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Décisions

CJCE, 18 février 1986, n° 174-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bulk Oil (Zug) AG

Défendeur :

Sun International Limited et Sun Oil Trading Company

CJCE n° 174-84

18 février 1986

LA COUR,

1. Par ordonnance du 18 mai 1984 parvenue à la Cour le 4 juillet suivant, la Commercial Court de la Queen's bench division de la high court of justice a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interpretation des dispositions du droit communautaire applicable en vue d'apprécier la validité, au regard du droit communautaire, de la politique suivie par le Royaume-Uni au cours de l'année 1981 en matière de restrictions quantitatives à l'exportation de pétrole brut à l'égard des pays tiers, et notamment d'Israël.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société Bulk Oil (Zug) ag (ci-après Bulk), société de droit suisse, aux sociétés Sun International Limited et Sun Oil Trading Company (ci-après Sun), qui ont leur siège respectivement aux Bermudes et aux Etats-Unis.

3. Il est constant que, depuis janvier 1979, la politique britannique a consisté à n'autoriser les exportations de pétrole originaire du Royaume-Uni qu'à destination des Etats membres de la Communauté, des Etats membres de l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) et des pays avec lesquels un courant d'échanges existait avant 1979 (c'est-à-dire, concrètement, la Finlande).

4. Cette politique du Royaume-Uni n'a jamais été inscrite dans une disposition légale ou dans un quelconque acte juridique, mais a été rendue publique à maintes reprises par des déclarations ministérielles. Elle visait à interdire aussi bien les exportations directes qu'indirectes de pétrole brut à destination de pays tiers autres que ceux mentionnés ci-dessus. Les sociétés pétrolières opérant au Royaume-Uni ont été informées de cette politique et ont été invitées à s'y conformer. Concrètement, les sociétés pétrolières, et notamment la British Petroleum, ont inséré depuis 1979, dans leurs contrats types, une clause de " destination " interdisant à tout acheteur d'exporter le pétrole ailleurs que dans les états ci-dessus mentionnés. Le Royaume-Uni a remis, le 31 janvier 1979, au comité des représentants permanents des Etats membres, un document relatif à sa nouvelle politique pétrolière.

5. Par un contrat conclu le 13 avril 1981, Sun a accepté de vendre à Bulk d'importantes quantités de pétrole brut britannique provenant de la Mer du Nord. Le contrat était assorti d'une clause de destination qui était ainsi libellée : " destination : destination libre, mais toujours conforme à la politique du Gouvernement du pays d'exportation... " Sun ayant constaté que le pays auquel Bulk destinait le pétrole était Israël, la société BP, fournisseur du pétrole en question, a refusé d'embarquer celui-ci à bord du navire designé par Bulk, au motif que la livraison du pétrole à Israël était contraire à la politique du Royaume-Uni, et Sun en a fait de même. Bulk s'est adressée à Sun en faisant valoir qu'elle était autorisée, en vertu du contrat, à l'obliger à faire embarquer le pétrole à destination d'Israël et en alléguant qu'il n'était pas possible à Sun, en tout état de cause, d'invoquer la politique du Royaume-Uni.

6. Le litige a alors été soumis à un arbitrage, qui portait notamment sur le point de savoir si la politique britannique était conforme aux dispositions du traité CEE et aux stipulations de l'accord CEE-Israël du 11 mai 1975. Dans sa sentence du 8 octobre 1982, l'arbitre a déclaré que l'accord CEE-Israël ne vise pas les restrictions quantitatives à l'exportation, mais simplement celles à l'importation, que l'exportation de pétrole brut ne relève pas du domaine généralement reconnu au traité et audit accord, et que, si la politique britannique en question n'était pas valide au regard du droit communautaire, la restriction de destination imposée par Sun serait également nulle et ne pourrait pas être invoquée par Sun contre Bulk. Toutefois, en l'espèce, l'arbitre a déclaré que la rupture de contrat était imputable à Bulk et, dans sa sentence finale du 5 mai 1983, il a fixé les dommages et intérêts dus par Bulk à Sun à plus de 12 millions de USD.

7. Bulk a déféré cette sentence à la high court of justice, qui a décidé, par ordonnance rendue par la commercial court de la Queen's bench division, le 18 mai 1984, de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

1°) A) faut-il interpréter l'accord du 11 mai 1975 entre la Communauté économique européenne et l'état d'Israël (" l'accord "), adopté par le règlement (CEE) n° 1274-75 du conseil (" le règlement "), en ce sens :

I) qu'il interdisait d'imposer de nouvelles restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent sur les exportations du Royaume-Uni en Israël et, dans l'affirmative,

II) qu'il interdisait d'imposer les mêmes restrictions et mesures sur l'exportation de pétrole brut du Royaume-Uni en Israël,

III) qu'il interdisait, par ailleurs, d'inclure dans un contrat entre deux particuliers une clause faisant obstacle à l'exportation de pétrole brut du Royaume-Uni en Israël entre le mois d'avril 1981 et le mois de juillet 1981 inclus (" la période concernée ") ?

B) les dispositions du règlement (CEE) n° 2603-69 du conseil ont-elles une incidence sur cette réponse ?

2°) dans l'affirmative, une mesure revêtant la forme d'une politique (" la politique ") attribuée au Royaume-Uni, interdisant l'exportation de pétrole de la Mer du Nord vers des pays autres que les Etats membres de la CEE, les pays de l'Agence Internationale de l'Energie et les pays avec lesquels il existait un réseau d'échanges lors de la mise en place de cette politique, et interdisant par conséquent l'exportation directe de pétrole de la Mer du Nord en Israël, serait-elle justifiée au titre de l'article 11 de l'accord et des règlements en question vu les circonstances de la période concernée ? Une telle mesure aurait-elle constitué un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre les parties contractantes aux termes de cet article ?

