CJCE, 1re ch., 8 décembre 1987, n° 20-87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ministère public
Défendeur :
Gauchard
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bosco
Avocat général :
M. Da Cruz Vilaca
Juges :
MM. Joliet, Schockweike
Avocat :
Me Roussel
LA COUR,
1. Par jugement du 11 décembre 1986, le Tribunal de police de Falaise (Calvados) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle visant à savoir si "la législation française relative à l'urbanisme commercial et tout particulièrement les articles 28 à 36 de la loi du 27 décembre 1973 sont compatibles avec les dispositions du traité de Rome et les directives de la Communauté économique européenne".
2. Cette question a été soulevée dans le cadre des poursuites pénales engagées contre M. A. Gauchard, gérant d'un supermarché à Falaise, prévenu d'avoir procédé, en 1979, à une extension de sa surface de vente, sans avoir obtenu l'autorisation exigée à cet effet par la loi française du 27 décembre 1973 sur l'urbanisme commercial (" loi Royer ").
3. M. Gauchard s'est défendu en faisant valoir que la réglementation française en matière d'autorisation à l'ouverture et à l'extension de grandes surfaces est contraire aux dispositions du traité, dans la mesure où elle créerait plusieurs discriminations entre les entreprises commerciales, et a demandé au Tribunal de police de Falaise de soumettre à la Cour la question préjudicielle susmentionnée.
4. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des observations soumises à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
5. Eu égard au libellé de la question, il convient tout d'abord de rappeler que, si la Cour n'a pas compétence, aux termes de l'article 177 du traité, pour appliquer la règle communautaire à une espèce déterminée et, partant, pour qualifier une disposition de droit national au regard de cette règle, elle peut cependant, dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée par cet article, à partir des éléments du dossier, fournir à une juridiction nationale les éléments d'interprétation du droit communautaire qui pourraient lui être utiles dans l'appréciation des effets de cette disposition.
6. Si la question posée peut donc être entendue comme visant l'interprétation du droit communautaire, son libellé, qui se borne à mentionner "le droit communautaire européen", n'indique pas la disposition ou les dispositions de ce droit auxquelles il est fait référence.
7. Dans des circonstances similaires, la Cour a déjà précisé qu'il lui incombe d'extraire de l'ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de l'acte portant renvoi, les éléments de droit communautaire qui appellent une interprétation, compte tenu de l'objet du litige (arrêt du 29 novembre 1978, Pigs Marketing Board, 83-78, Rec. p. 2347).
8. Il ressort de la motivation du jugement de renvoi que le Tribunal de police de Falaise estime que l'exigence d'une autorisation préalable aux fins de l'exploitation en France, par un commerçant, d'une surface de vente supérieure à 1 000 m2 ou à 1 500 m2, selon la population de la commune concernée, "constitue incontestablement une restriction à la liberté d'établissement, même si cette restriction est dictée par le souci de protéger une catégorie de commerçants menacés de disparition".
9. A la lumière de ces considérations, il apparaît que la juridiction nationale vise à savoir si le principe de la liberté d'établissement s'oppose à une réglementation nationale telle que la loi française sur l'urbanisme commercial. La question posée à la Cour doit donc être reformulée en ce sens qu'elle vise l'interprétation des dispositions communautaires relatives à la liberté d'établissement, plus précisément l'article 52 du traité CEE, ainsi que les directives 68-363-CEE et 68-364-CEE du Conseil, du 15 octobre 1968 (JO L 258, p. 1 et 6), prises pour sa mise en œuvre dans le domaine des activités non-salariées relevant du commerce de détail.
10. En vue de la réponse à donner à cette question, il est important de souligner que, comme il ressort du dossier de l'affaire, la société exploitant le supermarché en cause est française, établie en France, et le gérant incriminé est de nationalité française et réside en France, ce qui fait qu'on se trouve en l'espèce en présence d'une situation purement interne à un Etat membre.
11. Or, ainsi que la Cour l'a précisé dans son arrêt du 12 février 1987 (221-85, Commission/Royaume de Belgique, Rec. p. 719), en se référant justement au principe de la liberté d'établissement énoncé à l'article 52 du traité CEE, l'article 52 vise à assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d'un Etat membre qui s'établit, ne serait-ce qu'à titre secondaire, dans un autre Etat membre pour y exercer une activité non-salariée et interdit toute discrimination fondée sur la nationalité en tant que restriction à la liberté d'établissement.
12. L'absence de tout élément sortant d'un cadre purement national dans une espèce déterminée a ainsi pour effet, en matière de liberté d'établissement tout comme dans les autres secteurs, que les dispositions du droit communautaire ne sont pas applicables à une telle situation.
13. Il y a donc lieu de répondre à la question posée par le Tribunal de police de Falaise en ce sens que ni l'article 52 du traité CEE ni les directives 68-363-CEE et 68-364-CEE du Conseil, prises pour sa mise en œuvre dans le domaine particulier des activités non-salariées relevant du commerce de détail, ne s'appliquent à des situations purement internes à un Etat membre, telles que celle d'un ressortissant d'un Etat membre qui n'aurait jamais résidé ou travaille dans un autre Etat membre.
Sur les dépens :
14. Les frais exposés par le Gouvernement français et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal de police de Falaise, par jugement du 11 décembre 1986, dit pour droit :
Ni l'article 52 du traité CEE ni les directives 68-363-CEE et 68-364-CEE du Conseil, prises pour sa mise en œuvre dans le domaine des activités non-salariées relevant du commerce de détail, ne s'appliquent à des situations purement internes à un Etat membre, telles que celle d'un ressortissant d'un Etat membre qui n'aurait jamais résidé ou travaille dans un autre Etat membre.