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Décisions

CJCE, 2 mars 1982, n° 6-81

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BV Industrie Diensten Groep

Défendeur :

JA Beele Handelmaatschappij BV

CJCE n° 6-81

2 mars 1982

LA COUR,

1. Par arrêt du 11 décembre 1980, parvenu à la Cour le 14 janvier 1981, le Gerechtshof de la Haye a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle portant sur l'interprétation des règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

2. La question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant une firme néerlandaise, importateur exclusif de traversées murales fabriquées en Suède et commercialisées aux Pays-Bas depuis 1963, à une autre firme néerlandaise qui commercialisé depuis 1978 aux Pays-Bas des traversées murales fabriquées en République fédérale d'Allemagne. Il ressort du dossier que les traversées murales suédoises étaient protégées auparavant par un droit de brevet, entre autres en République fédérale d'Allemagne et aux Pays-Bas, et que la fabrication des traversées allemandes ainsi que leur importation aux Pays-Bas ont commencé après l'expiration de la durée de validité de ces brevets.

3. La première des firmes précitées a introduit, auprès du président de l'Arrondissementsrechtbank de la Haye, un recours en réfère contre la seconde, en faisant valoir que les traversées murales allemandes constituaient une imitation servile des traversées murales suédoises et en demandant au président d'interdire à la défenderesse de commercialiser ou de faire commercialiser les traversées allemandes aux Pays-Bas.

4. Le président de l'Arrondissementsrechtbank ayant fait droit à cette demande, la seconde firme a interjeté appel devant le Gerechtshof de la Haye. Selon l'arrêt de renvoi, cette juridiction est arrivée à la conclusion provisoire que le fabricant allemand aurait pu concevoir un autre système de traversées murales que le système suédois, sans nuire à la qualité de son produit ni du point de vue économique, ni du point de vue technique et que, ne l'ayant pas fait, il avait crée une confusion entre les deux produits. Pour cette raison, le Gerechtshof est d'avis que le président de l'Arrondissementsrechtbank avait estimé à juste titre que le produit allemand constituait, d'après le droit néerlandais, une imitation servile des traversées murales suédoises. Comme l'appelante a fait valoir que les traversées vendues par elle ont été commercialisées régulièrement dans un autre Etat membre et que, partant, l'action de l'intimée aurait enfreint les dispositions des articles 30 à 36 du traité CEE, le Gerechtshof a décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

" A supposer :

A) Qu'un commerçant commercialisé aux Pays-Bas des produits qui ne sont plus couverts par un brevet quelconque et qui, sans nécessité, sont quasi identiques à des produits déjà commercialisés de longue date aux Pays-Bas par un autre commerçant, lesquels se distinguent d'autres produits similaires, et que le premier commerçant crée ainsi inutilement une confusion ;

B) Que, selon la loi néerlandaise, le premier commerçant commet ainsi, du fait de la concurrence déloyale, un acte délictueux à l'égard du deuxième commerçant ;

C) Que la loi néerlandaise reconnaît au deuxième commerçant le droit d'obtenir sur cette base une interdiction judiciaire, qui à pour effet d'interdire au premier commerçant de continuer à commercialiser ces produits aux Pays-Bas ;

D) Que les produits du deuxième commerçant sont fabriqués en Suède et ceux du premier commerçant en République fédérale d'Allemagne ;

E) Que le premier commercent importe ses produits de la République fédérale d'Allemagne, où ces produits ont été régulièrement commercialisés par une personne autre que le deuxième commerçant, le fabricant suédois ou quelqu'un qui est lié à eux ou qui a obtenu de l'un d'eux une autorisation à cet effet,

Les règles contenues dans le traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises, nonobstant ce qui est prévu à l'article 36, font-elles obstacle à ce que le deuxième commerçant obtienne une telle interdiction judiciaire à l'encontre du premier commerçant ? "

5. Il ressort du dossier que la règle du droit néerlandais invoquée dans la question, comme d'ailleurs la protection contre l'imitation servile dans le droit de la plupart des autres Etats membres, a été développée essentiellement par la jurisprudence. Comme la Commission l'a fait remarquer, la protection contre l'imitation servile n'a pas, jusqu'ici, fait l'objet, sur le plan communautaire, d'efforts de rapprochement des droits nationaux. Pour cette raison, l'examen de la conformité, avec les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises, d'une telle protection doit se limiter aux modalités de protection qui sont décrites dans l'arrêt de renvoi du Gerechtshof dans le cadre du droit néerlandais.

6. Il ressort de cet arrêt que, sous réserve de la réponse qui sera donnée à la question posée, le Gerechtshof est disposé à confirmer l'interdiction de commercialiser aux Pays-Bas des produits dont il présume qu'ils ont ete commercialisés régulièrement dans un autre Etat membre.

7. Une telle interdiction constitue une entrave à la libre circulation des marchandises entre les Etats membres, laquelle relève en principe de l'article 30 qui interdit toutes mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation. Cependant, la Cour a jugé itérativement (entre autres dans l'arrêt du 20 février 1979, " cassis de Dijon ", 120-78, Recueil p. 649, et dans l'arrêt du 17 juin 1981, Commission/Irlande, 113-80, non encore publié), qu'en l'absence de règlementation commune de la production et de la commercialisation des produits, les obstacles à la circulation intracommunautaire résultant de disparités des règlementations nationales doivent être acceptés dans la mesure où une telle règlementation, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant, entre autres, à la défense des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales. Il convient donc d'examiner si la protection contre l'imitation selon les modalités décrites dans l'arrêt de renvoi satisfait à ces conditions.

