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Décisions

CJCE, 23 novembre 1971, n° 62-70

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

A. Bock

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Modest, Heeman, Gundisch, Braendel, Rauschning Laudry, Roell

CJCE n° 62-70

23 novembre 1971

LA COUR,

1. Attendu que le recours tend à l'annulation de l'article 1 de la décision de la Commission n° 70-446 du 15 septembre 1970 (JO n° L 213-70) autorisant la République fédérale d'Allemagne à exclure du traitement communautaire certains produits originaires de la République populaire de Chine et mis en libre-pratique dans les pays du Benelux, pour autant que cette autorisation "vise également les importations de ces produits pour lesquels les demandes de licence sont actuellement et régulièrement en instance auprès de l'administration allemande";

I - Sur la recevabilité

2. 1) Attendu que la Commission conteste en premier lieu la recevabilité du recours, motif pris de ce que la disposition attaquée ne concernerait pas la requérante;

Que l'expression "actuellement et régulièrement en instance" exclurait les demandes de licence d'importation que l'administration allemande aurait dû accueillir des avant l'entrée en vigueur de la décision attaquée, sous peine de violer l'interdiction des mesures équivalant à une restriction quantitative;

Que tel serait le cas de la demande de la requérante, l'administration allemande ayant laissé s'écouler un délai excessif avant d'y répondre;

3. Attendu que l'expression "régulièrement en instance" doit être comprise comme faisant application des dispositions combinées de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 865-68-CEE du Conseil, du 28 juin 1968, et des articles 2, 3, lettre Q, et 4, paragraphe 1, de la directive de la Commission du 22 décembre 1969, dispositions dont il résulte que les Etats membres, sous peine de violer l'interdiction des mesures équivalant à une restriction quantitative, sont tenus d'accueillir, dans un délai non "excessif", toute demande tendant à l'octroi d'une licence d'importation pour les produits en cause;

4. Qu'il suffit en l'espèce de constater que le gouvernement fédéral, ayant motivé sa démarche en faisant état d'une demande dont il était saisi à l'époque, pouvait estimer que la disposition litigieuse était précisément destinée à couvrir des demandes déjà introduites;

Que la défenderesse, au 15 septembre 1970, date de la décision attaquée, savait que, conformément aux voeux du gouvernement fédéral, l'autorisation devait s'étendre aux demandes de licence en instance auprès des autorités allemandes dès avant le 11 septembre, date à laquelle ce gouvernement a saisi la défenderesse;

Que, dès lors, si la défenderesse entendait exclure ces demandes de la mesure de sauvegarde, elle aurait dû les écarter en termes clairs, au lieu d'employer l'expression "la présente autorisation vise également...", étendant ainsi implicitement le champ d'application de l'article 1, première phrase, de la décision;

5. Attendu que la seconde phrase de cet article devant donc être interprétée comme s'appliquant au cas de la requérante, celle-ci est concernée par la disposition dont elle demande l'annulation;

6. 2) Attendu que la défenderesse fait valoir qu'en tout état de cause, la requérante ne serait pas concernée directement par une autorisation accordée à la République fédérale, celle-ci étant restée libre de ne pas en faire usage;

7. Attendu, cependant, que les services allemands compétents avaient fait savoir à la requérante qu'ils rejetteraient sa demande dès qu'ils seraient en possession d'une autorisation appropriée de la Commission;

Que c'est précisément au vu des demandes dont ces services étaient d'ores et déjà saisis que l'autorisation a été sollicitée;

8. Qu'il apparaît dès lors que la requérante était directement concernée;

9. 3) Attendu que la défenderesse allègue que la décision litigieuse ne concernerait pas individuellement la requérante, mais viserait de manière abstraite tous les opérateurs économiques désireux d'importer en Allemagne les produits dont s'agit pendant la durée de validité de la décision;

10. Attendu, cependant, que la requérante n'a attaqué la décision que pour autant que celle-ci vise également les importations pour lesquelles des demandes de licence étaient déjà en instance lors de son entrée en vigueur;

