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Décisions

CJCE, 5e ch., 6 juillet 1995, n° C-470/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Verein gegen Unwesen in Handel und Gewerbe Köln e.V.

Défendeur :

Mars GmbH

CJCE n° C-470/93

6 juillet 1995

LA COUR,

1. Par ordonnance du 11 novembre 1993, parvenue au greffe de la Cour le 17 décembre suivant, le Landgericht Koeln (Allemagne) a, en application de l'article 177 du traité CE, posé à la Cour une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 30 du traité.

2. Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant une association de lutte contre la concurrence déloyale, le Verein gegen Unwesen in Handel und Gewerbe Koeln e.V., à Mars GmbH (ci-après "Mars"), à propos de l'utilisation d'une présentation déterminée pour la commercialisation de barres glacées des marques Mars, Snickers, Bounty et Milky Way.

3. Mars importe ces marchandises de France où elles sont légalement produites et conditionnées par une entreprise du groupe américain Mars Inc., Mc Lean, sous une présentation uniforme en vue de leur distribution dans toute l'Europe.

4. Au moment des faits de l'espèce au principal, les barres glacées se présentaient sous un emballage portant la mention "+ 10 %". Cette présentation avait été décidée à l'occasion d'une campagne publicitaire de courte durée couvrant toute l'Europe et dans le cadre de laquelle la quantité de chaque produit avait été augmentée de 10 %.

5. Le Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (loi allemande sur la répression de la concurrence déloyale, ci-après l'"UWG") prévoit, en son article 1er, une action judiciaire en cessation d'actes de concurrence contraires aux bonnes mours et, en son article 3, une action en cessation d'usage d'indications trompeuses. Par ailleurs, l'article 15 du Gesetz gegen Wettbewerbsbeschraenkungen (loi allemande contre les restrictions à la concurrence, ci-après le "GWB") déclare nuls les accords entre entreprises qui restreignent la liberté de l'une des parties de fixer les prix dans les contrats conclus avec des tiers au sujet de marchandises livrées.

6. L' association demanderesse au principal a introduit devant le Landgericht Koeln une action fondée sur ces articles, dans le but de faire cesser l'utilisation de la mention "+ 10 %" en Allemagne.

7. Elle fait valoir en premier lieu que le consommateur doit supposer que l'avantage indiqué par la mention "+ 10 %" est accordé sans augmentation du prix, étant donné qu'un produit dont la composition n'aurait été que légèrement modifiée et qui serait vendu à un prix plus élevé ne présenterait aucun avantage. Ainsi, pour ne pas tromper le consommateur, le détaillant devrait maintenir le prix final pratiqué jusqu'alors. La mention en cause liant le commerce de détail quant à la fixation du prix de vente au consommateur final, elle constituerait dès lors une violation de l'article 15 du GWB, à laquelle il conviendrait de mettre fin conformément à l'article 1er de l'UWG.

8. En deuxième lieu, la requérante au principal soutient que l'intégration de l'indication "+ 10 %" dans la présentation a été faite de manière à donner au consommateur l'impression que le produit a été augmenté d'une quantité correspondant à la partie colorée du nouvel emballage. Or, cette dernière occupe une surface sensiblement supérieure à 10 % de la surface totale du conditionnement. Il y aurait donc une tromperie contraire à l'article 3 de l'UWG.

9. Saisi préalablement du litige en la procédure de référé, le Landgericht Koeln avait, par ordonnance du 10 décembre 1992, provisoirement fait droit à l'action en cessation contre la défenderesse. Selon cette juridiction, les présentations litigieuses, impliquant qu'un supplément de produit, quantitativement négligeable, était offert sans augmentation de prix, restreignaient ainsi la liberté du commerce de détail en matière de fixation des prix.

10. Etant ensuite appelée à trancher le litige au fond, la même juridiction a décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"S'agissant d''Ice Cream Snacks'produits et légalement commercialisés dans un Etat membre sous une présentation déterminée, telle qu'elle ressort de l'acte introductif d'instance, est-il compatible avec les principes de la libre circulation des marchandises d'en interdire, dans un autre Etat membre, la commercialisation sous cette présentation,

1°) au motif que cette (nouvelle) présentation est de nature à amener le consommateur à s'attendre à ce que le prix auquel la marchandise est proposée soit le même que le prix auquel on proposait, jusqu'alors, la marchandise sous son ancienne présentation,

2°) au motif que, du fait de sa présentation optique, l'indication d'une nouveauté, à savoir '+ 10 % de glace' , donne l'impression au consommateur que le volume ou le poids du produit ont été augmentés de manière considérable?"

Sur l'applicabilité de l'article 30 du traité

11. Il convient d'abord d'examiner si l'interdiction de commercialiser une marchandise portant sur son emballage une mention publicitaire telle que celle en cause en l'espèce au principal constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité.

12. Selon la jurisprudence de la Cour, l'article 30 vise à interdire toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (voir arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5). La Cour a précisé qu'en l'absence d'harmonisation des législations, l'article 30 prohibe les obstacles au commerce intracommunautaire résultant de l'application à des marchandises en provenance d'autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises, telles que celles qui concernent, par exemple, leur présentation, leur étiquetage et leur conditionnement, même si ces règles sont indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés (arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard, C-267-91 et C-268-91, Rec. p. I-6097, point 15).

13. Bien que indistinctement applicable à tous les produits, une interdiction comme celle en cause au principal, qui vise la mise en circulation dans un Etat membre de produits portant les mêmes mentions publicitaires que celles utilisées légalement dans d'autres États membres, est de nature à entraver le commerce intracommunautaire. Elle peut en effet contraindre l'importateur à aménager de façon différente la présentation de ses produits en fonction du lieu de commercialisation, et à supporter par conséquent des frais supplémentaires de conditionnement et de publicité.