3°) le cas échéant, à la lumière des réponses données aux questions 1 et 2 :

A) les dispositions applicables de l'accord et des règlements en question ont-elles un effet direct, permettant ainsi à un particulier de les invoquer ?

B) un particulier peut-il ou non les invoquer contre un autre particulier ?

C) un particulier peut-il les invoquer contre un autre particulier lorsque les deux particuliers en question ont conclu un contrat qui requiert, entre autres conditions, de se conformer à la politique d'un Etat membre, lequel enfreint ces dispositions ?

4°) le cas échéant, à la lumière des réponses données aux questions 1, 2 et 3, eu égard au règlement (CEE) n° 2603-69 du conseil, l'adoption de la politique en question était-elle tout a fait incompatible avec le traité CEE ou ne l'était-elle que dans la mesure où elle visait à interdire l'exportation de pétrole brut du Royaume-Uni en Israël, le traité interdisant au Royaume-Uni d'adopter une telle politique :

I) en tout état de cause, ou

II) sans l'avoir notifiée à la Commission et/ou au conseil de ministres des communautés européennes ni/ou avoir obtenu l'avis et/ou l'approbation de l'un d'entre eux ou des deux ?

5°) si le choix d'une telle politique était incompatible avec le traité :

A) les dispositions applicables du traité ont-elles un effet direct, permettant ainsi a un particulier de les invoquer ?

B) un particulier peut-il ou non les invoquer contre un autre particulier ?

C) un particulier peut-il les invoquer contre un autre particulier lorsque les deux personnes en question ont conclu un contrat qui requiert, entre autres conditions, de se conformer a la politique d'un Etat membre, lequel enfreint ces dispositions ?

6°) le fait que ni le conseil de ministres ni la Commission des communautés européennes n'aient conteste la légalité de cette politique a-t-il une incidence sur les réponses aux questions précédentes ?

Sur la réponse à apporter à la première branche de la première question (1, sous A))

8. Par cette question, la juridiction nationale demande, en substance, s'il convient d'interpréter l'accord du 11 mai 1975 conclu entre la CEE et l'état d'Israël, en ce sens qu'il interdisait au Royaume-Uni de mettre en œuvre une politique conduisant a imposer de nouvelles restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent sur ses exportations à destination d'Israël.

9. Il convient liminairement de remarquer qu'est à considérer comme une mesure ayant un effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'exportation à destination des pays tiers la mise en œuvre d'une politique ayant précisément cet objet. Une telle " politique " ou pratique n'échappe pas aux interdictions prévues par le droit communautaire du seul fait qu'elle n'est pas concrétisée par des décisions ayant un effet obligatoire pour les entreprises. En effet, même des actes d'un Gouvernement dépourvus de force contraignante peuvent être de nature à influer sur le comportement des entreprises sur le territoire de cet état et avoir ainsi pour effet de mettre en échec les finalités de la Communauté (voir en ce sens l'arrêt du 24 novembre 1982, Commission/Irlande, 249-81, Rec. p. 4005).

10. L'accord conclu entre la Communauté et l'état d'Israël, le 20 mai 1975 (JO L. 136, p. 1), a pour objet la suppression progressive des obstacles pour l'essentiel des échanges entre les parties contractantes et la promotion des échanges commerciaux réciproques. Son article 3 pose pour principe qu'aucun nouveau droit de douane à l'importation ni taxe d'effet équivalent, non plus qu'aucune nouvelle restriction quantitative à l'importation ou mesure d'effet équivalent ne sont introduits dans les échanges entre la Communauté et Israël. Son article 4 précise qu'aucun nouveau droit de douane à l'exportation ni taxe d'effet équivalent ne sont introduits dans les échanges entre la Communauté et Israël.

11. Son article 11 stipule que " l'accord ne fait pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale ni aux réglementations en matière d'or et d'argent. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent pas constituer un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les parties contractantes ".

12. En application de l'article 12 de l'accord, sont incompatibles avec son bon fonctionnement, dans la mesure où ils sont susceptibles d'affecter les échanges entre la Communauté et Israël, les comportements anticoncurrentiels des entreprises ou des états. Enfin, l'article 25, paragraphe 1, de l'accord stipule que " les parties contractantes s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'accord ".

13. Bulk soutient que la conclusion de l'accord CEE-Israël constitue, après la publication du règlement n° 2603-69, du 20 décembre 1969, portant établissement d'un régime commun applicable aux exportations (JO L 324, p. 25), la seconde intervention de la Communauté à l'égard d'Israël dans le cadre de la politique commerciale commune prévue par le traité et qu'ainsi se trouverait exclu l'exercice d'une compétence d'un Etat membre dans ce domaine, sans autorisation préalable de la Communauté. Il ressortirait de l'examen de cet accord, notamment de l'analyse de son préambule et de son article 1er, que la Communauté serait intervenue d'une manière exhaustive dans le domaine des relations commerciales entre la CEE et Israël. Ce domaine viserait aussi bien les restrictions à l'exportation qu'à l'importation et concernerait bien le pétrole brut. En outre, l'interdiction d'exporter du pétrole britannique à destination d'Israël serait susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'accord, contrairement aux dispositions de l'article 25, paragraphe 1, dudit accord. Enfin, les accords et pratiques concertées impliques par la politique britannique, en particulier l'insertion d'une clause de destination dans tous les contrats, méconnaîtraient les stipulations de l'article 12, paragraphe 1, de l'accord CEE-Israël.

