CJCE, 5e ch., 27 juin 1996, n° C-107/94
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Asscher
Défendeur :
Staatssecretaris van Financiën
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Edward
Avocat général :
M. Léger
Juges :
MM. Puissochet, Moitinho de Almeida, Gulmann, Wathelet
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 23 mars 1994, parvenue à la Cour le 30 mars suivant, le Hoge Raad der Nederlanden a posé, en application de l'article 177 du traité CE, cinq questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 48 du traité CEE, devenu traité CE.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant le Staatssecretaris van Financiën à M. Asscher, ressortissant néerlandais qui travaille aux Pays-Bas sans y résider, à propos de l'application à ce dernier d'un taux d'impôt sur le salaire supérieur à celui applicable aux contribuables résidents aux Pays-Bas ou assimilés qui y exercent la même activité.
3 Aux Pays-Bas, la fiscalité directe des personnes physiques est régie par la Wet op de inkomstenbelasting, du 16 décembre 1964 (loi relative à l'impôt sur le revenu, Staatsblad 519, ci-après la "loi relative à l'impôt sur le revenu"), et la Wet op de loonbelasting, du 18 décembre 1964 (loi relative à l'impôt sur le salaire, Staatsblad 521, ci-après la "loi relative à l'impôt sur le salaire"), qui ont fait l'objet d'une réforme au cours de l'année 1989 (versions modifiées figurant respectivement au Staatsblad 1990, 103 et 104).
4 En vertu des lois des 27 et 28 avril 1989 (Staatsblad 122, 123, 129 et 611), une perception combinée de l'impôt et des cotisations d'assurances sociales a été instaurée, avec effet au 1er janvier 1990, en ce qui concerne tant l'impôt sur le revenu que l'impôt sur le salaire. La perception s'effectue désormais en fonction d'une assiette uniforme: le revenu imposable et le revenu servant de base au calcul des cotisations sociales coïncident, en sorte que le montant exonéré d'impôt et de cotisations (c'est-à-dire la "franchise de base") est le même.
5 Le barème d'imposition, composé de trois tranches, est fixé par les articles 20a et 20b de la loi relative à l'impôt sur le salaire (et, de la même manière, par les articles 53a et 53b de la loi relative à l'impôt sur le revenu), qui prévoient, uniquement en ce qui concerne la première tranche du montant imposable, des taux distincts. En revanche, dans le cadre du barème existant avant la réforme fiscale, un même taux de 14 % était applicable sur la première tranche pour les contribuables bénéficiant de salaires provenant d'une source interne aux Pays-Bas.
6 L'article 20a prévoit un barème pour les contribuables résidant aux Pays-Bas ou étant assimilés à ces derniers. L'assimilation est constituée lorsque le contribuable non-résident démontre que son revenu mondial consiste exclusivement ou presque exclusivement (c'est-à-dire à concurrence d'au moins 90 %) en revenus imposables aux Pays-Bas, cette dernière condition étant réputée remplie si le contribuable est soumis, aux Pays-Bas, à la perception de cotisations au titre du régime général obligatoire d'assurances sociales ("volksverzekeringen"). Pour ces contribuables, le taux d'impôt sur la première tranche du montant imposable s'élève à 13 %.
7 Il convient de relever que, en ce qui concerne l'exercice fiscal de 1990, la première tranche du montant imposable correspondait à un revenu annuel imposable inférieur ou égal à 42 123 HFL. Le taux des cotisations d'assurances sociales générales perçues en même temps que l'impôt sur la seule première tranche d'imposition était alors de 22,1 %. Le montant total prélevé sur le salaire des contribuables résidents et assimilés s'élevait en conséquence à 35,1 %.
8 L'article 20b prévoit un barème, dit "barème étranger", applicable aux contribuables non-résidents ne satisfaisant pas aux conditions de l'article 20a, c'est-à-dire obtenant moins de 90 % de leur revenu mondial aux Pays-Bas et n'étant pas tenus de cotiser aux assurances sociales néerlandaises. Ces derniers sont redevables sur la première tranche d'un impôt plus élevé, d'un taux de 25 %.
