CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 14 avril 2003, n° 2002-01178
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Perguy (Sté)
Défendeur :
Beraud Sudreau (Sté), Hunter Douglas (Sté), SMABTP, Harguindeguy, Ibarlosa, Rumeau
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mas
Assesseurs :
MM. Bensoussan, Mettas, Bioy, Zavaro
Avoués :
SCP Chateau-Passera, SCP Sorel Dessart Sorel, SCP Rives Podesta
Avocats :
Mes Declety, De Tassigny, Branche, Berranger, SCP Personnaz.
Faits et procédure :
En 1989 le syndicat des copropriétaires de la " Résidence Clos Saint-Martin " à Biarritz a confié à la société Perguy le remplacement des lames verticales en aluminium placées en façade des loggias de l'ensemble immobilier.
Les travaux ont été réceptionnés en juin 1990.
Invoquant la corrosion des lames "Luxalon" des claustras, le syndicat des copropriétaires a assigné en référé et au fond la société Perguy en désignation d'expert et indemnisation.
La société Perguy a assigné en garantie son assureur la SMABTP et la société Beraud Sudreau fournisseur du matériel litigieux qui a, elle-même appelé en cause et en garantie la société Hunier Douglas fabricant de ce matériel.
Au vu du rapport déposé par l'expert Sayous concluant à l'inadaptation à une atmosphère marine du matériel mis en place, assurant une fonction esthétique et de confort pour limiter les entrées d'eau de pluie dans les séchoirs, le syndicat des copropriétaires a sollicité la condamnation des défendeurs à l'indemniser du préjudice subi du fait des désordres ressortant de la garantie décennale.
Par jugement du 20 août 1996 le Tribunal de Bayonne a:
- condamné la société Perguy à procéder sous astreinte au remplacement des lames litigieuses sous contrôle de l'expert Sayous,
- condamné la société Beraud-Sudreau à relever la société Perguy de cette condamnation et condamné la société Hunier Douglas à relever la société Beraud-Sudreau à concurrence des 2/3 en retenant le caractère décennal des désordres affectant les lames, le non-respect par la société Beraud-Sudreau de son obligation contractuelle et la faute contractuelle de la société Hunier Douglas qui aurait livré un matériau non conforme à ses propres documents techniques.
Le tribunal a par ailleurs condamné la SMABTP à garantir son assurée Perguy.
Sur les appels de la société Hunier Douglas et de la société Beraud-Sudreau la Cour de Pau, réformant le jugement déféré, a écarté le caractère décennal des désordres en retenant leur caractère biennal et la prescription de l'action introduite par le syndicat des copropriétaires, retenu l'obligation de la société Perguy sur le fondement contractuel à l'égard du syndicat des copropriétaires et rejeté les appels en garantie de la société Perguy à l'encontre de la SMABTP et des sociétés Beraud-Sudreau et Hunter Douglas.
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Perguy à l'encontre du syndicat des copropriétaires, des sociétés Pau et Hunier Douglas, de la SMABTP et des héritiers de Jean Harguindeguy la Cour de cassation a mis hors de cause le syndicat des copropriétaires et cassé partiellement l'arrêt de la Cour d'appel de Pau au visa de l'article 1792 du Code civil en ce qu'il a débouté la société Perguy de ses demandes en garantie à l'encontre de la SMABTP et des sociétés Beraud-Sudreau et Hunier Douglas et rejeté les demandes formées par ces sociétés et la société Perguy.
La cour de cassation a retenu que la cour de Pau n'avait pas recherché, comme il lui était demandé, ci les désordres affectant, les lames litigieuses, élément d'équipement ne rendaient pas l'ouvrage impropre à sa destination alors qu'elle avait relevé que ces lames devaient outre leur fonction esthétique, limiter les entrées d'eau de pluie.
La société Perguy a saisi la cour et mis en cause la société Beraud-Sudreau, la société Hunter Douglas, la SMABTP et les héritiers de Jean Harguindeguy.
Au terme de ses dernières écritures la SARL Perguy demande à la cour de condamner la SMABTP et la société Beraud-Sudreau "solidairement" à la relever et garantir des condamnations prononcées au bénéfice du syndicat des copropriétaires soit 510 321,57 F TTC (77 798,02 euro) avec indexation sur le coût de la construction depuis juin 1994 et les intérêts de retard à compter du 11 janvier 2000.
