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Décisions

CJCE, 11 avril 2000, n° C-51/96

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Deliège

Défendeur :

Ligue francophone de judo et disciplines associées ASBL; Ligue belge de judo ASBL; Union européenne de judo; Pacquée

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida, Edward, Sevón

Avocat général :

M. Cosmas

Juges :

MM. Kapteyn, Puissochet, Hirsch, Jann, Ragnemalm

Avocats :

Mes Misson, Borbouse, Dabin-Serlez, Lietar, Smedt, Carle, Houtte, Louis, Smedt, Del Gaizo

CJCE n° C-51/96

11 avril 2000

LA COUR,

1 Par ordonnance du 16 février 1996 (C-51-96), parvenue à la Cour le 21 février 1996, et par jugement du 14 mai 1997 (C-191-97), parvenu à la Cour le 20 mai 1997, le Tribunal de première instance de Namur, statuant respectivement en référé et au fond, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE), 60, 66, 85 et 86 du traité CE (devenus articles 50 CE, 55 CE, 81 CE et 82 CE).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre de litiges opposant Mme Deliège à la Ligue francophone de judo et disciplines associées ASBL (ci-après la "LFJ"), à la Ligue belge de judo ASBL (ci-après la "LBJ") et au président de celle-ci, M. Pacquée, au sujet du refus de la sélectionner pour participer au tournoi international de judo de Paris, dans la catégorie des moins de 52 kg.

Les règles d'organisation et de sélection du judo

3 Le judo, sport de combat individuel, est organisé à l'échelle mondiale par la Fédération internationale de judo (ci-après la "FIJ"). Au niveau européen, il existe une fédération dénommée Union européenne de judo (ci-après l'"UEJ"), qui regroupe les différentes fédérations nationales. La fédération belge est la LBJ, qui s'occupe essentiellement des compétitions internationales et procède à la sélection des athlètes en vue de leur participation aux tournois internationaux. La LBJ est composée de deux ligues régionales, la Vlaamse Judofederatie (ci-après la "VJF") et la LFJ. Les membres de la LBJ sont les deux ligues régionales, ainsi que les clubs qui font partie de ces dernières. Les judokas sont affiliés à un club qui est lui-même membre de la ligue régionale, laquelle délivre aux affiliés une licence nécessaire pour participer aux cours ou aux compétitions. Le détenteur d'une licence est tenu de se soumettre à toutes les obligations imposées par la ligue régionale du fait de ses statuts et de ses règlements.

4 Traditionnellement, les athlètes sont classés en fonction de leur sexe et de sept catégories de poids, soit un total de quatorze catégories différentes. Lors de son assemblée technique et sportive d'Amsterdam du 5 février 1994 et de son congrès ordinaire de Nicosie du 9 avril 1994, le comité directeur de l'UEJ a adopté des règles concernant la participation aux tournois européens dits de catégorie A. Lesdits tournois, tout comme les championnats d'Europe de mai 1996, permettaient d'obtenir des points pour le classement dans les listes européennes pouvant déterminer les qualifications pour les jeux olympiques d'Atlanta de 1996. Il était prévu que seules les fédérations nationales pouvaient inscrire leurs athlètes et que, pour chaque fédération européenne, sept judokas de chaque sexe pouvaient être inscrits sur lesdites listes, soit en principe un judoka par catégorie. Toutefois, si aucun athlète n'était désigné dans une catégorie, il était possible d'inscrire deux judokas dans une autre catégorie, sans jamais excéder la limite de sept hommes et sept femmes. Ainsi que cela a été exposé par la LFJ lors de l'audience devant la Cour, la nationalité du judoka n'avait aucune incidence dans ce contexte, seule son affiliation à la fédération nationale étant prise en considération.

5 Conformément aux critères de sélection pour les jeux olympiques d'Atlanta, adoptés par la FIJ le 19 octobre 1993 à Madrid, étaient notamment qualifiés pour ces jeux, dans chaque catégorie, les huit premiers des derniers championnats du monde, ainsi qu'un certain nombre de judokas pour chaque continent (pour l'Europe, neuf hommes et cinq femmes dans chaque catégorie), à déterminer sur la base des résultats obtenus par chaque judoka au cours d'un certain nombre de tournois durant la période préolympique. À cet effet, l'UEJ a précisé, lors de son assemblée d'Amsterdam et de son congrès de Nicosie susmentionnés, que seraient pris en considération les trois meilleurs résultats obtenus lors des tournois de catégorie A et des championnats d'Europe seniors, durant la période comprise entre les championnats du monde de 1995 et les championnats d'Europe de 1996. Elle a également prévu que seraient qualifiées les fédérations et non pas les judokas personnellement.

