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Décisions

CJCE, 6e ch., 30 mars 1993, n° C-168/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Christos Konstantinidis

Défendeur :

Stadt Altensteig - Standesamt et Landratsamt Calw - Ordnungsamt

CJCE n° C-168/91

30 mars 1993

LA COUR,

1. Par ordonnance du 27 juin 1991, parvenue à la Cour le 1er juillet suivant, l'Amtsgericht Tuebingen (République fédérale d'Allemagne) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 5, 7, 48, 52, 59 et 60 du traité.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Christos Konstantinidis au Stadt Altensteig - Standesamt et au Landratsamt Calw - Ordnungsamt.

3. Le requérant dans l'affaire au principal est un ressortissant hellénique qui vit à Altensteig (République fédérale d'Allemagne). Il y exerce, à titre indépendant, la profession de masseur et d'assistant en hydrothérapie. Selon son acte de naissance grec, son prénom est X et son nom de famille Y.

4. L'intéressé s'est marié, le 1er juillet 1983, devant l'officier de l'état civil d'Altensteig. Dans le registre des actes de mariage, son nom a été orthographié "Christos Konstadinidis". Le 31 octobre 1990, il a demandé à l'officier de l'état civil d'Altensteig de rectifier l'indication de son nom de famille dans ce registre, en remplaçant "Konstadinidis" par "Konstantinidis", au motif que cette graphie indiquait aussi fidèlement que possible aux utilisateurs de la langue allemande la prononciation correcte de son nom en grec et qu'en outre son nom était transcrit de cette façon en caractères latins dans son passeport grec.

5. L'inscription du nom de l'intéressé dans le registre des actes de mariage devant correspondre à l'inscription figurant dans son acte de naissance, l'Amtsgericht Tuebingen, compétent pour ordonner de telles rectifications, a fait procéder à une traduction de l'acte de naissance. La transcription du nom a été faite en appliquant, en conformité avec les dispositions administratives en vigueur et une jurisprudence constante des juridictions supérieures allemandes, la norme ISO-18, qui est prescrite par l'article 3 de la convention relative à l'indication des noms et prénoms dans les registres de l'état civil du 13 septembre 1973 (Bundesgesetzblatt 1976 II, p. 1473, ci-après "convention") et qui prévoit une translittération. La convention est entrée en vigueur, pour la République fédérale d'Allemagne, le 16 février 1977 (Bundesgesetzblatt 1977 II, p. 254); la République hellénique a adhéré à la convention en 1987. En appliquant la norme ISO-18, précitée, la transcription latine du nom de l'intéressé devient "Hréstos Kónstantinidés".

6. L'intéressé a contesté cette transcription devant l'Amtsgericht Tuebingen en faisant valoir qu'elle déformait la prononciation de son nom.

7. Le Landratsamt Calw, autorité de tutelle de l'officier de l'état civil d'Altensteig, a demandé à son tour une rectification du registre des actes de mariage, de telle sorte que le nom de l'intéressé soit inscrit sous la forme "Hréstos Kónstantinidés", conformément à la norme ISO-18.

8. L'Amtsgericht Tuebingen a estimé que le litige soulevait des problèmes d'interprétation du droit communautaire et a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Un ressortissant d'un État membre des Communautés européennes exerçant une activité salariée ou non salariée au sens des articles 48, 52, 59 et suivants du traité instituant la Communauté économique européenne est-il lésé dans ses droits, en violation des articles 5 et 7 du traité instituant la Communauté économique européenne, par le fait qu'il est obligé, dans un autre État membre, d'admettre contre sa volonté déclarée l'inscription de son nom dans les registres de l'état civil du pays d'accueil selon une graphie non conforme à la traduction phonétique et telle que la prononciation de son nom s'en trouve modifiée et déformée; concrètement, selon une graphie telle que le nom grec Christos Konstantinidis (traduction phonétique directe) devient: 'Hréstos Kónstantinidés'?

2) Est-il porté atteinte de cette façon au droit d'établissement et de libre prestation de services établi aux articles 52, 59 et 60 du traité instituant la Communauté économique européenne?"

9. Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la réglementation applicable, ainsi que des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont reproduits ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

10. Il y a lieu d'observer, à titre liminaire, qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi que le requérant au principal est un ressortissant hellénique qui exerce en République fédérale d'Allemagne, à titre indépendant, la profession de masseur et d'assistant en hydrothérapie.

11. Dans ces conditions, il y a lieu d'admettre que, par ses deux questions, le juge de renvoi cherche, en substance, à savoir si l'article 52 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que le nom d'un ressortissant hellénique, qui s'est établi dans un autre État membre afin d'y exercer une profession à titre indépendant, soit inscrit dans les registres de l'état civil de cet État selon une graphie non conforme à la transcription phonétique de son nom et telle que la prononciation de son nom s'en trouve modifiée et déformée.

12. En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler, d'abord, ainsi que la Cour l'a constaté à maintes reprises, que l'article 52 du traité constitue l'une des dispositions fondamentales de la Communauté. Cet article impose, en matière de droit d'établissement, le respect de l'assimilation des ressortissants des autres États membres aux nationaux en interdisant toute discrimination fondée sur la nationalité résultant des législations, réglementations ou pratiques nationales (arrêt du 18 juin 1985, Steinhauser, 197-84, Rec. p. 1819, point 14).

13. Il y a, dès lors, lieu d'examiner si des règles nationales concernant la transcription en caractères latins du nom d'un ressortissant hellénique dans les registres de l'état civil de l'État membre où il s'est établi sont susceptibles de le placer dans une situation de droit ou de fait désavantageuse par rapport à la situation faite, dans les mêmes circonstances, à un ressortissant de cet État membre.

14. Il convient de constater à cet égard que rien dans le traité ne s'oppose à la transcription d'un nom grec en caractères latins dans les registres de l'état civil d'un État membre qui utilise l'alphabet latin. Dans ces conditions, il appartient à cet État membre d'en fixer les modalités, par la voie législative ou administrative et selon les règles prévues par des conventions internationales qu'il a conclues en matière d'état civil.

15. Des règles de ce genre ne doivent être considérées comme incompatibles avec l'article 52 du traité que dans la mesure où leur application crée pour un ressortissant hellénique une gêne telle qu'elle porte, en fait, atteinte au libre exercice du droit d'établissement que cet article lui garantit.

16. Or, tel est le cas si la législation de l'État d'établissement oblige un ressortissant hellénique à utiliser, dans l'exercice de sa profession, une graphie de son nom résultant de la translittération dans les registres de l'état civil, si cette graphie est telle que la prononciation s'en trouve dénaturée et si cette déformation l'expose au risque d'une confusion de personnes auprès de sa clientèle potentielle.

17. Il y a donc lieu de répondre à la juridiction de renvoi que l'article 52 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un ressortissant hellénique se voie obligé, par la législation nationale applicable, d'utiliser, dans l'exercice de sa profession, une graphie de son nom telle que la prononciation s'en trouve dénaturée et que la déformation qui en résulte l'expose au risque d'une confusion de personnes auprès de sa clientèle potentielle.

Sur les dépens

18. Les frais exposés par le gouvernement allemand, le gouvernement hellénique et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Amtsgericht Tuebingen, par ordonnance du 27 juin 1991, dit pour droit:

L'article 52 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un ressortissant hellénique se voie obligé, par la législation nationale applicable, d'utiliser, dans l'exercice de sa profession, une graphie de son nom telle que la prononciation s'en trouve dénaturée et que la déformation qui en résulte l'expose au risque d'une confusion de personnes auprès de sa clientèle potentielle.