CJCE, 1 avril 1982, n° 141-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Holdijk
LA COUR,
1. Par trois jugements du 21 mai 1981, parvenus à la Cour le 5 juin suivant, le Kantongerecht d'Apeldoorn a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation du droit communautaire en vue de lui permettre de se prononcer sur la compatibilité, avec ce droit, des dispositions néerlandaises sur les emplacements pour veaux à l'engrais.
2. La question a été posée en termes identiques par les trois jugements dans le cadre de poursuites pénales engagées contre un agriculteur, un négociant en fourrage et une société productrice d'aliments pour les animaux, auxquels il est reproché d'avoir gardé des veaux à l'engrais dans des emplacements ne satisfaisant pas à la condition prescrite à l'article 2, littera b, de l'arrêté royal du 8 septembre 1961 (Staatsblad 296), portant exécution de l'article premier de la loi sur la protection des animaux, en ce que les dimensions de ces emplacements étaient telles que les animaux n'étaient pas à même de s'allonger librement sur le côté.
3. Le Kantongerecht a estimé qu'il était décisif pour l'examen de ces affaires de savoir si, en ce qui concerne la garde de veaux à l'engrais, ledit arrêté " est contraire ou incompatible avec le traité CEE, et, dans l'affirmative, s'il en est également ainsi dans le cas ou une règlementation précise, qui fait encore défaut actuellement, concernant l'emplacement dans lequel un veau est gardé, serait adoptée dans un arrêté modifié à cet effet ". Pour cette raison, le juge a ordonné à l'officier van Justitie de transmettre le dossier à la Cour et de demander à celle-ci de se prononcer sur la question précitée.
Sur la formulation de la question préjudicielle
4. Dans les observations écrites qu'il a présentées à la Cour, le Gouvernement danois a fait observer que les jugements de renvoi n'indiquaient pas les dispositions du traité ou le domaine du droit communautaire auxquels la juridiction nationale se referait, ni les raisons qui auraient amené celle-ci à douter de la compatibilité des dispositions nationales avec ce droit et à estimer qu'une réponse à la question posée était nécessaire pour l'examen des affaires pendantes devant elle. De telles indications ne pourraient pas non plus être dégagées de l'exposé extrement succinct des faits ou de la référence aux dispositions nationales. Le Gouvernement danois en conclut que les jugements de renvoi incomplets ne lui ont pas permis de présenter, conformément à l'article 20 du statut de la Cour, des observations quant au fond et il propose une liste d'informations que toute décision de renvoi devrait, à son avis, comporter.
5. A cet égard, il y a lieu de rappeler que de telles indications se trouvent déjà dans la jurisprudence de la Cour. Ainsi, dans son arrêt du 16 décembre 1981 (Foglia/Novello, 244-80, non encore publié), la Cour a constaté qu'il était indispensable que les juridictions nationales expliquent les raisons pour lesquelles elles considèrent qu'une réponse à leurs questions est nécessaire à la solution du litige au principal, lorsque ces raisons ne ressortent pas sans équivoque du dossier. En outre, dans son arrêt du 12 juillet 1979 (union laitière normande, 244-78, Recueil p. 2663), la Cour a indiqué que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exigeait que fut défini le cadre juridique dans lequel l'interprétation demandée devait se placer. Dans son arrêt du 10 mars 1981 (Irish Creamery Milk Suppliers Association, 36 et 71-80, Recueil p. 735), elle a ajouté qu'il pouvait être avantageux, selon les circonstances, que les faits de l'affaire fussent établis et que les problèmes de pur droit national fussent tranchés au moment du renvoi à la Cour.
6. Comme le Gouvernement danois l'a souligné à juste titre, les informations fournies dans les décisions de renvoi ne servent pas seulement à permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais également à donner aux Gouvernements des Etats membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l'article 20 du statut de la Cour. Il incombe, en effet, à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait qu'en vertu de la disposition précitée, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées.
7. Si, en l'espèce, les jugements de renvoi ne font pas apparaître les motifs de la question préjudicielle avec la clarté préconisée par la jurisprudence mentionnée ci-dessus, ils permettent néanmoins de constater que les doutes de la juridiction nationale concernent la conformité, avec le droit communautaire, d'une condition qui est imposée par une législation nationale à la production animale soumise à une organisation commune de marché. Ainsi, ces affaires s'inscrivent dans le cadre d'une série de procédures où, en l'absence de dispositions communautaires spécifiques, la Cour a déjà examiné la conformité de telles conditions avec les règles relatives à la libre circulation des marchandises et avec celles instituant une organisation commune. Des lors, compte tenu de la possibilité de compléter les observations écrites au cours de la procédure orale, le caractère, même très succinct, des jugements de renvoi ne saurait être considéré comme ayant privé les Etats membres de la possibilité de présenter des observations utiles en vue de la réponse à donner à la question préjudicielle.