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

6 Mme Deliège pratique le judo depuis 1983 et, dès 1987, elle a obtenu d'excellents résultats dans la catégorie des moins de 52 kg, dont plusieurs titres de championne de Belgique, un titre de championne d'Europe et un titre de championne du monde dans les athlètes de moins de 19 ans, ainsi que des victoires et des classements prestigieux dans des tournois internationaux. Un désaccord subsiste entre les parties au principal quant au statut de Mme Deliège, cette dernière prétendant qu'elle exerce le judo à titre professionnel ou semi-professionnel, tandis que la LBJ et la LFJ font valoir que le judo est un sport qui, en Europe et, en particulier, en Belgique, est pratiqué par des amateurs.

7 Mme Deliège soutient que, dès 1992, les responsables de la LFJ et de la LBJ ont entravé de manière abusive le déroulement de sa carrière. Elle se plaint notamment d'avoir été empêchée de participer aux jeux olympiques de Barcelone en 1992, de n'avoir pas été sélectionnée pour les championnats du monde en 1993 ni pour les championnats d'Europe en 1994. En mars 1995, Mme Deliège aurait été informée qu'elle n'était pas présélectionnée pour les jeux olympiques d'Atlanta. En avril 1995, alors qu'elle se préparait à participer aux championnats d'Europe qui devaient se tenir en mai, elle aurait été exclue de l'équipe belge au profit d'une athlète affiliée à la VJF. En décembre 1995, elle aurait été empêchée de participer au tournoi international de catégorie A de Bâle.

8 La LFJ allègue que Mme Deliège est à maintes reprises entrée en conflit avec les entraîneurs, sélectionneurs ou responsables de la LFJ et de la LBJ et qu'elle est peu disciplinée, ayant notamment fait l'objet d'une sanction de suspension temporaire de toute activité fédérale. En outre, elle se serait heurtée à des difficultés d'ordre sportif, la Belgique disposant d'au moins quatre judokas de haut niveau dans la catégorie des moins de 52 kg. La LBJ indique que les décisions relatives à la sélection des athlètes en vue de la participation aux différents tournois et championnats sont prises par sa commission sportive nationale, organe constitué paritairement par des membres de la VJF et de la LFJ.

9 Les faits qui se trouvent directement à l'origine des affaires au principal concernent la participation au tournoi international de catégorie A de Paris des 10 et 11 février 1996. La LBJ ayant sélectionné deux autres athlètes qui, selon Mme Deliège, avaient obtenu des résultats sportifs moins brillants que les siens, cette dernière a saisi, le 26 janvier 1996, le juge des référés du Tribunal de première instance de Namur.

L'affaire C-51-96

10 Mme Deliège a demandé au Tribunal de première instance de Namur, statuant en référé, que soit ordonné à la LFJ et à la LBJ d'accomplir toutes les formalités nécessaires à sa participation au tournoi de Paris et que la Cour de justice soit saisie d'une question préjudicielle relative au caractère illicite des règles édictées par l'UEJ quant au nombre limité d'athlètes par fédération nationale et aux autorisations fédérales pour la participation aux tournois individuels de catégorie A au regard des articles 59, 60, 66, 85 et 86 du traité. Par citation en intervention et garantie forcée du 9 février 1996, Mme Deliège a mis en cause l'UEJ et a demandé au juge des référés saisi du litige d'ordonner à tous les organisateurs de tournois de catégorie A d'accepter à titre provisoire toute inscription de sa part, qu'elle ait été sélectionnée ou non par sa fédération nationale.

11 Par ordonnance du 6 février 1996, le juge des référés du Tribunal de première instance de Namur a rejeté la demande formulée par Mme Deliège en ce qui concerne sa participation au tournoi de Paris, mais a fait défense à la LBJ et à la LFJ de prendre quelque décision que ce soit qui impliquerait la non-sélection de la demanderesse pour toute compétition à venir, jusqu'à ce que les parties soient entendues une nouvelle fois sur les autres chefs de la demande.

12 Par ordonnance du 16 février 1996, le même juge a d'abord rejeté comme irrecevable la demande en intervention forcée présentée à l'encontre de l'UEJ.