9 En ce qui concerne les deux autres tranches du barème, l'impôt s'élève, pour tous les contribuables sans distinction, à 50 % sur la deuxième tranche du montant imposable et à 60 % sur la troisième (ce dernier taux était de 72 % avant la réforme de 1989).
10 Il ressort du dossier que M. Asscher est directeur aux Pays-Bas d'une société à responsabilité limitée, la P. H. Asscher Beheer BV, dont il est l'unique actionnaire.
11 M. Asscher exerce également une activité professionnelle en Belgique, où il dirige une société de droit belge, la société Vereudia, pour laquelle il n'exerce des activités qu'à l'intérieur de cet État.
12 Au mois de mai 1986, M. Asscher a transféré sa résidence des Pays-Bas en Belgique sans que ce déménagement ait entraîné de changement dans l'exercice de ses activités tant aux Pays-Bas qu'en Belgique.
13 Sur le plan fiscal, les règles de répartition de la compétence de perception de l'impôt entre le Royaume de Belgique et le Royaume des Pays-Bas sont fixées par la convention bilatérale du 19 octobre 1970, tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et à régler certaines autres questions en matière fiscale (Tractatenblad 1970, n° 192, ci-après la "convention").
14 En application des dispositions combinées des articles 16, paragraphe 1, et 24, paragraphe 2, 1, première phrase, de cette convention, le revenu obtenu par M. Asscher aux Pays-Bas, à savoir la rémunération que lui verse sa société néerlandaise, est exclusivement imposable aux Pays-Bas.
15 En Belgique, État de sa résidence, M. Asscher est imposé sur le reste de ses revenus. Les revenus qu'il a perçus aux Pays-Bas sont exemptés d'impôt mais, en application de la deuxième phrase de l'article 24, paragraphe 2, 1, de la convention précitée, la Belgique reste en droit de tenir compte des revenus exemptés pour fixer le taux de ses impôts et appliquer ainsi la clause de progressivité.
16 Sur le plan de la sécurité sociale, la situation de M. Asscher est la suivante.
17 M. Asscher a été affilié au régime néerlandais des assurances sociales générales jusqu'à son transfert de résidence en Belgique, au mois de mai 1986. Depuis lors, il n'a plus été soumis à l'obligation de cotiser aux assurances sociales générales néerlandaises et a été exclusivement soumis à la législation belge en matière de sécurité sociale. Au moment des faits, il était affilié de manière obligatoire en Belgique aux assurances sociales du régime des indépendants.
18 Au mois de juin 1990, période salariale en cause dans l'espèce au principal, le taux de 25 % a été appliqué, en ce qui concerne la première tranche d'imposition, au salaire perçu par M. Asscher aux Pays-Bas.
19 A la suite du rejet de la réclamation qu'il avait introduite contre la retenue fiscale effectuée sur son salaire du mois de juin 1990, M. Asscher a formé un recours devant le Gerechtshof te Amsterdam, estimant que l'application du taux de 25 % constituait, de manière générale, une discrimination indirecte en raison de la nationalité, contraire aux articles 7 et 48 du traité CEE, devenus les articles 6 et 48 du traité CE.
20 Dans sa décision du 13 avril 1992, le Gerechtshof a rejeté l'argumentation relative à la discrimination. Il a observé que, avant le 1er janvier 1990, un contribuable tel que l'intéressé, non tenu de cotiser aux assurances sociales générales (ci-après le "contribuable non-cotisant"), payait l'impôt sur le salaire et sur le revenu au même taux qu'un contribuable redevable des cotisations d'assurances sociales générales (ci-après le "contribuable cotisant"), mais que ce dernier pouvait déduire celles-ci de l'assiette de son impôt.
21 D'après le Gerechtshof, pour le contribuable cotisant, la baisse générale des taux qui a pris effet au 1er janvier 1990 a eu pour contrepartie la suppression de la déductibilité des cotisations d'assurances sociales générales du montant imposable. Ce désavantage n'a, en revanche, pas affecté les contribuables non-cotisants. Selon le Gerechtshof, sans l'application aux contribuables non-cotisants d'un taux d'imposition majoré, l'abaissement général des taux aurait représenté pour eux un avantage injustifié par rapport aux autres contribuables. Il a, en conséquence, jugé objectivement justifiée l'instauration, dans le cadre de la réforme fiscale, de taux d'imposition distincts selon que le contribuable cotise ou ne cotise pas.
