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Décisions

CJCE, 6e ch., 29 mai 2001, n° C-263/99

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

CJCE n° C-263/99

29 mai 2001

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 juillet 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en mettant des restrictions à l'exercice de l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 43 CE et 49 CE).

Le cadre juridique national

2. La legge n° 264, disciplina dell'attività di consulenza per la circolazione dei mezzi di trasporto (loi n° 264 relative à l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport), du 8 août 1991 (GURI n° 195, du 21 août 1991, ci-après la "loi n° 264-91"), réserve l'exercice de cette activité aux entrepreneurs et aux sociétés ayant obtenu une autorisation expresse de l'administration provinciale compétente.

3. L'article 3 de la loi n° 264-91 subordonne l'obtention de cette autorisation à une série de conditions, parmi lesquelles, conformément au paragraphe 1, sous a), dudit article, celle que le propriétaire de l'entreprise soit "citoyen italien ou ressortissant d'un État membre de la Communauté économique européenne résidant en Italie".

4. L'article 3, paragraphe 4, de la loi n° 264-91 subordonne la délivrance de l'autorisation au dépôt, auprès de l'administration provinciale, d'une caution financière d'un montant à déterminer.

5. L'article 8 de la loi n° 264-91 prévoit la fixation de tarifs minimaux et maximaux pour l'exercice de l'activité en question.

6. Son article 9, paragraphe 4, dispose que quiconque exerce l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport sans être titulaire de l'autorisation requise est passible de sanctions administratives et, le cas échéant, de sanctions pénales.

La procédure précontentieuse

7. Estimant que l'article 3, paragraphe 1, sous a), de la loi n° 264-91 était incompatible avec le principe fondamental de l'interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité, prévu, en matière de liberté d'établissement, par l'article 52 du traité, et que les dispositions combinées des articles 3, paragraphes 1, sous a), et 4, 8 et 9, paragraphe 4, de la même loi étaient incompatibles avec le principe fondamental de la libre prestation des services établi à l'article 59 du traité, la Commission a, par lettre du 7 novembre 1995, mis le Gouvernement italien en demeure de présenter ses observations dans un délai de deux mois.

8. Jugeant insuffisante la réponse du Gouvernement italien, la Commission a, le 14 juillet 1997, adressé un avis motivé à la République italienne, dans lequel elle a réitéré ses critiques de la législation nationale et a invité cet État membre à adopter, dans un délai de deux mois à compter de la notification dudit avis, les mesures nécessaires pour se conformer à ses obligations résultant des articles 52 et 59 du traité.

9. Le Gouvernement italien n'ayant pas répondu à cet avis motivé, la Commission a introduit le présent recours, qui comporte deux griefs qu'il y a lieu d'examiner successivement.

Sur la violation de l'article 52 du traité

10. La Commission considère que, en limitant l'exercice de l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport aux seuls ressortissants des autres États membres résidant en Italie, l'article 3, paragraphe 1, sous a), de la loi n° 264-91 comporte une discrimination en raison de la nationalité interdite, en ce qui concerne l'accès aux activités non salariées et leur exercice, par l'article 52 du traité.

11. Le Gouvernement italien répond que l'article 35 de la legge n° 472, interventi nel settore dei trasporti (loi n° 472 concernant le secteur des transports), du 7 décembre 1999 (GURI n° 294, du 16 décembre 1999, suppl. ord., ci-après la "loi n° 472-99"), intitulé "Modifications à la loi n° 264 du 8 août 1991", a remplacé, à l'article 3, paragraphe 1, sous a), de la loi n° 264-91, le terme "résidant" par "établi". Il fait valoir que, même avant cette modification, la notion de "résidence" utilisée à l'article 3, paragraphe 1, sous a), de la loi n° 264-91 devait s'entendre dans le sens plus large d'"établissement".

12. À cet égard, il convient de souligner, en premier lieu, qu'il est de jurisprudence constante que l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêt du 16 décembre 1997, Commission/Italie, C-316-96, Rec. p. I-7231, point 14).