13 Ensuite, le juge de renvoi a indiqué que, conformément à la jurisprudence de la Cour, l'exercice d'un sport relève du droit communautaire dans la mesure où il peut constituer une activité économique au sens de l'article 2 du traité CE (devenu, après modification, article 2 CE). En raison de l'évolution récente de la pratique sportive, la distinction entre un amateur et un athlète professionnel se serait atténuée. Les sportifs de haut niveau pourraient percevoir, outre des bourses ou d'autres aides, des revenus plus importants en raison de la notoriété dont ils jouissent, de sorte qu'ils fourniraient des prestations à caractère économique.

14 Selon le juge de renvoi, Mme Deliège prétend avec une apparence de droit suffisante qu'elle doit être considérée comme une prestataire de services au sens des articles 59, 60 et 66 du traité. L'exigence systématique d'un quota et d'une sélection au niveau national semblerait constituer une entrave au libre exercice d'une prestation à caractère économique. Par ailleurs, il ne saurait être raisonnablement soutenu que l'accès aux compétitions revendiqué par Mme Deliège aboutirait à permettre à n'importe qui de participer à n'importe quel tournoi, la compétition pouvant être ouverte à tout sportif répondant à des critères objectifs d'aptitude, comme le démontrerait l'expérience d'autres sports comparables.

15 Compte tenu notamment de la proximité des jeux olympiques d'Atlanta et de la relative brièveté d'une carrière de sportif de haut niveau, le juge national a donc estimé que la demande de Mme Deliège tendant à ce qu'il pose une question préjudicielle à la Cour avait une "pertinence apparente". Le fait qu'aucune action au fond n'ait été introduite n'aurait pas fait obstacle à ce qu'une telle question soit posée. Cette question pourrait être conçue comme un élément de solution du litige en référé ou comme une mesure d'instruction propre à accélérer une procédure au fond dont la mise en œuvre paraîtrait entrer dans les intentions de la demanderesse.

16 Par conséquent, le juge des référés du Tribunal de première instance de Namur a posé à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Un règlement qui impose à un sportif professionnel, semi-professionnel ou candidat à un tel statut, d'être en possession d'une autorisation ou d'une sélection de sa fédération nationale pour pouvoir concourir dans une compétition internationale et qui prévoit des quotas nationaux d'engagement ou de semblables compétitions, est-il ou non contraire au traité de Rome et notamment aux articles 59 à 66, ainsi qu'aux articles 85 et 86?"

17 Enfin, quant à l'aménagement d'une situation d'attente, le juge de renvoi a constaté que les demandes formulées par Mme Deliège à l'encontre de la LBJ et de la LFJ ne pouvaient être accueillies. Cependant, il a considéré qu'il convenait d'assurer à la demanderesse une protection contre un dommage grave, par l'aménagement d'une situation d'attente qui ne nuise pas aux intérêts des autres sportifs.

18 Dans l'attente de l'issue d'une procédure au fond, il a donc interdit à la LBJ et à la LFJ de poser tout acte tendant à restreindre ou à empêcher le libre exercice par la demanderesse de son activité de judoka, notamment lors de compétitions nationales ou internationales, et qui ne serait pas objectivement justifié soit par la considération de son aptitude physique ou de son comportement, soit par l'appréciation relative de ses mérites par rapport à ceux d'autres athlètes concurrents. Cette mesure devait cesser de produire ses effets un mois après le prononcé de l'ordonnance à défaut d'introduction d'une action au fond par Mme Deliège.

L'affaire C-191-97

19 Par citations des 27 février et 1er mars 1996, Mme Deliège a engagé une action au fond à l'encontre de la LFJ, de la LBJ et de M. Pacquée devant le Tribunal de première instance de Namur. Cette action tendait à ce que ce dernier, en premier lieu, dise pour droit que le système de sélection des judokas pour les tournois internationaux, tel qu'il est mis en place par les règlements des deux fédérations précitées, est illégal en ce qu'il confère à celles-ci un pouvoir susceptible d'entraver le droit des judokas à la libre prestation des services et la liberté professionnelle de ces sportifs, en deuxième lieu, saisisse la Cour de justice d'une question préjudicielle, en troisième lieu, organise une situation d'attente dans l'hypothèse où une telle question serait posée et, en dernier lieu, condamne la LFJ et la LBJ à lui payer la somme de 30 millions de BEF à titre de dommages et intérêts.

