CJCE, 2 juillet 1996, n° C-290/94
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République hellénique
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 25 octobre 1994, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en imposant l'exigence d'une condition de nationalité à l'encontre des travailleurs ressortissants des autres Etats membres pour l'accès aux emplois existant dans les entreprises et compagnies publiques, semi- publiques ou communales qui gèrent les services de distribution d'eau, de gaz et d'électricité et dans les services opérationnels de santé publique, aux emplois d'enseignant dans le secteur de l'enseignement public dispensé dans les écoles maternelles, primaires et secondaires, supérieures et universitaires relevant du ministère de l'Éducation nationale, aux emplois existant dans les services, compagnies ou organismes de transports maritimes et aériens, dans l'organisme des chemins de fer helléniques (OSE) et dans les organismes, compagnies et entreprises publiques ou communales gérant les services des transports publics urbains et régionaux, aux emplois occupés par le personnel scientifique et non scientifique dans les établissements publics de recherche effectuée à des fins civiles, aux emplois relevant des organismes ou entreprises publics ou semi-publics gérant les services des postes (ELTA), des télécommunications (OTE) et de radiotélévision (ET), ainsi qu'aux emplois de musicien à l'opéra d'Athènes et dans les orchestres municipaux et communaux, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité CE et des articles 1er et 7 du règlement (CEE) n° 1612-68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L. 257, p. 2).
2. L'article 48, paragraphes 1 à 3, du traité CEE, devenu traité CE, consacre le principe de la libre circulation des travailleurs et l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres. L'article 48, paragraphe 4, du traité prévoit que les dispositions de cet article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique. Selon la jurisprudence de la Cour, cette dernière disposition concerne les emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'état ou des autres collectivités publiques, et supposent ainsi, de la part de leurs titulaires, l'existence d'un rapport particulier de solidarité à l'égard de l'état ainsi que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité. En revanche, l'exception prévue à l'article 48, paragraphe 4, ne s'applique pas à des emplois qui, tout en relevant de l'état ou d'autres organismes de droit public, n'impliquent cependant aucun concours à des tâches relevant de l'administration publique proprement dite (arrêt du 17 décembre 1980, Commission/Belgique, 149-79, Rec. p. 3881, points 10 et 11).
3. Quant aux articles 1er et 7 du règlement n° 1612-68, ils énoncent la règle de l'égalité de traitement dans l'accès à l'emploi, d'une part, et dans son exercice, d'autre part.
4. Ayant constaté que, dans certains Etats membres, un grand nombre d'emplois considérés comme appartenant à la fonction publique n'avaient pas de rapport avec l'exercice de la puissance publique et la sauvegarde des intérêts généraux de l'état, la Commission a entrepris, en 1988, une "action systématique" sur la base de la communication 88 C-72-02, Libre circulation des travailleurs et accès aux emplois dans l'administration publique des Etats membres - Action de la Commission en matière d'application de l'article 48, paragraphe 4, du traité CEE (JO 1988, C 72, p. 2). Dans cette communication, la Commission a invité les Etats membres à ouvrir aux ressortissants des autres Etats membres l'accès aux emplois dans les organismes chargés de gérer un service commercial, tel que les transports publics, la distribution d'électricité ou de gaz, la navigation aérienne ou maritime, les postes et télécommunications, dans les organismes de radio-télédiffusion, ainsi que dans les services opérationnels de santé publique, dans l'enseignement public et dans la recherche effectuée à des fins civiles dans des établissements publics. La Commission estimait que les tâches et responsabilités caractérisant les emplois relevant de ces secteurs ne pouvaient que très exceptionnellement relever de la dérogation prévue à l'article 48, paragraphe 4, du traité.
