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Décisions

CJCE, 31 mars 1982, n° 75-81

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Blesgen

Défendeur :

Etat belge

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Materne, de Bruyn

CJCE n° 75-81

31 mars 1982

LA COUR,

1. Par arrêt du 18 mars 1981, parvenu à la Cour le 7 avril 1981, la Cour de cassation de Belgique a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles concernant l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE en vue d'être mise en mesure d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire de certaines dispositions de la loi belge du 29 août 1919 sur le régime des alcools.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de poursuites pénales engagées par les autorités belges contre un restaurateur poursuivi pour avoir, en violation des articles 1, 2 et 14 de la loi précitée, détenu et débité dans son établissement, en sa qualité de débitant de boissons à consommer sur place, des boissons spiritueuses dont la force alcoolique dépasse 22° à la température de 15°C.

3. Tant devant la Cour de cassation que dans ses observations déposées devant la Cour de justice, le prévenu a soutenu que, même si elles sont indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés, les règles posées par les articles 1 et 2 de la loi du 29 août 1919 constituent des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation de boissons spiritueuses, contraires à l'article 30 du traité CEE. Ces mesures, en outre, ne pourraient être justifiées par aucune des raisons énumérées à l'article 36 du traité en notamment la protection de la santé et de la vie des personnes, dès lors qu'elles ne présentent pas à cet égard un caractère de nécessité certain et actuel qui puisse être admis comme tel dans toute l'étendue de la Communauté.

4. Estimant que le litige soulève des problèmes d'interprétation du droit communautaire, la Cour de cassation de Belgique a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

1°) la notion de " mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation " figurant à l'article 30 du traité de la Communauté économique européenne doit-elle être interprétée en ce sens que relèvent de l'interdiction prévue par cette disposition :

A) des mesures d'ordre législatif interdisant la consommation, la vente ou l'offre, même à titre gratuit, de boissons spiritueuses (c'est-à-dire de boissons dont la force alcoolique dépasse 22 degrés centigrades) à consommer sur place dans tous les endroits accessibles au public, notamment dans les débits de boissons, hôtels, restaurants, lieux de divertissements, magasins, échoppes, bateaux, trains, trams, gares, ateliers ou chantiers ainsi que sur la voie publique, même si cette interdiction est indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés et n'a pas pour but de protéger la production nationale ?

B) des mesures d'ordre législatif interdisant aux débitants de boissons à consommer sur place de détenir quelque quantité que ce soit de boissons spiritueuses (au sens ci-dessus précisé) tant dans les locaux où sont admis les consommateurs que dans les autres parties de l'établissement et dans l'habitation y attenante, même si cette interdiction est indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés et n'a pas pour but de protéger la production nationale ?

2°) en cas de réponse affirmative à la première question, convient-il d'interpréter la notion de mesures justifiées par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes figurant à l'article 36 du traité de la Communauté économique européenne, en ce sens que des mesures telles que celles décrites aux lettres a) et b) de la question 1 peuvent ou doivent être considérées comme justifiées par les raisons indiquées ci-dessus dans le présent dispositif ?

Sur la première question

5. La première question vise à savoir si la notion de mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives, telle qu'elle est énoncée dans l'article 30 du traité CEE, concerne également les mesures interdisant la consommation à titre onéreux ou gratuit lettre a) de la question 1 et la détention lettre b) dans tous les locaux accessibles au public, dans les autres parties de l'établissement et dans l'habitation y attenante, de boissons spiritueuses dépassant 22° de force alcoolique, même si cette interdiction est indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés et n'a pas pour but de protéger la production nationale.

6. Selon le Gouvernement belge, la loi en cause ne relèverait pas de l'interdiction de l'article 30 du traité CEE pour le motif qu'elle n'aurait pas d'effet restrictif sur le commerce intracommunautaire en l'absence de toute discrimination entre produits importés et produits nationaux. L'objectif de la loi du 29 août 1919 serait de portée générale et s'inscrirait dans le cadre de la lutte contre l'alcoolisme. Le Gouvernement belge relève que l'interdiction de détention et de consommation sur place de certaines boissons spiritueuses dans les lieux accessibles au public viserait à combattre l'alcoolisme et son expansion et, spécialement, à protéger la jeunesse contre ses effets nocifs, tant du point de vue individuel que social. Elle constituerait donc un choix de politique sociale légitime, conforme aux objectifs d'intérêt général poursuivis par le traité. L'absence de réglementation communautaire en la matière justifierait les actions nationales dans la mesure où elles seraient considérées comme nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives qui, de toute façon, primeraient les exigences de la libre circulation des marchandises.

