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Décisions

CJCE, 4e ch., 9 mars 2000, n° C-358/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

CJCE n° C-358/98

9 mars 2000

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 2 octobre 1998, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en subordonnant, en vertu des articles 1er et 6 de la loi italienne n° 82, du 25 janvier 1994 (GURI n° 27, du 3 février 1994, p. 4, ci-après la "loi n° 82-94"), la prestation de services de nettoyage, de désinfection, de désinsectisation, de dératisation et d'assainissement par des opérateurs établis dans d'autres États membres à une inscription aux registres visés à l'article 1er de ladite loi, la République italienne a manqué aux obligations que lui incombent en vertu de l'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE).

La législation nationale

2. La loi n° 82-94 régit les activités de nettoyage, de désinfection, de désinsectisation, de dératisation et d'assainissement.

3. L'article 1er de la loi n° 82-94, intitulé "Inscription des entreprises de nettoyage au registre du commerce ou au registre provincial des entreprises artisanales", prévoit, en son paragraphe 1:

"Les entreprises qui exercent des activités de nettoyage, de désinfection, de désinsectisation, de dératisation ou d'assainissement, ci-après dénommées `entreprises de nettoyage', sont inscrites au registre du commerce prévu par le texte unique approuvé par le décret royal n° 2011, du 20 septembre 1934, modifié ultérieurement, ou au registre provincial des entreprises artisanales prévu à l'article 5 de la loi n° 443, du 8 août 1985, si elles remplissent les conditions prévues par la présente loi."

4. Le non-respect de cette disposition donne lieu aux sanctions énoncées à l'article 6 de la loi n° 82-94, intitulé "Sanctions", qui dispose, en ses paragraphes 2 à 5:

"2. Au cas où l'entreprise de nettoyage exerce les activités visées par la présente loi sans être inscrite au registre du commerce ou au registre provincial des entreprises artisanales, ou si elle exerce ces activités malgré la suspension ou après l'annulation de l'inscription, le propriétaire de l'entreprise individuelle, le fondé de pouvoir qui dirige l'entreprise, une de ses branches ou un de ses sièges, l'ensemble des associés dans le cas d'une société en nom collectif, les associés commandités dans le cas d'une société en commandite simple ou par actions, ou les administrateurs dans tous les autres types de sociétés, y compris les coopératives, sont punis d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à six mois ou d'une amende de deux cent mille à un million de lires.

3. Si l'entreprise de nettoyage confie l'exercice des activités visées par la présente loi à des entreprises qui se trouvent dans les situations pouvant entraîner des sanctions, indiquées au paragraphe 2, le propriétaire de l'entreprise individuelle, le fondé de pouvoir qui dirige l'entreprise, une de ses branches ou un de ses sièges, l'ensemble des associés dans le cas d'une société en nom collectif, les associés commandités dans le cas d'une société en commandite simple ou par actions, ou les administrateurs dans tous les autres types de sociétés, y compris les coopératives, sont punis d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à six mois ou d'une amende de deux cent mille à un million de lires.

4. Toute personne qui conclut des contrats portant sur l'exercice des activités visées par la présente loi avec des entreprises de nettoyage qui ne sont pas inscrites au registre du commerce ou au registre des entreprises artisanales, qui en ont été radiées ou dont l'inscription a été suspendue, ou qui, en tout état de cause, recourt à titre onéreux aux services de telles entreprises, est punie d'une amende administrative d'un montant d'un million à deux millions de lires. Dans le cas où de tels contrats sont conclus par des entreprises ou des entités publiques, celles-ci sont punies d'une amende administrative d'un montant de dix millions à cinquante millions de lires.

5. Les contrats conclus avec des entreprises de nettoyage qui ne sont pas inscrites au registre du commerce ou au registre provincial des entreprises artisanales, qui en ont été radiées ou dont l'inscription a été suspendue, sont nuls."

5. En vertu de l'article 8 de la loi n° 580, du 29 décembre 1993, portant création du registre des entreprises (GURI n° 7, du 11 janvier 1994, supplément ordinaire n° 6, ci-après la "loi n° 580-93"), le registre du commerce a été absorbé par le nouveau registre des entreprises au terme d'un délai de trois ans à compter de l'entrée en vigueur de ladite loi. En outre, en application du même article, les entreprises artisanales inscrites aux registres prévus par la loi n° 443, du 8 août 1985, sont également inscrites dans une section spéciale du registre des entreprises.

6. Aux termes des article 1er, paragraphe 2, de la loi n° 82-94 et 18 de la loi n° 580-93, l'inscription au registre des entreprises comporte le paiement d'un "droit annuel".

La procédure précontentieuse

7. Par lettre du 3 avril 1995, la Commission a communiqué au Gouvernement italien les raisons pour lesquelles elle considérait que les articles 1er et 6 de la loi n° 82-94 étaient contraires à l'article 59 du traité et l'a mis en demeure de lui transmettre ses observations dans un délai de deux mois à compter de la réception de cette lettre.

