CJCE, 6e ch., 5 octobre 1988, n° 196-87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Steymann
Défendeur :
Staatssecretaris van Justitie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Avocat général :
M. Darman
Juges :
MM. Koopmans, Bahlmann, Kakouris, O'Higgins
LA COUR (sixième chambre),
1 Par ordonnance du 3 juin 1987, parvenue à la Cour le 24 juin suivant, le raad van state des Pays-Bas a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 2, 59 et 60 du traité CEE.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre M. Udo Steymann et le Staatssecretaris van Justitie et elles visent, en substance, à savoir dans quelle mesure des activités accomplies en tant que membre d'une communauté religieuse peuvent être qualifiées d'activités économiques ou de services, au sens des dispositions précitées du traité.
3 Le requérant au principal, M. Steymann, de nationalité allemande, s'est installé aux Pays-Bas le 26 mars 1983. Il y a travaillé pendant une brève période en tant que plombier salarié. Par la suite, il est devenu membre de la communauté religieuse "de stad rajneesh neo-sannyas commune" (ci-après "communauté bhagwan "), qui assure son indépendance économique grâce à des activités commerciales telles que l'exploitation d'une discothèque, d'un débit de boissons et d'une laverie automatique.
4 Au titre de sa participation à la vie de la communauté Bhagwan, le requérant effectue certains travaux de plomberie dans l'immeuble de cette communauté ainsi que des travaux ménagers d'ordre général. Il collabore, en outre, à l'activité commerciale de la communauté. Indépendamment de la nature et de l'étendue de ses activités, la communauté pourvoit en tout état de cause aux besoins matériels de l'intéressé.
5 Le 28 août 1984, M. Steymann a sollicité un permis de séjour aux Pays-Bas, afin de pouvoir exercer une activité salariée. Ce permis lui a été refusé par le chef de la police locale. L'intéressé a formé une demande en révision de ce refus auprès du Staatssecretaris van Justitie; par décision du 20 décembre 1985, sa demande a été rejetée au motif, entre autres, qu'il n'exerçait pas d'activité salariée et, dès lors, n'avait pas la qualité de ressortissant CEE privilégié, au sens de la législation néerlandaise, en matière de police des étrangers.
6 Le 8 janvier 1986, M. Steymann a formé un recours contre la décision précitée du Staatssecretaris van Justitie devant le raad van state, en soutenant que, en tant que membre de la communauté Bhagwan, il est destinataire et prestataire de services de la part et au profit de la communauté. La juridiction nationale a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) Peut-il y avoir activité économique ou service au sens du traité instituant la Communauté économique européenne, s'il s'agit d'activités consistant dans - et se confondant entièrement avec - la participation à une communauté, fondée sur une religion ou autre inspiration spirituelle ou philosophique et l'observation des préceptes qui en découlent et dans le cadre de laquelle des avantages sont offerts réciproquement ?
2) Les articles 59 et 60 du traité CEE doivent-ils être interprétés en ce sens qu'il n'y a pas lieu de parler de prestations de services au sens dudit traité lorsqu'un ressortissant d'un Etat membre se rend sur le territoire d'un autre Etat membre en vue d'y séjourner pendant une durée indéterminée - établissant, ce faisant, sa résidence principale dans cet autre Etat membre -, tandis qu'une limitation de ce séjour dans le temps ne résulte pas non plus de la nature des prestations fournies ?
3) Les articles 59 et 60 du traité, précités, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'il n'y a pas lieu de parler de bénéfice de prestations de services, au sens dudit traité, lorsqu'un ressortissant d'un Etat membre se rend sur le territoire d'un autre Etat membre en vue d'y séjourner pendant une durée indéterminée - établissant, ce faisant, sa résidence principale dans cet autre Etat membre -, tandis qu'une limitation de ce séjour dans le temps ne résulte pas non plus de la nature des prestations reçues?"
7 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des faits du litige au principal, ainsi que des observations écrites soumises à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la première question :
8 La première question vise, en substance, à savoir dans quelle mesure des activités qu'accomplissent les membres d'une Communauté fondée sur une religion ou autre inspiration spirituelle ou philosophique dans le cadre des activités propres à une telle Communauté peuvent être qualifiées d'activités économiques, au sens du traité CEE.
9 A cet égard, il convient de constater à titre liminaire que, compte tenu des objectifs de la Communauté, la participation à une communauté fondée sur une religion ou autre inspiration spirituelle ou philosophique ne relève du champ d'application du droit communautaire que dans la mesure où elle peut être considérée comme une activité économique au sens de l'article 2 du traité.
10 Comme la Cour l'a jugé dans son arrêt du 14 juillet 1976 (13-76, Dona/Mantaro, Rec. p. 1333), une prestation de travail salarié ou une prestation de services rémunérés doit être regardée comme une activité économique, au sens de la disposition précitée du traité.
11 En ce qui concerne les activités visées en l'espèce au principal, il résulte du dossier que celles-ci comportent des travaux effectués au sein et pour le compte de la communauté Bhagwan dans le cadre de l'exercice, par cette dernière, de ses activités commerciales. Il semble que ces travaux occupent une place assez importante dans le mode de vie de la communauté Bhagwan et que les membres ne s'y soustraient que dans des circonstances particulières. A son tour, la communauté Bhagwan pourvoit aux besoins matériels de ses membres, y compris l'argent de poche, indépendamment de la nature et de l'étendue des travaux que ceux-ci effectuent.
12 Dans un cas comme celui visé par la juridiction nationale, il ne peut être exclu a priori que les travaux effectués par les membres de cette Communauté constituent une activité économique, au sens de l'article 2 du traité. En effet, dans la mesure où ces travaux, qui tendent à garantir une indépendance économique à la communauté Bhagwan, constituent un élément essentiel de la participation à la communauté en question, les prestations accordées par celle-ci à ses membres peuvent être considérées comme une contrepartie indirecte de leurs travaux.
13 Toutefois, il convient d'observer, comme la Cour l'a jugé dans son arrêt du 23 mars 1982 (53-81, Levin, Rec. p. 1035), que les travaux doivent être réels et effectifs et non pas de nature telle qu'ils se présentent comme purement marginaux et accessoires. Or, la juridiction nationale a constaté qu'en l'espèce les travaux étaient réels et effectifs.
14 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que l'article 2 du traité CEE doit être interprété en ce sens que constituent des activités économiques les activités qu'accomplissent les membres d'une communauté fondée sur une religion ou autre inspiration spirituelle ou philosophique dans le cadre des activités commerciales exercées par cette communauté, dans la mesure où les prestations accordées par la communauté à ses membres peuvent être considérées comme la contrepartie indirecte d'activités réelles et effectives.
Sur les deuxième et troisième questions :
15 Les deuxième et troisième questions soulèvent le point de savoir, en substance, si les articles 59 et 60 du traité visent la situation d'un ressortissant d'un Etat membre qui se rend sur le territoire d'un autre Etat membre et y établit sa résidence principale, en vue d'y fournir ou de bénéficier de prestations de services pendant une durée indéterminée.
16 A cet égard, le Gouvernement néerlandais et la Commission ont observé, à juste titre, que les articles 59 et 60 du traité ne sont pas d'application dans un tel cas. En effet, il ressort du libellé même de l'article 60 qu'une activité exercée à titre permanent ou, en tout cas, sans limitation prévisible de durée ne saurait relever des dispositions communautaires relatives aux prestations de services. En revanche, de telles activités peuvent tomber dans le champ d'application, suivant les cas, des articles 48 a 51 et 52 a 58 du traité.
17 Il y a donc lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que les articles 59 et 60 du traité ne visent pas la situation d'un ressortissant d'un Etat membre qui se rend sur le territoire d'un autre Etat membre et y établit sa résidence principale, en vue d'y fournir ou de bénéficier de prestations de services pendant une durée indéterminée.
Sur les dépens :
18 Les frais exposés par le Gouvernement néerlandais et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le raad van state des Pays-Bas, par ordonnance du 3 juin 1987, dit pour droit :
1) L'article 2 du traité CEE doit être interprété en ce sens que constituent des activités économiques les activités qu'accomplissent les membres d'une communauté fondée sur une religion ou autre inspiration spirituelle ou philosophique dans le cadre des activités commerciales exercées par cette communauté, dans la mesure où les prestations accordées par la communauté à ses membres peuvent être considérées comme la contrepartie indirecte d'activités réelles et effectives.
2) Les articles 59 et 60 du traité ne visent pas la situation d'un ressortissant d'un Etat membre qui se rend sur le territoire d'un autre Etat membre et y établit sa résidence principale, en vue d'y fournir ou de bénéficier de prestations de services pendant une durée indéterminée.