CJCE, 24 mars 1994, n° C-80/92
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume de Belgique.
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 12 mars 1992, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en adoptant la loi du 30 juillet 1979 et les arrêtés d'application des 15 octobre et 19 octobre 1979 relatifs aux radiocommunications, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30, 34 et 59 du traité CEE.
2. La commercialisation et l'utilisation, en Belgique, d'appareils émetteurs, émetteurs- récepteurs et récepteurs de radiocommunication sont régies par la loi du 30 juillet 1979 relative aux radiocommunications (Moniteur belge du 30 août 1979) et par les arrêtés d'application relatifs aux radiocommunications (arrêté royal du 15 octobre 1979 et arrêté ministériel du 19 octobre 1979, Moniteur belge du 30 octobre 1979).
3. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la loi du 30 juillet 1979,
"Nul ne peut, dans le royaume ou à bord d'un navire, d'un bateau, d'un aéronef ou de tout autre support soumis au droit belge, détenir un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication, ni établir et faire fonctionner une station ou un réseau de radiocommunication sans avoir obtenu l'autorisation écrite du ministre. Cette autorisation est personnelle et révocable."
4. L' article 4, sous c), de la loi du 30 juillet 1979 est libellé comme suit:
"Nul ne peut, dans le royaume ou à bord d'un navire, d'un bateau, d'un aéronef ou de tout autre support soumis au droit belge:
...
c) capter ou tenter de capter des radiocommunications qui ne lui sont pas destinées. Si de telles communications sont involontairement reçues, elles ne peuvent être reproduites, ni communiquées et leur existence même ne peut être révélée, sauf dans les cas imposés ou autorisés par la loi".
5. L' article 7, premier alinéa, de la même loi, dispose qu'"aucun appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication ne peut être mis en vente ou en location si un exemplaire n'a pas été agréé par la Régie comme satisfaisant aux prescriptions techniques fixées par le ministre". En revanche, en vertu de l'article 7, deuxième alinéa, le ministre "ou son délégué peut dispenser de cet agrément des prototypes d'appareils destinés exclusivement à l'exportation".
6. Dans son avis motivé du 14 mai 1990 et dans sa requête, la Commission a fait valoir que:
- l'interdiction de capter des émissions de radio et de télévision, prévue à l'article 4, sous c), de la loi du 30 juillet 1979, est contraire à l'article 59 du traité ;
- l'obligation de soumettre les appareils récepteurs à un agrément administratif, prévue à l'article 7 de la même loi, est contraire à l'article 30 du traité ;
- la possibilité d'être dispensé de l'agrément pour les appareils émetteurs ou émetteurs- récepteurs destinés à l'exportation, prévue à l'article 7 de la même loi, est contraire à l'article 34 du traité.
7. Il convient de relever à titre liminaire que, dans son mémoire en réplique, la Commission a déclaré ne pas maintenir le grief tiré de la violation de l'article 59 du traité, au motif que ce grief reposait sur une interprétation erronée des dispositions pertinentes de la réglementation nationale. Lors de l'audience, la Commission a d'ailleurs admis que, dans sa réponse à l'avis motivé, le gouvernement belge avait déjà fait apparaître clairement que les dispositions contestées n'étaient en rien incompatibles avec cet article.
8. Il y a donc lieu de constater que la Commission a renoncé à ce moyen et de ne statuer, par conséquent, que sur les griefs tirés de la violation des articles 30 et 34 du traité.
Sur le grief, concernant les appareils récepteurs, tiré de la violation de l'article 30 du traité
9. Selon la Commission, soutenue par le Royaume-Uni, la procédure d'agrément pour les appareils récepteurs de radiocommunication (sauf les appareils destinés exclusivement à la réception des émissions de radiodiffusion sonore ou télévisuelle), telle que prévue à l'article 7 de la loi belge, et la procédure d'autorisation ministérielle pour la détention de ces appareils, telle que prévue à l'article 3, paragraphe 1, de la même loi, sont contraires aux exigences de l'article 30 du traité, dans la mesure où elles frappent les appareils récepteurs légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres Etats membres.
10. Dans sa réponse à l'avis motivé de la Commission, le gouvernement belge a admis que, étant donné la nature des appareils en question et, notamment, le fait que, sans être inexistant, le risque de perturbations des radiocommunications était faible, l'exigence d'un agrément préalable actuellement en vigueur pouvait dans certains cas être disproportionnée. Dès lors, le système d'agrément applicable à la détention de tels appareils, ainsi qu'à l'installation et à la mise en service d'une station et d'un réseau destinés uniquement à la réception, pouvait être utilement remplacé par un système de déclaration.