13. Il y a lieu de rappeler, en second lieu, que, aux termes de l'article 52, second alinéa, du traité, la liberté d'établissement comporte, pour les ressortissants d'un État membre, "l'accès aux activités non salariées et leur exercice [...] dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants".

14. Or, force est de constater que, en exigeant des seuls ressortissants des autres États membres, à l'exclusion des citoyens italiens, qu'ils résident sur le territoire italien afin de pouvoir bénéficier de l'autorisation requise pour l'accès à l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport en Italie et son exercice, l'article 3, paragraphe 1, sous a), de la loi de 1991, dans sa rédaction en vigueur au terme du délai fixé dans l'avis motivé, comportait une discrimination fondée sur la nationalité, interdite en vertu de l'article 52 du traité.

15. Aucun motif d'intérêt général tiré de l'article 56, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 46, paragraphe 1, CE) et susceptible de justifier cette discrimination n'ayant été allégué par le Gouvernement italien, le grief tiré de la violation de l'article 52 du traité doit dès lors être considéré comme fondé.

Sur la violation de l'article 59 du traité

16. La Commission soutient que la condition de résidence imposée aux ressortissants établis dans les autres États membres est également contraire à l'article 59 du traité au motif qu'elle constitue en fait la négation même de la libre prestation des services garantie par cette disposition. Par ailleurs, les dispositions de la loi n° 264-91 relatives au dépôt d'une caution, à la fixation de tarifs minimaux et maximaux et à l'application de sanctions en cas d'exercice non autorisé de l'activité concernée ne tiendraient pas compte du fait que les prestataires d'autres États membres peuvent, le cas échéant, être soumis à des obligations comparables dans l'État membre dans lequel ils sont établis. En tout état de cause, ces dispositions seraient disproportionnées par rapport aux objectifs que, selon le Gouvernement italien, elles visent à atteindre.

17. La Commission en conclut que les dispositions combinées des articles 3, paragraphes 1, sous a), et 4, 8 et 9, paragraphe 4, de la loi n° 264-91 sont incompatibles avec le principe fondamental de la libre prestation des services.

18. Le Gouvernement italien fait valoir que, en l'absence de toute harmonisation au niveau communautaire en la matière, l'exigence d'une autorisation préalable pour l'exercice, même à titre occasionnel, de l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport et les conditions auxquelles la délivrance de cette autorisation est soumise sont justifiées par la nécessité de vérifier les qualifications professionnelles, l'honorabilité, la correction et les moyens financiers des personnes concernées. Quant aux tarifs minimaux, ils seraient nécessaires afin d'éviter, dans l'intérêt des consommateurs, une déstabilisation du marché et une détérioration de la qualité des services offerts.

19. Par ailleurs, après que le Gouvernement italien eut indiqué, dans son mémoire en défense, qu'il envisageait de supprimer, dans le cadre de la procédure législative ayant abouti à l'adoption de la loi n° 472-99, la fixation des tarifs maximaux prévue à l'article 8 de la loi n° 264-91, il a expliqué, dans son mémoire en duplique, qu'une telle fixation, tout comme la fixation de tarifs minimaux, ne limitait pas la libre prestation des services, que ceux-ci soient fournis par des ressortissants italiens ou des ressortissants d'autres États membres, et que, de surcroît, elle était nécessaire pour éviter une hausse des prix.

20. Afin de statuer sur le bien-fondé du second grief de la Commission, il convient de constater, en premier lieu, que la condition selon laquelle les ressortissants des autres États membres souhaitant exercer l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport en Italie doivent avoir leur résidence dans cet État membre va directement à l'encontre de la libre prestation des services dans la mesure où elle rend impossible la prestation, en Italie, de services par des personnes établies dans d'autres États membres (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2000, Commission/Belgique, C-355-98, Rec. p. I-1221, point 27).