20 Dans son jugement, la juridiction de renvoi a considéré qu'il existait un risque évident de voir la Cour déclarer irrecevable la question posée dans l'affaire C-51-96 au motif que le juge des référés avait entièrement vidé sa saisine. Elle a donc jugé qu'il n'y avait pas lieu d'attendre l'arrêt de la Cour dans cette première affaire et que, la réponse à la question posée dans l'affaire dont elle était saisie étant incertaine, il lui appartenait de saisir la Cour à titre préjudiciel.

21 S'agissant de la demande de Mme Deliège visant à ce que soit organisée une situation d'attente, il lui a semblé très difficile, voire impossible, d'organiser pratiquement une telle situation en respectant l'intérêt de chacune des parties, l'intéressée n'ayant proposé aucune mesure concrète à cet égard.

22 C'est dans ces conditions que le Tribunal de première instance de Namur a sursis à statuer et a posé à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Le fait d'imposer à un athlète professionnel ou semi-professionnel ou candidat à une activité professionnelle ou semi-professionnelle d'être en possession d'une autorisation de sa fédération pour pouvoir s'aligner dans une compétition internationale qui n'oppose pas des équipes nationales, est-il ou non contraire au traité de Rome et notamment aux articles 59, 85 et 86 de ce traité?"

Sur la compétence de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles et sur la recevabilité de celles-ci

23 La LFJ, la LBJ, M. Pacquée, les Gouvernements belge, hellénique et italien, ainsi que la Commission, ont contesté, à des titres divers, la compétence de la Cour pour répondre à la question posée dans l'affaire C-51-96 et la recevabilité de tout ou partie de cette question.

24 Tout d'abord, la juridiction de renvoi se serait prononcée sur tous les chefs de la demande de la requérante et se serait ainsi dessaisie du litige. La procédure au principal étant achevée à la date à laquelle la Cour a été saisie, la réponse à celle-ci ne présenterait plus d'intérêt pour la juridiction de renvoi. Dans de telles circonstances, il résulterait des arrêts du 21 avril 1988, Fratelli Pardini (338-85, Rec. p. 2041), et du 4 octobre 1991, Society for the Protection of Unborn Children Ireland (C-159-90, Rec. p. I-4685), que la Cour ne serait pas compétente pour y répondre.

25 Ensuite, la question aurait un caractère hypothétique et concernerait une matière - le sport amateur - qui ne relèverait pas du droit communautaire.

26 Enfin, le juge national aurait omis de définir de manière suffisante le cadre factuel et réglementaire dans lequel la question se pose, exigence qui s'imposerait tout particulièrement dans le domaine de la concurrence, qui serait caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C-320-90 à C-322-90, Rec. p. I-393).

27 La compétence de la Cour pour répondre à tout ou partie de la question préjudicielle posée dans l'affaire C-191-97 et la recevabilité de cette question sont également contestées par la LFJ, la LBJ et M. Pacquée, ainsi que par le Gouvernement hellénique et la Commission. Ceux-ci ont notamment fait valoir que le juge de renvoi n'a pas fourni d'indications suffisantes quant au cadre factuel et réglementaire, que la question concerne une matière étrangère au droit communautaire, que les droits de la défense de l'UEJ et de la FIJ ont été méconnus, et que la question posée a un caractère hypothétique en tant qu'elle se réfère à des rencontres autres que celles qui se déroulent entre équipes nationales.

28 En premier lieu, il y a lieu de relever que le point de savoir si les questions posées par la juridiction nationale concernent une matière étrangère au droit communautaire, soit parce que le sport amateur échapperait au champ d'application du traité, soit parce que les rencontres visées par ladite juridiction opposeraient des équipes nationales, relève du fond des questions posées et non de la recevabilité de celles-ci.

29 En deuxième lieu, s'agissant de la prétendue violation des droits de la défense de la FIJ et de l'UEJ, il n'appartient pas à la Cour de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d'organisation et de procédure judiciaires (voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39-94, Rec. p. I-3547, point 24, et du 5 juin 1997, Celestini, C-105-94, Rec. p. I-2971, point 20). Il s'ensuit que la Cour n'a pas à se prononcer sur la question de savoir si la FIJ et l'UEJ auraient dû être appelées en cause dans les procédures au principal.

