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Décisions

CJCE, 4e ch., 15 janvier 1985, n° 253-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sektkellerei C. A. Kupferberg & Cie KG a. A.

Défendeur :

Hauptzollamt Mainz

CJCE n° 253-83

15 janvier 1985

LA COUR,

1. Par ordonnance du 6 octobre 1983, parvenue au greffe de la Cour le 11 novembre suivant, le Finanzgericht Rheinland-Pfalz a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 37 et 95 du traité CEE ainsi que de l'article 3 de l'accord entre la CEE et l'Espagne du 29 juin 1970 (JO L 182, p. 1) et de l'article 21, premier alinéa, de l'accord entre la CEE et la République portugaise du 22 juillet 1972 (JO L 301, p. 164).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige mettant en cause la compatibilité avec ces dispositions du montant du droit compensatoire de monopole fixé par le Hauptzollamt Mainz sur les alcools importés par la société Kupferberg, demanderesse au principal, en provenance de Grande-Bretagne (whisky), des Pays-Bas (genièvre et liqueurs), de France (armagnac et pruneaux), d'Espagne (Xeres) et du Portugal (porto) et mis en libre pratique en République fédérale d'Allemagne entre le 1er et le 17 mars 1976.

3. La loi allemande du 8 avril 1922 sur le monopole de l'alcool, avant son aménagement par la loi du 2 mai 1976, soumettait, ainsi que la Cour l'a déjà rappelé dans plusieurs arrêts, l'alcool à un impôt de consommation qui frappait celui-ci sous trois formes différentes selon qu'il s'agissait :

a) d'alcool exploité par l'administration du monopole qui, conformément à l'article 85, paragraphe 1, de la loi sur le monopole de l'alcool était soumis à l'impôt sur l'alcool (branntweinsteuer) ;

b) d'alcool exempt de l'obligation de livraison au monopole (certains alcools de céréales et de fruits) ou non-livré à celui-ci en violation de ladite obligation, pour lequel l'article 78 prévoyait le paiement d'une surtaxe sur l'alcool (branntweinaufschlag). Cette surtaxe correspondait à la différence entre le prix de vente normal de l'alcool de monopole et son prix de base, déduction faite d'un montant moyen forfaitaire des frais que l'Administration du monopole n'avait pas à supporter en ne prenant pas en charge ledit alcool. En vertu de l'article 79, alinéas 2 à 8 et de l'article 79 (a), la surtaxe sur l'alcool était, dans certaines conditions, réduite ou augmentée, en fonction notamment de critères concernant le type de distillerie, les quantités produites et la matière première utilisée. En principe, le montant de la surtaxe était toujours supérieur à celui de l'impôt sur l'alcool, la différence entre ces deux montants étant appelée la crête de la surtaxe ;

c) d'alcool importé, lequel, conformément à l'article 151, paragraphe 1, de la loi sur le monopole de l'alcool, était soumis à un droit compensatoire de monopole. Ce droit était calculé de la même manière que la surtaxe sur l'alcool, sous réserve qu'aucune déduction d'un montant forfaitaire des frais économisés par l'administration du monopole n'était opérée, puisque aux termes de l'article 152, alinéa 1, 1) de la loi sur le monopole qui en déterminait le montant, 'le droit compensatoire de monopole représente la différence entre le prix de vente normal de l'alcool et le prix de base de l'alcool'. La partie du droit compensatoire de monopole qui dépassait l'impôt sur l'alcool était appelée crête du droit compensatoire de monopole.

4. Le montant du droit compensatoire applicable aux produits importés par Kupferberg ayant été fixé, pendant la période du 23 février au 17 mars 1976 (circulaire du ministère fédéral des Finances du 23 mars 1976), à 1 500 DM par hectolitre d'esprit-de-vin (ci-après hlw), montant correspondant au taux de l'impôt sur l'alcool en vigueur à l'époque, Kupferberg a introduit un recours devant le Finanzgericht Rheinland-Pfalz en faisant valoir que, par application de l'article 152, premier alinéa, de la loi sur le monopole et compte tenu de ce que le prix de vente normal de l'alcool effectivement pratiqué par l'Administration du monopole entre le 1er et le 17 mars 1976 avait été réduit de 1 833 DM/hlw à 1 683 DM/hlw, le montant du droit compensatoire de monopole aurait du être fixé à 1 430 DM/hlw, correspondant à la différence entre le prix de vente effectivement pratiqué et le prix de base de l'alcool qui s'élevait à l'époque à 253 DM/hlw.

