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Décisions

CJCE, 9 mai 1985, n° 21-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République française

CJCE n° 21-84

9 mai 1985

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 janvier 1984, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître qu'en refusant, sans justification appropriée, l'agrément des appareils d'affranchissement postal provenant d'un autre Etat membre, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

2. En France comme dans les autres Etats membres, les usagers du service postal sont en général autorisés par l'administration des postes à utiliser des machines à affranchir les correspondances qui leur permettent de réaliser des gains de temps et d'argent. Comme ces machines servent à collecter les redevances postales, leur mise sur le marché est subordonnée à un agrément des autorités postales afin d'éviter la possibilité de manipulations frauduleuses. Pour la France, ce régime a été fixé en dernier lieu dans l'article 2 d'un arrêté interministériel du 28 janvier 1980, portant réglementation de l'utilisation des machines à affranchir les correspondances (Jorf 1980, p. 1190 n.c). Il résulte de cette disposition que " tout prototype de machine à affranchir doit être agréé par l'administration des postes et télécommunications sur avis favorable du conseil technique ". Avant la modification intervenue le 7 mars 1984, l'article 3 du même arrêté disposait que " les machines doivent être de fabrication française, y compris les pièces détachées et de rechange, sous réserve, le cas échéant, de dispositions résultant de conventions internationales ".

3. Le présent recours en constatation de manquement a pour origine une plainte déposée auprès de la Commission par un important fabricant britannique dont les appareils d'affranchissement postal sont agréés dans de très nombreux pays, mais qui s'est efforcé en vain, depuis le 1er janvier 1973, d'obtenir l'agrément des autorités postales françaises.

4. A l'appui de son recours, la Commission a exposé, en substance, que la référence générale aux conventions internationales figurant à l'article 3 de l'arrêté interministériel susvisé n'ouvrait pas clairement le marché français aux appareils de ce type importés d'autres Etats membres, que, de ce fait, elle n'était pas de nature à satisfaire pleinement aux obligations incombant à la République française au titre de l'article 30 du traité CEE et que, en toute hypothèse, l'application qui avait été faite du système d'agrément par les autorités postales françaises était incompatible avec cette disposition, dans la mesure ou un refus avait été oppose sans justification appropriée et de façon répétée aux demandes d'agrément introduites par la société plaignante.

5. Le Gouvernement français ne s'est efforce de rencontrer l'argumentation de la Commission que dans le télex adressé à la Commission, le 5 février 1982, en réponse à la lettre de mise en demeure. Il y a fait valoir que la réserve dont était assortie la condition de fabrication française avait été introduite pour tenir compte des dispositions communautaires en matière de libre circulation des marchandises, que cette réserve n'était pas purement formelle puisqu'elle avait permis l'agrément et la commercialisation de deux types de machines fabriquées en République Féderale d'Allemagne et que seules des raisons d'ordre technique avaient empêché d'accorder à la société plaignante l'agrément qu'elle sollicitait. En revanche, dans son mémoire en défense, le Gouvernement français s'est contenté d'annoncer son intention de modifier l'article 3 de l'arrêté interministériel susvisé de manière a assimiler expressément les appareils importés d'autres Etats membres aux appareils de fabrication française. Cette intention s'est traduite dans un arrêté interministériel du 7 mars 1984 (Jorf 1984, p. 3092 n.c.), qui dispose que " les machines, y compris les pièces détachées et de rechange, doivent être fabriquées en France ou importées d'autres Etats membres de la communauté économique européenne sous réserve, le cas échéant, de dispositions résultant de conventions internationales ".

6. La Commission a indiqué, lors de la procédure orale, que le présent recours ne portait plus, compte tenu de cette modification réglementaire, que sur la compatibilité avec l'article 30 de l'attitude adoptée par l'administration postale française à l'égard de la société plaignante.

7. Dans sa requête, la Commission a résumé de la façon suivante les démarches effectuées vainement par la société plaignante de 1973 à 1980 :

- du 12 décembre 1972 à juillet 1975, lenteurs dans les réponses aux lettres et contacts infructueux ;

- de juillet 1975 à décembre 1976, échange de correspondance aboutissant à plusieurs demandes, de la part du Centre National d'Etudes Techniques (CNET), de modifications techniques des appareils présentés à l'expérimentation ;

- le 12 février 1977 (avec confirmation le 12 avril 1977), rejet définitif de la demande d'agrément pour " vices rédhibitoires de conception ", alors que la société en question était en train d'apporter à ses appareils les modifications demandées par le CENT ;

- en octobre 1977, rejet d'une nouvelle demande, effectuée en août, au motif que le marche français était déjà suffisamment approvisionné en compteurs postaux ;

- rejet, en octobre 1980, d'une nouvelle demande avec indication que la position du Gouvernement français n'avait pas changé, mais qu'elle pourrait être réexaminée lors de la mise au point d'équipements électroniques.