5. Dans le cadre de cette action et après avoir été informée du refus de l'opéra d'Athènes d'engager un musicien allemand en raison de sa nationalité, la Commission a, les 26 mars 1991, 2 avril 1991 et 21 mai 1992, adressé huit lettres de mise en demeure au gouvernement hellénique, concernant les secteurs de la distribution d'eau, de gaz et d'électricité, de la santé, de l'enseignement, des transports maritimes et aériens, des chemins de fer, de la recherche effectuée à des fins civiles, des postes, télécommunications et radiotélévision, ainsi que les orchestres de musique. Dans ces lettres, la Commission invitait le gouvernement hellénique à prendre les mesures nécessaires afin d'éliminer la condition de nationalité à laquelle cet état subordonne l'accès à l'emploi dans ces secteurs et à présenter ses observations dans un délai de six mois.
6. Dans sa réponse aux sept premières lettres de mise en demeure, le gouvernement hellénique a, le 18 octobre 1991, indiqué qu'il ne contestait pas les principes énoncés par la Commission au sujet de l'article 48, paragraphe 4, du traité et qu'il avait décidé d'en insérer les modalités d'application dans son programme de modernisation administrative, qui serait bientôt adopté, ainsi que dans un programme législatif à venir.
7. Dans la mesure où les projets annoncés ne se sont pas concrétisés, et puisque la dernière lettre de mise en demeure du 21 mai 1992, relative à l'opéra d'Athènes et aux orchestres municipaux et communaux, était restée sans réponse, la Commission a émis, les 13 juillet 1992 et 3 mars 1993, huit avis motivés invitant la République hellénique à prendre les mesures nécessaires dans un délai de quatre mois dans les sept premiers avis motivés, et dans un délai de deux mois dans le dernier.
8. En réponse aux sept avis motivés du 13 juillet 1992, la République hellénique a transmis à la Commission, par lettre du 1er février 1993, le texte d'un projet de loi relatif à l'accès des ressortissants communautaires aux emplois du secteur public, qui devait être soumis au vote parlementaire en février 1993, mais ne l'a pas encore été. Quant à l'avis motivé du 3 mars 1993, relatif à l'opéra d'Athènes et aux orchestres municipaux et communaux, les autorités helléniques n'y ont donné aucune réponse.
9. Aucune mesure nationale n'ayant finalement été prise dans les délais impartis par les avis motivés, la Commission a introduit le présent recours.
10. Il ressort du dossier que, en Grèce, les secteurs visés dans la requête appartiennent à la fonction publique. Dans tous ces secteurs, la nationalité hellénique est en principe exigée pour accéder aux emplois.
11. Ce principe est tout d'abord inscrit à l'article 4, paragraphe 4, de la constitution hellénique qui prévoit que "seuls les citoyens grecs sont admis à toutes les fonctions publiques, hormis les exceptions introduites par des lois particulières". Ensuite, la loi n° 1735-87 et l'arrêté ministériel n° DIPPP-F des 7-8 janvier 1988 pour l'accès aux emplois du secteur public exigent la nationalité hellénique pour l'accès à tous les emplois du secteur public, qui, quant à lui, est défini, par l'article 1er, paragraphe 6, de la loi n° 1256-82 et délimité par l'article 51 de la loi n° 1892-90. Enfin, l'article 18 du code de la fonction publique dispose que "nul n'est nommé s'il n'a pas la nationalité hellénique".
12. Par ailleurs, les articles 7 et 66 du décret présidentiel codificatif n° 410-88 relatif au recrutement sous contrat de droit privé du personnel scientifique spécialisé, du personnel technique et auxiliaire dans le secteur public renvoient à l'article 18 du code de la fonction publique pour le recrutement, sous contrat de droit privé, du personnel saisonnier ou de celui recruté pour répondre à des besoins temporaires dans les différents services de l'ensemble du secteur public.
13. La condition de nationalité hellénique est en outre prescrite par des textes législatifs ou réglementaires spécifiques aux secteurs d'activités considérés.
