CJCE, 7 février 1985, n° 173-83
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocat :
Me Jacob
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 août 1983, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 34 dudit traité en organisant, par le décret n° 79-981 du 21 novembre 1979 et ses deux arrêtés d'application du même jour, un système de ramassage et d'élimination des huiles usagées qui exclut l'exportation desdites huiles, fût-ce pour la livraison à des ramasseurs, des éliminateurs ou des régénérateurs autorisés d'autres Etats membres.
2. Le décret et les arrêtés d'application ont été adoptés par le Gouvernement français pour la mise en œuvre de la directive 75-439 du Conseil, du 16 juin 1975, concernant l'élimination des huiles usagées (JO L 194, p. 23), arrêtée notamment sur la base des articles 100 et 235 du traité et visant à la protection de l'environnement contre les effets préjudiciables causés par le rejet, le dépôt ou le traitement de ces huiles.
3. Les articles 2 à 4 de cette directive disposent que les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que soient assurées la collecte et l'élimination inoffensive, de préférence par réutilisation, des huiles usagées. L'article 5 de la directive dispose que, " lorsque les objectifs définis aux articles 2, 3 et 4, ne peuvent être atteints autrement, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour qu'une ou plusieurs entreprises effectuent la collecte des produits offerts par les détenteurs et/ou l'élimination de ces produits, le cas échéant, dans la zone qui leur est attribuée par l'Administration compétente ". En outre, l'article 6, paragraphe 1, de la directive dispose que " toute entreprise qui élimine les huiles usagées doit obtenir une autorisation ".
4. En application de cette directive, le Gouvernement français a adopté, le 21 novembre 1979, le décret n° 79-981 portant réglementation de la récupération des huiles usagées et deux arrêtés d'application du même jour (JORF du 23 novembre 1979, p. 2900). Ces dispositions ont divisé le territoire français en zones et ont instauré un système d'agrément tant au niveau des ramasseurs d'huiles usagées qu'au niveau des entreprises chargées de l'élimination de ces huiles. Aux termes de l'article 3 du décret n° 79-981, les détenteurs des huiles usagées doivent soit les remettre aux ramasseurs agréés, conformément à l'article 4 du même décret, soit les mettre directement à la disposition d'un éliminateur ayant obtenu l'agrément prévu à l'article 8 du même décret, soit en assurer eux-mêmes l'élimination s'ils disposent de cet agrément. L'article 6 du décret impose aux ramasseurs l'obligation de céder les huiles collectées aux éliminateurs agréés. Enfin, les articles 2 et 9 de l'arrêté d'application concernant l'élimination des huiles usagées font obligation aux éliminateurs agréés - sous peine de retrait de l'agrément - de traiter les huiles usagées dans leurs propres installations.
5. La Commission estime que la réglementation susmentionnée, du fait qu'elle ne prévoit aucune dérogation en ce qui concerne la livraison et la revente à des entreprises d'autres Etats membres, ayant obtenu les autorisations ou agréations visées aux articles 5 et 6 de la directive 75-439 et exerçant une activité de ramassage ou d'élimination d'huiles usagées, comporte, de manière implicite mais certaine, une interdiction d'exporter les huiles en question vers les autres Etats membres, interdiction contraire à l'article 34 du traité CEE. La Commission voit une confirmation de sa thèse dans les renseignements obtenus, selon lesquels les autorités douanières françaises exercent un contrôle strict aux frontières sur le transport des huiles usagées vers les autres Etats membres.
6. Le Gouvernement français soutient qu'une dérogation expresse en faveur des exportations ne serait pas nécessaire du fait qu'aucune disposition de la réglementation française ne comporte explicitement une interdiction d'exporter et que, conformément au principe général du droit français, tout ce qui n'est pas interdit est permis.
7. Un tel argument ne saurait être accueilli. Au vu des dispositions ci-dessus, il doit être constaté que la législation française comporte implicitement une interdiction d'exporter les huiles usagées vers l'étranger, y compris les autres Etats membres de la Communauté, en ne prévoyant aucune dérogation permettant la revente aux ramasseurs ou éliminateurs ayant obtenu dans ces états l'autorisation prévue à l'article 6 de la directive 75-439. Le principe invoqué par le Gouvernement français ne saurait jouer en l'espèce à l'encontre de textes juridiques contenant une interdiction implicite, mais néanmoins certaine. De plus, même si un tel principe pouvait jouer en l'espèce, il laisserait subsister certaines incertitudes quant à l'état du droit applicable. La réglementation française devrait donc, en tout état de cause, être regardée comme ayant un effet dissuasif sur les courants des exportations.
8. Or, selon une jurisprudence établie, une telle situation est susceptible de constituer une entrave aux échanges entre les Etats membres, entrave interdite par l'article 34 du traité CEE.
9. Le Gouvernement français soutient, en outre, que la réglementation nationale doit être examinée dans son ensemble. Elle comprendrait, outre le décret et les deux arrêtés du 21 novembre 1979, susmentionnés, une circulaire du 26 octobre 1982 qui prévoit expressément la possibilité d'exportations vers les éliminateurs des autres Etats membres à la seule condition que soit produite une attestation de leur agréation selon leur droit national.
10. Il convient de constater à cet égard que la circulaire en question, qui, d'ailleurs, ne prévoit la possibilité d'exportation des huiles usagées que vers les éliminateurs agréés d'autres Etats membres, et non vers les ramasseurs, ne constitue - selon ses propres termes - qu'une " note " interne destinée aux services compétents ; elle n'est pas susceptible, comme cela ressort des éléments du dossier, d'être connue par les opérateurs économiques, ni de leur conférer des droits. Elle ne peut pas, par conséquent, se substituer aux textes réglementaires tels que le décret et les arrêtés en question.
11. Dans ces conditions, il convient de rejeter cet argument.
12. Le Gouvernement français soutient, par ailleurs, que la France constitue le plus important exportateur d'huiles usagées vers d'autres Etats membres.
13. Si le bien-fondé de cette allégation n'est pas contesté, il convient toutefois de rappeler que la Cour a constaté, dans son arrêt du 9 février 1984 (Rhône-Alpes huiles, 295-82, Rec. 1984, p. 575), que la circonstance qu'une grande majorité des exportations intracommunautaires provienne d'un Etat membre ne permet pas de déduire, à elle seule, que la réglementation de cet Etat membre autorise les exportations vers les autres Etats membres par l'intermédiaire des ramasseurs et détenteurs.
14. Enfin, le Gouvernement français ajoute que, s'il y a entrave aux exportations, ce ne serait que dans le but d'assurer le respect des objectifs fixés par la directive 75-439.
15. Cet argument doit être rejeté, la directive 75-439 visant, comme il résulte d'ailleurs de son septième considérant, à l'application d'un système de traitement des huiles usagées " qui n'entrave pas les échanges intracommunautaires et qui n'affecte pas les conditions de concurrence ".
16. Il résulte de ce qui précède que la République française, en excluant l'exportation des huiles usagées vers les autres Etats membres, dans le cadre du système de ramassage et d'élimination de ces huiles instauré par le décret n° 79-981 du 21 novembre 1979 et ses deux arrêtés d'application du même jour, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 34 du traité CEE.
Sur les dépens
17. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1°) en excluant l'exportation des huiles usagées vers les autres Etats membres, dans le cadre du système de ramassage et d'élimination de ces huiles instauré par le décret n° 79- 981 du 21 novembre 1979 et ses deux arrêtés d'application du même jour, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 34 du traité CEE.
2°) la République française est condamnée aux dépens.