14. Sun, le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission soutiennent, au contraire, que l'accord CEE-Israël ne traite que des restrictions à l'importation et ne contient aucune stipulation interdisant les restrictions quantitatives à l'exportation ou des mesures d'effet équivalent. Il serait impossible de déduire de son préambule ou de l'une quelconque de ses dispositions, y compris ses articles 1er et 11, qu'une clause d'une telle importance a pu être convenue implicitement entre les parties à l'accord. Cette thèse serait d'ailleurs confirmée, d'une part, par l'analyse a contrario d'autres accords d'association qui prévoient expressément une telle clause d'interdiction des restrictions quantitatives à l'exportation et, d'autre part, par la jurisprudence de la Cour, et notamment son arrêt du 11 octobre 1979 (Bouhelier et autres, 225-78, Rec. P. 3151).

15. Il convient d'observer que, s'agissant des importations, l'article 3 précité de l'accord interdit expressément toute nouvelle restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent. Par contre, pour ce qui concerne les exportations, l'article 4 se contente de prohiber l'institution de nouveaux droits de douane ou taxes d'effet équivalent. Ni cet article ni aucune autre stipulation de l'accord CEE-Israël n'interdisent expressément les restrictions quantitatives à l'exportation ou les mesures d'effet équivalent dans les échanges entre la CEE et Israël.

16. Par ailleurs, comme la Cour l'a déjà jugé, pour interpréter des stipulations analogues d'un accord similaire, dans l'arrêt précité du 11 octobre 1979 (Bouhelier), on ne saurait déduire de l'article 11, quelle que soit son ambiguïté, qu'une clause interdisant des restrictions quantitatives aux exportations aurait pu être convenue implicitement entre les parties contractantes. Dans ces conditions et comme le soutiennent à juste titre Sun, le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission, il y a lieu d'estimer que l'accord n'impose aucune obligation à la Communauté ou à ses Etats membres en ce qui concerne l'édiction ou la suppression de restrictions quantitatives à l'exportation ou de mesures d'effet équivalent.

17. Dès lors que les restrictions quantitatives à l'exportation se situent hors du champ d'application de l'accord conclu entre la Communauté et l'état d'Israël, il convient, d'une part, de rejeter l'argumentation selon laquelle cet accord aurait fait perdre aux Etats membres leur compétence pour édicter de telles restrictions et, d'autre part, de constater que la question de savoir si les mesures portant restrictions quantitatives à l'exportation sont compatibles avec les articles 11, 12 et 25, paragraphe 1, précités de l'accord CEE-Israël est dépourvue de pertinence.

18. Il s'ensuit qu'il est également inutile de répondre aux questions visées par la juridiction nationale sous les points 1, sous A), II), et 1, sous A), III), pour lesquelles une réponse n'est demandée que dans le cas ou l'accord CEE-Israël aurait été interprété comme portant interdiction, pour les Etats membres, d'instituer de nouvelles restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent dans leurs exportations à destination d'Israël.

19. Il y a donc lieu de répondre à la première branche de la question que l'accord du 20 mai 1975 entre la Communauté économique européenne et l'état d'Israël doit être interprété en ce sens qu'il n'interdit pas d'imposer de nouvelles restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent sur les exportations d'un Etat membre à destination d'Israël.

Sur la réponse à apporter à la deuxième branche de la première question (1, sous B))

20. Par cette question, la juridiction nationale demande en substance si le règlement n° 2603-69 doit être interprété en ce sens qu'il permet la mise en œuvre d'une politique du type de celle en cause en matière d'exportations de pétrole.

21. Le règlement n° 2603-69 du conseil, du 20 décembre 1969, portant établissement d'un régime commun applicable aux exportations (JO L 324, p. 25), dispose, en son article 1er, que " les exportations de la Communauté économique européenne à destination des pays tiers sont libres, c'est-à-dire non soumises à des restrictions quantitatives, à l'exception de celles qui sont appliquées conformément aux dispositions du présent règlement ". Son article 10 précise que, " jusqu'a ce que le conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, institue un régime commun à leur égard, le principe de la liberté d'exportation au plan communautaire énoncé à l'article 1er ne s'applique pas aux produits figurant en annexe ". Au nombre de ces produits énumérés en annexe figurent, sous les positions 27.09 et 27.10, les huiles brutes et les huiles de pétrole.

22. Bulk soutient que l'article 113 du traité et le règlement n° 2603-69 s'opposent à ce qu'un Etat membre, en l'absence d'une autorisation spéciale, adopte et maintienne en vigueur une politique qui interdit l'exportation de pétrole à destination de certains pays tiers, y compris Israël.

23. Se fondant sur une analyse de la jurisprudence de la Cour en matière de politique commerciale commune, Bulk fait, en effet, valoir qu'en matière de politique commerciale, la Communauté dispose d'une compétence exclusive et qu'un Etat membre ne peut arrêter une mesure qu'avec l'autorisation expresse de la Communauté ; que la politique commerciale commune comprend les mesures restreignant les exportations vers les pays tiers, qu'il s'agisse de restrictions quantitatives ou de mesures d'effet équivalent ; que la politique du Gouvernement britannique constitue bien une mesure de politique commerciale ayant pour objet de réglementer les exportations de pétrole brut vers les pays tiers et influant directement sur le comportement des entreprises ; que la Communauté n'a pas autorisé expressément cette politique du Royaume-Uni.