14. Ainsi, les services de distribution d'eau, de gaz et d'électricité, s'ils ne relèvent pas déjà du secteur public proprement dit, sont assurés soit par des collectivités territoriales, soit par des entreprises qui sont contrôlées par l'état et sont soumises à des textes législatifs ou réglementaires particuliers, tels que l'article 5, paragraphe 5, du statut général du personnel de l'entreprise publique d'électricité, soit par des entreprises communales auxquelles s'appliquent des textes législatifs et réglementaires régissant le statut du personnel contractuel des collectivités locales, tels que l'article 260 de la loi n° 1188-81 et les articles 7 et 66 du décret présidentiel n° 410-88, ainsi que les règlements internes des entreprises ou compagnies en cause.
15. Les services opérationnels de santé publique relèvent entièrement du secteur public, aussi bien pour ses fonctionnaires que pour son personnel qui ne revêt pas cette qualité, de sorte qu'il est soumis aux dispositions générales mentionnées ci-dessus. Les ressortissants communautaires qui connaissent la langue grecque sont cependant admis aux emplois de médecin et d'infirmier dans les hôpitaux publics.
16. Le secteur de l'enseignement relève également entièrement du secteur public, y compris l'enseignement technique et supérieur (loi n° 1404-93), ainsi que l'enseignement universitaire (loi n° 1268-82 et article 16, paragraphe 6, de la constitution). Des exceptions à la condition de nationalité hellénique sont cependant prévues pour certains postes en cas d'absence de candidats hellènes (article 79, paragraphe 7, de la loi n° 1566-85) ou pour des professeurs de langues et de littérature étrangères enseignées dans les universités (article 4 et 5 de la loi n° 5139-31).
17. Dans le secteur des transports maritimes et aériens, l'article 4, paragraphe 1, du décret-loi n° 2651-53 sur la composition de l'équipage des navires helléniques exige la nationalité hellénique pour tout recrutement, à quelques exceptions près, décrites à l'article 4, paragraphe 2, de ce décret. Par ailleurs, l'article 5 de l'arrêté royal n° 1(14) du 3 novembre 1836 relatif à la marine marchande prévoit que les trois quarts au moins de l'équipage du navire doivent porter la nationalité hellénique. La même condition est imposée par l'article 57 du code maritime pour l'inscription des marins sur les registres respectifs, à l'exception du registre des ouvriers de la mer. Les compagnies de transport aérien relèvent du secteur public et sont donc soumises aux dispositions générales évoquées ci-dessus.
18. Les chemins de fer ainsi que les organismes, compagnies ou entreprises qui gèrent les services publics de transports urbains et régionaux relèvent, en principe, du secteur public et sont donc soumis à la condition générale de nationalité hellénique. En outre, l'article 19, paragraphe 1, du statut général du personnel de l'organisme des chemins de fer helléniques dispose que "nul ne peut être recruté, s'il ne possède pas la nationalité hellénique", tout en prévoyant cependant quelques exceptions au paragraphe 3 du même article. Pour les emplois qui ne font pas partie du secteur public, des textes législatifs et réglementaires spécifiques imposent également la condition de nationalité. Ainsi en va-t-il de l'article 8 du règlement du personnel des services intérieurs des chemins de fer électriques helléniques, de l'article 15 du règlement du personnel des services extérieurs des chemins de fer électriques helléniques ainsi que de l'article 11 du statut général du personnel des autobus électriques d'Athènes.
19. Dans la recherche effectuée à des fins civiles, les articles 16, paragraphe 2, 20 et 21 de la loi n° 1514-85, ainsi que les dispositions des décrets pris en application de l'article 25 de cette loi, exigent en principe la nationalité hellénique pour tous les membres du personnel scientifique de recherche. Quelques exceptions sont toutefois prévues pour des visiteurs experts de recherche et des programmes spécifiques. Quant au personnel technique, administratif et auxiliaire, la condition de nationalité hellénique est requise, lorsqu'il s'agit de fonctionnaires, par les dispositions générales susmentionnées et, lorsqu'il s'agit de membres du personnel contractuel, par l'article 24 de la loi n° 1514-85, l'article 7 de la loi n° 1735-87, l'arrêté ministériel n° DIPPP-F des 7- 8 janvier 1988 et les articles 7 et 66 du décret n° 410-88.