7. Aux termes de l'article 30 du traité CEE sont interdites les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent dans le commerce entre Etats membres. Il en résulte que toute mesure nationale susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives. Ainsi que la Cour l'a relevé dans son arrêt du 10 juillet 1980 (affaire 152-78, Commission/République française, Recueil 1980, p. 2299), une législation relative à la commercialisation des produits, même si elle ne concerne pas directement le régime des importations, peut, selon les circonstances, affecter les possibilités d'importation de produits d'autres Etats membres et tomber à ce titre sous l'interdiction de l'article 30 du traité.

8. Par ailleurs, selon l'article 3 de la directive 70-50 de la Commission, du 22 décembre 1969 (JO L 13 du 19 janv. 1970, p. 29), portant suppression des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation non visées par d'autres dispositions prises en vertu du traité CEE, relèvent également de l'interdiction de l'article 30 du traité les mesures nationales régissant la commercialisation des produits, même indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés, lorsque leurs effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises dépassent le cadre des effets propres d'une réglementation de commerce.

9. Tel n'est cependant pas le cas d'une disposition législative qui ne concerne que la vente en vue de la consommation sur place des alcools de fort degré dans tous les endroits accessibles au public et qui ne concerne pas les autres formes de commercialisation des mêmes boissons. Il est à noter, au surplus, que les restrictions imposées à la vente des boissons spiritueuses concernées n'ont pas pour effet d'établir une distinction quelconque selon la nature ou la provenance de celles-ci. Une telle mesure législative n'a donc, en réalité, pas de lien avec l'importation des produits et, pour cette raison, elle n'est pas de nature à entraver le commerce entre Etats membres.

10. Les mêmes considérations valent également pour ce qui est de l'interdiction de détenir les boissons litigieuses dans les locaux voisins de l'établissement accessible au public. Dans la mesure où cette disposition se présente comme accessoire à celle de l'interdiction de consommation sur place, elle ne peut avoir pour effet de restreindre les importations des produits originaires des autres Etats membres.

11. Il convient donc de répondre à la première question que la notion de mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation, figurant à l'article 30 du traité CEE, est à comprendre en ce sens que ne relève pas de l'interdiction prévue par cette disposition une mesure nationale indistinctement applicable aux produits nationaux et importés, interdisant la consommation, la vente ou l'offre, même à titre gratuit, de boissons spiritueuses d'une certaine force alcoolique à consommer sur place, dans tous les endroits accessibles au public, ainsi que la détention de telles boissons tant dans les locaux où sont admis les consommateurs que dans les autres parties de l'établissement et dans l'habitation y attenante et dans la mesure où cette interdiction se présente comme accessoire à celle de l'interdiction de consommer sur place.

Sur la deuxième question

12. La deuxième question n'ayant été posée que pour le cas d'une réponse affirmative à la première question, il n'y a pas lieu de l'examiner.

Sur les dépens

13. Les frais exposés par les Gouvernements du Royaume de Belgique, de la République française et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission des Communautés européennes qui ont soumis des observations à la Cour ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

La notion de mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation, figurant à l'article 30 du traité CEE, est à comprendre en ce sens que ne relève pas de l'interdiction prévue par cette disposition une mesure nationale indistinctement applicable aux produits nationaux et importés interdisant la consommation, la vente ou l'offre, même à titre gratuit, de boissons spiritueuses d'une certaine force alcoolique à consommer sur place, dans tous les endroits accessibles au public, ainsi que la détention de telles boissons tant dans les locaux où sont admis les consommateurs que dans les autres parties de l'établissement et dans l'habitation y attenante, et dans la mesure où cette interdiction se présente comme accessoire à celle de l'interdiction de consommer sur place.