CJCE, 26 avril 1988, n° 352-85
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bond van Adverteerders
Défendeur :
État néerlandais
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mackenzie Stuart
Présidents de chambre :
MM. Bosco, Due, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias
Avocat général :
M. Mancini
Juges :
MM. Koopmans, Everling, Bahlmann, Galmot, Kakouris, Joliet, O'Higgins, Schockweiler
Avocat :
Me Ter Kuile
LA COUR,
1. Par décision du 30 octobre 1985, parvenue à la Cour le 18 novembre 1985, le Gerechtshof de La Haye a posé neuf questions préjudicielles relatives à l'interprétation des dispositions du traité CEE concernant la libre prestation des services et à la portée de certains principes généraux de droit communautaire, en vue d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire d'une réglementation nationale ayant pour objet d'interdire la diffusion par câble de programmes de radio et de télévision émis à partir d'autres Etats membres lorsque ces programmes comportent des messages publicitaires destinés spécialement au public néerlandais ou des sous-titrages en néerlandais.
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant l'Association néerlandaise des publicitaires, quatorze agences de publicité ainsi que l'exploitant d'un réseau de câbles (ci-après les publicitaires) à l'Etat néerlandais à propos des interdictions de publicité et de sous-titrage contenues dans la Kabelregeling, arrêté ministériel du 26 juillet 1984 (STCRT - n° 145 du 27 juillet 1984), que les publicitaires estiment contraires aux articles 59 et suivants du traité CEE ainsi qu'à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
3. Les interdictions de publicité et de sous-titrage en cause découlent de l'article 4, paragraphe 1, de la Kabelregeling, aux termes duquel "est autorisée l'utilisation d'un système d'antenne pour la transmission de programmes de radio et de télévision destinés au public, lorsqu'il s'agit
c) de programmes offerts à partir de l'étranger au moyen de liaisons par câble, par ondes ou par satellite, par ou pour le compte d'une institution ou d'un groupe d'institutions diffusant le programme dans le pays d'établissement au moyen d'un émetteur de radiodiffusion ou d'un réseau câble, à la condition:
- que le programme ne comporte pas de messages publicitaires destinés spécialement au public néerlandais,
- que, sauf autorisation du ministre, le programme ne comporte pas de sous-titres en néerlandais".
4. Selon l'exposé des motifs de la Kabelregeling, les interdictions en cause ne s'appliquent pas à la retransmission ("Doorgifte") par l'exploitant d'un réseau de câbles de programmes diffusés par la voie des ondes. La raison en est, selon le Gouvernement néerlandais, que ces programmes ne contiennent en principe pas de messages publicitaires destinés spécifiquement au public néerlandais et qu'ils sont susceptibles d'être captés directement par au moins une partie des téléspectateurs néerlandais. Selon le même Gouvernement néerlandais, non-contredit par les publicitaires, les interdictions de la Kabelregeling s'opposent uniquement à ce que l'exploitant d'un réseau de câbles procède à la transmission ("Overbrenging") de programmes qui lui sont envoyés par un émetteur étranger "point to point" au moyen d'un satellite de télécommunication, ce qui est le cas pour les programmes émis par Sky Channel, super Channel ou TV 5.
5. Aux termes de l'exposé des motifs de la Kabelregeling, les interdictions de publicité et de sous-titrage sont destinées à empêcher "la réalisation indirecte aux Pays-Bas d'un programme commercial de télédistribution ou de télévision par abonnement qui fasse une concurrence déloyale à la radiodiffusion nationale et à la télévision néerlandaise par abonnement qui doit encore être développée".
6. La loi sur la radiodiffusion ("Omroepwet") de 1967 (Stbl. 176) vise à mettre en place sur les deux chaînes nationales un système de radiodiffusion à caractère pluraliste et non commercial. En vertu des articles 27 et 29 de cette loi, le temps d'antenne disponible pour la diffusion de programmes sur les deux chaînes est réparti entre la Fondation néerlandaise de radiodiffusion (la "Nederlandse Omroepstichting", ci-après "NOS"), d'une part, et un certain nombre d'organismes de radiodiffusion agrées par le ministre compétent (ci-après "Omroeporganisaties"), qui représentent notamment les grands courants de pensée de la société néerlandaise, d'autre part. En vertu de l'article 36 de la loi, la NOS doit émettre un programme commun comportant, entre autres, le journal télévisé. L'article 35 de la loi prescrit, par ailleurs, aux "Omroeporganisaties" d'émettre chacune un programme complet comprenant des proportions raisonnables d'émissions culturelles, éducatives, divertissantes et d'information.
