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Décisions

CJCE, 14 mars 1985, n° 269-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République française

CJCE n° 269-83

14 mars 1985

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 9 décembre 1983, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître qu'en réservant le bénéfice d'un tarif postal préférentiel aux seuls journaux et périodiques français, à l'exclusion des mêmes publications des autres Etats membres qui seraient mises à la poste et diffusées en France, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité.

2. L'article (d) 18 du Code français des postes et télécommunications prévoit un 'tarif de presse' préférentiel pour les journaux et écrits périodiques qui remplissent certaines conditions de caractère qualitatif. Aux termes de l'article (d) 21, tel qu'il a été modifié par l'article 1er du décret n° 65-106 du 12 février 1965, les journaux et écrits périodiques imprimés en tout ou en partie à l'étranger sont soumis au tarif des imprimés ordinaires. Toutefois, les 'publications françaises' imprimées dans les autres Etats membres bénéficient du tarif préférentiel appliqué aux publications imprimées en France. En outre, les publications étrangères déposées à la poste en France peuvent, elles aussi, bénéficier du tarif préférentiel lorsque le pays considéré admet, en sens inverse, les journaux et écrits périodiques français mis à la poste sur son territoire au bénéfice du tarif prévu par sa réglementation interne en faveur des objets de même catégorie.

3. Il ressort des explications fournies à la Cour par le Gouvernement français que l'expression 'publications françaises' précitée se réfère à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et comprend les publications dont le directeur est de nationalité française et est domicilié en France.

4. Par lettre du 10 juillet 1981, la Commission a demandé aux autorités françaises de prendre les mesures nécessaires pour modifier les dispositions de l'article (d) 21 du Code des postes et télécommunications, en élargissant notamment le tarif préférentiel aux publications de tous les Etats membres de la CEE. Cette demande étant demeurée sans suite, la Commission a, par lettre du 19 juillet 1982, mis le Gouvernement français en demeure de présenter ses observations au sujet de la disposition en cause dans le délai d'un mois.

5. Les autorités françaises n'ayant pas donné suite à cette lettre, la Commission a émis, le 14 mars 1983, un avis motivé au titre de l'article 169, alinéa 1, du traité CEE. Ledit avis étant également demeuré sans réponse, la Commission a introduit le présent recours.

6. En substance, la Commission fait valoir que le fait de réserver le bénéfice d'un tarif postal préférentiel à des publications qui sont imprimées en France ou dont le directeur est de nationalité française et est domicilié en France réduit le coût d'abonnement de ces seules publications et est, dès lors, susceptible d'entraver la diffusion en France des publications des autres Etats membres en méconnaissance de l'article 30 du traité. Du moins pour certains périodiques spécialisés, il existerait un rapport de substitution entre publications françaises et publications étrangères. Les dispositions litigieuses n'étant pas indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés, elles ne sauraient être justifiées que par les dispositions de l'article 36 dont aucune ne pourrait être invoquée en l'espèce.

7. Le Gouvernement français, pour sa part, soutient en premier lieu que les dispositions litigieuses ne constituent pas réellement une entrave à la libre circulation des marchandises. Dans la pratique, les publications éditées à l'étranger seraient soit postées dans le pays d'origine à destination de la France aux conditions du régime international des tarifs postaux, soit importées en France pour être diffusées par les messageries aux points de vente. Si ces publications sont mises à la poste en France, cela supposerait une politique active de prospection qui impliquerait, en fait, l'existence d'une implantation administrative en France. Dans ce cas, il serait facile pour la publication de remplir les conditions requises pour être qualifiée de publication française et bénéficier, partant, du tarif préférentiel.

8. En outre, un taux postal réduit serait sans aucune importance pour le choix opéré par un lecteur entre une publication française et une publication étrangère, même si on admet un rapport de substitution entre les deux. Ce ne serait certes pas le prix de la publication qui motiverait ce choix ; celui-ci se ferait plutôt par goût, par affinités culturelles, politiques ou autres ou par jugement sur la qualité du journal ou du périodique.

9. Ces arguments du Gouvernement français ne sauraient être retenus. Selon une jurisprudence constante de la Cour, toute réglementation commerciale des Etats membres qui est susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives. Même si, en l'espèce, le choix du lecteur est motivé, notamment, par des considérations de caractère non-économique, la réduction des coûts d'abonnement résultant du tarif postal préférentiel ne peut cependant être regardée comme étant sans influence sur ce choix.

10. Ainsi que la Cour l'a dit dans son arrêt du 5 avril 1984 (Van de Haar et autres, 177 et 178-82, Rec. 1984, p. 1797), une mesure nationale n'échappe pas à l'interdiction de l'article 30 du seul fait que l'entrave créée à l'importation est faible et qu'il existe d'autres possibilités d'écouler les produits importés comme, en l'espèce, la vente au kiosque ou la mise à la poste à l'étranger.

11. Il convient donc de conclure sur ce point que le fait de réserver le tarif postal préférentiel aux publications qui sont imprimées en France ou qui remplissent les conditions pour être considérées comme des publications françaises est susceptible d'entraver la diffusion en France des publications des autres Etats membres et constitue dès lors une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative relevant de l'article 30.

12. Il convient d'ajouter que l'exigence, pour les publications imprimées dans les autres Etats membres, de la désignation d'une personne responsable ayant la nationalité française et domiciliée en France constitue en soi une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, ainsi qu'il ressort, entre autres, de l'arrêt de la Cour du 2 mars 1983 (Commission/Belgique, 155-82, Rec. 1983, p. 531).

13. En second lieu, le Gouvernement français fait valoir que les dispositions litigieuses n'ont pas de caractère discriminatoire. En effet, les dispositions combinées des articles (d) 18 et (d) 21 du Code des postes et télécommunications permettraient à des publications étrangères d'être admises au bénéfice du tarif préférentiel, comme ce serait le cas pour plusieurs de ces publications. De même, les journaux et écrits périodiques provenant des autres Etats membres et non admis au bénéfice du tarif postal préférentiel, parce que ne répondant pas aux critères exigés des journaux français, seraient traités sur un pied d'égalité avec les publications françaises non admises au tarif préférentiel.

14. Le Gouvernement français estime que l'article 30 du traité n'interdit pas que soit encouragée la diffusion de produits à spécificité marquée, tels que journaux et périodiques, qui ne sont ni nécessairement ni seulement des produits 'nationaux', dès lors que cette mesure n'a aucun effet discriminatoire ou défavorable sur la diffusion de produits analogues provenant d'autres Etats membres.

15. Ces arguments doivent également être rejetés. Pour bénéficier du tarif postal préférentiel, les publications imprimées dans les autres Etats membres doivent répondre, selon les dispositions litigieuses, à des conditions autres que celles qui sont exigées des publications imprimées en France. Ces dispositions établissent donc une différence de traitement entre les produits nationaux et les produits importés et relèvent donc de l'interdiction de l'article 30.

16. Sur la base de ce qui précède, il convient de constater qu'en réservant, en application de l'article (d) 21 du Code des postes et télécommunications, le bénéfice d'un tarif postal préférentiel aux seuls journaux et périodiques français ou imprimés en France, à l'exclusion des mêmes publications des autres Etats membres qui seraient mises à la poste et diffusées en France, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

Sur les dépens :

17. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) En réservant, en application de l'article (d) 21 du Code des postes et télécommunications, le bénéfice d'un tarif postal préférentiel aux seuls journaux et périodiques français ou imprimés en France, à l'exclusion des mêmes publications des autres Etats membres qui seraient mises à la poste et diffusées en France, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

2) La République française est condamnée aux dépens.