Elle demande subsidiairement la condamnation pour le tout de l'une ou de l'autre des sociétés défenderesses et réclame outre les dépens, 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle ne demande rien aux hoirs Harguindeguy.
Elle invoque la responsabilité contractuelle des sociétés Beraud-Sudreau et Hunier Douglas et les articles 1603 et 1604 du Code civil pour fourniture d'un matériel non conforme, soit des lames 3003 au lieu de lames de type 5050 adaptées à l'atmosphère marine.
Elle invoque à l'égard de la SMABTP et de la société Hunier Douglas la garantie décennale couverte par la SMABTP et due par la société Hunier Douglas sur le fondement de l'article 1792-4 en sa qualité de fabricant du matériau déficient.
Elle invoque subsidiairement la responsabilité délictuelle à l'égard de la société Hunier Douglas.
La société anonyme Beraud-Sudreau conclut dans le dispositif de ses écritures à la confirmation de la décision du tribunal de grande instance de Bayonne en ce qu'il a jugé que les désordres relevant de la garantie biennale et déclaré prescrites les actions récursoires et demande subsidiairement un partage de responsabilité à hauteur de 85 % pour la société Hunier Douglas, 5 % pour elle-même, les autres 10 % restant à la charge du syndicat.
Elle soutient que la société Hunier Douglas n'a pas livré le matériau commandé par elle, ce qui est à l'origine des désordres.
La SARL Hunier Douglas conclut dans le dispositif de ses écritures à la confirmation "du jugement de la Cour d'appel de Pau" et au débouté "du syndicat des copropriétaires".
Elle demande de constater que seule la garantie biennale serait due, de condamner (toujours) le syndicat des copropriétaires, la société Perguy et la société Beraud Sudreau à lui payer des dommages-intérêts pour procédure abusive et une somme par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soutient dans le corps de ses conclusions qu'elle n'aurait pas été informée de la destination des matériaux commandés, que le nettoyage régulier nécessaire n'a pas été effectué par le syndicat, qu'elle ne s'est pas engagée sur la tenue du matériel livré dans les conditions d'utilisation qui ont été constatées, que la corrosion des lames ne rend pas l'ouvrage impropre à sa destination et qu'elle n'a pas contractuellement promis de garantie décennale.
La SMABTP soutient que les désordres relèvent de la responsabilité contractuelle des fournisseurs et fabricant; qu'ils ne ressortent pas de la garantie décennale faute de rendre l'ouvrage impropre à sa destination et qu'en conséquence elle ne doit pas sa garantie et doit être mise hors de cause.
Elle demande subsidiairement à être garantie par les sociétés Beraud-Sudreau et Hunier Douglas responsables de l'inadaptation du matériau et dit qu'elle est en droit de faire application de la franchise contractuelle.
Les hoirs Harguindeguy soutiennent que les désordres relèvent de la garantie décennale; que les demandes de garantie formées par la SARL Perguy sont justifiées sur le fondement de cette garantie légale ou subsidiairement sur le fondement contractuel ou délictuel.
Ils réclament aux sociétés Beraud-Sudreau et Hunier Douglas 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Beraud-Sudreau a déposé postérieurement à la clôture de nouvelles écritures rectifiant une erreur matérielle contenue dans ses écritures antérieures relative à une demande de condamnation du syndicat des copropriétaires non partie à l'instance ; ces écritures ne modifiant pas le litige pour les autres parties ont été avec l'accord de celles-ci admises aux débats après révocation de la clôture et prononcé d'une nouvelle clôture avant l'ouverture des débats.