20. Dans les services des postes, des télécommunications et de radiotélévision, les organismes en cause relèvent du secteur public et sont donc soumis à la condition de nationalité prévue par les dispositions générales. En outre, les statuts des différents organismes reprennent cette condition. Tel est le cas, par exemple, de l'article 7 du statut général du personnel des postes helléniques et de l'article 6, paragraphe 1, du statut général de l'entreprise des télécommunications.
21. Enfin, à l'opéra d'Athènes et dans les orchestres municipaux et communaux, les autorités helléniques réservent, en vertu de l'article 7 du décret présidentiel n° 410-88, précité, l'accès aux emplois de musicien aux seuls ressortissants hellènes.
22. Dans tous les cas où elle s'impose, l'exigence de la nationalité hellénique est énoncée dans des termes généraux et sans distinction selon la nature des tâches ou la position hiérarchique des emplois en cause.
23. La Commission soutient que, dans tous les secteurs visés par le recours, les tâches et responsabilités qui caractérisent les emplois soumis à la condition de nationalité sont généralement trop éloignées des activités spécifiques de l'administration publique pour bénéficier presque sans exception de la dérogation prévue à l'article 48, paragraphe 4, du traité. La République hellénique ne pourrait dès lors exiger la nationalité hellénique pour la totalité des emplois dans ces secteurs. Quant aux emplois particuliers pour lesquels un tel rapport avec les activités spécifiques de l'administration publique existe, il appartiendrait au gouvernement défendeur de démontrer ce rapport.
24. La République hellénique conclut au rejet du recours. Elle ne conteste pas que, de manière générale, sur son territoire, les emplois dans les secteurs en cause sont réservés à ses propres ressortissants. Elle fait toutefois observer, en premier lieu, que, le 31 décembre 1992, a été adopté, dans le secteur de la marine, le décret présidentiel n° 12-1992 sur l'accès aux emplois dans la marine marchande hellénique pour les marins ressortissants d'Etats membres des Communautés européennes et la reconnaissance des services maritimes accomplis par des marins hellènes sur des navires battant pavillon d'Etats membres des Communautés européennes, en vue de l'obtention de certificats d'aptitude maritime. Ce décret serait entré en vigueur le 1er février 1993 et aurait été notifié à la Commission le 18 mars 1993. Dès lors, sur ce point, le recours serait dépourvu d'objet.
25. En deuxième lieu, le gouvernement hellénique fait état, au sujet du musicien allemand ayant donné lieu au dernier avis motivé de la Commission du 3 mars 1993, d'un jugement du tribunal d'instance d'Athènes du 29 mai 1992 (Nomiko Vima 1993, p. 328-332) qui, bien que rejetant le recours du musicien pour des raisons formelles, reconnaît que les règles du droit communautaire en la matière prévalent, en tant que règles spéciales, sur les dispositions nationales en cause. Dans sa duplique, la République hellénique souligne en outre que le cas du musicien en question a été réglé entre-temps, puisque, le 23 février 1995, il a été engagé sous contrat à durée indéterminée, comme il le souhaitait, par une décision du maire d'Athènes.
26. En troisième lieu, le gouvernement hellénique fait valoir qu'un projet de loi relatif à l'accès des ressortissants communautaires aux emplois du secteur public a été élaboré et a donné lieu à un avis positif de la Commission. La procédure parlementaire relative à ce projet, qui aurait dû être voté en avril 1993, n'aurait cependant pas pu être achevée en raison de la dissolution anticipée de l'assemblée nationale en vue d'élections législatives fixées au 10 octobre 1993.