7. L'article 11 de l'Omroepwet interdit aux "Omroeporganisaties" de diffuser des messages publicitaires à la demande de tiers. Le droit de diffuser des messages publicitaires sur les deux chaînes nationales est réservé, en vertu de l'article 50 de l'Omroepwet, à la Fondation pour la publicité radiotélévisée (la "stichting etherreclame", ci-après "Ster"). La Ster ne realise pas elle-même ces messages publicitaires; elle se borne à organiser la diffusion des messages preparés par des tiers, à la disposition desquels elle met du temps d'antenne. Aux termes de l'article 6, paragraphe 2, de son statut, la Ster doit verser ses recettes à l'Etat, qui les utilise pour subventionner les "omroeporganisaties" et, dans une moindre mesure, la presse écrite. Selon les informations données par le Gouvernement néerlandais et non-contredites par les publicitaires, les ressources financières des "Omroeporganisaties" proviennent pour environ 70 % des cotisations de radiodiffusion ("Omroepbijdragen") acquittées par les téléspectateurs et pour quelque 30 % des recettes de la Ster.
8. Les publicitaires estiment trop limitées les possibilités de publicité que leur offre la Ster. En particulier, la fréquence avec laquelle les messages publicitaires peuvent être diffusés par la Ster serait insuffisante. Ils souhaiteraient par conséquent pouvoir utiliser les possibilités plus vastes que leur offrent les émetteurs étrangers de programmes commerciaux, ce dont les empêchent les interdictions de publicité et de sous-titrage contenues dans la Kabelregeling.
9. Ils ont dès lors introduit une demande en référé devant le Président de l'Arrondissementsrechtbank de La Haye en vue de faire suspendre provisoirement les interdictions en cause. Celui-ci a fait droit à la demande relative à l'interdiction de sous-titrage, mais a rejeté celle relative à l'interdiction de publicité. Il a estimé que l'interdiction de sous-titrage est discriminatoire parce que ne s'appliquant pas aux "Omroeporganisaties", et superflue parce que l'interdiction de publicité suffirait déjà à empêcher la diffusion de programmes étrangers sous-titrés en néerlandais qui comportent des messages publicitaires. Tant les publicitaires que l'Etat néerlandais ont interjeté appel de cette ordonnance devant le Gerechtshof de La Haye.
10. Celui-ci a estimé nécessaire de poser neuf questions relatives à l'interprétation des articles 59 et suivants du traité. Ces questions sont ainsi libellées:
"1) Doit-on parler d'une ou de plusieurs prestations de services qui ne se réalisent pas dans tous leurs éléments déterminants à l'intérieur d'un seul Etat membre lorsque des exploitants de réseaux câblés dans cet Etat membre reçoivent, grâce à des liaisons par câble, par ondes ou par satellite, des programmes de radio et de télévision offerts à partir de l'étranger - contenant ou non des messages publicitaires - et qu'ils diffusent ces programmes sur les réseaux câblés ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, est-on en présence d'une limitation prohibée de telles prestations de services au sens de l'article 59 du traité CEE lorsqu'une réglementation nationale soumet la diffusion de programmes offerts à partir de l'étranger de la façon mentionnée, sur des réseaux câblés nationaux, à des dispositions limitatives qui ne s'appliquent pas ou ne s'appliquent pas de façon identique aux programmes analogues proposés à partir du territoire national ?
3) Pour répondre à la deuxième question, importe-t-il que les programmes offerts à partir de l'étranger de la façon mentionnée incluent des messages publicitaires s'adressant en particulier au public de l'Etat membre en question, alors que des messages publicitaires analogues dans les programmes proposés à partir de cet Etat membre ne peuvent être diffusés que par un organisme disposant d'un monopole fondé sur la loi pour de telles émissions et alors que les revenus que cet organisme tire de ces émissions sont (presque) entièrement destinés à financer les activités des organismes de radiodiffusion nationaux et de la presse nationale ?
