CJCE, 1re ch., 3 octobre 1990, n° C-54/88
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Eleonora Nino e.a.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Sir Gordon Slynn
Avocat général :
M. Darmon
Juges :
MM. Joliet, Rodríguez Iglesias
Avocats :
Mes Rosapepe, Fiumara
LA COUR (première chambre),
1 Par ordonnances des 8 février 1988 (affaire C-54-88, Nino), 9 mars 1988 (affaire C-91-88, Prandini et Goti) et 6 décembre 1988 (affaire C-14-89, Pierini), parvenues respectivement au greffe de la Cour le 19 février 1988, le 16 mars 1988 et le 19 janvier 1989, les pretori di Conegliano, di Prato et di Pisa ont posé chacun, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 5, 52 et 57 du traité CEE ainsi que du programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d'établissement, du 18 décembre 1961 (JO 1962, p. 36), en vue d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire d'une loi italienne interdisant l'exercice illégal de la profession de médecin.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de trois poursuites pénales engagées contre Mme Eleonora Nino, M. Rinaldo Prandini, Mme Bruna Goti et M. Pier Cesare Pierini, tous ressortissants italiens et membres de l'Associazione italiana flussoterapeuti e pranoterapeuti et qui, sans habilitation de médecin, ont néanmoins assuré en Italie des soins de biothérapie et de pranothérapie.
3 L'article 348 du code pénal italien punit comme délit l'exercice d'une profession sans habilitation de l'État lorsqu'une telle habilitation est requise. Il ressort des dossiers qu'en Italie la biothérapie et la pranothérapie sont classées au nombre des activités relevant de l'exercice de la profession médicale et requièrent en tant que telles la délivrance d'une habilitation spéciale.
4 Le 24 juin 1986, Mme Nino a été prévenue du délit puni par l'article 348 du code pénal italien, pour avoir illégalement exercé la profession de médecin en effectuant des interventions de biothérapie et de pranothérapie. M. Prandini, Mme Goti et M. Pierini ont été prévenus du même délit le 3 juin 1986.
5 Convoqués devant les pretori, les prévenus ont fait valoir que la disposition pénale qui leur était opposée était contraire à la liberté d'établissement. Dès lors, les pretori ont sursis à statuer et ont posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) L'article 52 du traité, interprété en liaison avec l'article 57 et compte tenu du fait qu'il a un effet direct dans les ordres juridiques des États membres, comporte-t-il l'obligation pour les États membres et donc également pour le Gouvernement italien de prendre les mesures normatives qui sont la condition indispensable de l'adoption des directives en matière de liberté d'établissement prévue par le traité? En n'adoptant pas ces mesures, le Gouvernement italien a-t-il violé l'obligation que lui impose l'article 5 du traité?
2) Un État membre qui n'a, en aucune manière, réglementé les professions paramédicales telles que la biothérapie peut-il appliquer une sanction pénale contre un ressortissant communautaire, virtuellement habilité à exercer la profession de biothérapeute dans d'autres États membres, pour un fait (soins par des méthodes biothérapeutiques) prévu par la loi comme délit, alors que cette activité n'est pas autorisée pour le seul motif que l'État membre ne l'a ni réglementée ni prévue?
3) A défaut de directives dont l'adoption par le Conseil est prévue à l'article 57 du traité, le Conseil, sur la base du titre 5 du programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d'établissement, peut-il adopter, en vue de remédier au manque de directives, des mesures visant à coordonner les conditions d'exercice des professions paramédicales qui font l'objet de la présente demande d'interprétation?"
6 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, des dispositions communautaires et nationales en cause, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
7 Il convient de relever, à titre liminaire, que tant la directive 75-362-CEE du Conseil, du 16 juin 1975, visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de médecin et comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services (JO L 167, p. 1), que la directive 75-363-CEE du Conseil, également du 16 juin 1975, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités du médecin (JO L 167, p. 14), ne contiennent que des dispositions relatives à la profession de médecin. Il n'existe aucune disposition communautaire réglementant l'exercice des professions paramédicales visées en l'espèce au principal.
8 Les prévenus soutiennent que la disposition pénale nationale qui leur est opposée est contraire à la liberté d'établissement. Selon eux, le bénéfice effectif de cette liberté, tel que prévu par l'article 52 du traité, ne saurait être refusé à une personne relevant du droit communautaire en raison du seul fait que, pour une profession donnée, les directives prévues par l'article 57 du traité n'ont pas encore été adoptées. Dès lors, et compte tenu du fait qu'il leur serait loisible d'exercer leur profession, sans posséder d'habilitation de médecin, dans certains autres États membres, les poursuites pénales engagées à leur égard méconnaîtraient le principe de la liberté d'établissement.
9 Le Gouvernement italien, soutenu par la Commission, fait valoir, en revanche, que les cas des espèces au principal ne font apparaître aucun élément de rattachement au droit communautaire et que, par conséquent, aucune question de droit communautaire ne se pose. A titre subsidiaire, le Gouvernement italien, soutenu sur ce point par le Gouvernement belge, considère que l'article 52 du traité, en liaison avec l'article 57, n'oblige aucunement les États membres à réglementer l'exercice de toute activité professionnelle.
10 Il convient de souligner que, comme l'indiquent les pièces des dossiers, tous les prévenus sont des ressortissants italiens qui, résidant en Italie, ont obtenu leurs qualifications de biothérapeute et pranothérapeute en Italie et ont été poursuivis sur le fondement de l'article 348 du code pénal italien, suite à des interventions pratiquées uniquement sur le territoire de cet État membre. Tous ces éléments démontrent que les espèces au principal visent des situations purement internes à un État membre.
11 Or, ainsi que la Cour l'a précisé dans l'arrêt du 20 avril 1988, Bekaert (204-87, Rec. p. 2029), l'absence de tout élément sortant d'un cadre purement national dans une espèce déterminée a pour effet, en matière de liberté d'établissement, que les dispositions du droit communautaire ne sont pas applicables à une telle situation.
12 Il y a donc lieu de répondre aux questions posées par les pretori di Conegliano, Prato et Pisa que les dispositions du traité CEE relatives à la liberté d'établissement ne s'appliquent pas à des situations purement internes à un État membre telles que celles de ressortissants d'un État membre exerçant, sur son territoire, une activité professionnelle non salariée pour laquelle ils ne peuvent se prévaloir d'aucune formation ou pratique antérieures dans un autre État membre.
Sur les dépens
13 Les frais exposés par les Gouvernements italien et belge ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
Statuant sur les questions à elle posées par les pretori di Conegliano, Prato et Pisa, par ordonnances des 8 février, 9 mars et 6 décembre 1988, dit pour droit :
Les dispositions du traité CEE relatives à la liberté d'établissement ne s'appliquent pas à des situations purement internes à un État membre telles que celles de ressortissants d'un État membre exerçant, sur son territoire, une activité professionnelle non salariée pour laquelle ils ne peuvent se prévaloir d'aucune formation ou pratique antérieures dans un autre État membre.