Motifs de la décision:
Attendu qu'à la suite de l'arrêt de la cour de cassation, la condamnation de la société Perguy à l'égard du syndicat des copropriétaires de la résidence Clos Saint-Martin est définitive et il convient de statuer sur les recours formés par la société Perguy à l'égard de son assureur la SMABTP, d'une part, et des sociétés Beraud-Sudreau et Hunier Douglas ainsi que sur les recours formés par la SMABTP et les sociétés susvisées
Attendu que la SMABTP est l'assureur garantie décennale de la société Perguy; qu'il est établi et non contesté que sa garantie ne peut être due que dans la mesure où les désordres allégués affectant les lames Luxalon ressortent de la garantie décennale prévue par l'article 1792 du Code civil;
Attendu que les lames Luxalon constituant sans discussion sur ce point un élément d'équipement dissociable, les désordres les affectant ne peuvent être qualifiés de décennaux, que s'ils rendent l'ouvrage impropre à sa destination ;
Attendu alors qu'il résulte des constatations de l'expert Sayous que les lames Luxalon sont atteintes par la corrosion qui va nécessairement à terme entraîner leur destruction;
Attendu que ces lames sont destinées selon les photographies produites et les constatations expertales à protéger de manière esthétique une partie des balcons pouvant servir à l'étendage du linge ;
Attendu qu'à cet effet elles laissent passer l'air mais empêchent une pluie de faible intensité d'atteindre le balcon et diminuent très fortement compte tenu de leur faible écartement et de leur disposition les entrées d'eau même en cas de forte pluie;
Attendu que leur destruction empêcherait à l'évidence une utilisation des balcons ainsi protégés conforme à la destination qui a voulu leur être donnée par le constructeur ; que les désordres devant entraîner à terme, dans un avenir prévisible, une impropriété de l'ouvrage à sa destination ressortent de la garantie décennale prévue par l'article 1792 du Code civil et couverte par la SMABTP qui doit donc garantir la société Perguy des condamnations définitives prononcées à son encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires ;
Attendu toutefois que la SMABTP est bien fondée à opposer la franchise contractuelle à son assurée ;
Attendu que la société Perguy et la SMABTP sur justification de sa subrogation après paiement dans les droits de son assurée sont recevables à rechercher la garantie des sociétés Beraud-Sudreau et Hunier Douglas sous réserve de prouver une mauvaise exécution de leurs obligations contractuelles en leur qualité réciproque de fournisseurs et de fabricants vendeurs;
Attendu que l'expert Sayous a retenu, sans être techniquement contredit sur ce point, que les lames Luxalon de type 3003 fournis par la société Beraud-Sudreau à la société Perguy n'étaient pas susceptibles de donner satisfaction dans les conditions de leur utilisation à proximité du bord de mer en raison de leur faible résistance à la corrosion ;
Attendu qu'il est établi et non contesté que la société Beraud-Sudreau connaissait pour être venue sur le chantier l'utilisation qui devait être faite du produit commandé, qu'il lui appartenait donc de livrer un produit conforme à cette utilisation;
Attendu que la société Beraud-Sudreau a facturé des lames Luxalon de référence 84 R. EC 0401 qui selon les documents techniques et publicitaires produits et analysés par l'expert correspondaient à des lames aluminium de type 5050 ayant une bonne résistance en milieu maritime alors que les éléments livrés correspondent en fait à des lames d'aluminium de type 3003 offrant une moindre résistance;
Attendu que la faute de la société Beraud-Sudreau qui en sa qualité de professionnelle tenue de livrer un matériau conforme à la commande et à ses propres documents ne peut s'exonérer en invoquant une faute de son propre fournisseur est ainsi établie, que cette société doit donc garantir entièrement la société Perguy et la SMABTP, sur justification du paiement subrogatoire, des condamnations prononcées ; aucune faute ne pouvant être retenue à l'encontre de la société Perguy qui a, selon les observations non discutées de l'expert, mis correctement en œuvre le matériau livré;
Attendu que la société Hunier Douglas, fabricant et vendeur du matériau livré, fourni par la société Beraud-Sudreau devait livrer un matériau conforme à la commande passée par cette société;
Attendu que selon les documents de cette société les feuillards de type bordage 84 R 401 sont en alliage aluminium résistant à la corrosion AA 5050 ;
Attendu qu'il résulte des bons de commande de la société Beraud-Sudreau que celle-ci a commandé des lames Luxalon portant un numéro de Code de série 30 000 se terminant par un numéro 401