27. S'agissant des deux premiers arguments, il y a lieu de souligner que, selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 11 août 1995, Commission/Allemagne, C-433-93, Rec. p. I-2303, point 15), les modifications introduites dans la législation nationale sont sans pertinence pour statuer sur l'objet d'un recours en manquement, dès lors qu'elles n'ont pas été mises en œuvre avant l'expiration du délai imparti dans l'avis motivé. De même, ne peuvent être prises en considération, pour statuer sur le manquement, les solutions qui ont été apportées à des cas particuliers postérieurement à cette date.
28. En l'occurrence, s'agissant du secteur du transport maritime, le délai indiqué dans l'avis motivé était de quatre mois et débutait le 13 juillet 1992. Le gouvernement hellénique ne saurait donc exciper de modifications législatives intervenues, pour les emplois dans la marine, le 1er février 1993. S'agissant du musicien allemand, le délai indiqué dans l'avis motivé était de deux mois et débutait le 3 mars 1993. La solution apportée à ce cas après l'introduction du recours ne saurait donc pas non plus être prise en compte dans le cadre du manquement allégué.
29. En ce qui concerne le deuxième argument, il y a lieu d'observer en outre que le gouvernement hellénique ne saurait se prévaloir de la primauté du droit communautaire, telle qu'elle a été constatée par le tribunal d'instance d'Athènes dans son jugement du 29 mai 1992. En effet, selon une jurisprudence bien établie, la primauté et l'effet direct des dispositions du droit communautaire ne dispensent pas les Etats membres de l'obligation d'éliminer de leur ordre juridique interne les dispositions incompatibles avec le droit communautaire; en effet, leur maintien engendre une situation de fait ambiguë, en laissant les sujets de droit concernés dans un état d'incertitude quant aux possibilités qui leur sont réservées de faire appel au droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 24 mars 1988, Commission/Italie, 104-86, Rec. p. 1799, point 12).
30. Quant au troisième argument, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un Etat membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l'inobservation des obligations découlant du droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 6 juillet 1995, Commission/Grèce, C- 259-94, Rec. p. I-1947, point 5).
31. Au surplus, la République hellénique conteste l'approche dite "globale" de la Commission, qui consiste à exclure des secteurs entiers de la dérogation de l'article 48, paragraphe 4, du traité, et ce en l'absence d'une réglementation communautaire et sans indication de détails quant aux postes concernés. La Commission chercherait ainsi à s'octroyer une compétence qu'elle n'a pas en publiant des communications dont le contenu ne pourrait être imposé que par des arrêts de la Cour. Selon la République hellénique, il résulterait d'une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 17 décembre 1980, Commission/Belgique, précité) que la Commission doit impérativement procéder à un examen au cas par cas des emplois concernés au lieu de désigner une multitude de secteurs qui seraient a priori exclus de la dérogation prévue à l'article 48, paragraphe 4, du traité, en chargeant les Etats membres d'établir la preuve contraire dans des cas individuels concrets.
32. La Commission fait valoir à cet égard que, dans sa communication 88-C 72-02, elle a examiné les emplois relevant des différents secteurs concernés à la lumière des critères d'interprétation de l'article 48, paragraphe 4, du traité, tels que définis par la Cour. Cet examen l'aurait conduite à constater que ces emplois sont trop éloignés des activités spécifiques de l'administration publique pour relever de manière générale de l'exception prévue à l'article 48, paragraphe 4. Dans ces conditions, elle devrait être admise à exclure a priori l'application de cette disposition dans tous les secteurs concernés par le présent recours, sans qu'un examen préalable emploi par emploi soit nécessaire.
33. La Commission affirme en outre avoir constaté que les activités exercées dans les secteurs en cause soit existent également dans le secteur privé, soit pourraient être exercées dans le secteur public sans être soumises à la condition de nationalité.