22 M. Asscher a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
23 Doutant de l'interprétation de dispositions du traité CE, le Hoge Raad a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) L'article 48 du traité permet-il à un État membre (l'État de travail) de soumettre le salaire gagné dans cet État auprès d'un employeur qui y est établi à une imposition sur le revenu et sur le salaire sensiblement plus lourde lorsque le travailleur ne réside pas dans l'État de travail, mais dans un autre État membre?
2) En cas de réponse négative à la première question, la différence de traitement est-elle néanmoins autorisée lorsque le revenu mondial du travailleur, calculé selon les normes de l'État de travail, est composé de telle manière qu'il consiste à concurrence de moins de 90 % en revenus pouvant être pris en compte par l'État de travail aux fins de l'impôt sur le revenu dans le cas de non-résidents?
3) Est-il permis de tenir compte, au moyen d'une différence de taux d'imposition telle que celle visée ici, du fait que le travailleur n'est pas soumis, dans l'État de travail, à la perception de cotisations pour les assurances sociales en vigueur dans cet État?
4) Le fait que le travailleur est soumis à la perception de cotisations pour des assurances comparables dans l'État de résidence est-il pertinent à cet égard?
5) Le point de savoir si le travailleur est un ressortissant de l'État de travail change-t-il quelque chose à la réponse aux questions qui précèdent?"
24 Afin de préciser la situation juridique dans laquelle se trouve M. Asscher au regard des dispositions du traité en matière de libre circulation des personnes, il y a lieu, à titre liminaire, de qualifier la nature des activités économiques qu'il exerce.
25 Selon la jurisprudence constante de la Cour, est à considérer comme "travailleur" au sens de l'article 48 du traité toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l'exclusion d'activités tellement réduites qu'elles se présentent comme purement marginales et accessoires. La caractéristique essentielle de la relation de travail est, selon cette jurisprudence, la circonstance qu'une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (arrêt du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum, 66-85, Rec. p. 2121, point 17).
26 Étant aux Pays-Bas le directeur d'une société dont il est l'unique actionnaire, M. Asscher n'exerce pas son activité dans le cadre d'un lien de subordination, en sorte qu'il ne peut être considéré comme un "travailleur" au sens de l'article 48 du traité, mais comme une personne exerçant une activité non salariée au sens de l'article 52 du traité.
27 Quant à l'activité de M. Asscher en Belgique, il suffit de constater qu'il ressort du dossier mis à la disposition de la Cour, sans que ce point ait été contesté par les parties, que l'activité professionnelle qu'il exerce dans cet État doit également être considérée comme une activité non salariée.
28 Il y a lieu en conséquence d'envisager la compatibilité avec l'article 52 du traité, et non avec l'article 48, d'une législation telle que celle en l'espèce.
29 En tout état de cause, il convient de préciser que, selon l'arrêt du 20 mai 1992, Ramrath (C-106-91, Rec. p. I-3351, point 17), la comparaison entre les articles 48 et 52 du traité fait apparaître qu'ils sont fondés sur les mêmes principes en ce qui concerne tant l'entrée, le séjour sur le territoire des États membres des personnes relevant du droit communautaire que l'interdiction de toute discrimination exercée à leur égard en raison de la nationalité. Il en est de même en ce qui concerne l'exercice, sur le territoire des États membres, d'une activité économique par des personnes relevant du droit communautaire.
30 C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient de répondre aux questions du Hoge Raad der Nederlanden.
Sur la cinquième question préjudicielle
31 Par sa cinquième question préjudicielle, qu'il convient d'examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si un ressortissant d'un État membre exerçant une activité non salariée dans un autre État membre, où il réside, peut invoquer le bénéfice des règles de l'article 52 du traité à l'égard de son État d'origine, sur le territoire duquel il exerce une autre activité non salariée.