24. Selon Bulk, l'article 10 du règlement n° 2603-69 précité ne saurait valoir une telle autorisation. En effet, il résulterait de l'analyse du préambule et de l'ensemble des dispositions du règlement n° 2603-69 que son article 10 n'a écarté, pour certains produits, le principe de libération des exportations vers les pays tiers énoncé par l'article 1er qu'afin d'éviter que les anciennes restrictions nationales à l'exportation portant sur les produits énumérés à l'annexe ne deviennent caduques à l'expiration de la période de transition. En aucun cas, ces dispositions n'auraient eu pour objet ou pour effet de donner aux Etats membres toute latitude pour adopter de nouvelles restrictions à l'exportation, même pour un produit figurant à l'annexe du règlement. Ainsi, les exportations de pétrole brut resteraient bien dans le champ d'application du règlement n° 2603-69 et, par voie de conséquence, de la politique commerciale commune, comme le confirmerait d'ailleurs l'intervention du règlement n° 1934-82 du conseil, du 12 juillet 1982, modifiant le règlement n° 2603-69, et instituant un nouveau régime pour l'exportation de pétrole brut (JO L 211, p. 1).

25. Bulk en déduit que si, contrairement à ce qu'elle soutient, le conseil avait entendu laisser aux Etats membres toute latitude pour imposer de nouvelles restrictions à l'exportation de tous les produits désignés dans l'annexe au règlement n° 2603-69, une telle disposition serait nulle, comme incompatible avec le traité, et notamment l'article 113.

26. Sun, le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission s'accordent pour reconnaître une compétence exclusive de la Communauté en matière de réglementation des exportations vers les pays tiers en s'appuyant sur la jurisprudence traditionnelle de la Cour en la matière. Ainsi, dans le domaine de la politique commerciale, le principe demeurerait selon lequel les Etats membres ne peuvent adopter des mesures nationales que si les institutions de la Communauté leur donnent une autorisation particulière à cet effet.

27. Ils estiment toutefois que le règlement n° 2603-69 constitue une mesure d'application de l'article 113 en matière de réglementation des exportations à destination des pays tiers. Or, si son article 1er pose, de façon générale, le principe de la libération de ces exportations, son article 10 signifierait, sans aucune ambiguïté, que ce principe de liberté des exportations ne s'applique pas aux produits figurant dans l'annexe au dit règlement et, par voie de conséquence, au pétrole. Dès lors, le règlement n° 2603-69 habiliterait les Etats membres, qui avaient imposé les restrictions quantitatives à l'exportation portant sur l'un des produits figurant à l'annexe, à modifier ces restrictions et, dans les mêmes conditions, à en adopter de nouvelles pour ces produits, jusqu'à ce que le conseil adopte un régime commun en application de l'article 10 du règlement.

28. Selon les mêmes observations, cette thèse serait confortée par l'analyse du règlement n° 1934-82, précité, qui, d'après les termes mêmes de son préambule, a pour objet " de préciser plus clairement " la portée des articles 1er et 10 du règlement n° 2603-69. Or, l'article 1er du règlement n° 1934-82 a exclu du principe de la liberté d'exportation au plan communautaire pour tous les Etats membres un seul produit, précisément le pétrole brut, " compte tenu notamment des obligations internationales contractées par certains Etats membres ". Ainsi, selon ce règlement, tous les Etats membres, qu'ils aient ou non limité leurs exportations de pétrole, sont libres de le faire et l'étaient déjà sous l'empire du règlement n° 2603-69.

29. Il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 113, paragraphe 1, du traité, la politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes, notamment en ce qui concerne les modifications tarifaires, la conclusion d'accords tarifaires et commerciaux, l'uniformisation des mesures de libération, la politique d'exportation ainsi que les mesures de défense commerciale.

30. Par ailleurs, ainsi que la Cour l'a estimé, dans son avis du 11 novembre 1975 (1-75, p. 1355), " on ne saurait admettre, dans un domaine qui relève de la politique d'exportation et, plus généralement, de la politique commerciale commune, qu'il y ait une compétence des Etats membres parallèle à celle de la Communauté dans l'ordre communautaire aussi bien que dans l'ordre international... Admettre une telle compétence équivaudrait, en effet, a reconnaître que les Etats membres peuvent prendre, dans les rapports avec les pays tiers, des positions divergentes de celles que la Communauté entend assumer et reviendrait, de ce fait, à fausser le jeu institutionnel, à ébranler les rapports de confiance à l'intérieur de la Communauté et à empêcher celle-ci de remplir sa tache dans la défense de l'intérêt commun ".

31. Il convient donc d'en déduire, ainsi que la Cour l'a d'ailleurs jugé dans son arrêt du 15 décembre 1976 (Donckerwolke, 41-76, Rec. p. 1921), que, la compétence en matière de politique commerciale ayant été transférée dans son ensemble à la Communauté par l'effet de l'article 113, paragraphe 1, des mesures de politique commerciale de caractère national ne sont admissibles, à partir de la fin de la période de transition, qu'en vertu d'une habilitation spécifique de la part de la Communauté.

32. En l'espèce, il résulte du règlement n° 2603-69 que son article 1er a posé pour règle que les exportations de la Communauté à destination des pays tiers sont libres, c'est-à-dire non soumises à des restrictions quantitatives, à l'exception de celles qui sont appliquées conformément aux dispositions de ce règlement. Précisément, l'article 10 de ce règlement est venu limiter la portée de ce principe, à titre transitoire et pour certains produits, jusqu'à ce que le conseil institue un régime commun à leur égard, en énonçant que le principe de la liberté d'exportation au plan communautaire ne s'applique pas aux produits figurant en annexe, au nombre desquels figure le pétrole.