Que le nombre et l'individualité des importateurs ainsi concernés étaient déterminés et vérifiables dès avant cette date;

Que la défenderesse était en mesure de savoir que la disposition litigieuse de la décision affecterait exclusivement les intérêts et la position de ces importateurs;

Que la situation de fait, ainsi créée, caractérise ceux-ci par rapport à toute autre personne et les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire;

11. Attendu que l'exception d'irrecevabilité doit donc être rejetée;

II - Sur le fond

12. Attendu que la requérante fait grief à la défenderesse d'avoir dépassé les pouvoirs qu'elle tient de l'article 115 du traité CEE, et viole ainsi le principe de la proportionnalité des mesures administratives;

Que, compte tenu de l'insignifiance des quantités de conserves de champignons que la requérante avait l'intention d'importer - 65,5 tonnes, soit moins de 1,5 pour mille de la consommation annuelle de la République fédérale en conserves de champignons -, il n'aurait pas été nécessaire d'étendre l'autorisation litigieuse aux demandes de licence en instance au moment de la saisine de la Commission;

13. Attendu qu'aux termes de l'article 115, alinéa 1, "aux fins d'assurer que l'exécution des mesures de politique commerciale prises... par tout Etat membre, ne soit empêchée par des détournements de trafic, ou lorsque des disparités dans ces mesures entraînent des difficultés économiques dans un ou plusieurs Etats", la Commission peut, entre autres, "autoriser les Etats membres à prendre les mesures de protection nécessaires dont elle définit les conditions et modalités", étant entendu toutefois qu'en vertu de l'alinéa 3 du même article, "par priorité", doivent être choisies les mesures qui apportent le moins de perturbations au fonctionnement du Marché commun ",

14. Qu'une telle autorisation peut, notamment, comporter dérogation aux dispositions combinées des articles 9 et 30 du traité, dont il résulte que l'interdiction des restrictions quantitatives à l'importation et de toute mesure d'effet équivalent s'applique, non seulement aux produits originaires des Etats membres, mais encore aux produits en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les Etats membres;

Que les dérogations admises par l'article 115, du fait qu'elles constituent non seulement une exception aux dispositions citées, fondamentales pour le fonctionnement du Marché commun, mais encore une entrave à la mise en place de la politique commerciale commune prévue par l'article 113, sont d'interprétation et d'application stricte;

15. Attendu qu'il ressort du dossier qu'à la date de la décision attaquée, les autorités allemandes n'étaient saisies que de deux demandes tendant au total à l'importation d'environ 120 tonnes, soit environ 2,6 pour mille du chiffre de 46 122 tonnes de conserves de champignons auquel s'était élevée en 1969 l'importation globale de ces produits en Allemagne, selon les indications mêmes de la défenderesse;

Que, dans ces conditions, la Commission, en étendant l'autorisation litigieuse à une demande concernant une opération d'importance négligeable au regard de l'efficacité de la mesure de politique commerciale envisagée par l'Etat membre concerné, introduite, pour le surplus, à une époque ou le principe de libre circulation s'appliquait sans restriction à la marchandise en cause, a dépassé les limites de ce qui était "nécessaire" au sens de l'article 115, interprété dans le cadre général du traité tel qu'il se présente après l'expiration de la période de transition;

16. Que, dès lors, la disposition attaquée doit être annulée sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du recours;

17. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens;

Que la défenderesse a succombé en ses moyens;

Qu'elle doit, des lors, être condamnée aux dépens;

LA COUR,

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête:

1) La décision de la Commission du 15 septembre 1970, comportant autorisation de la République fédérale d'Allemagne à exclure du traitement communautaire certains produits originaires de la République populaire de Chine et mis en libre-pratique au Benelux, est annulée pour autant qu'elle vise les produits pour lesquels des demandes de licence étaient "régulièrement en instance auprès de l'administration allemande", au moment de l'entrée en vigueur de la décision;

2) La défenderesse est condamnée aux dépens de l'instance.