32 Selon une jurisprudence constante, si les dispositions du traité en matière de liberté d'établissement ne sauraient être appliquées à des situations purement internes à un État membre, il n'en reste pas moins que la portée de l'article 52 du traité ne saurait être interprétée de manière à exclure du bénéfice du droit communautaire les propres ressortissants d'un État membre déterminé lorsque ceux-ci, par leur comportement, se trouvent, à l'égard de leur État d'origine, dans une situation assimilable à celle de tout autre sujet bénéficiant des droits et libertés garantis par le traité (voir, en ce sens, arrêts du 7 février 1979, Knoors, 115-78, Rec. p. 399, point 24; du 3 octobre 1990, Bouchoucha, C-61-89, Rec. p. I-3551, point 13; du 31 mars 1993, Kraus, C-19-92, Rec. p. I-1663, point 15, et du 23 février 1994, Scholz, C-419-92, Rec. p. I-505).
33 En l'espèce, avant 1986, M. Asscher exerçait une activité économique en Belgique à partir des Pays-Bas, son État d'origine. Au surplus, depuis le transfert de sa résidence en Belgique, en mai 1986, il poursuit l'exercice d'une activité économique à la fois aux Pays-Bas et en Belgique, et cette double activité économique comporte des incidences directes sur le calcul au titre de l'exercice 1990 de son imposition sur le revenu aux Pays-Bas, qui constitue l'objet du litige au principal. Il y a donc lieu d'observer que M. Asscher a fait usage des droits et libertés reconnus par le traité et qu'il est fondé à se prévaloir des dispositions correspondantes de ce dernier.
34 En conséquence, il y a lieu de répondre à la cinquième question préjudicielle qu'un ressortissant d'un État membre exerçant une activité non salariée dans un autre État membre, où il réside, peut invoquer le bénéfice des règles de l'article 52 du traité à l'égard de son État d'origine, sur le territoire duquel il exerce une autre activité non salariée, dès lors que, par l'exercice d'une activité économique dans un autre État membre que son État d'origine, il se trouve à l'égard de ce dernier dans une situation assimilable à celle de tout autre sujet invoquant, à l'égard de l'État d'accueil, le bénéfice des droits et libertés garantis par le traité.
Sur les première et deuxième questions préjudicielles
35 Par les première et deuxième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance, d'une part, si l'article 52 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre applique à un ressortissant communautaire exerçant une activité non salariée sur son territoire et exerçant parallèlement une autre activité non salariée dans un autre État membre, où il réside, un taux d'impôt sur le revenu supérieur à celui applicable aux résidents exerçant la même activité. La juridiction de renvoi demande, d'autre part, si la réponse à cette question est affectée par la circonstance que le revenu mondial du contribuable est composé à concurrence de moins de 90 % en revenus pouvant être pris en compte, aux fins de l'impôt sur le revenu, par l'État où celui-ci travaille sans y résider.
36 Pour répondre à ces questions, il y a lieu tout d'abord de rappeler que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, il n'en reste pas moins que ces derniers doivent exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire et s'abstenir donc de toute discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité (voir arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279-93, Rec. p. I-225, points 21 et 26, et du 11 août 1995, Wielockx, C-80-94, Rec. p. I-2493, point 16).
37 Il convient de constater que la législation en cause dans l'affaire au principal s'applique indépendamment de la nationalité du contribuable concerné.
38 Toutefois, une législation nationale de ce type, qui prévoit une distinction fondée, notamment, sur le critère de la résidence en ce sens que le taux de l'impôt sur le salaire et sur le revenu applicable à certains non-résidents est supérieur à celui appliqué aux contribuables résidents et assimilés, risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d'autres États membres. En effet, les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux. Il convient d'ajouter qu'une législation du type de celle en cause dans le litige au principal est d'autant plus susceptible de concerner à titre principal des ressortissants étrangers que, en plus du critère de la résidence, il est fait application du critère relatif à la composition, à 90 % au moins en revenus provenant des Pays-Bas, du revenu mondial.