11. Le gouvernement belge a toutefois fait valoir que ni l'état actuel de la technique (en particulier les futurs récepteurs de haute technologie) ni les possibilités actuelles de protection par codage de la radiocommunication de certains signaux (armée, gendarmerie ...) ne justifiaient que l'on renonce à toute forme de contrôle. Il a ajouté qu'à la différence des appareils à antenne parabolique, les appareils d'exploration (scanner) présentaient un risque sensiblement plus élevé de perturbation et de violation du secret des communications. Toutefois, conformément au principe de proportionnalité, il avait été décidé d'établir un système de déclaration pour la détention et l'installation de ces appareils, étant donné qu'un tel système ne constituerait pas une entrave à la libre circulation.
12. Dans son mémoire en défense, le gouvernement belge a fait valoir que le recours de la Commission était sans objet, celle-ci n'ayant pas indiqué les raisons pour lesquelles elle n'avait pas accepté la proposition qu'il avait formulée dans la réponse à l'avis motivé, à savoir le remplacement des procédures d'agrément et d'autorisation ministérielle par un système de simple déclaration. Le gouvernement belge n'a cependant pas soutenu que cette substitution avait été effectuée.
13. Dans son mémoire en réplique, la Commission a indiqué que, sous réserve d'un examen plus détaillé de la mesure proposée, le système de déclaration pour les appareils récepteurs pouvait être accepté sauf s'il était exigé préalablement à leur commercialisation et à leur importation. Elle a cependant fait valoir que la proposition de mettre en place un système administratif de déclaration ne répondait qu'au grief relatif à la procédure d'agrément préalable à la commercialisation et à l'importation des appareils récepteurs, tandis que, pour la détention de ces appareils, le système de demande d'autorisation ministérielle était maintenu.
14. Dans son mémoire en duplique, le Gouvernement belge, sans pour autant indiquer que le système de déclaration avait été mis en place, a réaffirmé que le recours était sans objet dans la mesure où il visait la procédure d'agrément. Quant à l'autorisation ministérielle pour la détention d'appareils récepteurs, le gouvernement belge a prétendu que le fait de remplacer la procédure d'agrément par une simple procédure de déclaration entraînait la disparition de l'exigence d'autorisation de détention pour ces appareils. Aussi a-t-il attiré l'attention de la Cour sur sa réponse à une question qu'elle avait posée dans le cadre de l'affaire Lagauche (arrêt du 27 octobre 1993, C-46-90, Rec. p. I-0000), selon laquelle la procédure d'autorisation de détention ne visait que le stock d'appareils de radiocommunication détenu par les commerçants et tendait simplement à vérifier que ne soient commercialisés sur le territoire du royaume que des appareils ayant, au préalable, été effectivement agréés.
15. Dans son mémoire en intervention, introduit après le dépôt du mémoire en duplique, le gouvernement du Royaume-Uni, tout en soutenant la position de la Commission dans la mesure où elle visait la nécessité d'un agrément pour tout appareil récepteur, a souligné le fait que les récepteurs de radiocommunication ne sont pas toujours inoffensifs ou neutres du point de vue électromagnétique. En raison de leurs composants électroniques, les récepteurs sont susceptibles de créer des perturbations pour d'autres appareils, même s'ils captent uniquement des signaux et ne sont pas destinés à en émettre. Dès lors, dans le cas où une perturbation radioélectrique est créée ou lorsque l'on peut raisonnablement penser qu'elle est susceptible de se produire, une exigence telle qu'une procédure d'agrément des récepteurs peut assurément se justifier, à condition qu'elle soit non discriminatoire et proportionnée à l'objectif visé.
16. En réponse à une question posée par la Cour, le gouvernement belge a fait valoir que, "suite à l'assentiment donné par la Commission en son mémoire en réplique", il avait remplacé la procédure d'agrément d'appareils de simple réception par une procédure de déclaration. Toutefois, lors de l'audience, il a admis que rien n'avait été publié à cet égard "vu l'absence de la part de la Commission d'un accord complet" et que les intéressés ne pouvaient en être informés qu'en s'adressant "aux services appropriés".
17. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le grief de la Commission doit être compris en ce sens qu'il vise l'exigence d'un agrément pour tous les appareils récepteurs, à l'exception des appareils destinés exclusivement à la réception des émissions de radiodiffusion sonore ou télévisuelle, et ce indépendamment de la question de savoir si ces appareils sont susceptibles de créer des perturbations radioélectriques ou s'ils ont été fabriqués ou agréés dans un autre Etat membre.
18. Or, loin de contester le grief ainsi défini, le Gouvernement belge a explicitement admis que l'exigence d'un agrément pour tout appareil récepteur, quel qu'il soit, constitue une entrave au commerce intracommunautaire, disproportionnée par rapport à l'objectif qu'elle vise. Mais la défense du gouvernement belge consiste à prétendre que le présent recours est sans objet, étant donné, d'une part, l'offre dans la réponse à l'avis motivé de substituer la procédure d'agrément par une procédure de simple déclaration et, d'autre part, la substitution réalisée par instruction aux services appropriés.
19. A cet égard, il suffit de constater qu'aucune modification de la législation en cause n'a été mise en œuvre avant l'expiration du délai imparti dans l'avis motivé. Une telle modification serait donc, en tout état de cause, sans pertinence pour statuer sur l'objet du présent recours.
20. Il convient, au surplus, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l'administration et dépourvues de publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations du traité (voir arrêt du 26 janvier 1994, Commission/Irlande, C-381-92, Rec. p. I-0000, point 7).
21. Dans ces conditions et sans qu'il soit nécessaire d'examiner la question de savoir si, pour certains appareils uniquement récepteurs, mais susceptibles de créer des perturbations, une procédure d'agrément est appropriée, il y a lieu de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur un régime d'agrément appliqué indistinctement à tous les appareils uniquement récepteurs de radiocommunication, à la seule exception des appareils destinés exclusivement à la réception des émissions de radiodiffusion sonore ou télévisuelle, prévu par l'article 7 de la loi du 30 juillet 1979 relative aux radiocommunications et par les arrêtés d'application relatifs aux radiocommunications, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité.
Sur le grief, concernant les appareils émetteurs ou émetteurs-récepteurs destinés à l'exportation, tiré de la violation de l'article 34 du traité
22. La Commission ne conteste pas que la réglementation belge institue, pour les appareils émetteurs ou émetteurs-récepteurs, un système général de contrôle préventif par la voie de l'agrément, destiné à garantir le bon fonctionnement du réseau de télécommunications et la sécurité des usagers, système qui est justifié par des exigences objectives et légitimes d'intérêt général.
23. Le grief de la Commission vise cependant le fait que, dans le cas des appareils destinés à l'exportation, un tel système d'agrément n'est ni nécessaire ni justifié et n'est donc pas compatible avec l'article 34 du traité. Or, la possibilité d'obtenir une dispense ministérielle de l'agrément pour ces appareils présuppose la légitimité du système d'agrément visé par la Commission. Le gouvernement belge conteste cette position.
24. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'article 34 du traité vise les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un Etat membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'état intéressé (voir arrêt du 9 juin 1992, Delhaize et Le Lion, C-47-90, Rec. p. I-3669, point 12).
25. A cet égard, il y a lieu de relever que la réglementation belge relative aux appareils émetteurs et émetteurs-récepteurs s'applique tout autant aux produits destinés au marché belge qu'à ceux destinés à l'exportation, ces derniers étant toutefois seuls à pouvoir bénéficier de la dispense d'agrément. Cette circonstance ne saurait cependant être considérée comme une différence de traitement entre le commerce intérieur et le commerce d'exportation qui aurait pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation.
26. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le grief tiré de la violation de l'article 34 du traité.
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Sur les dépens
27. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, premier alinéa, du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Aux termes du paragraphe 4, premier alinéa, du même article, les Etats membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
28. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de compenser les dépens exposés par la Commission et par le royaume de Belgique. Le Royaume-Uni, partie intervenante, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1°) Le royaume de Belgique, en adoptant et en maintenant en vigueur un régime d'agrément appliqué indistinctement à tous les appareils uniquement récepteurs de radiocommunication, à la seule exception des appareils destinés exclusivement à la réception des émissions de radiodiffusion sonore ou télévisuelle, prévu par l'article 7 de la loi du 30 juillet 1979 relative aux radiocommunications et par les arrêtés d'application relatifs aux radiocommunications, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.
2°) Le recours est rejeté pour le surplus.
3°) Chacune des parties supportera ses propres dépens.
4°) Le Royaume-Uni, partie intervenante, supportera ses propres dépens.