21. En outre, selon une jurisprudence constante, une réglementation nationale qui subordonne, sous peine de sanctions, l'exercice de certaines prestations de services sur le territoire national par une personne établie dans un autre État membre à la délivrance d'une autorisation administrative constitue une restriction à la libre prestation des services, au sens de l'article 59 du traité (voir, notamment, arrêt Commission/Belgique, précité, point 35). Il en va de même des conditions à remplir pour l'obtention de cette autorisation, tel le dépôt d'une caution.

22. S'agissant, en deuxième lieu, des motifs invoqués par le Gouvernement italien pour justifier ces restrictions, il suffit de relever que les dispositions législatives incriminées vont, en tout état de cause, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but recherché, qui est de s'assurer de l'existence, dans le chef des personnes concernées, de certaines conditions jugées nécessaires pour l'exercice de l'activité en question.

23. En effet, la libre prestation des services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par l'intérêt général et incombant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État membre d'accueil, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi (arrêt Commission/Belgique, précité, point 37).

24. Or, en exigeant de toutes les personnes qu'elles remplissent les mêmes conditions pour l'obtention de l'autorisation administrative requise pour l'exercice, en Italie, de l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport, la loi n° 264-91 exclut qu'il soit tenu compte des obligations auxquelles le prestataire est déjà soumis dans l'État membre dans lequel il est établi (voir, en ce sens, arrêt Commission/Belgique, précité, point 38).

25. En troisième lieu, il y a lieu de relever que, dans son recours, la Commission n'a pas soutenu que l'existence de tarifs minimaux et maximaux pour l'exercice de l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport entraînerait, en tant que telle, des restrictions à la libre prestation des services, mais s'est limitée à alléguer que, en prévoyant, à l'article 8 de la loi n° 264-91, la fixation de tels tarifs, la République italienne n'a pas tenu compte des conditions similaires existant en la matière dans les autres États membres.

26. Force est toutefois de constater que la Commission n'a pas expliqué en quoi et dans quelle mesure un prestataire, même s'il était tenu de respecter des tarifs minimaux et maximaux dans l'État membre dans lequel il est établi, subirait des restrictions à la libre prestation des services au sens de l'article 59 du traité du fait que, dans un autre État membre, dans lequel il exerce son activité à titre temporaire ou occasionnel, il est également obligé de respecter de pareils tarifs.

27. Or, dans le cadre d'une procédure en manquement en vertu de l'article 226 CE, il incombe à la Commission d'établir l'existence du manquement allégué et d'apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l'existence de ce manquement (voir, notamment, arrêt du 23 octobre 1997, Commission/France, C-159-94, Rec. p. I-5815, point 102).

28. Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que le grief tiré de la violation de l'article 59 du traité est fondé en tant qu'il concerne les seuls articles 3, paragraphes 1, sous a), et 4, et 9, paragraphe 4, de la loi n° 264-91. En revanche, il doit être rejeté dans la mesure où il concerne l'article 8 de ladite loi.

29. Il découle de l'ensemble des considérations qui précèdent que, en soumettant, dans le cadre de la loi n° 264-91, l'exercice de l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport, sous peine de sanctions, à la détention d'une autorisation administrative et en subordonnant la délivrance de celle-ci à la condition que les ressortissants des autres États membres aient leur résidence en Italie et déposent une caution, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 et 59 du traité.

es

Sur les dépens

30. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre)

Déclare et arrête:

1) En soumettant, dans le cadre de la legge n° 264, disciplina dell'attività di consulenza per la circolazione dei mezzi di trasporto (loi n° 264 relative à l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport), du 8 août 1991, l'exercice de l'activité de consultant en matière de circulation des moyens de transport, sous peine de sanctions, à la détention d'une autorisation administrative et en subordonnant la délivrance de celle-ci à la condition que les ressortissants des autres États membres aient leur résidence en Italie et déposent une caution, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 43 CE et 49 CE).

2) La République italienne est condamnée aux dépens.