4) Si les dispositions du traité CEE relatives à la libre prestation de services sont applicables, le fait qu'une réglementation nationale comme celle décrite ci-dessus interdit la diffusion de programmes qui sont offerts à partir de l'étranger de la façon mentionnée et qui contiennent des messages publicitaires s'adressant en particulier au public de l'Etat membre de réception, alors que les organismes de radiodiffusion nationaux de cet Etat membre n'ont pas le droit de diffuser des messages publicitaires et que la diffusion de ces messages à partir de cet Etat membre est réservée à un organisme ayant un monopole fondé sur la loi pour diffuser de telles émissions, tandis que les revenus provenant de ces émissions sont (presque) entièrement réservés aux organismes de radiodiffusion nationaux et à la presse nationale, constitue-t-il une limitation prohibée au sens de l'article 59 du traité CEE ?
5) Si les dispositions du traité CEE relatives à la libre prestation de services sont applicables, le fait qu'une réglementation nationale comme celle décrite ci-dessus soumet la diffusion de programmes offerts à partir de l'étranger de la façon mentionnée et pourvus de sous-titres dans la langue de l'Etat membre de réception à une autorisation des autorités dans le seul but de faire obstacle à la diffusion d'émissions commerciales s'adressant au public de l'Etat concerné, alors que les organismes de radiodiffusion nationaux sont soumis à des conditions strictes et qu'ils n'ont pas le droit de diffuser des émissions commerciales (sous quelque forme que ce soit) et alors que, par ailleurs, les circonstances sont celles décrites dans la dernière partie de la quatrième question, constitue-t-il une limitation prohibée au sens de l'article 59 du traité CEE?
6) Si les dispositions du traité CEE relatives à la libre prestation des services sont applicables, une réglementation nationale comme celle décrite ci-dessus doit-elle satisfaire, outre à l'exigence de non-discrimination, à d'autres conditions en ce sens que ladite réglementation doit être justifiée par des motifs relevant de l'intérêt général et qu'elle doit être proportionnée à l'objectif recherché ?
7) En cas de réponse affirmative à la sixième question, des objectifs relevant de la politique culturelle visant à maintenir un régime de radiodiffusion pluraliste et non-commercial ainsi qu'une presse pluraliste et indépendante peuvent-ils constituer une telle justification même si la réglementation ne concerne (presque) exclusivement que les conditions financières de réalisation de ces objectifs ?
8) Une telle justification peut-elle résider dans le fait qu'une réglementation nationale comme celle décrite dans les questions précédentes doit empêcher que les programmes commerciaux offerts à partir de l'étranger de la façon mentionnée entrent en concurrence avec les émissions nationales de l'Etat membre intéressé et avec les nouvelles formes de média qui seront développées ultérieurement dans cet Etat membre ?
9) Les principes généraux du droit communautaire en vigueur (notamment le principe de proportionnalité) et les droits fondamentaux inscrits dans le droit communautaire (en particulier la liberté d'expression et celle de recueillir des informations) impliquent-ils des obligations incombant directement aux Etats membres, au regard desquelles une réglementation nationale comme celle décrite ci-dessus doit être examinée, indépendamment du fait que des dispositions écrites du droit communautaire soient applicables?"
11. Pour un plus ample expose des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des observations des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
A) Sur l'existence de prestations de services au sens des articles 59 et 60 du traité
12. Par sa première question, la juridiction nationale vise à savoir en substance si la diffusion, par l'intermédiaire d'exploitants de réseaux de câbles établis dans un Etat membre, de programmes télévisés offerts par des émetteurs établis dans d'autres Etats membres et contenant des messages publicitaires destinés spécialement au public de l'état de réception comporte une ou plusieurs prestations de services au sens des articles 59 et 60 du traité.
13. En vue de répondre à cette question, il y a lieu d'identifier d'abord les services en cause, d'examiner ensuite si ces services ont un caractère transfrontalier au sens de l'article 59 du traité et de vérifier enfin s'il s'agit de prestations fournies normalement contre rémunération au sens de l'article 60 du traité.
