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Décisions

CJCE, 26 février 1976, n° 88-75

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SADAM (Sté)

Défendeur :

Comité interministériel des prix et ministre de l'industrie, du commerce et de l'artisanat

CJCE n° 88-75

26 février 1976

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnances du 16 juin 1975, parvenues au greffe de la cour le 8 août 1975, le Tribunale Amministrativo Regionale del Lazio a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions relatives à l'interpretation de l'article 30 de ce traité, ainsi que des dispositions du règlement n° 1009-67-CEE du conseil, du 18 décembre 1967, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO n° 308, p. 1) ; que ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges ayant pour objet des recours tendant à l'annulation de certains arrêtés adoptés en 1974 par le " Comitato interministeriale dei prezzi " (Comite interministeriel des prix) et que les requérantes au principal estiment incompatibles avec le droit communautaire ;

Qu'il s'agit des arrêtés n°s 9-1974, 28-1974 et 39-1974 (Gazzetta ufficiale n° L52 du 23.02.1974, n° L. 171 du 02.07.1974, n° L. 214 du 16.08.1974), dont les deux premiers avaient fixé successivement des prix maximaux à la consommation du sucre de provenance tant indigène qu'étrangère, alors que le troisième avait indiqué les éléments dont se composaient les prix maximaux fixés par l'arrêté n° 28-1974, éléments comprenant, entre autres, le " prix maximal franco usine ", le " prix maximal à destination franco entrepôt du grossiste " et la " rémunération maximale à la distribution en gros et en détail " ;

2. Attendu qu'en raison de leur connexité, il convient de joindre les présentes affaires aux fins de l'arrêt ;

3. Attendu que, dans la procédure devant la Cour, un désaccord s'est révélé sur le point de savoir si, dans leur ensemble, ces arrêtés ont fixé des prix maximaux obligatoires seulement pour les ventes dans lesquelles l'acheteur direct est le consommateur final, ou bien également pour les ventes effectuées aux stades commerciaux antérieurs, et notamment pour les ventes effectuées par les producteurs de sucre ; qu'en présence de cette controverse, qu'il n'appartient pas à la Cour de trancher, et compte tenu du fait que les questions posées par la juridiction nationale ne distinguent pas selon les différents stades commerciaux, il convient de comprendre ces questions comme visant, d'une manière générale, la fixation de prix maximaux pour la vente de sucre, qu'il s'agisse de ventes effectuées par les producteurs, les importateurs, les grossistes ou les détaillants ;

Arrêt du 26-2-1976 - affaires jointes 88 à 90-75

Sur les première et deuxième questions

4. Attendu que, par les première et deuxième questions, la Cour est invitée à statuer, d'une part, " sur la compétence, exclusive ou non, de la communauté économique européenne a exercer un pouvoir normatif de réglementation des prix du sucre, et sur l'exercice qui a été fait de ce pouvoir ", notamment dans le règlement n° 1009-67 et, d'autre part, " sur la légitimité des interventions unilatérales d'un Etat membre dans le secteur en question, interventions du type de la mesure en cause " qui aurait été adoptée " en fonction d'une politique de conjoncture et de l'article 103 du traité " ;

5. Attendu que le règlement n° 1009-67, pris dans le cadre de la Politique Agricole Commune, a pour objet d'instituer une organisation commune de marché au sens de l'article 40 du traité CEE ; que cette organisation commune de marché, ainsi qu'il est itérativement souligné par le préambule du règlement, a pour objet la réalisation d'un marché unique du sucre pour la communauté, soumis à une gestion commune et reposant sur un système de prix communs ;

