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Décisions

CJCE, 2e ch., 28 janvier 1992, n° C-330/90

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Lopez Brea, Hidalgo Palacios

CJCE n° C-330/90

28 janvier 1992

LA COUR,

1. Par ordonnances du 11 septembre et du 11 octobre 1990, parvenues à la Cour le 25 octobre suivant, le Juzgado de lo Penal n 4 de Alicante a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 67-43-CEE du Conseil, du 12 janvier 1967, concernant la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services pour les activités non salariées relevant: 1) du secteur des "Affaires immobilières (sauf 6401)" (groupe ex 640 CITI), 2) du secteur de certains "Services fournis aux entreprises non classés ailleurs" (groupe 839 CITI) (JO 1967, 10, p. 140).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant le Ministerio fiscal à MM. Angel Lopez Brea et Carlos Hidalgo Palacios, ressortissants espagnols, domiciliés en Espagne, qui se sont établis à Alicante en qualité d'agents immobiliers sans être en possession des qualifications professionnelles et des autorisations requises.

3. Saisi par le Ministerio fiscal d'une action pénale contre MM. Angel Lopez Brea et Carlos Hidalgo Palacios du chef d'usurpation de fonctions, au sens de l'article 321 du code pénal espagnol, le Juzgado de lo Penal de Alicante a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

"1) L'article 1er du décret du 4 décembre 1969, ensemble avec le décret royal n 1464-88, établissant que les activités d'intermédiaire et de courtage à l'achat, à la vente et à l'échange de propriétés rurales et urbaines, les prêts hypothécaires sur ces propriétés, les contrats de location de propriétés rurales et urbaines, la cession et le transfert de ces contrats ainsi que les consultations sur la valeur de ces biens en cas de vente, cession ou transfert, sont des fonctions réservées aux agents immobiliers, est-il valide eu égard aux dispositions des articles 3, 2 et 5 de la directive 67-43-CEE du Conseil? Depuis l'entrée en vigueur de cette directive, les États membres peuvent-ils, dans le secteur immobilier en question, attribuer le droit exclusif d'exercer ces activités à un groupe professionnel précis?

2) Un État membre peut-il restreindre, voire exclure, d'une façon ou d'une autre, la mise en œuvre de ladite directive?"

4. Pour un plus ample exposé des faits des affaires au principal, du déroulement de la procédure et des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

5. A titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, celle-ci n'est pas compétente, dans le cadre de l'application de l'article 177 du traité, pour statuer sur la compatibilité d'une disposition nationale avec le droit communautaire. La Cour peut cependant dégager du libellé des questions formulées par le juge national, eu égard aux données exposées par celui-ci, les éléments relevant de l'interprétation du droit communautaire, en vue de permettre à ce juge de résoudre le problème juridique dont il se trouve saisi (voir, en particulier, arrêt du 11 juin 1987, Pretore di Salò-X., 14-86, Rec. p. 2545).

6. Dans ces circonstances, la première question doit être comprise en ce sens que le juge national cherche à savoir si le droit communautaire, et en particulier les règles du traité sur la liberté d'établissement et la directive 67-43, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui réserve certaines activités relevant du secteur des affaires immobilières aux personnes exerçant la profession réglementée d'agent immobilier.

7. A cet égard, il convient de rappeler tout d'abord que, selon une jurisprudence constante, les dispositions du traité en matière de libre circulation des personnes ne peuvent être appliquées aux activités dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre (voir, par exemple, arrêt du 23 avril 1991, Hoefner et Elser, C-41-90, Rec. p. I-1981).

8. Or, il résulte des faits tels qu'établis par la juridiction nationale dans ses ordonnances de renvoi que les litiges au principal concernent des ressortissants espagnols qui exerçent en Espagne des activités d'agent immobilier et qui ne soutiennent pas avoir acquis dans un autre État membre les qualifications professionnelles requises pour l'exercice de ces activités.

9. De telles situations ne présentent, dès lors, aucun facteur de rattachement à l'une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire, de sorte que les règles du traité sur la liberté d'établissement ne trouvent pas à s'appliquer.

10. Il convient d'examiner ensuite la portée de la directive 67-43, précitée, afin de vérifier si elle contient des dispositions d'harmonisation applicables également à des situations purement internes, telle que celle à laquelle ont trait les affaires au principal.

11. A cet égard, il y a lieu de relever que l'article 1er de la directive 67-43, précitée, prévoit que les États membres suppriment, en faveur des personnes physiques et des sociétés mentionnées au titre I des programmes généraux pour la suppression des restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services (JO 1962, 2, p. 32, 36), les restrictions visées au titre III desdits programmes, pour ce qui concerne l'accès aux activités mentionnées aux articles 2 et 3 de la directive et l'exercice de celles-ci.

12. L'article 2 de la directive 67-43 précise, à son paragraphe 1, que les dispositions de la directive s'appliquent aux activités non salariées relatives aux affaires immobilières qui figurent à l'annexe I du programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d'établissement, précité, et aux activités non salariées relevant du secteur des "services fournis aux entreprises non classés ailleurs" qui figurent à la même annexe.

13. L'analyse des programmes généraux pour la suppression des restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services, précités, fait apparaître que les restrictions visées par ces dispositions consistent essentiellement dans des mesures qui établissent une discrimination, directe ou indirecte, entre les ressortissants des autres États membres et les nationaux.

14. Cette interprétation de la directive 67-43 est encore confirmée par le libellé de l'article 5, dont le paragraphe 1 exige que les États membres suppriment les restrictions qui, notamment:

a) empêchent les bénéficiaires de s'établir dans le pays d'accueil ou d'y fournir des prestations de services, aux mêmes conditions et avec les mêmes droits que les nationaux;

b) résultent d'une pratique administrative ayant pour effet d'appliquer aux bénéficiaires un traitement discriminatoire par rapport à celui qui est appliqué aux nationaux.

15. Il y a, dès lors, lieu de constater que la directive 67-43 se limite à exiger la suppression de toute discrimination directe ou indirecte en raison de la nationalité, mais ne vise pas à harmoniser les conditions prévues dans les réglementations nationales régissant l'accès à la profession d'agent immobilier ou l'exercice de celle-ci.

16. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question, telle que reformulée, que la directive 67-43 ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui réserve certaines activités relevant du secteur des affaires immobilières aux personnes exerçant la profession réglementée d'agent immobilier.

17. Compte tenu de cette réponse à la première question, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde question posée par la juridiction de renvoi.

Sur les dépens

18. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Juzgado de lo Penal de Alicante, par ordonnances du 11 septembre et du 11 octobre 1990, dit pour droit:

La directive 67-43-CEE du Conseil, du 12 janvier 1967, concernant la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services pour les activités non salariées relevant:

1) du secteur des "Affaires immobilières (sauf 6401)" (groupe ex 640 CITI), 2) du secteur de certains "Services fournis aux entreprises non classés ailleurs" (groupe 839 CITI), ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui réserve certaines activités relevant du secteur des affaires immobilières aux personnes exerçant la profession réglementée d'agent immobilier.