14. Il convient de constater que les émissions de programmes en question impliquent au moins deux services distincts. Le premier service est celui que rendent les exploitants de réseaux de câbles établis dans un Etat membre aux émetteurs établis dans d'autres Etats membres, en transmettant à leurs abonnés les programmes télévisés que ces émetteurs leur ont envoyés. Le second service est celui que rendent les émetteurs établis dans certains Etats membres aux publicitaires établis notamment dans l'état de réception en émettant les messages publicitaires que ceux-ci ont préparés spécialement à l'intention du public de l'état de réception.
15. Ces services revêtent l'un et l'autre un caractère transfrontalier au sens de l'article 59 du traité. En effet, dans les deux cas, ceux qui fournissent le service sont établis dans un Etat membre autre que certains de ceux qui en bénéficient.
16. Les deux services en cause sont également fournis contre rémunération au sens de l'article 60 du traité. D'une part, les exploitants de réseaux de câbles se rémunèrent du service qu'ils rendent aux émetteurs par les redevances qu'ils perçoivent sur leurs abonnés. Il importe peu que ces émetteurs ne paient généralement pas eux-mêmes les exploitants de réseaux de câbles pour cette transmission. En effet, l'article 60 du traité n'exige pas que le service soit payé par ceux qui en bénéficient. D'autre part, les émetteurs sont payés par les publicitaires pour le service qu'ils leur rendent en programmant leurs messages.
17. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question posée par la juridiction nationale que la diffusion, par l'intermédiaire d'exploitants de réseaux de câbles établis dans un Etat membre, de programmes télévisés offerts par des émetteurs établis dans d'autres Etats membres et contenant des messages publicitaires destinés spécialement au public de l'état de réception comporte plusieurs prestations de services au sens des articles 59 et 60 du traité.
B) Sur l'existence de restrictions à la libre prestation des services prohibées par l'article 59 du traité
18. Par ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième questions, la juridiction nationale pose en substance le problème de savoir si des interdictions de publicité et de sous-titrage telles que celles contenues dans la Kabelregeling constituent des restrictions à la libre prestation des services prohibées par l'article 59 du traité, compte tenu de ce que la loi sur la radiodiffusion nationale interdit aux émetteurs de programmes nationaux de diffuser des messages publicitaires, de ce que cette même loi réserve le droit de diffuser de tels messages à une fondation et de ce que cette fondation a l'obligation statutaire de céder ses recettes à l'Etat, qui s'en sert pour subventionner les émetteurs de programmes nationaux ainsi que la presse écrite.
19. Il convient de répondre globalement à ces questions en envisageant d'abord l'interdiction de publicité et ensuite l'interdiction de sous-titrage.
20. Il ressort des circonstances particulières évoquées par la juridiction nationale que les interdictions de publicité et de sous-titrage de la Kabelregeling doivent être examinées dans le contexte des dispositions nationales régissant le système de radiodiffusion.
- Sur l'interdiction de publicité
21. A cet égard, il convient de rappeler, que selon l'article 59 du traité, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté devaient être supprimées à l'expiration de la période de transition à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.
22. Une interdiction de publicité telle que celle contenue dans la Kabelregeling comporte une double restriction à la libre prestation des services. D'une part, elle empêche les exploitants de réseaux de câbles établis dans un Etat membre de transmettre des programmes télévisés offerts par des émetteurs établis dans d'autres Etats membres. D'autre part, elle s'oppose à ce que ces émetteurs programment au profit de publicitaires établis notamment dans l'état de réception des messages destines spécialement au public de cet Etat.
23. Le Gouvernement néerlandais expose que l'interdiction de publicité contenue dans la Kabelregeling frappe les émetteurs établis dans d'autres Etats membres de la même façon que l'interdiction de publicité de l'Omroepwet frappe les "Omroeporganisaties" et qu'elle serait même moins rigoureuse que celle de l'Omroepwet, dans la mesure où elle ne concerne pas tous les messages publicitaires, mais seulement ceux destinés spécifiquement au public néerlandais. Le Gouvernement néerlandais en déduit que, s'il y a restriction à la libre prestation des services, celle-ci ne revêt pas de caractère discriminatoire et n'est, des lors, pas prohibée par l'article 59 du traité.