39 Dans ces conditions, l'application aux contribuables non-résidents qui perçoivent moins de 90 % de leur revenu mondial aux Pays-Bas, cette condition étant présumée remplie s'ils ne cotisent pas aux assurances sociales générales, d'un taux d'imposition sur le salaire et sur le revenu supérieur à celui applicable aux contribuables résidents et assimilés est susceptible de constituer une discrimination indirecte selon la nationalité.
40 Il y a lieu ensuite de relever que, en vertu d'une jurisprudence constante, une discrimination consiste dans l'application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l'application de la même règle à des situations différentes (arrêt Wielockx, précité, point 17).
41 Or, en matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents dans un État donné ne sont, en règle générale, pas comparables, car elles présentent des différences objectives tant du point de vue de la source du revenu que de la capacité contributive personnelle ou de la prise en compte de la situation personnelle et familiale (arrêt Wielockx, précité, point 18, citant l'arrêt Schumacker, précité, points 31 et suivants).
42 Il convient toutefois de préciser que, en présence d'un avantage fiscal dont le bénéfice serait refusé aux non-résidents, une différence de traitement entre ces deux catégories de contribuables peut être qualifiée de discrimination au sens du traité dès lors qu'il n'existe aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement sur ce point entre les deux catégories de contribuables (voir, en ce sens, arrêt Schumacker, points 36 à 38).
43 Ainsi, s'agissant d'avantages fiscaux liés à la prise en compte de la situation personnelle et familiale, le fait, pour un État membre, d'en refuser le bénéfice au contribuable travaillant sur son territoire sans y résider alors qu'il l'accorde au contribuable résident est, selon la jurisprudence de la Cour, discriminatoire dès lors que le non-résident perçoit la totalité ou la quasi-totalité de son revenu mondial dans cet État puisque les revenus perçus dans l'État de résidence sont insuffisants pour permettre une prise en compte de la situation personnelle et familiale. Ces deux catégories de contribuables se trouvent alors dans une situation comparable s'agissant de la prise en compte de cette situation personnelle et familiale (arrêt Schumacker, précité, points 36 à 38).
44 En revanche, en ce qui concerne le contribuable non-résident qui ne perçoit pas la totalité ou la quasi-totalité de ses revenus dans l'État où il travaille sans y résider, le refus de tels avantages par l'État de travail peut être justifié puisque des avantages comparables sont accordés dans l'État de résidence, auquel incombe, en vertu du droit fiscal international, cette prise en compte de la situation personnelle et familiale.
45 En l'espèce, la différence de traitement est constituée par le fait qu'un taux d'imposition de 25 % sur la première tranche est appliqué aux non-résidents qui perçoivent aux Pays-Bas moins de 90 % de leur revenu mondial, alors que les résidents aux Pays-Bas y exerçant la même activité économique bénéficient du taux de 13 % sur la première tranche d'imposition même s'ils y perçoivent moins de 90 % de leur revenu mondial.
46 Selon le Gouvernement néerlandais, le taux d'impôt supérieur vise à compenser l'application de la progressivité de l'impôt à laquelle échapperaient certains non-résidents, en raison de leur obligation fiscale limitée aux revenus perçus aux Pays-Bas.
47 Il convient de préciser, à cet égard, que, en application de l'article 24, paragraphe 2, 1, de la convention, qui suit le modèle de l'article 23 A, paragraphes 1 et 3, de la convention type de l'OCDE (méthode de l'exemption avec réserve de progressivité), les revenus perçus dans l'État où le contribuable exerce son activité économique sans y résider sont exclusivement imposables dans cet État et sont exonérés dans l'État de résidence. Ce dernier reste cependant en droit de les prendre en considération pour calculer le montant de l'impôt sur le reste des revenus du contribuable concerné en vue, notamment, d'appliquer la règle de progressivité.
48 Le fait d'être non-résident ne permet donc pas d'échapper, dans les circonstances de l'espèce, à l'application de la règle de progressivité. Les deux catégories de contribuables sont donc dans une situation comparable au regard de cette règle.
49 Dans ces conditions, le fait d'appliquer à certains non-résidents un taux d'imposition sur le revenu plus élevé que celui applicable aux résidents et assimilés constitue une discrimination indirecte interdite par l'article 52 du traité.