34. Il convient d'observer à cet égard que le recours concerne les secteurs de la recherche, de l'enseignement, de la santé, des transports terrestres, maritimes et aériens, des postes, des télécommunications et de la radiotélévision, ainsi que les services de distribution d'eau, de gaz et d'électricité et, enfin, le secteur musical et lyrique. Comme le gouvernement hellénique l'admet lui-même, la généralité des emplois dans ces secteurs sont éloignés des activités spécifiques de l'administration publique, parce qu'ils ne comportent pas une participation directe ou indirecte à l'exercice de la puissance publique ni aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'état ou des autres collectivités publiques (voir, notamment, arrêts du 3 juin 1986, Commission/France, 307-84, Rec. p. 1725, relatif au secteur de la santé; du 16 juin 1987, Commission/Italie, 225-85, Rec. p. 2625, relatif au secteur de la recherche effectuée à des fins civiles; du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum, 66-85, Rec. p. 2121; du 30 mai 1989, Allué et Coonan, 33-88, Rec. p. 1591, et du 27 novembre 1991, Bleis, C-4-91, Rec. p. I-5627, relatifs à l'enseignement).
35. Par conséquent, l'Etat membre ne saurait, de façon générale, soumettre la totalité des emplois relevant des secteurs concernés à une condition de nationalité, sans outrepasser les limites de l'exception prévue à l'article 48, paragraphe 4, du traité.
36. La circonstance que certains emplois dans ces secteurs puissent, le cas échéant, relever de l'article 48, paragraphe 4, du traité ne saurait justifier une telle interdiction générale (voir, également, deux arrêts prononcés ce même jour, Commission/Luxembourg, C-473-93, et Commission/Belgique, C-173-94).
37. Dans ces circonstances, la République hellénique était tenue, pour donner plein effet aux principes de la libre circulation des travailleurs et de l'égalité de traitement dans l'accès à l'emploi, d'ouvrir les secteurs en cause aux ressortissants des autres Etats membres, en limitant l'application de la condition de nationalité à l'accès aux seuls emplois qui comportent réellement une participation directe ou indirecte à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'état ou des autres collectivités publiques.
38. S'agissant du fondement du recours, il convient de préciser que l'article 7 du règlement n° 1612/68 concerne les conditions d'exercice d'un emploi et non pas l'accès à celui-ci. Or, seul l'accès des ressortissants d'autres Etats membres à l'emploi est en cause dans cette affaire. Le manquement ne peut donc être constaté sur le fondement de l'article 7 du règlement n° 1612-68.
39. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en ne limitant pas l'exigence de la nationalité hellénique à l'accès aux emplois comportant une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'état ou des autres collectivités publiques dans les secteurs publics de la distribution d'eau, de gaz et d'électricité, dans les services opérationnels de santé publique, dans les secteurs de l'enseignement public, des transports maritimes et aériens, des chemins de fer, des transports publics urbains et régionaux, de la recherche effectuée à des fins civiles, des postes, des télécommunications et de la radiotélévision, ainsi qu'à l'opéra d'Athènes et dans les orchestres municipaux et communaux, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité et de l'article 1er du règlement n° 1612-68.
Sur les dépens
40. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République hellénique ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1°) En ne limitant pas l'exigence de la nationalité hellénique à l'accès aux emplois comportant une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'état ou des autres collectivités publiques dans les secteurs publics de la distribution d'eau, de gaz et d'électricité, dans les services opérationnels de santé publique, dans les secteurs de l'enseignement public, des transports maritimes et aériens, des chemins de fer, des transports publics urbains et régionaux, de la recherche effectuée à des fins civiles, des postes, des télécommunications et de la radiotélévision, ainsi qu'à l'opéra d'Athènes et dans les orchestres municipaux et communaux, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité CEE et de l'article 1er du règlement (CEE) n° 1612-68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté.
2°) La République hellénique est condamnée aux dépens.