8. Il résulte, en outre, des explications fournies à l'audience du 6 décembre 1984 qu'une nouvelle demande d'agrément introduite le 25 mai 1984 n'avait même pas abouti six mois plus tard à la simple ouverture de la procédure d'examen, alors que la demande portait pour partie sur un modèle qui avait déjà été soumis antérieurement à un certain nombre d'essais par les services compétents.

9. Au cours de la procédure pré-contentieuse, le Gouvernement français a certes tenté d'expliquer le refus intervenu en février 1977. Il a exposé, à cet égard, dans son télex du 5 février 1982, qu'" il s'agissait d'un appareil dont le dispositif de sécurité, de par sa conception même, n'était pas adaptable dans des conditions satisfaisantes au système français de comptabilisation des taxes ; ce système repose, en effet, sur le principe de la facturation et de l'encaissement des redevances d'affranchissement après service rendu, cela contrairement à la solution retenue dans d'autres pays (dont le Royaume-Uni) qui ont opté pour le paiement des taxes par soustraction sur une somme enregistrée au préalable à un compteur de la machine et payé d'avance par les utilisateurs ". A cela, la Commission a rétorqué, dans sa requête, que " ces considérations techniques sont en réalité sans objet puisque la société plaignante, consciente de cette différence de conception entre les systèmes français et britannique, en a tenu compte en soumettant, en avril 1976, des machines conçues selon le système français... Les modifications demandées par le CNET en décembre 1976 et exécutées par la société plaignante... Ne visaient que certains aspects du fonctionnement des dispositifs de sécurité. Il est, en tout cas, évident qu'une différence marquante de cet ordre, qui relève de la conception même de la machine, n'aurait pas pu faire l'objet de modifications ponctuelles au dernier moment avant de procéder aux essais ; de même, une telle incompatibilité aurait pu être décelée au moment de la présentation des machines... ". La Commission n'a plus été contredite par le Gouvernement français.

10. Dans ces conditions, il y a lieu de tenir pour établis les faits tels qu'ils ont été relatés par la Commission. Ces faits doivent être appréciés au regard des principes suivants.

11. La conformité formelle d'un texte réglementaire, tel que celui prévoyant la nécessité d'un agrément préalable, pour la commercialisation d'appareils d'affranchissement postal, avec l'article 30 du traité CEE ne suffit pas pour mettre un Etat membre en règle avec les obligations qui découlent de cette disposition. En effet, sous le couvert d'un texte de portée générale permettant l'agrément d'appareils importés d'autres Etats membres, l'administration pourrait très bien adopter une attitude systématiquement défavorable aux appareils importés, soit par les lenteurs considérables dont elle se rendrait responsable dans les réponses aux demandes d'agrément ou dans l'accomplissement de la procédure d'examen, soit par des refus d'agrément opposés en invoquant des défauts techniques divers qui ne feraient pas l'objet d'explications circonstanciées ou qui se révéleraient inexacts.

12. L'interdiction des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives serait privée d'une grande partie de son effet utile si elle ne permettait pas d'appréhender des pratiques protectionnistes ou discriminatoires de ce genre.

13. Il convient cependant de souligner que, pour constituer une mesure interdite par l'article 30, une pratique administrative doit présenter un certain degré de constance et de généralité. Cette généralité doit s'apprécier de façon différenciée, selon que l'on se trouve dans un marché comptant de nombreux opérateurs économiques ou dans un marché, comme celui des appareils d'affranchissement postal, qui est caractérisé par la présence de quelques entreprises seulement. Dans ce dernier cas, l'attitude adoptée par une administration nationale à l'égard d'une seule entreprise peut déjà constituer une mesure incompatible avec l'article 30.

14. Au regard de ces principes, il résulte des faits de l'espèce que le comportement de l'administration postale française constitue une entrave aux importations contraire à l'article 30 du traité CEE.

15. Il y a dès lors lieu de conclure qu'en refusant, sans justification appropriée, l'agrément d'appareils d'affranchissement postal provenant d'un autre Etat membre, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

Sur les dépens

16. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République française ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1°) En refusant, sans justification appropriée, l'agrément d'appareils d'affranchissement postal provenant d'un autre Etat membre, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

2°) La République française est condamnée aux dépens.