6. Attendu qu'ainsi que la Cour l'a déjà indiqué (arrêt du 23 janvier 1975, Galli, affaire 31 - 74, Recueil, p. 47), à propos d'une réglementation nationale bloquant les prix d'autres produits aux stades de la production et du commerce de gros, " dans des domaines couverts par une organisation commune de marché - à plus forte raison, lorsque cette organisation est fondée sur un régime commun des prix -, les Etats membres ne peuvent plus intervenir, par des dispositions nationales prises unilatéralement, dans le mécanisme de la formation des prix tel qu'il résulte de l'organisation commune ", de sorte " qu'un régime national dont l'effet serait de modifier, par un blocage des prix..., la formation des prix telle qu'elle est prévue dans le cadre de l'organisation commune de marche est incompatible " avec la règle communautaire ; que le même arrêt a précisé que les dispositions d'un règlement agricole communautaire comportant un régime des prix s'appliquant aux stades de la production et du commerce de gros " laissent intact le pouvoir des Etats membres - sans préjudice d'autres dispositions du traité - de prendre les mesures appropriées en matière de formation des prix aux stades du commerce de détail et de la consommation, à condition qu'elles ne mettent pas en danger les objectifs ou le fonctionnement de l'organisation commune de marche en question " ;

Que ces considérations, alors développées eu égard aux règlements n°s 120-67 et 136-66 portant organisation commune des marchés dans les secteurs respectifs des céréales et des matières grasses, sont également valables pour l'interpretation du règlement n° 1009-67 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, étant donné la similitude des régimes de prix respectifs instaurés notamment par les règlements n°s 120-67 et 1009-67 ;

7. Attendu qu'une distinction rigoureuse, sous l'angle de la compatibilité avec la règle communautaire de la fixation de prix par les autorités nationales, entre prix maximaux à la consommation et prix maximaux applicables à des stades commerciaux antérieurs, se heurterait au fait que, d'une part, une réglementation des prix au stade de la vente au consommateur final risque de se répercuter sur la formation des prix aux dits stades antérieurs et, d'autre part, que les prix prévus par le régime communautaire dans le secteur du sucre ne sont pas des prix applicables à des ventes déterminées effectuées aux négociants, aux utilisateurs ou aux consommateurs ;

Qu'il faut toutefois constater qu'en fait, une réglementation nationale en matière de prix agricoles visant les mêmes stades commerciaux que le régime de prix communautaires risquera normalement d'entrer en collision avec ledit régime, davantage qu'une réglementation s'appliquant exclusivement à d'autres stades ;

Qu'il y a donc lieu de conclure que la fixation unilatérale, par un Etat membre, de prix maximaux à la vente de sucre, quel que soit le stade commercial concerné, est incompatible avec le règlement n° 1009-67, dès lors qu'elle met en danger les objectifs et le fonctionnement de cette organisation, en particulier de son régime des prix ;

8. Attendu qu'en vue d'indiquer à la juridiction nationale dans quelles conditions une telle incompatibilité pourrait exister, il convient d'examiner ce régime de façon plus détaillée ;

9. Attendu qu'aux termes de l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 1009-67, " pour la zone la plus excédentaire de la communauté " - à savoir certains départements du Nord de la France - " un prix indicatif est fixé annuellement pour le sucre blanc... Départ usine... " ;

Qu'en vertu de l'article 3, paragraphes 1 et 2, du même règlement, pour ladite zone, " un prix d'intervention est fixé annuellement pour le sucre blanc ", alors que, " pour d'autres zones, des prix d'intervention dérivés sont fixés en tenant compte des différences régionales de prix du sucre... " ;

Qu'en vertu de l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1009-67, " les organismes d'intervention désignés par les Etats membres... ont... l'obligation d'acheter le sucre... qui leur [est offert] ", et cela " au prix d'intervention valable pour la zone dans laquelle se trouve le sucre au moment de l'achat ", alors que l'article 10 dispose qu'en principe, ils " ne peuvent vendre du sucre sur le marché intérieur qu'à des prix supérieurs au prix d'intervention " ;