50 Il convient ensuite de s'interroger sur une éventuelle justification de cette discrimination.
51 En premier lieu, selon le Gouvernement néerlandais, une différence de taux d'imposition entre les contribuables non-résidents et non-cotisants, d'une part, et les contribuables résidents et assimilés, d'autre part, est justifiée par la nécessité d'éviter que la pression fiscale pesant sur les premiers ne soit sensiblement plus légère que celle pesant sur les seconds. Sans l'application d'un taux majoré, les contribuables non-résidents et non-cotisants bénéficieraient, selon lui, d'un avantage fiscal par rapport aux résidents et assimilés, pour lesquels la suppression de la déductibilité des cotisations sociales a entraîné une augmentation du revenu imposable et un accroissement correspondant de l'impôt.
52 Un tel argument ne peut être accueilli.
53 Il importe de relever que l'avantage présumé dans le chef de ces non-résidents, s'il existe, résulte de la décision du législateur néerlandais de supprimer la déductibilité des cotisations sociales qui, par nature, n'affecte que les contribuables qui sont obligés de les payer, ce qui, selon le Gouvernement néerlandais, favoriserait ceux qui ne sont pas tenus de payer ces cotisations aux Pays-Bas. Une telle circonstance ne saurait donner lieu à une compensation fiscale à la charge de ces derniers puisque cela reviendrait à les sanctionner de ne pas payer de cotisations sociales aux Pays-Bas.
54 De toute façon, de deux choses l'une. Soit M. Asscher n'est régulièrement affilié qu'au régime belge de sécurité sociale et il ne peut être question de le sanctionner, par le biais d'une compensation fiscale, parce qu'il ne paie pas de cotisations sociales aux Pays-Bas. Soit M. Asscher devrait être affilié exclusivement ou concurremment au régime néerlandais de sécurité sociale, ce qui permettrait aux Pays-Bas de lui réclamer des cotisations et aurait pour effet de l'exclure du "barème étranger", ainsi qu'il est indiqué au point 8 du présent arrêt. Il s'ensuit donc que l'affiliation ou la non-affiliation à l'un ou l'autre des régimes nationaux de sécurité sociale ne peut, dans aucune des deux situations envisagées, justifier l'application d'un taux d'impôt majoré aux non-résidents.
55 En second lieu, il convient de rechercher si la différence de taux est justifiée par la nécessité d'assurer la cohérence fiscale de l'État membre concerné, ainsi que l'ont soutenu tant le Staatssecretaris van Financiën, dans le cadre de la procédure nationale, que le Gouvernement français.
56 La Cour a en effet jugé, dans les arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204-90, Rec. p. I-249), et Commission/Belgique (C-300-90, Rec. p. I-305), que la nécessité d'assurer la cohérence d'un régime fiscal peut justifier une réglementation de nature à restreindre la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté.
57 Tel n'est cependant pas le cas en l'espèce.
58 Dans les affaires précitées, un lien direct existait entre la déductibilité des cotisations et l'imposition des sommes dues par les assureurs en exécution des contrats d'assurance contre la vieillesse et le décès, lien qu'il fallait préserver en vue de sauvegarder la cohérence du système fiscal en cause. En effet, dans ce cas, le contribuable se voyait offrir le choix entre, d'une part, la déductibilité des primes d'assurance et la taxation des capitaux et rentes à l'issue du contrat et, d'autre part, la non-déductibilité des primes mais alors l'exonération des capitaux et rentes perçus à l'issue du contrat.
59 En revanche, en l'espèce, pareil lien direct n'existe pas entre, d'une part, au niveau fiscal, l'application d'un taux d'impôt majoré au revenu de certains non-résidents percevant moins de 90 % de leur revenu mondial aux Pays-Bas et, d'autre part, l'absence de perception de cotisations sociales dont bénéficient les revenus de source néerlandaise de ces non-résidents.