30 En troisième lieu, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Ces exigences valent tout particulièrement dans certains domaines, comme celui de la concurrence, qui sont caractérisés par des situations de fait et de droit complexes (voir, notamment, arrêts Telemarsicabruzzo e.a., précité, points 6 et 7; du 21 septembre 1999, Albany, C-67-96, non encore publié au Recueil, point 39, et Brentjens', C-115-97 à C-117-97, non encore publié au Recueil, point 38).

31 Les informations fournies dans les décisions de renvoi ne doivent pas seulement permettre à la Cour d'apporter des réponses utiles, mais elles doivent également donner aux Gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de la disposition précitée, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées (voir, notamment, ordonnance du 23 mars 1995, Saddik, C-458-93, Rec. p. I-511, point 13; arrêts précités Albany, point 40, et Brentjens', point 39).

32 En ce qui concerne l'affaire C-191-97, qu'il convient d'examiner en premier lieu, d'une part, il ressort des observations présentées par les parties au principal, les Gouvernements des États membres, le Gouvernement norvégien et la Commission, conformément à ladite disposition du statut CE de la Cour de justice, que les informations contenues dans le jugement de renvoi leur ont permis de prendre utilement position sur la question soumise à la Cour pour autant que celle-ci concerne les règles du traité relatives à la libre prestation des services.

33 En outre, même si les Gouvernements hellénique, espagnol et italien ont pu considérer que les informations fournies par la juridiction de renvoi ne leur permettaient pas de prendre position sur la question de savoir si la demanderesse au principal exerce une activité économique au sens du traité, il importe de souligner que ces Gouvernements et les autres parties intéressées ont été en mesure de présenter des observations sur la base des énonciations factuelles de ladite juridiction.

34 Par ailleurs, les informations contenues dans le jugement de renvoi ont été complétées par les éléments résultant du dossier transmis par la juridiction nationale et des observations écrites déposées devant la Cour. L'ensemble de ces éléments, repris dans le rapport d'audience, a été porté à la connaissance des Gouvernements des États membres et des autres parties intéressées en vue de l'audience au cours de laquelle ils ont pu, le cas échéant, compléter leurs observations (voir également, en ce sens, arrêts précités Albany, point 43, et Brentjens', point 42).

35 D'autre part, les informations fournies par la juridiction nationale, complétées, pour autant que de besoin, par les éléments précités, donnent à la Cour une connaissance suffisante du cadre factuel et réglementaire du litige au principal pour permettre à cette dernière d'interpréter les règles du traité relatives à la libre prestation des services au regard de la situation faisant l'objet de ce litige.

36 En revanche, dans la mesure où la question posée porte sur les règles de concurrence applicables aux entreprises, la Cour ne s'estime pas suffisamment éclairée pour donner des indications quant à la définition du ou des marchés en cause au principal. Le jugement de renvoi ne fait pas non plus clairement apparaître quels sont la nature et le nombre des entreprises exerçant leur activité sur ce ou ces marchés. En outre, les informations fournies par la juridiction de renvoi ne permettent pas à la Cour de se prononcer utilement quant à l'existence et à l'importance des échanges entre États membres ou quant à la possibilité que ceux-ci soient affectés par les règles de sélection des judokas.

37 Force est donc de constater que le jugement de renvoi ne contient pas d'indications suffisantes pour répondre aux exigences rappelées aux points 30 et 31 du présent arrêt en ce qui concerne les règles de la concurrence.

38 En ce qui concerne la question posée dans l'affaire C-51-96, l'ordonnance de renvoi ne contient pas non plus d'indications suffisantes pour permettre à la Cour de se prononcer utilement sur l'interprétation des règles de concurrence applicables aux entreprises. En revanche, les informations fournies par ladite ordonnance, complétées le cas échéant par les éléments contenus dans les observations écrites déposées conformément à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice et reprises dans le rapport d'audience, ainsi que les indications résultant du jugement de renvoi dans l'affaire C-191-97, ont permis aux parties intéressées de prendre position sur l'interprétation des règles relatives à la libre prestation des services et à la Cour d'avoir une connaissance suffisante du cadre factuel et réglementaire pour pouvoir utilement statuer à ce sujet.

39 Nonobstant leur formulation légèrement différente, les questions posées dans les deux affaires au principal sont, en substance, identiques et, dans ces conditions, il n'est pas besoin d'examiner plus avant les arguments mettant en cause de manière spécifique la recevabilité de la question dans l'affaire C-51-96.