Que, d'après les dispositions combinées de l'article 4, paragraphes 1 et 2, et de l'article 5, paragraphe 1, du règlement, " il est fixé annuellement pour chaque zone productrice de sucre de betterave... un prix minimal à la betterave... établi compte tenu du prix d'intervention du sucre blanc, valable dans la zone en cause ", les fabricants de sucre ayant, " à l'achat de betteraves à sucre qui seront transformées en sucre, l'obligation de payer au moins [ce] prix minimal " ;

10. Attendu que, pendant la période en cause, le prix d'intervention dérivé pour l'Italie a été fixé à un niveau supérieur à celui du prix indicatif, de sorte qu'il suffit d'examiner la question soulevée par la juridiction nationale eu égard à une telle situation ;

11. Attendu qu'en ce cas, la réglementation communautaire vise à assurer, dans toute la mesure du possible, que les producteurs de sucre puissent réaliser, dans leurs ventes à l'intérieur de la zone pour laquelle un tel prix d'intervention dérivé a été fixé, un prix départ usine au moins égal à ce prix ;

Qu'en effet, à défaut, les producteurs pourraient se trouver dans l'impossibilité de payer aux producteurs de betteraves le prix minimal qui leur est garanti par la réglementation communautaire ;

Que, dès lors, un Etat membre, pour lequel le prix d'intervention a été fixe à un niveau supérieur au prix indicatif, met en danger les objectifs et le fonctionnement des marchés du sucre s'il réglemente les prix de manière à faire obstacle, directement ou indirectement, à ce que les producteurs de sucre obtiennent un prix départ usine au moins égal audit prix d'intervention ;

Qu'un tel obstacle indirect existe lorsque l'Etat membre en question, sans réglementer les prix au stade de la production, fixé, pour les stades du commerce de gros ou de détail, des prix maximaux de vente à un niveau tellement bas que le producteur se trouve pratiquement dans l'impossibilité de vendre au prix d'intervention puisque, ce faisant, il contraindrait les grossistes ou les détaillants, liés par lesdits prix maximaux, à vendre à perte ;

12. Attendu qu'il appartient, en chaque cas d'espèce, à la juridiction nationale de décider, notamment à la lumière des considérations qui viennent d'être exposées, si les prix maximaux dont elle est appelée à connaître produisent ou non des effets les rendant incompatibles avec les dispositions communautaires en matière de sucre ;

13. Attendu que, dans la mesure ou un prix maximal, fixé unilatéralement par un Etat membre, serait incompatible avec les dispositions du droit agricole de la communauté, l'état concerné ne saurait se fonder, pour justifier cette fixation, sur les dispositions de l'article 103 du traité relatives à la politique de conjoncture, et cela d'autant moins que le règlement n° 1009-67 comporte un cadre d'organisation conçu de manière à permettre à la communauté et aux Etats membres de faire face à toutes sortes de perturbations ;

Qu'il convient de souligner à cet égard, en premier lieu, que la livraison, aux consommateurs, des produits agricoles à des prix raisonnables fait partie des objectifs visés à l'article 39, paragraphe 1, du traité ;

Que l'article 21, paragraphe 1, du règlement n° 1009-67 habilite le conseil à prendre toutes mesures appropriées dans le cas où le marche de la communauté est perturbe ou menacé d'être perturbé du fait des importations ou des exportations ;

Que le deuxième paragraphe du même article indique de manière précise les modalités d'une action commune à laquelle participent, dans le cas susvisé, le conseil, la commission et les Etats membres ;

Qu'outre les pouvoirs réservés au conseil et a la commission par le règlement, la commission est chargée, en vertu du traité même, d'une mission générale de surveillance et d'initiative ;

Qu'il convient, dans ce contexte, d'attirer encore l'attention sur la fonction de consultation permanente assurée, dans le cadre de la gestion du secteur de marche en cause, par le " comité de gestion " institué par l'article 39 du règlement ;

Qu'outre les missions qui lui sont confiées spécifiquement, le comité de gestion peut, en effet, aux termes de l'article 41 du règlement, examiner toute autre question évoquée par son président, soit à l'initiative de celui-ci, soit à la demande du représentant d'un Etat membre ;