60 En effet, d'une part, l'application d'un taux d'imposition majoré ne donne lieu à aucune protection sociale. D'autre part, la non-affiliation au régime néerlandais de sécurité sociale et, par voie de conséquence, l'absence de perception de cotisations sociales sur les revenus de source néerlandaise de certains non-résidents ne peuvent, si elles sont fondées, que résulter de l'application, en matière de détermination de la législation applicable, du système général et contraignant du règlement (CEE) n° 1408-71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2), et ont pour corollaire, en principe, en application des mêmes dispositions, l'affiliation au seul régime de sécurité sociale de l'État de résidence où ils exercent une partie de leurs activités professionnelles.
61 A cet égard, la jurisprudence de la Cour, selon laquelle les États membres ne disposent pas de la faculté de déterminer dans quelle mesure leur propre législation ou celle d'un autre État membre est applicable, puisqu'ils sont tenus de respecter les dispositions de droit communautaire en vigueur (voir arrêts du 23 septembre 1982, Kuijpers, 276-81, Rec. p. 3027, point 14; du 12 juin 1986, Ten Holder, 302-84, Rec. p. 1821, point 21, et du 10 juillet 1986, Luijten, 60-85, Rec. p. 2365, point 14), s'oppose à ce qu'un État membre vise en réalité, par des mesures fiscales, à compenser la non-affiliation et la non-perception de cotisations à son régime de sécurité sociale.
62 Au vu des observations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deux premières questions que l'article 52 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre applique à un ressortissant d'un État membre exerçant une activité non salariée sur son territoire et exerçant parallèlement une autre activité non salariée dans un autre État membre, où il réside, un taux d'impôt sur le revenu supérieur à celui applicable aux résidents exerçant la même activité dès lors qu'il n'existe aucune différence de situation objective entre ces contribuables et les contribuables résidents et assimilés susceptible de justifier pareille différence de traitement.
Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles
63 Il a déjà été répondu aux troisième et quatrième questions dans le cadre de l'examen des éventuelles justifications de la discrimination (voir, notamment, les points 53 et 54, ainsi que les points 59 à 61).
64 En conséquence, il y a lieu de répondre au Hoge Raad der Nederlanden que l'article 52 du traité s'oppose à ce qu'un État membre tienne compte, au moyen d'un taux majoré d'imposition sur le revenu, du fait que, en raison des dispositions pertinentes, en matière de détermination de la législation sociale applicable, du règlement n° 1408-71, le contribuable n'est pas soumis à l'obligation de cotiser au régime national d'assurances sociales. La circonstance que le contribuable est affilié au régime de sécurité sociale de son État de résidence, qui résulte également du règlement n° 1408-71, est sans pertinence à cet égard.
Sur les dépens
65 Les frais exposés par les Gouvernements allemand, belge, français, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad der Nederlanden, par ordonnance du 23 mars 1994, dit pour droit:
1) Un ressortissant d'un État membre exerçant une activité non salariée dans un autre État membre, où il réside, peut invoquer le bénéfice des règles de l'article 52 du traité CE à l'égard de son État d'origine, sur le territoire duquel il exerce une autre activité non salariée, dès lors que, par l'exercice d'une activité économique dans un autre État membre que son État d'origine, il se trouve à l'égard de ce dernier dans une situation assimilable à celle de tout autre sujet invoquant, à l'égard de l'État d'accueil, le bénéfice des droits et libertés garantis par le traité.
2) L'article 52 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre applique à un ressortissant d'un État membre exerçant une activité non salariée sur son territoire et exerçant parallèlement une autre activité non salariée dans un autre État membre, où il réside, un taux d'impôt sur le revenu supérieur à celui applicable aux résidents exerçant la même activité dès lors qu'il n'existe aucune différence de situation objective entre ces contribuables et les contribuables résidents et assimilés susceptible de justifier pareille différence de traitement.
3) L'article 52 du traité s'oppose à ce qu'un État membre tienne compte, au moyen d'un taux majoré d'imposition sur le revenu, du fait que, en raison des dispositions pertinentes, en matière de détermination de la législation sociale applicable, du règlement (CEE) n° 1408-71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, le contribuable n'est pas soumis à l'obligation de cotiser au régime national d'assurances sociales. La circonstance que le contribuable est affilié au régime de sécurité sociale de son État de résidence, qui résulte également du règlement n° 1408-71, est sans pertinence à cet égard.