33. Il convient donc de constater, comme l'ont soutenu Sun, le Royaume-Uni et la Commission, que l'article 10 du règlement n° 2603-69 et son annexe constituent une habilitation spécifique visant à permettre aux Etats membres d'imposer des restrictions quantitatives à l'exportation de pétrole à destination des pays tiers, sans qu'il y ait lieu de procéder, à cet égard, à une distinction entre les restrictions quantitatives préexistantes et les restrictions quantitatives nouvellement décidées.

34. S'agissant de l'argumentation tirée par Bulk de ce qu'une telle interprétation de l'article 10 du règlement n° 2603-69 rendrait cette disposition nulle comme incompatible avec l'article 113 du traité, il convient certes de relever que la Cour a estimé, dans son avis du 4 octobre 1979 (1-78, Rec. p. 2871), que, " lorsque l'organisation des liens économiques de la Communauté avec les pays tiers est susceptible d'avoir des répercussions sur certains secteurs de la politique économique, tels que l'approvisionnement de la Communauté en matières premières ou la politique des prix, comme c'est précisément le cas de la régulation du commerce international des produits de base, cette considération ne constitue pas une raison d'exclure de tels objets du champ d'application des règles relatives a la politique commerciale commune. Pareillement, la circonstance qu'un produit peut avoir une importance politique en raison de la constitution de stocks de sécurité n'est pas une raison d'exclure ce produit du domaine de la politique commerciale commune ".

35. Il importe toutefois de relever que la Cour n'a visé, dans cet avis, que l'interdiction d'une exclusion générale et de principe de certains produits du domaine de la politique commerciale commune, et non pas la possibilité laissée au conseil, dans le cadre de la marge d'appréciation dont il dispose, d'exclure, à titre transitoire, certains produits du régime commun des exportations.

36. En l'espèce, compte tenu de la marge d'appréciation dont il dispose dans une matière économique aussi complexe, le conseil a pu, sans méconnaître les dispositions de l'article 113, exclure à titre provisoire du régime commun des exportations à destination des pays tiers un produit comme le pétrole, compte tenu, notamment, des obligations internationales contractées en cette matière par certains Etats membres et eu égard aux caractéristiques particulières de ce produit, d'importance vitale pour l'économie d'un état et pour le fonctionnement de ses institutions et services publics.

37. Il y a donc lieu de répondre à la deuxième branche de la première question que les dispositions du règlement n° 2603-69 du conseil, du 20 décembre 1969, portant établissement d'un régime commun applicable aux exportations, doivent être interprétées en ce sens qu'elles n'interdisaient pas à un Etat membre d'imposer de nouvelles restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent à ses exportations de pétrole à destination de pays tiers.

Sur la réponse à apporter aux deuxième et troisième questions préjudicielles

38. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de répondre aux questions 2 et 3 du juge national.

Sur la réponse à apporter aux quatrième et cinquième questions préjudicielles

39. Compte tenu des réponses apportées aux questions examinées plus haut, il convient d'estimer que, par ces questions, le juge national demande, en substance, à être éclairé par la Cour sur les deux points de droit suivants :

- d'une part, d'autres dispositions du traité interdisaient-elles au Royaume-Uni d'adopter une politique du type de celle en cause ;

- d'autre part, une telle politique devait-elle, préalablement à sa mise en œuvre, faire l'objet d'une notification aux institutions communautaires ou recevoir leur approbation préalable et, dans l'affirmative, quelles sont les conséquences à en tirer ?

Il conviendra de répondre successivement àces deux branches de la question.

Sur l'interpretation d'autres dispositions du traité

40. Bulk soutient, en premier lieu, que la politique du Gouvernement britannique serait contraire à l'article 34 du traité. En effet, cette politique aurait pour effet d'interdire non seulement l'exportation directe de pétrole brut vers des destinations non autorisées par lui, mais aussi l'exportation de ce pétrole vers les autres Etats membres, au cas ou ce pétrole serait susceptible d'être réexporté vers une destination non autorisée par le Royaume-Uni. La clause de destination insérée dans tous les contrats britanniques constituerait ainsi une entrave au commerce intracommunautaire.

41. Il convient de rappeler, ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 8 novembre 1979 (Groenveld/produktschap voor vee en vlees, 15-79, Rec. p. 3409), que l'article 34 du traité " vise les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un Etat membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'état intéressé, au détriment de la production ou du commerce d'autres Etats membres ".

42. Tel n'est pas le cas d'une politique du type de celle en cause. Une telle politique qui vise les seules exportations à destination de certains pays tiers n'atteint pas spécifiquement les exportations à destination des Etats membres et ne vise pas à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'Etat membre intéressé.

43. Bulk a soutenu, en second lieu, que la clause de destination figurant dans les contrats britanniques et intégrant, par référence, la politique du Gouvernement britannique serait contraire à l'article 85 du traité. En effet, selon Bulk, les accords et pratiques concertées impliques par la politique britannique, en particulier l'insertion d'une clause de destination dans tous les contrats, constitueraient des accords entre entreprises ayant pour objet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun et pour effet d'affecter le commerce intracommunautaire. Ainsi, la politique du Gouvernement britannique autoriserait et contraindrait même les compagnies pétrolières à enfreindre l'article 85 du traité, en violation avec les articles 3, sous F), 5 et 85 du traité.