8. En ce qui concerne le libelle de la question, il y a lieu de rappeler qu'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d'une procédure introduite en vertu de l'article 177 du traité, sur la compatibilité de règles nationales, actuelles ou envisagées, avec le droit communautaire, mais uniquement sur l'interprétation et la validité de celui-ci. Il convient donc d'entendre la question posée comme tendant à savoir si le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un Etat membre maintienne ou introduise, en vue de protéger les animaux, des règles unilatérales concernant les emplacements de veaux à l'engrais.
Sur la réponse à donner
9. Dans l'état actuel du droit communautaire, celui-ci ne contient pas de règles spécifiques concernant la protection des animaux dans les élevages. Il s'ensuit que l'examen exige par la question préjudicielle peut être limité aux règles générales sur la libre circulation des marchandises et sur les organisations communes de marché dans le secteur agricole.
10. Selon la société prévenue dans un des litiges au principal, Alpuro, les emplacements actuellement utilisés aux Pays-Bas pour les veaux à l'engrais ne permettent pas aux animaux de s'allonger librement sur le côté et la majorité de ces emplacements ne sont pas non plus conformés aux normes de dimensions plus précises envisagées dans le projet d'arrêté auquel le juge national se réfère. Si les règles néerlandaises ne concernent que la production de veaux à l'intérieur des Pays-Bas et n'affectent donc en rien les importations dans cet Etat membre, elles ont, toujours selon la société, un effet équivalant à une restriction quantitative à l'exportation et sont contraires à ce titre à l'article 34 du traité. Comme la production de viande de veaux aux Pays-Bas est, pour 90 %, destinée à l'exportation, surtout vers d'autres Etats membres, l'imposition aux producteurs néerlandais de conditions plus onéreuses que celles imposées aux producteurs des autres Etats membres serait nécessairement de nature à affecter le fonctionnement des organisations communes de marché, non seulement de celle relative à la viande bovine, mais également de celle concernant les produits laitiers, le lait écrémé constituant un aliment essentiel des veaux à l'engrais. De telles conditions seraient donc également contraires aux règles communautaires portant organisation commune des marchés agricoles, ainsi qu'a l'article 40, paragraphe 3, du traité, aux termes duquel une telle organisation doit exclure toute discrimination entre producteurs de la communauté.
11. En ce qui concerne l'article 34 du traité, la Cour a jugé itérativement (en dernier lieu dans son arrêt du 14.7.1981, Oebel, 155-80, Recueil 1981, p. 1993) que cet article vise les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un Etat membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'état intéressé. Tel n'est pas le cas d'une disposition qui prévoit des normes minimales pour les emplacements de veaux à l'engrais, sans faire une distinction selon que les animaux ou leur viande sont destinés au marché national ou à l'exportation.
12. En ce qui concerne les règles portant organisation commune des marchés agricoles, il convient d'abord de souligner que l'établissement d'une telle organisation en vertu de l'article 40 du traité n'a pas pour effet de soustraire les producteurs agricoles à toute règlementation nationale qui poursuit des objectifs autres que ceux couverts par l'organisation commune, mais qui, en affectant les conditions de production, peut avoir une incidence sur le volume ou les coûts de la production nationale et, partant, sur le fonctionnement du Marché commun dans le secteur concerné. L'interdiction de toute discrimination entre les producteurs de la communauté, qui est énoncée dans le troisième paragraphe de l'article 40, se réfère aux objectifs poursuivis par l'organisation commune et non pas aux différentes conditions de production découlant des règlementations nationales qui ont un caractère général et qui poursuivent d'autres objectifs.
13. Dans ces circonstances, on ne saurait interpréter l'absence, dans les règlements portant organisation commune des marchés agricoles, de toute disposition assurant la protection des animaux dans les élevages en ce sens qu'elle rend inapplicables les règles nationales en la matière en attendant l'adoption éventuelle de dispositions communautaires ultérieures. Une telle interprétation serait incompatible avec l'intérêt que la communauté porte à la santé et à la protection des animaux et dont témoignent entre autres l'article 36 du traité et la décision 78-923 du Conseil, du 19 juin 1978, concernant la conclusion de la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages (JO L 323, p. 12).
14. Il convient donc de répondre à la question préjudicielle que, dans l'état actuel du droit communautaire, celui-ci ne s'oppose pas à ce qu'un Etat membre maintienne ou introduise des règles unilatérales relatives aux normes qui doivent être observées pour l'aménagement des emplacements de veaux à l'engrais en vue de protéger les animaux et qui s'appliquent indistinctement aux veaux destinés au marché national et aux veaux destinés à l'exportation.
Sur les dépens
15. Les frais exposés par le Gouvernement des Pays-Bas, par le Gouvernement danois et par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ; les procédures revêtant, à l'égard des prévenus au principal, le caractère d'incidents soulevés devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Kantongerecht d'Apeldoorn, par jugements du 21 mai 1981, dit pour droit :
Dans l'état actuel du droit communautaire, celui-ci ne s'oppose pas à ce qu'un Etat membre maintienne ou introduise des règles unilatérales relatives aux normes qui doivent être observées pour l'aménagement des emplacements de veaux à l'engrais en vue de protéger les animaux et qui s'appliquent indistinctement aux veaux destinés au marché national et aux veaux destinés à l'exportation.