14. Une telle interdiction entre donc dans le champ d'application de l'article 30 du traité.

Sur les justifications invoquées

15. Il est de jurisprudence constante que les obstacles au commerce intracommunautaire résultant de disparités des dispositions nationales doivent être acceptés dans la mesure où de telles dispositions peuvent être justifiées comme étant nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant, notamment, à la protection des consommateurs ou à la loyauté des transactions commerciales. Mais, pour qu'elles puissent être admises, il faut que ces dispositions soient proportionnées à l'objectif poursuivi et que cet objectif ne puisse pas être atteint par des mesures restreignant d'une manière moindre les échanges intracommunautaires (voir arrêts du 20 février 1979, Rewe-Zentral, 120-78, Rec. p. 649; du 13 décembre 1990, Pall, C-238-89, Rec. p. I-4827, point 12, et du 18 mai 1993, Yves Rocher, C-126-91, Rec. p. I-2361, point 12).

16. Dans l'affaire au principal, il est soutenu que l'interdiction est justifiée par deux motifs juridiquement pertinents, indiqués respectivement dans les première et seconde parties de la question préjudicielle.

L'attente du consommateur relative au maintien du prix pratiqué précédemment

17. Il a été relevé que la mention "+ 10 %" est de nature à amener le consommateur à penser que le "nouveau" produit est offert à un prix identique à celui auquel l'"ancien" était vendu.

18. Comme M. l'avocat général l'a constaté aux points 39 à 42 de ses conclusions, le juge a quo, considérant que le consommateur s'attend à une stabilité du prix, estime que, dans l'hypothèse où le commerçant augmenterait le prix, le consommateur pourrait être victime d'une tromperie au sens de l'article 3 de l'UWG et que, dans l'hypothèse où le prix n'augmenterait pas, l'offre serait conforme à l'attente du consommateur mais amènerait alors à s'interroger sur l'application de l'article 15 du GWB, lequel interdit au fabricant d'imposer des prix aux revendeurs.

19. Quant à la première hypothèse, il y a lieu d'observer à titre liminaire que Mars n'a en réalité pas profité de l'opération de promotion pour augmenter ses prix de vente, et qu'aucun élément du dossier n'indique que les détaillants ont eux-mêmes augmenté leurs prix. Mais, en toute hypothèse, il importe de souligner que le simple risque que les importateurs et détaillants augmentent le prix de la marchandise et que, par conséquent, les consommateurs puissent être trompés ne suffit pas pour justifier une interdiction générale susceptible d'entraver le commerce intracommunautaire. Cette constatation n'exclut pas que les États membres puissent éventuellement, par des mesures appropriées, réagir contre des actes dûment prouvés qui auraient pour conséquence d'induire les consommateurs en erreur.

20. En ce qui concerne la seconde hypothèse, le principe de la liberté pour le commerce de détail en matière de fixation des prix, consacré par un système de droit national, et notamment destiné à garantir au consommateur une authentique concurrence par les prix, ne peut justifier une entrave au commerce intracommunautaire telle que celle examinée au principal. La contrainte imposée au détaillant de ne pas augmenter ses prix est en effet favorable au consommateur. Elle ne découle d'aucune stipulation contractuelle et a pour effet de mettre le consommateur à l'abri d'une tromperie éventuelle. Elle n'exclut pas que les détaillants puissent continuer à pratiquer des prix différents, et ne trouve application que pendant la courte durée de la campagne publicitaire en question.

La présentation optique de la mention "+ 10 %" et son prétendu effet trompeur

21. Il est constant que la mention "+ 10 %" est exacte en soi.

22 Cependant, il a été soutenu que la mesure litigieuse est justifiée parce qu'un nombre non négligeable de consommateurs, du fait que la bande mentionnant "+ 10 %" occupe sur l'emballage une surface supérieure à 10 % de la surface totale, serait porté à croire que l'augmentation est plus importante que celle qui est présentée.

23. Une telle justification ne peut être retenue.

24. En effet, des consommateurs raisonnablement avisés sont censés savoir qu'il n'y a pas nécessairement un lien entre la taille des mentions publicitaires relatives à une augmentation de la quantité du produit et l'importance de cette augmentation.

25. Il y a donc lieu de répondre à la question préjudicielle que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une mesure nationale interdise l'importation et la commercialisation d'un produit légalement commercialisé dans un autre État membre, dont la quantité a été augmentée à l'occasion d'une campagne publicitaire de courte durée et dont l'emballage porte la mention "+ 10 %",

A) au motif que cette présentation serait de nature à amener le consommateur à penser que le prix de la marchandise proposée est le même que celui auquel on la vendait jusqu'alors sous son ancienne présentation,

B) au motif que la nouvelle présentation donnerait l'impression au consommateur que le volume ou le poids du produit ont été augmentés de manière considérable.

Sur les dépens

26. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Landgericht Koeln, par ordonnance du 11 novembre 1993, dit pour droit :

L'article 30 du traité CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une mesure nationale interdise l'importation et la commercialisation d'un produit légalement commercialisé dans un autre État membre, dont la quantité a été augmentée à l'occasion d'une campagne publicitaire de courte durée et dont l'emballage porte la mention "+ 10 %",

A) au motif que cette présentation serait de nature à amener le consommateur à penser que le prix de la marchandise proposée est le même que celui auquel on la vendait jusqu'alors sous son ancienne présentation,

B) au motif que la nouvelle présentation donnerait l'impression au consommateur que le volume ou le poids du produit ont été augmentés de manière considérable.