44. Ainsi qu'il vient d'être dit, une mesure du type de celle en cause qui vise spécifiquement les exportations de pétrole à l'égard d'un pays tiers n'est pas, par elle-même, de nature à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun. Elle ne saurait donc affecter le commerce intracommunautaire et enfreindre les articles 3, sous F), 5 et 85 du traité.

45. Il y a donc lieu de répondre à la première branche de la question que les articles 34 et 85 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce qu'un Etat membre mette en œuvre une politique conduisant à restreindre ou interdire les exportations de pétrole à destination d'un pays tiers, sur le fondement de l'article 10 du règlement n° 2603- 69.

Sur l'obligation d'information, de notification ou d'approbation préalable

46. Bulk a fait valoir, en premier lieu, que le titre II du règlement n° 2603-69, précité, intitulé " procédure communautaire d'information et de consultation ", et le titre III du même règlement, intitulé " mesures de sauvegarde ", imposaient au Royaume-Uni, avant de mettre en œuvre la politique en cause, d'en informer les autorités communautaires et de recueillir leur assentiment préalable, en application, notamment, des articles 4, 6, 7 et 8 du règlement n° 2603-69 dont les dispositions devraient être rapprochées de celles de l'article 113 du traité.

47. En deuxième lieu, Bulk s'est référé, en ce qui concerne l'obligation de notification préalable pesant sur les Etats membres, à la jurisprudence de la Cour en matière de pêche, notamment aux arrêts du 4 octobre 1979 (République Francaise/Royaume-Uni, 141-78, Rec. p. 2923), du 10 juillet 1981 (Commission/Royaume-Uni, 32-79, Rec. p. 2403) et du 5 mai 1981 (Commission/Royaume-Uni, 804-79, Rec. p. 1045). Elle a fait valoir, à cet égard, que la Commission avait soumis au conseil, le 6 juillet 1981, une proposition de modification du règlement n° 2603-69 supprimant le pétrole brut de l'annexe à ce règlement, sauf pour la France. Il en résulterait, par analogie, qu'en période d'élaboration, par le conseil, d'une politique commune dans un domaine réservé par le traité à la Communauté, le Royaume-Uni ne pouvait mettre en œuvre une mesure unilatérale sans consultation préalable de la Commission. Celle-ci, en vertu des articles 5 et 155 du traité, avait seule le pouvoir d'autoriser cette mesure ou de formuler des objections ou réserves auxquelles le Royaume- Uni aurait été tenu de se conformer.

48. En troisième lieu, Bulk a fait valoir que l'article 4 de la décision du conseil du 9 octobre 1961 (JO du 4.11.1961, p. 1273), et la lettre B) du point II, sous B), de l'annexe à la décision du conseil du 25 septembre 1962 (JO du 5.10.1962, p. 2353) imposent aux Etats membres de procéder à l'information préalable des autorités communautaires et à leur consultation avant d'édicter toute mesure portant modification du régime des exportations vers les pays tiers.

49. Bulk estime qu'une juridiction nationale devrait tirer directement les conséquences de l'illégalité de mesures prises en méconnaissance de l'ensemble des obligations précitées. Dès lors que les clauses litigieuses avaient pour seul objet de mettre en œuvre la politique britannique, un particulier pouvait en invoquer la nullité à l'encontre d'un autre particulier devant la juridiction nationale.

50. A l'inverse, Sun et le Gouvernement du Royaume-Uni ont soutenu qu'en l'absence d'une disposition expresse imposant une obligation de notification, de consultation ou d'approbation préalable, il n'est pas possible d'inférer une telle obligation implicite. Ce serait le règlement n° 2603-69 lui-même qui constituerait l'habilitation de la Communauté permettant aux Etats membres d'adopter, unilatéralement et sans aucune consultation préalable, les restrictions quantitatives aux exportations à l'égard des pays tiers pour les produits figurant dans son annexe. Par ailleurs, les décisions précitées du conseil de 1961 et de 1962 auraient cessé d'être applicables à l'expiration de la période de transition, c'est-à-dire le 31 décembre 1969. Enfin, s'agissant de l'analogie faite avec la jurisprudence de la Cour relative à la politique en matière de pêche, elle serait totalement erronée, dès lors que, dans ce domaine, plusieurs textes avaient institue une obligation expresse de notification ou d'approbation préalable des institutions communautaires. Enfin, et en tout état de cause, même s'il existait une obligation de consultation ou de notification, le défaut d'y avoir satisfait ne produirait aucun effet direct dans une procédure civile entre particuliers.

51. La Commission a fait valoir, pour sa part, que la compétence conférée aux Etats membres par le règlement n° 2603-69, dans l'attente de l'intervention d'une politique communautaire, reste subordonnée, notamment, au respect des décisions du conseil du 9 octobre 1961 et du 25 septembre 1962, précitées, qui exigent des consultations sur toute modification des régimes nationaux applicables aux exportations vers les pays tiers. La Commission estime que le document qui a été remis par le Gouvernement du Royaume-Uni au comité des représentants permanents, le 31 janvier 1979, ne saurait satisfaire totalement aux obligations d'information qui pesaient sur le Royaume-Uni en application de l'article 4 de la décision du conseil du 9 octobre 1961, compte tenu du destinataire de cette information, du caractère incomplet du document remis et, enfin, du fait que ce document n'a été remis que le lendemain du jour ou la politique a été décidée.