40 Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu pour la Cour de répondre aux questions posées pour autant qu'elles portent sur l'interprétation des règles du traité relatives à la libre prestation des services. En revanche, lesdites questions sont irrecevables dans la mesure où elles concernent l'interprétation des règles de concurrence applicables aux entreprises.

Sur l'interprétation de l'article 59 du traité

41 À titre liminaire, il convient de rappeler que, compte tenu des objectifs de la Communauté, l'exercice des sports relève du droit communautaire dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l'article 2 du traité (voir arrêts du 12 décembre 1974, Walrave et Koch, 36-74, Rec. p. 1405, point 4, et du 15 décembre 1995, Bosman, C-415-93, Rec. p. I-4921, point 73). La Cour a par ailleurs reconnu que l'activité sportive revêt une importance sociale considérable dans la Communauté (voir arrêt Bosman, précité, point 106).

42 Cette jurisprudence est d'ailleurs confortée par la déclaration n° 29 relative au sport, figurant en annexe à l'acte final de la conférence ayant arrêté le texte du traité d'Amsterdam, laquelle souligne l'importance sociale du sport et invite notamment les institutions de l'Union européenne à tenir tout spécialement compte des particularités du sport amateur. En particulier, cette déclaration est cohérente avec ladite jurisprudence en tant qu'elle concerne les situations où l'exercice du sport constitue une activité économique.

43 Il convient de rappeler que les dispositions du traité en matière de libre circulation des personnes ne s'opposent pas à des réglementations ou pratiques excluant les joueurs étrangers de certaines rencontres pour des motifs non économiques, tenant au caractère et au cadre spécifiques de ces rencontres et intéressant donc uniquement le sport en tant que tel, comme il en est des matchs entre équipes nationales de différents pays. La Cour a cependant relevé que cette restriction du champ d'application du traité doit rester limitée à son objet propre et ne peut être invoquée pour en exclure toute une activité sportive (arrêts du 14 juillet 1976, Donà, 13-76, Rec. p. 1333, points 14 et 15, et Bosman, précité, points 76 et 127).

44 Or, les règles de sélection en cause au principal ne portent pas sur des rencontres opposant des équipes ou sélections nationales de différents pays, ne comprenant que des ressortissants ayant la nationalité de l'État dont relève la fédération qui les a sélectionnés, tels les jeux olympiques ou certains championnats du monde ou d'Europe, mais réservent la participation, par fédération nationale, à certaines autres rencontres internationales de haut niveau aux athlètes qui sont affiliés à la fédération en cause, indépendamment de leur nationalité. La seule circonstance que les classements obtenus par les athlètes dans ces compétitions sont pris en compte pour déterminer les pays qui pourront inscrire des représentants aux jeux olympiques ne saurait justifier l'assimilation de celles-ci à des rencontres entre équipes nationales qui peuvent échapper au champ d'application du droit communautaire.

45 La LFJ a notamment soutenu que les associations et fédérations sportives sont en droit de déterminer librement les conditions d'accès à des compétitions qui n'intéressent que des sportifs amateurs.

46 À cet égard, il importe de relever que la simple circonstance qu'une association ou fédération sportive qualifie unilatéralement d'amateurs les athlètes qui en sont membres n'est pas par elle-même de nature à exclure que ceux-ci exercent des activités économiques au sens de l'article 2 du traité.

47 Quant à la nature des règles litigieuses, il résulte des arrêts précités Walrave et Koch (points 17 et 18) et Bosman (points 82 et 83) que les dispositions communautaires en matière de libre circulation des personnes et des services ne régissent pas seulement l'action des autorités publiques, mais s'étendent également aux réglementations d'une autre nature visant à régler, de façon collective, le travail salarié et les prestations de services. En effet, l'abolition entre les États membres des obstacles à la libre circulation des personnes et à la libre prestation des services serait compromise si la suppression des barrières d'origine étatique pouvait être neutralisée par des obstacles résultant de l'exercice de leur autonomie juridique par des associations et organismes ne relevant pas du droit public.

48 Il s'ensuit que le traité, et notamment ses articles 59, 60 et 66, est susceptible de s'appliquer aux activités sportives et aux règles édictées par les associations sportives, telles que celles en cause au principal.