5. Par jugement du 13 février 1978, le Finanzgericht a fait droit à ce recours. Sur recours en révision formé par le Hauptzollamt, le Bundesfinanzhof a, par arrêt du 5 août 1980, annulé ce jugement, motif pris de ce que le prix de vente de 1 683 DM/hlw effectivement appliqué à partir du 23 février 1976 ne correspondait pas au 'prix de vente normal de l'alcool' au sens de l'article 152 de la loi sur le monopole. Ce prix était reste le même que celui qui avait été régulièrement fixé et publié dans le bundesanzeiger n° 174 du 19 septembre 1975, à savoir 1 833 DM/hlw. En utilisant la méthode de calcul prévue à l'article 152, alinéa 1, 1re phrase de la loi, on obtenait pour les produits importés un droit compensatoire de monopole s'élevant à 1 580 DM/hlw. Tout en soulignant que le Hauptzollamt, dans sa décision d'imposition, n'avait appliqué que de manière restreinte la réglementation allemande, puisqu'en fixant le montant du droit compensatoire au taux de 1 500 DM/hlw, il s'était abstenu de réclamer le paiement de la partie du droit compensatoire appelée 'crête du droit compensatoire ', le Bundesfinanzhof, compte tenu de l'objet du recours, en avait conclu que la perception d'un droit compensatoire de 1 500 DM/hlw, tel que fixé dans les décisions attaquées, était régulière du point de vue du droit allemand.

6. Le Bundesfinanzhof constatait cependant que le Finanzgericht, dans son jugement, n'avait pas examiné la question de l'éventuelle incompatibilité avec les articles 37 et 95 du traité CEE de la fixation d'un droit compensatoire de monopole supérieur à 1 430 DM/hlw. Selon lui, la décision d'imposition était uniquement susceptible de violer l'article 95 du traité CEE ainsi que l'article 3 de l'accord CEE-Espagne et l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE-Portugal, dans la mesure où le Finanzgericht, lors du réexamen des faits, viendrait à constater que des alcools nationaux, non-soumis à l'obligation de livraison et comparables aux produits importés, avaient bénéficié des avantages accordés par les dispositions des articles 79, alinéa 2, et 79 a) de la loi sur le monopole.

7. Saisi à nouveau de l'affaire, le Finanzgericht a estimé que le Bundesfinanzhof ne s'était pas prononcé sur la question de savoir si la réduction du prix de vente effectif de l'alcool de 150 DM/hlw effectuée par l'Administration du monopole en raison de la concurrence exercée au niveau des prix par les alcools importés et le maintien concomitant de l'ancien prix de vente pour la détermination du montant du droit compensatoire de monopole applicable aux alcools importés étaient ou non compatibles avec les articles 37 et 95 du traité et avec les dispositions correspondantes des accords conclus avec l'Espagne et le Portugal.

8. C'est en vue de résoudre ce problème que le Finanzgericht a posé à la Cour la question suivante :

' Les dispositions des articles 37 et 95 du traité CEE ainsi que celles de l'article 3 de l'accord du 29 juin 1970 entre la Communauté économique européenne et l'Espagne et celles de l'article 21, premier alinéa de l'accord du 22 juillet 1972 entre la Communauté économique européenne et la République portugaise doivent-elles être interprétées en ce sens qu'un importateur d'alcools en provenance d'autres Etats membres ainsi qu'en provenance de l'Espagne et du Portugal peut s'en prévaloir devant une juridiction nationale parce que l'Administration fédérale allemande de monopole pour l'alcool a baissé son prix de vente de l'alcool dans la période du 23 février 1976 au 17 mars 1976 de 150 DM par hectolitre d'esprit-de-vin, en le ramenant ainsi de 1 833 à 1 683 DM par hectolitre d'esprit-de-vin, alors que pour le calcul du droit compensatoire du monopole pour les alcools importés, elle continuait d'appliquer pendant la même période le prix de vente de 1 833 DM par hectolitre d'esprit-de-vin ?'