24. Cette argumentation ne peut être retenue. Il s'agit de comparer non pas la situation des "Omroeporganisaties" avec celle des émetteurs établis dans d'autres Etats membres, mais bien la situation des chaînes néerlandaises dans leur ensemble avec celle des émetteurs étrangers.
25. A cet égard, il y a lieu de souligner que la Ster n'a d'autre mission que d'assurer la gestion technique et financière de la diffusion de la publicité sur les chaînes néerlandaises selon les modalités prescrites par l'Omroepwet et qu'elle ne peut être considérée elle-même comme un émetteur de programmes. En effet, la Ster se borne à organiser la diffusion de messages publicitaires préparés par des tiers, auxquels elle vend du temps d'antenne.
26. Il convient de constater, dès lors, qu'il y a discrimination du fait que l'interdiction de publicité contenue dans la Kabelregeling prive les émetteurs établis dans d'autres Etats membres de toute possibilité de diffuser sur leur chaîne des messages publicitaires destinés spécialement au public néerlandais, alors que la loi sur la radiodiffusion nationale prévoit la diffusion de tels messages sur les chaînes nationales au bénéfice de l'ensemble des "Omroeporganisaties".
27. Dans ces conditions, une interdiction de publicité telle que celle contenue dans la Kabelregeling comporte des restrictions à la libre prestation des services qui sont prohibées par l'article 59 du traité.
- Sur l'interdiction de sous-titrage
28. Le Gouvernement néerlandais fait essentiellement valoir que, ainsi qu'il ressort de l'exposé des motifs de la Kabelregeling, l'interdiction de sous-titrage a pour seul objet d'empêcher que l'interdiction de publicité ne soit contournée. Tel serait notamment le cas si le programme étranger sous-titré en néerlandais contient - comme c'est habituellement le cas d'un programme commercial - de la publicité. Selon l'exposé des motifs de la Kabelregeling, cette publicité devrait être considérée comme étant destinée spécialement au public néerlandais du fait que le programme en cause est sous-titré. Le Gouvernement néerlandais concède que l'Omroepwet ne contient pas d'interdiction de sous-titrage à l'égard des "Omroeporganisaties" mais il souligne qu'en réalité celles-ci ne peuvent, en vertu des règles gouvernant l'accès au système de radiodiffusion néerlandais, sous-titrer les programmes qu'elles diffusent que dans la mesure où ils ne contiennent pas de messages publicitaires.
29. A cet égard, il suffit de constater que l'interdiction de sous-titrage qui atteint les émetteurs établis dans d'autres Etats membres n'a d'autre objectif que de compléter l'interdiction de publicité qui, ainsi qu'il ressort des considérations émises ci-dessus, comporte des restrictions à la libre prestation des services prohibées par l'article 59 du traité.
30. Dès lors, une interdiction de sous-titrage telle que celle contenue dans la Kabelregeling comporte des restrictions à la libre prestation des services qui sont prohibées par l'article 59 du traité.
C) Sur la possibilité de justifier des restrictions à la libre prestation des services telles que celles en cause
31. Partant de l'hypothèse qu'une réglementation nationale comme celle en cause est de nature non-discriminatoire, la juridiction nationale demande, par sa sixième question, si pareille réglementation doit être justifiée par des considérations d'intérêt général et doit constituer un moyen proportionne par rapport aux objectifs qu'elle vise à réaliser. Par ses septième et huitième questions, elle demande, en outre, si ces considérations peuvent relever de la politique culturelle ou d'une politique visant à combattre une forme de concurrence déloyale.
32. Il convient de souligner, d'abord, que des réglementations nationales qui ne sont pas indistinctement applicables aux prestations de services quelle qu'en soit l'origine et qui sont, dès lors, discriminatoires ne sont compatibles avec le droit communautaire que si elles peuvent relever d'une disposition dérogatoire expresse.
33. La seule disposition dérogatoire qui puisse entrer en ligne de compte dans un cas comme celui de l'espèce est celle de l'article 56 du traité, à laquelle renvoie l'article 66, disposition dont il résulte que les réglementations nationales prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers échappent à l'application de l'article 59 du traité, si elles sont justifiées par des raisons d'ordre public.