49 Compte tenu de ce qui précède et des débats qui se sont déroulés devant la Cour, il importe de vérifier si une activité telle que celle exercée par Mme Deliège est susceptible de constituer une activité économique au sens de l'article 2 du traité et, plus particulièrement, une prestation de services au sens de l'article 59 du même traité.

50 Dans le cadre de la coopération judiciaire instituée par la procédure préjudicielle entre le juge national et la Cour, il appartient au premier d'établir et d'apprécier les faits de l'affaire (voir, notamment, arrêt du 3 juin 1986, Kempf, 139-85, Rec. p. 1741, point 12) et à la Cour de fournir à la juridiction nationale les éléments d'interprétation nécessaires pour lui permettre de trancher le litige (arrêt du 22 mai 1990, Alimenta, C-332-88, Rec. p. I-2077, point 9).

51 À cet égard, il importe de constater tout d'abord que le jugement de renvoi dans l'affaire C-191-97 évoque notamment des bourses délivrées en fonction des résultats sportifs antérieurs et des contrats de sponsorisation directement liés aux résultats obtenus par l'athlète. Par ailleurs, Mme Deliège a soutenu devant la Cour, en produisant certains documents à l'appui de ses affirmations, qu'elle avait perçu, en raison de ses prestations sportives, des bourses de la Communauté française de Belgique et du comité olympique et interfédéral belge et qu'elle avait été sponsorisée par une institution bancaire et par un constructeur d'automobiles.

52 S'agissant ensuite des notions d'activité économique et de prestation de services au sens des articles 2 et 59 respectivement du traité, il y a lieu de relever qu'elles définissent le champ d'application d'une des libertés fondamentales garanties par le traité et, à ce titre, ne peuvent être interprétées restrictivement (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 1982, Levin, 53-81, Rec. p. 1035, point 13).

53 Pour ce qui concerne plus particulièrement la première de ces notions, il ressort d'une jurisprudence constante (arrêts Donà, précité, point 12, et du 5 octobre 1988, Steymann, 196-87, Rec. p. 6159, point 10) que doit être regardée comme une activité économique au sens de l'article 2 du traité une prestation de travail salarié ou une prestation de services rémunérés.

54 Toutefois, ainsi que la Cour l'a notamment jugé dans les arrêts précités Levin (point 17) et Steymann (point 13), les activités exercées doivent être réelles et effectives et non pas de nature telle qu'elles se présentent comme purement marginales et accessoires.

55 Quant à la prestation de services, il résulte de l'article 60, premier alinéa, du traité que, au sens de cette disposition, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.

56 À cet égard, il convient de constater que les activités sportives et, notamment, la participation d'un athlète de haut niveau à une compétition internationale sont susceptibles d'impliquer la prestation de plusieurs services distincts, mais étroitement imbriqués, qui peuvent relever de l'article 59 du traité même si certains de ces services ne sont pas payés par ceux qui en bénéficient (voir arrêt du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a., 352-85, Rec. p. 2085, point 16).

57 À titre d'exemple, l'organisateur d'une telle compétition offre à l'athlète la possibilité d'exercer son activité sportive en se mesurant à d'autres compétiteurs et, corrélativement, les athlètes, par leur participation à la compétition, permettent à l'organisateur de produire un spectacle sportif auquel le public peut assister, que des émetteurs de programmes télévisés peuvent retransmettre et qui peut intéresser des annonceurs publicitaires et des sponsors. En outre, l'athlète fournit à ses propres sponsors une prestation publicitaire qui trouve son support dans l'activité sportive elle-même.

58 Enfin, en ce qui concerne les objections émises dans les observations présentées devant la Cour selon lesquelles, d'une part, les affaires au principal concerneraient une situation purement interne et, d'autre part, certaines manifestations internationales échapperaient au champ d'application territorial du traité, il convient de rappeler que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne sont pas applicables à des activités dont l'ensemble des éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre (voir, en dernier lieu, arrêts du 9 septembre 1999, RI.SAN., C-108-98, non encore publié au Recueil, point 23, et du 21 octobre 1999, Jägerskiöld, C-97-98, non encore publié au Recueil, point 42). Toutefois, un élément d'extranéité peut notamment découler de la circonstance qu'un athlète participe à une compétition dans un État membre autre que celui où il est établi.

59 Il appartient au juge national d'apprécier, sur la base de ces éléments d'interprétation, si les activités sportives de Mme Deliège, et notamment sa participation aux tournois internationaux, constituent une activité économique au sens de l'article 2 du traité et, plus particulièrement, une prestation de services au sens de l'article 59 du même traité.