Qu'il apparaît ainsi que le cadre d'organisation du règlement n° 1009-67 réserve à tout Etat membre la possibilité de prendre, en liaison avec les institutions communautaires, les initiatives appropriées, dans les plus brefs délais, dans le cas où le jeu normal des mécanismes de prix institués par le règlement ne permettrait pas de faire face à des tendances indésirables constatées dans l'évolution des prix sur son propre territoire ;

Sur la troisième question

14. Attendu que la troisième question tend en substance à savoir si des mesures nationales telles que celles dont s'agit sont compatibles avec l'interdiction, énoncée à l'article 30 du traité, des mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative, lorsque lesdites mesures ont été justifiées " par la nécessité de protéger l'économie contre des pratiques spéculatives, et de garantir la consommation nécessaire en présence du bouleversement intervenu dans les conditions sur lesquelles repose la réglementation communautaire, établie tant en fonction du caractère déficitaire de la production communautaire que du redoublement du prix mondial du produit " ;

15. Attendu que l'article 30 du traité interdit, dans le commerce entre Etats membres, toute mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, interdiction reprise, en ce qui concerne le marché du sucre, par l'article 35 du règlement n° 1009-67 ;

Qu'aux fins de cette interdiction, il suffit que les mesures en question soient aptes à entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les importations entre Etats membres ;

Que, si un prix maximal indistinctement applicable aux produits nationaux et importés ne constitue pas en lui-même une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, il peut cependant sortir un tel effet lorsqu'il est fixé à un niveau tel que l'écoulement des produits importés devient, soit impossible, soit plus difficile que celui des produits nationaux ;

Qu'un prix maximal, pour autant, en tout cas, qu'il s'applique à des produits importés, constitue donc une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, notamment lorsqu'il est fixé à un niveau tellement bas que - compte tenu de la situation générale des produits importés comparée à celle des produits nationaux - les opérateurs désirant importer le produit dont s'agit dans l'Etat membre concerné ne pourraient le faire qu'à perte ;

16. Attendu qu'il appartient à la juridiction nationale de décider si tel est le cas en l'espèce ;

17. Attendu que, pour les raisons indiquées dans la réponse aux première et deuxième questions, l'Etat membre concerné ne saurait se fonder, pour justifier un prix maximal à la consommation produisant l'effet sus-indiqué, ni sur l'article 103 du traité, ni sur la nécessité de protéger l'économie contre des pratiques spéculatives, ni encore sur un changement intervenu dans la situation économique du secteur du sucre ;

es

Sur les dépens

18. Attendu que les frais exposes par la commission des communautés européennes ainsi que les Gouvernements britannique et italien, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

La Cour,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale Amministrativo Regionale del Lazio par ordonnances du 16 juin 1975, dit pour droit :

1°) la fixation unilatérale, par un Etat membre, de prix maximaux à la vente de sucre, quel que soit le stade commercial concerné, est incompatible avec le règlement n° 1009-67 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, dès lors qu'elle met en danger les objectifs ou le fonctionnement de cette organisation, en particulier de son régime des prix ;

2°) un prix maximal, pour autant, en tout cas, qu'il s'applique à des produits importés, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, notamment lorsqu'il est fixé à un niveau tellement bas que - compte tenu de la situation générale des produits importés comparée à celle des produits nationaux - les opérateurs désirant importer le produit dont s'agit dans l'Etat membre concerné ne pourraient le faire qu'à perte ;

3°) dans la mesure où un prix maximal, fixé unilatéralement par un Etat membre, serait incompatible avec l'article 30 du traité où les dispositions du droit agricole de la communauté, l'Etat membre concerné ne saurait se fonder, pour justifier cette fixation, ni sur l'article 103 du traité, ni sur la nécessite de protéger l'économie contre des pratiques spéculatives, ni encore sur un changement intervenu dans la situation économique du secteur du sucre.