, au cours de la procédure devant La Cour, que le système actuel de consigne et de reprise serait compromis dans son fonctionnement si le nombre d'emballages agrées devait dépasser la trentaine, puisque les détaillants affiliés au système ne seraient pas prêts à accepter de trop nombreux types de bouteilles en raison de l'augmentation des frais de manutention et des exigences accrues d'espace pour le stockage que cela comporterait. Ce serait pour cette raison que l'agence a jusqu'a présent fait en sorte que de nouveaux agréments soient normalement accompagnés du retrait d'agréments déjà existants.
16 Même si ces arguments ne sont pas sans valeur, il faut néanmoins constater que le système actuellement en vigueur au Danemark permet aux autorités danoises de refuser l'agrément à un producteur étranger, même s'il est disposé à assurer la réutilisation des emballages repris.
17 Dans une telle situation, le producteur étranger qui voudrait néanmoins vendre au Danemark serait obligé de fabriquer ou d'acheter des emballages d'un type déjà agrée, ce qui entraînerait pour lui des frais supplémentaires importants et rendrait donc très difficile l'importation de ses produits dans le pays.
18 Pour remédier à cette entrave, le Gouvernement danois à modifié sa règlementation par l'arrêté n° 95, du 16 mars 1984, susmentionné, qui autorise un producteur à commercialiser jusqu'a 3 000 hl par an de bière et de boissons rafraîchissantes dans des emballages non agrées, pourvu qu'il ait mis en place un système de consigne et de reprise.
19 La disposition de l'arrêté n° 95 limitant à 3 000 hl la quantité de bière et de boissons rafraîchissantes susceptibles d'être commercialisées par producteur et par an dans des emballages non agrées est contestée par la Commission, au motif qu'elle ne serait pas nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par le système.
20 A cet égard, il y a lieu d'observer que, certes, le système de reprise existant pour les emballages agrées garantit un taux maximal de réutilisation, et donc une protection très sensible de l'environnement, du fait que les emballages vides peuvent être rendus chez n'importe quel détaillant de boissons, alors que les emballages non agrées, compte tenu de l'impossibilité de mettre en place pour eux aussi une organisation aussi complète, peuvent être rendus uniquement chez le détaillant qui a vendu les boissons.
21 Toutefois, le système de reprise des emballages non agrées est de nature à protéger l'environnement et ne concerne d'ailleurs, quant aux importations, que des quantités limitées de boissons par rapport à la quantité de boissons consommée dans le pays, du fait de l'effet restrictif qu'a sur les importations l'exigence de reprise des emballages. Dans ces conditions, une limitation de la quantité des produits susceptibles d'être commercialisés par les importateurs est disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi.
22 Il y a donc lieu de conclure qu'en limitant, par son arrêté n° 95, du 16 mars 1984, à 3 000 hl, par producteur et par an, la quantité de bière et de boissons rafraîchissantes qui peut être commercialisée dans des emballages non agrées, en ce qui concerne les importations de ces produits en provenance d'autres Etats membres, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.
23 Le recours doit être rejeté pour le surplus.
Sur les dépens
24 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, alinéa 1, du même article, La Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Etant donné que le recours n'a été accueilli qu'en partie, il y a lieu de compenser les dépens. Le Gouvernement du Royaume-Uni, partie intervenante, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1) En limitant, par son arrêté n° 95, du 16 mars 1984, à 3 000 hl, par producteur et par an, la quantité de bière et de boissons rafraîchissantes qui peut être commercialisée dans des emballages non agrées, en ce qui concerne les importations de ces produits en provenance d'autres Etats membres, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Les dépens sont compensés. La partie intervenante supportera ses propres dépens.