8. Si, en l'espèce, l'affaire au principal concerne la protection d'un produit fabriqué dans un pays tiers contre la commercialisation d'un produit fabriqué dans un Etat membre, l'application de la jurisprudence, telle qu'elle est exposée par la juridiction nationale, ne dépend pas de l'origine nationale respective du produit imité et du produit qui constitue l'imitation. En outre, rien dans l'arrêt de renvoi ne permet de dire que les modalités d'application de cette jurisprudence sont adaptées aux besoins spécifiques de la production nationale, de manière à désavantager en fait les produits importés. Il y a donc lieu de partir de l'hypothèse que la jurisprudence invoquée par la juridiction nationale s'applique indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés.

9. Une jurisprudence nationale interdisant l'imitation servile d'un produit d'autrui de nature à créer une confusion est, en effet, susceptible de protéger les consommateurs et de promouvoir la loyauté des transactions commerciales, objectifs d'intérêt général qui, selon la jurisprudence précitée de la Cour, peuvent justifier l'existence des obstacles à la circulation intracommunautaire résultant de disparités des règles nationales relatives à la commercialisation des produits. Qu'une telle règle réponde effectivement à des exigences impératives est d'ailleurs étayé par le fait qu'elle correspond à l'idée exprimée à l'article 10 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, telle que révisée en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967, lequel interdit, entre autres, tous faits quelconques de nature à créer une confusion avec les produits d'un concurrent et que cette règle est reconnue en principe dans la jurisprudence de la plupart des Etats membres.

10. Pour résoudre la question de savoir si une jurisprudence telle que celle décrite dans l'arrêt de renvoi est nécessaire pour atteindre les objectifs indiqués ci-dessus ou si elle dépasse ce qui peut être justifié par ceux-ci, il y a lieu d'examiner de plus près les modalités d'application exposées dans l'arrêt.

11. A cet égard, il ressort du libelle même de la question, en premier lieu, que selon l'appréciation provisoire de la juridiction nationale, les produits dont celle-ci envisage d'interdire la commercialisation sont, sans nécessité, quasi identiques aux produits imités et que l'appelante au principal crée ainsi inutilement une confusion. En outre, il ressort de l'arrêt de renvoi que la nécessité ou l'inutilité d'une telle imitation a été appréciée non seulement du point de vue technique, mais également sous l'angle économique ou commercial.

12. En second lieu, il résulte des termes de la question ainsi que du dossier qu'il n'existe aucune indication d'une entente ni d'un lien de dépendance entre le fabricant suédois du produit originaire et le fabricant allemand du produit qui est censé en constituer une imitation et dont la commercialisation aux Pays-Bas est litigieuse.

13. Lorsque sont réunies les conditions relevées par l'arrêt de renvoi, une jurisprudence concernant l'imitation servile d'un produit d'autrui ne saurait être considérée comme dépassant le cadre des exigences impératives inhérentes à la défense des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales.

14. L'appelante au principal a soulevé devant la Cour le problème des pièces de rechange. Elle a souligné que les traversées murales sont installées non seulement dans des bâtiments, mais également sur des navires et qu'une interdiction de commercialiser le produit allemand aux Pays-Bas obligerait de faire effectuer les réparations de navires aux Pays-Bas à l'aide de pièces de rechange du produit suédois, même si le navire est équipe de traversées murales allemandes. Comme ce problème n'a pas été soulevé par la juridiction nationale et comme l'intime au principal a exprimé l'avis, au cours de la procédure devant la Cour, que l'interdiction demandée par lui ne concernait pas les pièces de rechange destinées à la réparation des traversées murales allemandes, il n'y a pas lieu de résoudre ce problème, pour lequel les considérations qui précèdent ne sont pas nécessairement décisives.

15. Il y a donc lieu de répondre à la question posée par le Gerechtshof de la Haye que les règles du traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises ne font pas obstacle à ce qu'une règle de droit national qui s'applique indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés permette à un commerçant, qui commercialise de longue date dans l'Etat membre concerne un produit qui se distingue d'autres produits similaires, d'obtenir à l'encontre d'un autre commerçant une interdiction judiciaire de continuer à commercialiser dans cet Etat membre un produit, provenant d'un autre Etat membre où il est régulièrement commercialisé, mais qui est, sans nécessité, quasi identique au premier produit et crée ainsi inutilement une confusion entre les deux produits.

Sur les dépens

16. Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ; la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par le Gerechtshof de la Haye, par arrêt du 11 décembre 1980, dit pour droit :

Les règles du traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises ne font pas obstacle à ce qu'une règle de droit national qui s'applique indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés permette à un commerçant, qui commercialise de longue date dans l'Etat membre concerne un produit qui se distingue d'autres produits similaires, d'obtenir à l'encontre d'un autre commerçant une interdiction judiciaire de continuer à commercialiser dans cet Etat membre un produit, provenant d'un autre Etat membre où il est régulièrement commercialisé, mais qui est, sans nécessité, quasi identique au premier produit et crée ainsi inutilement une confusion entre les deux produits.