9. Cette question comporte deux branches. La première concerne la compatibilité avec les articles 37 et 95 du traité de la réduction de fait du prix de vente de l'alcool vendu par l'Administration du monopole avec maintien concomitant de l'ancien prix de vente de cet alcool pour le calcul du droit compensatoire de monopole applicable aux produits importés, tandis que la seconde porte sur la compatibilité de cette pratique avec les dispositions correspondantes à l'article 95 du traité contenues dans les accords conclus avec l'Espagne et le Portugal.

Sur la première branche :

10. Selon la demanderesse au principal, les alcools importés auraient fait l'objet, au cours de la période du 23 février au 17 mars 1976, d'une discrimination au sens des articles 37 et 95 du traité dans la mesure où, au cours de cette période, l'article 152, premier alinéa, de la loi sur le monopole fixant le mode de calcul du droit compensatoire qui leur était applicable aurait été interprété et appliqué contrairement à sa formulation ; cette interprétation ayant eu pour effet de frapper les produits importés d'une imposition de 1 580 DM/hlw, sur la base du prix de vente normal de l'alcool du monopole, alors qu'en prenant comme base le prix de vente réellement pratiqué, on arriverait à une imposition de 1 430 DM/hlw. Elle soutient que le monopole ne pouvait vendre l'alcool qu'à perte si l'impôt perçu sur l'alcool de monopole était égal à celui perçu sur les alcools importés, et en déduit que l'alcool de monopole avait bénéficié d'un taux d'imposition moins élevé que le taux perçu à l'importation.

En ce qui concerne l'article 95 du traité :

11. Ainsi que la Commission l'a fait observer, la circonstance que les alcools auraient pu bénéficier, au cours de la période litigieuse, d'une imposition moins lourde si le prix de vente réduit appliqué par l'Administration du monopole avait été considéré comme le prix de vente régulier, est sans incidence au regard de l'article 95 du traité, lorsque le taux de l'imposition effectivement appliqué au cours de la période litigieuse aux produits importés n'était ni directement ni indirectement supérieur à l'imposition effectivement perçue sur les produits nationaux similaires ou concurrents.

12. A cet égard, il convient de rappeler, comme la Cour l'a déjà déclaré dans son arrêt du 7 mai 1981 (Hansen, 153-80, Recueil p. 1165) que, si l'article 95 exige qu'un produit importé puisse jouir effectivement du même traitement qu'un produit national comparable, le droit communautaire n'oblige pas les Etats membres à traiter plus favorablement les produits importés que leur propre production nationale.

13. Enfin, il convient de souligner qu'il n'appartient pas à la Cour, mais à la juridiction nationale, d'établir les faits qui sont à la base du litige et de vérifier si les alcools importés et les alcools nationaux correspondants ont été, au cours de la période litigieuse, effectivement et généralement grevés de taxes d'un même montant en application notamment de la circulaire du ministère fédéral des Finances du 23 mars 1976 ou bien de montants différents. D'ailleurs le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, en répondant à une question posée par la Cour, a déclaré que le monopole a acquitté, pendant la totalité de la période litigieuse, la même imposition que les alcools importés des autres Etats membres.

En ce qui concerne l'article 37 du traité :

14. La question posée au regard de l'article 37 du traité a pour but de permettre à la juridiction nationale d'apprécier la compatibilité avec cette disposition de la diminution du prix de vente effectivement pratiqué par l'Administration du monopole de 1 833 DM/hlw à 1 683 DM/hlw.

15. Comme la Cour l'a déjà affirmé, dans son arrêt du 13 mars 1979 (Hansen, 91-78, Recueil p. 935), une telle mesure, lorsqu'elle est dictée par des motifs inhérents à la pratique de vente du monopole, n'est pas critiquable en soi, à moins que son application ne porte atteinte à l'égalité des chances qui doit être assurée aux produits importés en fixant, à l'aide de fonds publics, le prix de vente de l'alcool d'origine nationale à un niveau anormalement bas par comparaison avec le prix, avant taxation, de l'alcool de qualité comparable, importé d'un autre Etat membre.