52. Toutefois, la Commission est d'avis qu'en admettant que le Royaume-Uni a manque a son obligation de notifier sa politique conformément à la décision du 9 octobre 1961, cette obligation de notification ne serait pas une règle de droit communautaire produisant des effets directs comme la Cour l'aurait jugé dans son arrêt du 15 juillet 1964 (Costa/Enel, 6-64, Rec. p. 1141), puisque la décision précitée de 1961 n'impose pas à l'Etat membre d'obtenir ni même de tenter d'obtenir l'approbation des mesures qu'il envisage d'adopter. En effet, même après les consultations prévues par cette décision, l'Etat membre reste libre, sous réserve de ses autres obligations au titre du droit communautaire, d'adopter toute politique qu'il juge appropriée. Ainsi, un tel défaut de notification n'affecterait pas la validité de la politique du Royaume-Uni au regard du droit communautaire.

53. La Cour estime liminairement qu'a supposer que les différentes dispositions invoquées aient institué certaines obligations d'information ou de notification à la charge des Etats membres, d'une part, elle n'a pas été interrogée par la juridiction nationale sur le point de savoir s'il avait bien été satisfait, en l'espèce, à une telle obligation et, d'autre part, l'ordonnance de renvoi ne lui fournit pas les éléments de fait permettant de trancher cette question.

54. Dès lors, il convient de constater que le débat ainsi posé dans le cadre d'une question préjudicielle se limite à deux questions qu'il convient d'examiner successivement : l'existence d'une obligation d'information, de notification ou d'approbation préalable et les conséquences juridiques qu'il conviendrait de tirer, au regard du litige devant la juridiction nationale, d'une éventuelle méconnaissance de cette obligation.

Sur le principe même de l'obligation d'information, de notification ou d'approbation préalable

55. Il ressort, en premier lieu, de l'examen même du règlement n° 2603-69, précité, qu'aucune de ses dispositions n'impose aux Etats membres une obligation d'information préalable ou de notification préalable pour les mesures concernant les produits visés à l'article 10, c'est-à-dire ceux auxquels ne s'applique pas le principe de liberté d'exportation. En effet, d'une part, les procédures prévues au titre III de ce règlement, intitulé " mesures de sauvegarde ", ne sont pas, par hypothèse, applicables aux produits vises à l'article 10. D'autre part, s'agissant du titre II du même règlement, seul son article 2 impose aux Etats membres de prendre l'initiative d'informer préalablement la Commission, mais la procédure ainsi prévue est liée à l'institution des mesures de sauvegarde visées au titre III et ne saurait donc concerner les produits visés à l'article 10.

56. Il convient, en deuxième lieu, de relever que la référence à la jurisprudence de la Cour relative à la pêche maritime et aux mesures de conservation prises par les Etats membres n'est pas pertinente. En effet, aucune des conditions requises pour la mise en œuvre de cette jurisprudence n'est réunie en l'espèce : une obligation faite au conseil de définir une politique à une date déterminée ; l'impossibilité du conseil de se conformer à cette obligation ; l'existence d'une communication de la Commission, approuvée par le conseil, en vertu de laquelle, en l'absence d'un régime commun, des mesures nationales ne peuvent être prises que dans la mesure ou elles sont strictement nécessaires pour atteindre l'objectif recherché, non discriminatoires, conformes au traité et après que l'accord de la Commission a été préalablement recherché. Cette argumentation de Bulk ne saurait donc être retenue.

57. Par contre, une obligation d'information préalable des autres Etats membres et de la Commission pesait, à la date des faits litigieux, sur tout Etat membre envisageant de procéder à une modification de son régime d'exportation à destination des pays tiers, en application des dispositions combinées des décisions du conseil précitées du 9 octobre 1961 et du 25 septembre 1962, ainsi que de la décision n° 69-494 du conseil, du 16 décembre 1969, concernant l'uniformisation progressive des accords relatifs aux relations commerciales des Etats membres avec les pays tiers et la négociation des accords communautaires (JO L 326, p. 39). En effet, l'article 4 de la décision du conseil du 9 octobre 1961, précitée, dispose que " l'Etat membre qui envisage de procéder a des modifications de son régime de libération à l'égard des pays tiers informera préalablement les autres Etats membres et la Commission. Dans ce cas, des consultations préalables auront lieu à la demande d'un Etat membre ou de la Commission, sauf les cas d'urgence dans lesquels les consultations auront lieu a posteriori ".

58. Il est vrai que cette décision, comme ses visas l'indiquent, ne repose que sur l'article 111 du traité, relatif à l'élaboration de la politique commerciale commune au cours de la période de transition. Toutefois, il convient d'observer que l'article 1er de la décision du conseil du 25 septembre 1962 dispose qu'" est approuvé le programme d'action en matière de politique commerciale commune figurant en annexe, notamment les objectifs qui y sont formulés et les procédures prévues pour les atteindre ". Or, sous la rubrique B) de l'annexe, intitulée " uniformisation des régimes d'exportation ", il est précisé que, " après la période de transition, la politique d'exportation doit également être fondée sur des principes uniformes (article 113) " et que " la procédure de consultation instaurée par la décision du conseil en date du 9 octobre 1961 s'applique à toute mesure qui modifiera le régime d'exportation vers des pays tiers actuellement en vigueur dans un des Etats membres ". Il apparaît donc que la décision du conseil du 25 septembre 1962, bien que fondée elle-même sur l'article 111 du traité, a expressément étendu à l'époque postérieure à la période de transition l'obligation d'information préalable pesant sur les Etats membres.