8. N'ayant reçu aucune réponse, la Commission a, le 12 mars 1996, conformément à l'article 169, premier alinéa, du traité, adressé un avis motivé au Gouvernement italien en l'invitant à adopter les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

9. Le Gouvernement italien n'ayant donné aucune suite à cet avis, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le fond

10. À titre liminaire, la Commission relève que, en vertu des dispositions combinées des articles 1er de la loi n° 82-94 et 8 de la loi n° 580-93, toutes les entreprises de nettoyage, quelle que soit leur forme, ont l'obligation de s'inscrire au nouveau registre des entreprises.

11. La Commission fait valoir que l'obligation d'inscription au registre des entreprises et les graves sanctions prévues en cas de non-respect de cette obligation enfreignent manifestement l'article 59 du traité. En effet, en infligeant des sanctions telles que des peines d'emprisonnement et des amendes pouvant atteindre 50 millions de ITL en cas de non-respect de l'article 1er de la loi n° 82-94, l'article 6 de cette loi ferait de l'inscription au registre des entreprises une condition essentielle pour l'exercice d'activités de nettoyage sur le territoire italien. Dans la mesure où cette obligation s'appliquerait également aux entreprises établies dans un autre État membre que la République italienne, elle empêcherait la libre prestation des services ou, à tout le moins, y ferait obstacle.

12. La Commission considère que, de surcroît, la loi n° 82-94 instaure une discrimination déguisée au détriment des entreprises établies dans les autres États membres. En effet, cette condition relative à l'inscription conduirait, en pratique, à dissuader ces entreprises d'exercer en Italie les activités de nettoyage visées par cette loi. Selon la Commission, il serait peu vraisemblable qu'une entreprise d'un autre État membre supporte les obligations administratives nécessaires à l'inscription aux registres des entreprises ainsi que le coût du "droit annuel" d'inscription dans le seul but de fournir des services sous une forme plus ou moins occasionnelle et ponctuelle et, de toute façon, de manière temporaire et non régulière.

13. Il est constant, ce que le Gouvernement italien ne conteste pas, que, par la généralité de ses termes, la loi n° 82-94 a vocation à s'appliquer à tout prestataire de services établi ou non sur le territoire italien, que celui-ci offre occasionnellement ou régulièrement des prestations de services en Italie. Il convient plus particulièrement de relever que cette législation n'exclut pas de son champ d'application le prestataire de services établi dans un autre État membre que la République italienne et qui satisfait déjà, conformément à la législation de l'État membre d'établissement, à des formalités équivalentes à celles requises par la loi italienne.

14. Il ressort d'une jurisprudence bien établie que de telles dispositions nationales ne respectent pas les prescriptions de l'article 59 du traité (voir, notamment, arrêt du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369-96 et C-376-96, non encore publié au Recueil, points 33 à 35).

15. Le Gouvernement italien indique toutefois que sont en préparation des dispositions nationales qui remédieront aux problèmes relevés par la Commission. Il ajoute que, même sous l'empire de la loi n° 82-94, telle qu'en vigueur actuellement, les entreprises de nettoyage établies dans les autres États membres peuvent opérer et opèrent effectivement en Italie sans aucune nécessité de s'inscrire au registre des entreprises.

16. À cet égard, il suffit de constater que, même si, dans la pratique, les autorités d'un État membre n'appliquent pas les dispositions nationales contraires au droit communautaire aux ressortissants des autres États membres, cette circonstance n'est pas de nature à faire disparaître la violation du droit communautaire que constituent ces dispositions.

17. En effet, il est de jurisprudence constante que l'incompatibilité d'une législation nationale avec les dispositions communautaires, même directement applicables, ne peut être définitivement éliminée qu'au moyen de dispositions internes à caractère contraignant ayant la même valeur juridique que les dispositions qui doivent être modifiées. De simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l'administration et dépourvues d'une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations du traité (voir, notamment, arrêt du 13 mars 1997, Commission-France, C-197-96, Rec. p. I-1489, point 14).

18. Dès lors, il y a lieu de constater que, en subordonnant, en vertu des articles 1er et 6 de la loi n° 82-94, la prestation de services de nettoyage, de désinfection, de désinsectisation, de dératisation et d'assainissement par les entreprises établies dans les autres États membres à une inscription aux registres visés à l'article 1er de ladite loi, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité.

Sur les dépens

19. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (quatrième chambre),

Déclare et arrête:

20. En subordonnant, en vertu des articles 1er et 6 de la loi italienne n° 82, du 25 janvier 1994, la prestation de services de nettoyage, de désinfection, de désinsectisation, de dératisation et d'assainissement par les entreprises établies dans les autres États membres à une inscription aux registres visés à l'article 1er de ladite loi, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE).

21. La République italienne est condamnée aux dépens.