16. A cet égard, le seul élément déterminant est que la diminution du prix avait pour but de rendre l'alcool du monopole compétitif par rapport aux produits importés. Comme la Commission le reconnaît, il ne s'agit pas d'une mesure propre au monopole d'Etat, mais d'une mesure commerciale dictée par les exigences de la concurrence. Si cette réduction du prix a été effectuée avec l'aide de fonds publics, il y a lieu de faire remarquer que cette aide, susceptible d'être appréciée sur la base de l'article 92 du traité, a été dûment notifiée à la Commission qui estimait qu'elle constituait une mesure de transition de courte durée et n'a donc soulevé aucune objection de principe.

Sur la deuxième branche :

En ce qui concerne l'article 21 de l'accord CEE-Portugal :

17. Ainsi que la Cour l'a déjà constaté dans son arrêt du 26 octobre 1982 (Kupferberg, 104-81, Recueil p. 3641), l'article 21, premier alinéa, de l'accord entre la Communauté et le Portugal comme d'ailleurs l'article 95 du traité visent à l'élimination des discriminations fiscales. On ne saurait a fortiori déduire du libellé de l'article 21 l'existence d'une obligation à charge des parties contractantes de traiter plus favorablement les produits importés que leur propre production nationale.

18. L'article 21, premier alinéa, de l'accord imposant uniquement aux parties contractantes une règle de non-discrimination en matière fiscale subordonnée à la constatation du caractère similaire des produits concernés, la circonstance qu'à une période déterminée la réduction du prix de vente pratiqué par l'Administration du monopole aurait permis, si elle avait été prise en considération dans le mode de calcul du droit compensatoire de monopole, aux alcools importés d'être taxés moins lourdement, est également sans incidence au regard de cette disposition si le taux de l'imposition effectivement appliqué au cours de cette période aux produits importés n'était pas supérieur à l'imposition effectivement appliquée aux produits nationaux similaires.

19. La notion de similitude au sens de l'article 21, premier alinéa, de l'accord, telle qu'elle a été interprétée par la Cour, impliquant que les produits concernés soient semblables tant par leur mode de fabrication que par leurs caractéristiques, il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, au cours de la période litigieuse, les alcools importés ont été effectivement grevés d'une taxe d'un montant identique à celui applicable aux produits d'origine communautaire qui leur sont similaires.

En ce qui concerne l'article 3 de l'accord CEE-Espagne :

20. L'article 3 de l'accord entre la Communauté et l'Espagne étant libellé en des termes identiques à ceux de l'article 21, alinéa premier, de l'accord avec le Portugal, et l'objet ainsi que le but de ces deux accords étant comparables, les considérations developpées ci-dessus lui sont également applicables.

21. Il y a donc lieu de répondre aux deux branches de la question préjudicielle que les articles 95 et 37 du traité CEE, ainsi que les articles 21 et 3 des accords liant la Communauté, respectivement au Portugal et à l'Espagne, doivent être interprétés comme ne s'opposant pas à la réduction de fait du prix de vente de l'alcool vendu par l'Administration du monopole, au cours d'une période déterminée, si le taux de l'imposition effectivement appliqué aux produits importés n'était pas, au cours de cette période, supérieur à l'imposition effectivement perçue sur les produits nationaux correspondants.

Sur les dépens :

22. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

23. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (quatrième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Finanzgericht Rheinland-Pfalz, par ordonnance du 6 octobre 1983, dit pour droit :

Les articles 95 et 37 du traité CEE ainsi que les articles 21 et 3 des accords liant la Communauté, respectivement au Portugal et à l'Espagne, doivent être interprétés comme ne s'opposant pas à la réduction de fait du prix de vente de l'alcool vendu par l'administration du monopole, au cours d'une période déterminée, si le taux de l'imposition effectivement appliqué aux produits importés n'était pas, au cours de cette période, supérieur à l'imposition effectivement perçue sur les produits nationaux correspondants.