34. Il convient de souligner que des objectifs de nature économique tels que celui d'assurer à une fondation publique nationale l'intégralité des recettes provenant de messages publicitaires destinés spécialement au public de l'Etat en cause ne peuvent constituer des raisons d'ordre public au sens de l'article 56 du traité.
35. Le Gouvernement néerlandais a toutefois exposé que les interdictions de publicité et de sous-titrage ont, en dernière analyse, un objectif non-économique, à savoir le maintien du caractère non-commercial et, par là, pluraliste du système de radiodiffusion nationale. Les recettes de la Ster alimenteraient, en effet, les subventions que l'Etat verse aux "Omroeporganisaties" pour que celles-ci gardent leur caractère non-commercial. Or, selon le Gouvernement néerlandais, un système de radiodiffusion pluraliste n'est concevable que si les "Omroeporganisaties" ont un caractère non-commercial.
36. Il suffit d'observer, à cet égard, que les mesures prises en vertu de cet article ne doivent pas être disproportionnées par rapport à l'objectif visé. En tant qu'exception à un principe fondamental du traité, l'article 56 du traité doit, en effet, être interprété de façon que ses effets soient limités à ce qui est nécessaire pour la protection des intérêts qu'il vise à garantir.
37. Le Gouvernement néerlandais reconnaît lui-même qu'il existe des moyens moins restrictifs et non-discriminatoires pour réaliser les objectifs visés. Ainsi, les émetteurs de programmes commerciaux établis dans d'autres Etats membres pourraient se voir donner le choix de se conformer aux restrictions objectives à l'émission de messages publicitaires, telles que l'interdiction de publicité pour certains produits ou certains jours, la limitation de la durée ou de la fréquence des messages, restrictions qui sont également imposées à la radiodiffusion nationale, ou, s'ils ne souhaitent pas s'y conformer, de s'abstenir d'émissions de publicité destinées spécialement au public néerlandais.
38. Il y a lieu de rappeler à cet égard que, ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 18 mai 1980 (Debauve, 52-79, Rec. p. 833), en l'absence d'harmonisation des règles nationales applicables en matière de radiodiffusion et de télévision, chaque Etat membre a compétence pour réglementer, restreindre ou même interdire totalement sur son territoire, pour des raisons d'intérêt général, la publicité télévisée, pourvu qu'il traite de façon identique toutes les prestations dans ce domaine, quelle qu'en soit l'origine et quels que soient la nationalité ou le lieu d'établissement du prestataire.
39. Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que des interdictions de publicité et de sous-titrage telles que celles contenues dans la Kabelregeling ne sont pas susceptibles d'être justifiées par des raisons d'ordre public au sens de l'article 56 du traité.
D) Sur les principes généraux du droit communautaire et les droits fondamentaux reconnus par le droit communautaire
40. Par sa neuvième question, la juridiction nationale demande en substance si le principe de proportionnalité et la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme imposent en tant que tels des obligations aux Etats membres, indépendamment de l'applicabilité de dispositions écrites du droit communautaire.
41. Il ressort des réponses données aux questions précédentes que des interdictions de publicité et de sous-titrage telles que celles contenues dans la Kabelregeling sont incompatibles avec les dispositions des articles 59 et suivants du traité. Ces réponses permettant à elles seules à la juridiction nationale de trancher le litige qui lui est soumis, la neuvième question est sans objet.
42. Les frais exposés par les Gouvernements allemand et français ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement; la procédure revêtant, à l'égard des parties dans les litiges au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions posées par le Gerechtshof de La Haye, par décision du 18 novembre 1985, dit pour droit:
1) La diffusion, par l'intermédiaire d'exploitants de réseaux de câbles établis dans un Etat membre, de programmes télévisés offerts par des émetteurs établis dans d'autres Etats membres et contenant des messages publicitaires destinés spécialement au public de l'état de réception comporte plusieurs prestations de services au sens des articles 59 et 60 du traité.
2) Des interdictions de publicité et de sous-titrage telles que celles contenues dans la Kabelregeling comportent des restrictions à la libre prestation des services qui sont prohibées par l'article 59 du traité.
3) Ces interdictions ne sont pas susceptibles d'être justifiées par des raisons d'ordre public au sens de l'article 56 du traité.