59. Enfin, l'article 15 de la décision du conseil du 16 décembre 1969, précitée, dispose que " les dispositions de la décision du conseil du 9 octobre 1961 concernant une procédure de consultation sur les négociations des accords relatifs aux relations commerciales des Etats membres avec les pays tiers sont modifiées par celles de la présente décision pour autant qu'elles leur soient contraires ". Cette décision, applicable à partir du 1er janvier 1970, ne contenait aucune disposition contraire à l'article 4 de la décision du 9 octobre 1961 : elle doit donc être regardée comme ayant maintenu en vigueur, si besoin était, l'obligation faite aux Etats membres d'informer préalablement la Commission et les autres Etats membres de toute modification envisagée du régime d'exportation à l'égard des pays tiers.

60. Il résulte donc des dispositions combinées des trois décisions du conseil précitées que, même après l'expiration de la période de transition et l'intervention du règlement n° 2603-69, un Etat membre était tenu d'informer préalablement les autres Etats membres et la Commission de toute modification de son régime d'exportation à l'égard des pays tiers.

Sur les conséquences qu'il conviendrait de tirer d'une éventuelle méconnaissance, par un Etat membre, de la procédure d'information préalable

61. L'Etat membre qui néglige de procéder à cette information préalable, ou qui ne le fait que tardivement, ou encore de façon insuffisante, manque aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des décisions du conseil des 9 octobre 1961, 25 septembre 1962 et 16 septembre 1969.

62. Il convient cependant de relever que cette obligation qui pèse sur chaque Etat membre, en vertu des dispositions précitées, ne concerne que les rapports institutionnels d'un Etat membre avec la Communauté et les autres Etats membres. Ainsi, à l'occasion de litiges opposant, devant les juridictions nationales, des personnes physiques ou morales, ces dernières ne sauraient se prévaloir utilement, à l'encontre d'une politique ou mesure décidée par un Etat membre, des droits tirés de ce que cet Etat membre aurait méconnu l'obligation d'informer préalablement les autres Etats membres et la Commission. Cette méconnaissance n'est donc pas susceptible d'engendrer, dans le chef des particuliers, des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder.

63. Il y a donc lieu de répondre à la quatrième et à la cinquième question que :

- l'article 4 de la décision du conseil du 9 octobre 1961, combine avec la décision du conseil du 25 septembre 1962 et l'article 15 de la décision du conseil du 16 septembre 1969, impose à l'Etat membre qui envisage de procéder à une modification de son régime de libération des exportations à destination des pays tiers d'en informer préalablement les autres Etats membres et la Commission ;

- l'Etat membre qui néglige de procéder à cette information préalable, ou qui ne le fait que tardivement, ou encore de façon insuffisante, manque aux obligations qui lui incombent en vertu des décisions du conseil précitées, mais cette méconnaissance n'est pas susceptible d'engendrer, dans le chef des particuliers, des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder.

Sur la réponse à apporter à la sixième question préjudicielle

64. Par cette question, la juridiction nationale demande si la circonstance que ni le conseil ni la Commission n'ont contesté la légalité de la politique mise en œuvre par le Royaume-Uni à une incidence sur la réponse à apporter aux questions précédentes.

65. Il convient de répondre, comme l'ont d'ailleurs fait valoir les parties au principal, le Royaume-Uni et la Commission, que la circonstance qu'aucune institution communautaire n'a contesté la légalité de la politique mise en œuvre par un Etat membre ne saurait avoir, en elle-même, aucune incidence sur la compatibilité d'une politique du type de celle en cause avec le droit communautaire et, par voie de conséquence, sur la réponse a apporter aux questions posées par la juridiction nationale.

Sur les dépens

66. Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient a celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions a elle soumises par la commercial court de la Queen's bench division de la high court of justice, par ordonnance du 18 mai 1984, dit pour droit :

1°) l'accord du 20 mai 1975 entre la Communauté économique européenne et l'état d'Israël doit être interprété en ce sens qu'il n'interdit pas d'imposer de nouvelles restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent sur les exportations d'un Etat membre à destination d'Israël.

2°) les dispositions du règlement n° 2603-69 du conseil, du 20 décembre 1969, portant établissement d'un régime commun applicable aux exportations, doivent être interprétées en ce sens qu'elles n'interdisaient pas à un Etat membre d'imposer de nouvelles restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent a ses exportations de pétrole à destination de pays tiers.

3°) les articles 34 et 85 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas a ce qu'un Etat membre mette en œuvre une politique conduisant a restreindre ou interdire les exportations de pétrole à destination d'un pays tiers, sur le fondement de l'article 10 du règlement n° 2603-69.

4°) l'article 4 de la décision du conseil du 9 octobre 1961, combiné avec la décision du conseil du 25 septembre 1962 et l'article 15 de la décision du conseil du 16 septembre 1969, impose à l'Etat membre qui envisage de procéder à une modification de son régime de libération des exportations à destination des pays tiers, d'en informer préalablement les autres Etats membres et la Commission.

- l'Etat membre qui néglige de procéder à cette information préalable ou qui ne le fait que tardivement, ou encore de façon insuffisante, manque aux obligations qui lui incombent en vertu des décisions du conseil précitées, mais cette méconnaissance n'est pas susceptible d'engendrer, dans le chef des particuliers, des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder.

5°) la circonstance qu'aucune institution communautaire n'a contesté la légalité de la politique mise en œuvre par un Etat membre ne saurait avoir, en elle-même, aucune incidence sur la compatibilité avec le droit communautaire d'une politique de restriction quantitative des exportations de pétrole à l'égard des pays tiers et, par voie de conséquence, sur la réponse à apporter aux questions posées par la juridiction nationale.