Attendu que la société Hunier Douglas ne produit pas d'autres documents relatifs aux lames Luxalon que ceux réunis par l'expert et faisant référence à une qualité d'aluminium 5050 pour les bardages Luxalon type 84 R;
Attendu qu'il est constant que les lames livrées à Beraud-Sudreau ne correspondaient pas à ce type d'aluminium, qu'Hunier Douglas ne prétend pas que les numéros visés sur les commandes de Beraud-Sudreau 3000 78.0401 correspondaient effectivement dans ses références connues de Beraud-Sudreau à des bardages Luxalon en aluminium 3.003;
Attendu que la société Hunier Douglas a donc commis une faute certaine en livrant des lames non conformes à sa propre documentation à la société Beraud-Sudreau ; que cette faute contractuelle dont elle doit répondre également sur ce fondement à l'égard du sous acquéreur Perguy recevable à l'invoquer a contribué au préjudice subi par Perguy et la SMABTP tenue à garantie;
Attendu qu'Hunier Douglas doit donc relever et garantir la société Perguy à proportion de la faute retenue à son encontre envers Beraud-Sudreau;
Attendu qu'à cet égard il est établi que les bons de commande adressés par Beraud-Sudreau à Hunier Douglas ne faisaient aucune référence à la destination ni aux conditions d'utilisation du produit commandé;
Attendu que fa société Hunter Douglas ayant prévu dans sa documentation une possibilité de modification des matériaux proposés à la clientèle il était prudent pour la société Beraud-Sudreau d'informer la société Hunier Douglas de la destination des produits commandés devant être utilisés dans une atmosphère maritime pour obtenir confirmation de la composition des produits référencés et de leur résistance;
Attendu certes qu'il appartenait au premier chef à la société Hunier Douglas d'aviser ses clients de la composition des produits et de leur évolution par rapport aux fiches techniques existantes mais qu'un complément d'information donné par la société Beraud-Sudreau aurait attiré l'attention de la société Hunier Douglas sur la nécessité de vérifier la compatibilité du produit;
Attendu qu'une part de responsabilité de 15 % dans la réalisation du sinistre doit donc être laissée à la charge de la société Beraud-Sudreau, la société Hunier Douglas supportant 85 %
Attendu que la décision sera opposable aux hoirs Harguindeguy;
Attendu que rien ne justifie la demande de dommages- intérêts formée par la société Hunter Douglas;
Attendu enfin qu'il apparaît équitable d'allouer aux hoirs Harguindeguy la somme de 1 200 euro et à la société Perguy la somme de 3 900 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à la charge in solidum des sociétés Beraud-Sudreau et Hunier Douglas ladite somme répartie entre ces sociétés à proportion de leur responsabilité;
Attendu que les autres demandes formées à ce titre ne sont pas justifiées par l'équité;
Par ces motifs : LA COUR : Vu l'arrêt de la cour de cassation du 19 février 2002; Réformant partiellement la décision déférée (TGI Bayonne 20/08/1996) et statuant à nouveau dans les limites de la cassation; Condamne la SMABTP sous déduction de la franchise contractuelle à relever et garantir la SARL Perguy des condamnations prononcées à son encontre au profit du syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Résidence Clos Saint Martin" par l'arrêt de la cour d'appel de Pau du 11 janvier 2000 au titre de la réparation des désordres; Condamne in solidum avec la SMABTP (celle-ci sous réserve de la franchise), la société Beraud-Sudreau et la société Hunier Douglas, celle-ci à concurrence seulement de 85 % des condamnations prononcées à relever et garantir la SARL Perguy; Condamne in solidum la société Beraud-Sudreau et la société Hunier Douglas, cette dernière à concurrence de 85 % à relever et garantir la SMABTP des sommes qu'elle justifiera avoir versé au titre des condamnations qui précèdent; Condamne la société Hunier Douglas à relever et garantir la société Beraud-Sudreau à concurrence de 85 % des condamnations prononcées à l'encontre de cette société; Dit le présent arrêt opposable aux hoirs Harguindeguy; Condamne in solidum la société Beraud-Sudreau et la société Hunier Douglas à proportion entre elles respectivement de 15 % et 85 % à payer en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : * à la société Perguy la somme de 3 900 euro; * aux hoirs Harguindeguy la somme de 1 200 euro; Rejette les autres demandes formées à ce titre; Rejette les demandes en dommages-intérêts; Condamne les mêmes sociétés dans les mêmes proportions aux dépens de première instance et d'appel y compris ceux de référé et d'expertise; Dit que les SCP Boyer-Lescat-Merle, Chateau-Passera et Malet pourront directement recouvrer ceux dont ils ont fait l'avance dans avoir reçu provision.