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Décisions

CJCE, 6e ch., 16 janvier 2003, n° C-388/01

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

CJCE n° C-388/01

16 janvier 2003

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 8 octobre 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en réservant des avantages tarifaires discriminatoires pour l'accès aux musées, monuments, galeries, fouilles archéologiques, parcs et jardins classés monuments publics, accordés par les collectivités locales ou nationales décentralisées aux seuls ressortissants italiens ou aux seuls résidents sur le territoire desdites collectivités gérant l'installation culturelle en question âgés de plus de 60 ou 65 ans, et en excluant de tels avantages les touristes ressortissants des autres Etats membres ou les non-résidents qui satisfont aux mêmes conditions objectives d'âge, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 CE et 49 CE.

La réglementation nationale

2. L'article 1er, paragraphe 1, du décret n° 507 du ministère du Patrimoine culturel et des Sites naturels, du 11 décembre 1997, intitulé "Règlement instituant le billet d'entrée aux monuments, musées, galeries, fouilles archéologiques, parcs et jardins classés monuments nationaux" (GURI n° 35, du 12 février 1998, p. 13), dispose:

"L'entrée aux monuments, musées, galeries, fouilles archéologiques, parcs et jardins classés monuments nationaux est autorisée contre paiement d'un billet dont la validité peut ne pas dépendre de la date d'émission."

3. Aux termes de l'article 4, paragraphe 3, du même décret:

"L'entrée gratuite est accordée:

[...]

E) aux citoyens italiens âgés de moins de dix-huit ans ou de plus de soixante ans. Les visiteurs de moins de douze ans doivent être accompagnés;

[...]"

4. Le décret n° 375 du même ministère, du 28 septembre 1999, intitulé "Règlement portant modification du décret ministériel n° 507, du 11 décembre 1997, instituant le billet d'entrée aux monuments, musées, galeries, fouilles archéologiques, parcs et jardins classés monuments nationaux" (GURI n° 253, du 27 octobre 1999, p. 20), prévoit à son article unique:

"1°) Les modifications suivantes sont apportées à l'article 4 du décret n° 507, du 11 décembre 1997:

A) au paragraphe 3, point E), la première phrase est remplacée par la phrase suivante: aux citoyens de l'Union européenne âgés de moins de dix-huit ans ou de plus de soixante-cinq ans;

[...]"

La procédure précontentieuse

5. Après avoir été saisie de plusieurs plaintes au cours de l'année 1998, la Commission a effectué des enquêtes qui ont abouti à la conclusion que le régime tarifaire préférentiel applicable aux personnes âgées de plus de 60 ou 65 ans pour l'entrée au Palais des Doges, à Venise (Italie), ainsi que, notamment, aux musées communaux des villes italiennes de Trévise, de Padoue et de Florence comportait une discrimination fondée soit sur la nationalité, soit sur la résidence, au détriment des ressortissants des Etats membres autres que la République italienne.

6. Plusieurs courriers de la Commission par lesquels celle-ci demandait au gouvernement italien de lui fournir des informations à ce sujet étant restés sans réponse, la Commission a, le 1er juillet 1999, adressé une lettre de mise en demeure à la République italienne.

7. Par lettre du 5 octobre 1999, les autorités italiennes ont informé la Commission d'une modification imminente du décret n° 507, en vue d'étendre à tous les citoyens des Etats membres le régime tarifaire préférentiel d'entrée dans les musées nationaux réservé jusqu'alors aux citoyens italiens. Lesdites autorités ont en outre précisé qu'une interprétation extensive de la réglementation en vigueur permet en fait l'application des avantages tarifaires litigieux à tous les citoyens communautaires.

8. Estimant que la réponse du gouvernement italien n'était pas satisfaisante, la Commission a, le 2 février 2000, adressé un avis motivé à la République italienne en relevant, notamment, que la modification annoncée concernait les musées et monuments nationaux et non pas les musées et monuments communaux dont font partie les musées de Florence, de Padoue, de Trévise et de Venise. Par ailleurs, l'interprétation extensive de la réglementation en vigueur ne suffirait pas à éliminer le manquement. En outre, selon la circulaire ministérielle n° 1560, du 11 mars 1998, qui a pour objet d'interpréter le décret n° 507, l'extension du bénéfice des avantages tarifaires réservés par la réglementation en vigueur aux seuls citoyens italiens serait laissée à l'appréciation discrétionnaire du gestionnaire de l'établissement touristique concerné.

9. Le 12 octobre 2000, la Commission a été saisie d'une nouvelle plainte relative au Palais des Doges, selon laquelle la gratuité du droit d'entrée accordée aux personnes âgées de plus de 60 ans ne profiterait qu'aux seuls citoyens italiens.

10. Le 13 novembre 2000, la Commission a adressé une lettre à la République italienne pour lui demander des explications à cet égard et une copie des règlements relatifs à l'accès aux différents musées en Italie. Par ailleurs, par lettre du 2 avril 2001, la Commission a, notamment, demandé aux autorités italiennes de préciser les moyens par lesquels elles entendaient mettre un terme à la discrimination exercée à l'égard des ressortissants communautaires autres que les citoyens italiens en ce qui concerne les sites du patrimoine culturel italien dont les communes sont propriétaires.

11. Aucune réponse n'étant parvenue à la Commission dans le délai de deux mois imparti par l'avis motivé, celle-ci a décidé d'introduire le présent recours.

Sur le recours

12. La Cour a déjà jugé qu'une réglementation nationale relative à l'accès aux musées d'un Etat membre, qui comporte une discrimination au détriment des seuls touristes étrangers, est, pour les ressortissants des autres Etats membres, interdite par les articles 7 et 59 du traité CEE (devenus respectivement articles 6 et 59 du traité CE, eux-mêmes devenus, après modification, articles 12 CE et 49 CE) (arrêt du 15 mars 1994, Commission/Espagne, C-45-93, Rec. p. I-911).

13. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 5 décembre 1989, Commission/Italie, C-3-88, Rec. p. 4035, point 8) que le principe d'égalité de traitement, dont l'article 49 CE est une expression particulière, prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat.

14. Tel est le cas, notamment, d'une mesure qui prévoit une distinction fondée sur le critère de la résidence, en ce que celui-ci risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d'autres Etats membres, dans la mesure où les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux (voir, notamment, arrêt du 29 avril 1999, Ciola, C-224-97, Rec. p. I-2517, point 14). Dans ce contexte, il est indifférent que la mesure litigieuse affecte, le cas échéant, aussi bien les ressortissants nationaux résidant dans les autres parties du territoire national que les ressortissants des autres Etats membres. Pour qu'une mesure puisse être qualifiée de discriminatoire, il n'est pas nécessaire qu'elle ait pour effet de favoriser l'ensemble des ressortissants nationaux ou de ne défavoriser que les seuls ressortissants des autres Etats membres à l'exclusion des nationaux (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 6 juin 2000, Angonese, C-281-98, Rec. p. I-4139, point 41).

15. En l'occurrence, il est constant que la gratuité du droit d'accès aux musées, monuments, galeries, fouilles archéologiques, parcs et jardins classés monuments publics, accordée par les collectivités locales ou nationales décentralisées, est réservée aux seuls ressortissants italiens ou aux seuls résidents sur le territoire des collectivités gérant le musée ou le monument public en question, notamment lorsqu'ils sont âgés de plus de 60 ou 65 ans, en sorte que sont exclus du bénéfice de l'accès gratuit les touristes ressortissants des autres Etats membres ou les non-résidents qui satisfont aux mêmes conditions objectives d'âge.

16. En effet, le gouvernement italien ne conteste pas que les modifications introduites dans l'article 4 du décret n° 507 par le décret n° 375, afin d'étendre aux ressortissants de tous les Etats membres le bénéfice des avantages tarifaires litigieux, ne visent pas les musées ni les autres monuments gérés par les collectivités locales et nationales décentralisées.

17. La Commission reconnaît ainsi que le décret n° 375 a mis fin au manquement allégué en ce qui concerne les musées et monuments gérés par l'état et elle rappelle que le présent recours porte exclusivement sur les réglementations tarifaires applicables aux musées et aux monuments gérés par les collectivités locales et nationales décentralisées.

18. La République italienne avance toutefois différentes raisons d'intérêt général afin de justifier les avantages tarifaires litigieux. D'une part, eu égard aux coûts engendrés par la gestion des biens culturels, l'accès gratuit à ceux-ci ne pourrait faire abstraction de considérations d'ordre économique. D'autre part, le traitement de faveur réservé aux ressortissants italiens ou à certains résidents serait justifié par des raisons de cohérence du système fiscal, en ce que lesdits avantages constitueraient la contrepartie du paiement des impôts par lesquels ces ressortissants ou résidents participent à la gestion des sites concernés.

19. Tout d'abord, pour autant que les avantages tarifaires litigieux prévoient une distinction fondée sur le critère de la nationalité, il convient de rappeler que de tels avantages ne sont compatibles avec le droit communautaire que s'ils peuvent relever d'une disposition dérogatoire expresse, tel l'article 46 CE, auquel l'article 55 CE renvoie, à savoir l'ordre public, la sécurité publique et la santé publique. Des objectifs de nature économique ne peuvent constituer des raisons d'ordre public au sens de l'article 46 CE (voir, notamment, arrêt du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson, C-484-93, Rec. p. I-3955, point 15).

20. Par conséquent, dans la mesure où ni la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal ni les considérations d'ordre économique invoquées par le gouvernement italien ne relèvent des exceptions admises par l'article 46 CE, les avantages tarifaires litigieux, en tant qu'ils sont réservés aux seuls ressortissants italiens, sont incompatibles avec le droit communautaire.

21. Ensuite, pour autant que lesdits avantages tarifaires prévoient une distinction fondée sur le critère de la résidence, il convient d'examiner si les justifications sur lesquelles se fonde le gouvernement italien constituent des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier de tels avantages.

22. S'agissant, en premier lieu, des motifs de nature économique avancés par le gouvernement italien, il suffit de rappeler qu'ils ne sauraient être admis, des objectifs de nature purement économique ne pouvant constituer des raisons impérieuses d'intérêt général de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité (voir, notamment, arrêt du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35-98, Rec. p. I-4071, point 48).

23. S'agissant, en second lieu, de la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal, laquelle, dans l'arrêt du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204-90, Rec. p. I-249), a été reconnue comme susceptible de justifier des réglementations de nature à restreindre les libertés fondamentales garanties par le traité, il y a lieu de rappeler que, dans les affaires qui ont donné lieu à l'arrêt Bachmann, précité, ainsi qu'à l'arrêt du même jour, Commission/Belgique (C-300-90, Rec. p. I-305), il existait un lien direct entre la déductibilité des cotisations, d'une part, et l'imposition des sommes dues par des assureurs en exécution des contrats d'assurance contre la vieillesse et le décès, d'autre part, lien qu'il était nécessaire de préserver en vue de sauvegarder la cohérence du système fiscal en cause (voir à cet égard, notamment, arrêts Svensson et Gustavsson, précité, point 18; du 27 juin 1996, Asscher, C-107-94, Rec. p. I-3089, point 58; du 16 juillet 1998, ICI, C-264-96, Rec. p. I-4695, point 29, et du 28 octobre 1999, Vestergaard, C-55-98, Rec. p. I-7641, point 24).

24. Or, en l'espèce, il n'existe aucun lien direct de cette nature entre une quelconque imposition, d'une part, et l'application de tarifs préférentiels pour l'accès aux musées et aux monuments publics visés par le recours en manquement, d'autre part. Il en est d'autant plus ainsi que le bénéfice des avantages tarifaires litigieux est fonction de la résidence de l'intéressé sur le territoire de la collectivité gérant le musée ou le monument public concerné, à l'exclusion des autres personnes résidant en Italie et qui, en tant que telles, sont également assujetties à l'impôt dans cet Etat membre.

25. Dès lors, les avantages tarifaires litigieux, en tant qu'ils sont réservés aux seuls résidents sur le territoire des collectivités gérant le musée ou le monument public concerné, sont également incompatibles avec le droit communautaire.

26. Enfin, le gouvernement italien fait valoir que les réglementations qui ont institué les avantages tarifaires litigieux ne relèvent pas de sa compétence. En effet, ceux-ci concerneraient des musées ou d'autres lieux d'exposition gérés par des collectivités locales, alors que, conformément à l'article 47 du décret du président de la République n° 616, du 24 juillet 1977 (GURI n° 234, du 29 août 1977, supplément ordinaire, III, p. 3), "tous les services et les activités relatifs à l'existence, à la conservation, au fonctionnement, à la jouissance publique et au développement des musées, des collections présentant un intérêt artistique, historique et bibliographique (...) appartenant à la région ou à d'autres collectivités, y compris non territoriales, soumises à son contrôle ou, en tout état de cause, d'intérêt local" relèveraient de la compétence exclusive des régions.

27. À cet égard, il suffit de rappeler qu'un Etat membre ne saurait exciper de situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations qui résultent du droit communautaire. Si chaque Etat membre est libre de répartir, comme il l'entend, les compétences normatives sur le plan interne, il n'en demeure pas moins que, en vertu de l'article 226 CE, il reste seul responsable, à l'égard de la Communauté, du respect desdites obligations (voir, notamment, arrêt du 13 décembre 1991, Commission/Italie, C-33-90, Rec. p. I-5987, point 24).

28. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en réservant des avantages tarifaires discriminatoires pour l'accès aux musées, monuments, galeries, fouilles archéologiques, parcs et jardins classés monuments publics, accordés par les collectivités locales ou nationales décentralisées aux seuls ressortissants italiens ou aux seuls résidents sur le territoire desdites collectivités gérant l'installation culturelle en question qui sont âgés de plus de 60 ou 65 ans, et en excluant de tels avantages les touristes ressortissants des autres Etats membres ou les non- résidents qui satisfont aux mêmes conditions objectives d'âge, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 CE et 49 CE.

es

Sur les dépens

29. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre) déclare et arrête:

1°) En réservant des avantages tarifaires discriminatoires pour l'accès aux musées, monuments, galeries, fouilles archéologiques, parcs et jardins classés monuments publics, accordés par les collectivités locales ou nationales décentralisées aux seuls ressortissants italiens ou aux seuls résidents sur le territoire desdites collectivités gérant l'installation culturelle en question qui sont âgés de plus de 60 ou 65 ans, et en excluant de tels avantages les touristes ressortissants des autres Etats membres ou les non-résidents qui satisfont aux mêmes conditions objectives d'âge, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 CE et 49 CE.

2°) La République italienne est condamnée aux dépens.