60 En supposant que l'activité de Mme Deliège puisse être qualifiée de prestation de services, il convient d'examiner si les règles de sélection en cause au principal constituent une restriction à la libre prestation des services, au sens de l'article 59 du traité.

61 À cet égard, il y a lieu de relever que, à la différence des règles applicables dans l'affaire Bosman, les règles de sélection en cause au principal ne déterminent pas les conditions d'accès des sportifs professionnels au marché du travail et ne comportent pas de clauses de nationalité limitant le nombre de ressortissants d'autres États membres qui peuvent participer à une compétition.

62 Mme Deliège, de nationalité belge, ne prétend d'ailleurs pas que le choix effectué par la LBJ, qui ne l'a pas sélectionnée pour participer au tournoi, a été effectué en fonction de sa nationalité.

63 En outre, ainsi qu'il a été relevé au point 44 du présent arrêt, de telles règles de sélection ne concernent pas un tournoi dont l'objet serait de confronter des équipes nationales, mais un tournoi où, dès lors qu'ils ont été sélectionnés, les athlètes concourent pour leur propre compte.

64 Dans ce contexte, il suffit de constater que, si des règles de sélection telles que celles en cause au principal ont inévitablement pour effet de limiter le nombre de participants à un tournoi, une telle limitation est inhérente au déroulement d'une compétition sportive internationale de haut niveau, qui implique forcément l'adoption de certaines règles ou de certains critères de sélection. De telles règles ne peuvent donc en elles-mêmes être regardées comme constitutives d'une restriction à la libre prestation des services interdite par l'article 59 du traité.

65 Au demeurant, l'adoption, aux fins d'un tournoi sportif international, d'un système de choix des participants par rapport à un autre doit être fondée sur un grand nombre de considérations étrangères à la situation personnelle d'un athlète quelconque, telles que la nature, l'organisation et le financement du sport concerné.

66 Si un système de choix peut s'avérer plus favorable envers une catégorie d'athlètes qu'un autre, il ne saurait être déduit de ce seul fait que l'adoption d'un tel système constitue une restriction à la libre prestation de services.

67 Dès lors, il revient naturellement aux entités concernées, telles que les organisateurs des tournois, les fédérations sportives ou encore les associations d'athlètes professionnels, d'édicter les règles appropriées et d'effectuer la sélection en vertu de celles-ci.

68 À cet égard, il convient d'admettre que l'attribution d'une telle mission aux fédérations nationales, au sein desquelles se trouvent normalement réunies les connaissances et l'expérience nécessaires, constitue le reflet de l'organisation retenue dans la plupart des disciplines sportives, laquelle repose en principe sur l'existence d'une fédération dans chaque pays. En outre, il doit être relevé que les règles de sélection en cause au principal s'appliquent tant aux compétitions organisées à l'intérieur de la Communauté qu'aux tournois se déroulant à l'extérieur de celle-ci et concernent à la fois des ressortissants des États membres et des nationaux de pays tiers.

69 Il y a donc lieu de répondre aux questions posées qu'une règle imposant à un athlète professionnel ou semi-professionnel, ou à un candidat à une activité professionnelle ou semi-professionnelle, d'être en possession d'une autorisation ou d'une sélection de sa fédération pour pouvoir participer à une compétition sportive internationale de haut niveau qui n'oppose pas des équipes nationales, dès lors qu'elle découle d'une nécessité inhérente à l'organisation d'une telle compétition, ne constitue pas en elle-même une restriction à la libre prestation de services interdite par l'article 59 du traité.

Sur les dépens

70 Les frais exposés par les Gouvernements belge, danois, allemand, hellénique, espagnol, français, italien, néerlandais, autrichien, finlandais, suédois et norvégien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de première instance de Namur, par ordonnance du 16 février 1996 et par jugement du 14 mai 1997, dit pour droit:

Une règle imposant à un athlète professionnel ou semi-professionnel, ou à un candidat à une activité professionnelle ou semi-professionnelle, d'être en possession d'une autorisation ou d'une sélection de sa fédération pour pouvoir participer à une compétition sportive internationale de haut niveau qui n'oppose pas des équipes nationales, dès lors qu'elle découle d'une nécessité inhérente à l'organisation d'une telle compétition, ne constitue pas en elle-même une restriction à la libre prestation de services interdite par l'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE).