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Décisions

CJCE, 3e ch., 15 février 1996, n° C-53/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Inasti

Défendeur :

Kemmler

CJCE n° C-53/95

15 février 1996

LA COUR,

1. Par jugement du 14 février 1995, parvenu à la Cour le 1er mars suivant, le Tribunal du travail de Tournai a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 48, 51, 52 et 59 dudit traité.

2. Cette question a été posée dans le cadre d'un litige qui oppose l'Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (ci-après l'"Inasti") à M. Kemmler, au sujet du paiement de cotisations au régime de sécurité sociale belge des travailleurs indépendants.

3. M. Kemmler, de nationalité allemande, a exercé une activité indépendante en qualité d'avocat à Francfort et à Bruxelles. Il a toujours été domicilié en Allemagne, où il était assujetti au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants, mais il a, en outre, résidé à Flobecq (arrondissement judiciaire de Tournai) en Belgique pendant une partie de la période litigieuse.

4. Selon l'Inasti, M. Kemmler devait être considéré comme assujetti à la sécurité sociale belge jusqu'au 30 juin 1982, date d'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 1390-81 du Conseil, du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille le règlement n° 1408-71 du Conseil (JO L 143, p. 1). En effet, en l'absence d'une convention bilatérale de sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et la République fédérale d'Allemagne, l'intéressé devait verser les cotisations afférentes à son activité professionnelle en Belgique, au sens de l'article 3, paragraphe 1, de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, organisant le statut social des travailleurs indépendants (Moniteur belge du 29 juillet 1967).

5 A ce titre, l'Inasti a réclamé à M. Kemmler les cotisations impayées pour l'année 1981 et les deux premiers trimestres de 1982. L'intéressé a cependant refusé de payer ces cotisations au motif, notamment, qu'il était déjà assujetti à la sécurité sociale allemande pour travailleurs indépendants et que l'affiliation à la sécurité sociale belge ne lui aurait apporté aucune protection sociale supplémentaire.

6. Saisi du litige, le Tribunal du travail de Tournai, estimant que sa solution dépendait de l'interprétation de différentes dispositions du traité, a posé à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Les articles 48, 51, 52 et 59 du traité de Rome doivent-ils être interprétés en ce sens que, avant le 1er juillet 1982, un État membre (en l'occurrence la Belgique) ne pouvait pas imposer aux ressortissants d'un autre État membre (en l'occurrence l'ex République fédérale d'Allemagne), qui exerçaient une activité professionnelle indépendante sur son territoire alors qu'ils exerçaient la même activité professionnelle indépendante en ex République fédérale d'Allemagne où ils étaient domiciliés et assujettis à la sécurité sociale, une obligation de cotisation dans le régime de sécurité sociale belge des travailleurs indépendants, d'autant plus que cette obligation ne pouvait générer à leur profit aucune protection sociale supplémentaire?"

7. Il convient d'abord de préciser qu'aux termes de son article 2, le règlement n° 1390-81 n'ouvre aucun droit pour une période antérieure à la date de son entrée en vigueur. Or, il résulte de son article 4 que ledit règlement n'est entré en vigueur que le 1er juillet 1982, soit à une date postérieure aux périodes concernées par le litige au principal. Ce règlement est donc inapplicable à ce litige et c'est à juste titre que la question posée se réfère exclusivement aux dispositions du traité (voir arrêt du 7 juillet 1988, Stanton, 143-87, Rec. p. 3877, point 7).

8. Il y a lieu ensuite de relever que, selon les indications contenues dans le jugement de renvoi, l'intéressé n'exerce pas d'activité salariée mais des activités indépendantes dans le cadre d'une structure professionnelle installée tant à Francfort qu'à Bruxelles. Sa situation ne relève donc ni des articles 48 et 51 du traité, qui ont trait à la libre circulation des travailleurs, ni de l'article 59, qui concerne la libre prestation des services. Dès lors que M. Kemmler dispose d'une installation stable et permanente dans les deux États membres concernés, seul l'article 52, relatif au droit d'établissement, est utile à la solution du litige.

9. Cet article prescrit la suppression des restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre. En vertu d'une jurisprudence constante de la Cour, il s'agit d'une norme de droit communautaire directement applicable. Le respect de cette norme s'imposait donc aux États membres même si, en l'absence de réglementation communautaire sur le statut social des travailleurs indépendants, ils demeuraient compétents pour légiférer en la matière (voir, notamment, arrêt Stanton, précité, point 10).

10. Ainsi que l'a jugé la Cour (voir, notamment, arrêt du 12 juillet 1984, Klopp, 107-83, Rec. p. 2971, point 19), la liberté d'établissement ne se limite pas au droit de créer un seul établissement à l'intérieur de la Communauté, mais comporte la faculté de créer et de maintenir, dans le respect des règles professionnelles, plus d'un centre d'activité sur le territoire des États membres.

11. Les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent ainsi à faciliter l'exercice d'activités professionnelles sur l'ensemble du territoire des États membres et s'opposent à une réglementation nationale qui pourrait défavoriser l'extension de ces activités hors du territoire d'un seul État membre (voir arrêt Stanton, précité, point 13).

12. La réglementation d'un État membre qui oblige à cotiser au régime des travailleurs indépendants les personnes qui exercent déjà une activité indépendante dans un autre État membre, où elles sont domiciliées et affiliées à un régime de sécurité sociale, a pour effet de défavoriser l'exercice d'activités professionnelles hors du territoire de cet État membre. L'article 52 du traité s'oppose donc à une telle réglementation à moins qu'elle ne trouve une justification appropriée.

13. A cet égard, il convient de relever qu'une réglementation telle que celle qui est en cause dans le litige au principal n'offre aucune protection sociale complémentaire aux intéressés. La gêne apportée à l'exercice d'activités professionnelles hors du territoire d'un seul État membre ne peut donc, en tout état de cause, trouver de ce chef aucune justification (voir arrêt Stanton, précité, point 15).

14. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l'article 52 du traité s'oppose à ce qu'un État membre oblige à cotiser au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants les personnes qui exercent déjà une activité indépendante dans un autre État membre où elles sont domiciliées et affiliées à un régime de sécurité sociale, alors que cette obligation n'entraînerait à leur profit aucune protection sociale complémentaire.

Sur les dépens

15. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal du travail de Tournai (Belgique), par jugement du 14 février 1995, dit pour droit:

L'article 52 du traité CE s'oppose à ce qu'un État membre oblige à cotiser au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants les personnes qui exercent déjà une activité indépendante dans un autre État membre, où elles sont domiciliées et affiliées à un régime de sécurité sociale, alors que cette obligation n'entraînerait à leur profit aucune protection sociale complémentaire.