CJCE, 23 mai 2000, n° C-58/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Edward, Sevón, Schintgen
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
MM. La Pergola, Puissochet, Hirsch, Jann, Ragnemalm, Wathelet
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la cour le 19 février 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en adoptant les articles 1er, paragraphe 5, et 2 du texte coordonné du décret-loi n° 332, du 31 mai 1994 (GURI n° 126, du 1er juin 1994), converti, après modification, en loi n° 474, du 30 juillet 1994, portant dispositions pour l'accélération des procédures de vente des participations détenues par l'État et des organismes publics dans des sociétés par action (GURI n° 177, du 30 juillet 1994, ci-après le "texte coordonné"), ainsi que les décrets relatifs aux "pouvoirs spéciaux" définis dans le cas des privatisations de l'ENI SpA et de Telecom Italia SpA, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52, 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 43 CE et 49 CE) et 73 B du traité CE (devenu article 56 CE).
2 L'article 1er du texte coordonné définit les modalités de vente des actions détenues par l'État et les organismes publics. Le paragraphe 5 de cette disposition précise que les autorités ministérielles compétentes peuvent - aux fins d'élaborer et d'exécuter les opérations d'apport - confier certaines tâches (d'étude, de conseil, d'appréciation, d'assistance, d'administration et de direction) à des "sociétés nationales ou étrangères ayant prouvé leur expérience et leur capacité opérationnelle, ainsi qu'à des professionnels inscrits depuis au moins cinq ans sur les registres prévus par la loi".
3 L'article 2 du texte coordonné concerne les "pouvoirs spéciaux" réservés à l'État et aux organismes publics. Il prévoit, en son paragraphe 1, qu'un décret du président du Conseil des ministres détermine les pouvoirs spéciaux des sociétés actives dans le secteur de la défense, des transports, des télécommunications, des ressources énergétiques et des autres services publics, contrôlées directement ou indirectement par l'État, dans les statuts desquelles il convient d'introduire, par décision de l'assemblée extraordinaire, avant l'adoption de tout acte entraînant la perte de contrôle, une disposition attribuant au ministre du Trésor un ou plusieurs des "pouvoirs spéciaux" énumérés dans ce paragraphe, tels que le pouvoir d'approbation expresse, celui de nomination d'au moins un ou plusieurs administrateurs ainsi que d'un commissaire aux comptes et le droit de veto à l'encontre de certaines décisions.
4 Il ressort du dossier que ces "pouvoirs spéciaux" doivent être exercés "compte tenu des objectifs nationaux en matière de politique économique et industrielle". Le contenu de la clause attribuant les "pouvoirs spéciaux" est défini par un arrêté du ministre du Trésor (article 2, paragraphe 1 bis). En outre, les dispositions de l'article 2 de cet arrêté s'appliquent également aux sociétés contrôlées, directement ou indirectement, par des organismes publics actifs dans le secteur du transport et d'autres services publics; dans ce cas, lesdits organismes se substituent au ministre du Trésor afin de déterminer les sociétés faisant l'objet de "pouvoirs spéciaux", ainsi que l'étendue et l'exercice de ces pouvoirs (article 2, paragraphe 3).
5 Par décret du président du Conseil des ministres, le gouvernement italien a inséré, le 5 octobre 1995, les "pouvoirs spéciaux" prévus à l'article 2 du texte coordonné dans les statuts de l'ENI SpA (qui exerce ses activités dans les secteurs de l'énergie et de la pétrochimie).
6 Le 21 mars 1997, un décret du président du Conseil des ministres a établi que STET SpA et Telecom Italia SpA (respectivement holding et société d'exploitation du secteur des télécommunications) auraient dû inclure dans leurs statuts les "pouvoirs spéciaux" avant leur privatisation. STET SpA et Telecom Italia SpA ont ensuite fusionné. Le 24 mars 1997, deux arrêtés du ministre du Trésor, l'un définissant le contenu des "pouvoirs spéciaux", l'autre fixant à 3 % des droits de vote la participation significative aux fins de l'exercice du pouvoir spécial d'approbation attribué au ministre du Trésor, ont été publiés.
7 Par lettre de mise en demeure du 3 février 1998, la Commission a, en vertu de l'article 169 du traité, informé le gouvernement italien de l'incompatibilité des dispositions nationales précitées avec les articles 52, 59 et 73 B du traité.
8 Le gouvernement italien a répondu par lettre du 13 mai 1998. La Commission, n'étant pas convaincue par les arguments présentés par ce dernier, lui a adressé, le 10 août 1998, un avis motivé, aux termes duquel la République italienne devait s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
9 Par note du 22 octobre 1998, le gouvernement italien a répondu à l'avis motivé et s'est engagé à s'y conformer en adoptant un projet de loi qui modifie les dispositions incriminées.
10 Bien que la Commission ait pris acte de l'engagement du gouvernement italien, elle a constaté que le retard pris dans sa concrétisation devenait préoccupant, puisque le projet de loi n'avait toujours pas été présenté au Parlement italien.
11 Dans ces conditions, la Commission a décidé, conformément à la procédure visée à l'article 169, deuxième alinéa, du traité, de saisir la cour du présent recours.
12 Concernant l'article 1er, paragraphe 5, du texte coordonné, la Commission observe que, contrairement aux articles 52 et 59 du traité, il exclut de l'exercice de certaines missions tous les professionnels exerçant légalement leur activité dans d'autres États membres ou récemment établis en Italie.
13 En ce qui concerne les "pouvoirs spéciaux" attribués au ministère du Trésor en vertu de l'article 2 du texte coordonné, la Commission fait valoir, en substance, que de tels pouvoirs, qui sont susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité, doivent remplir quatre conditions, à savoir qu'elles s'appliquent de manière non discriminatoire, qu'elles se justifient par des raisons impérieuses d'intérêt général, qu'elles soient propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et qu'elles n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre. Puisqu'il n'apparaît nulle part que ces conditions soient satisfaites en l'espèce et que ces "pouvoirs spéciaux" confèrent donc aux autorités italiennes un pouvoir potentiel de discrimination susceptible d'être utilisé de manière arbitraire, la Commission estime que lesdits "pouvoirs spéciaux" sont incompatibles avec les articles 52 et 73 B du traité.
14 Dans son mémoire en défense, le gouvernement italien n'a pas contesté que les dispositions nationales incriminées sont incompatibles avec le droit communautaire. Il a seulement confirmé son intention de se conformer à l'avis motivé du 10 août 1998 et a ajouté que le projet de loi qu'il avait préparé à cette fin avait été approuvé par le Conseil des ministres le 18 décembre 1998 et avait été présenté au Parlement.
15 Lors de l'audience, le gouvernement italien a indiqué les finalités de la réglementation relative à l'exercice des "pouvoirs spéciaux", adoptée par décret du président du Conseil des ministres du 4 mai 1999 (GURI 1999, n° 109) et communiquée à la Commission.
16 À cette occasion, le gouvernement italien a également indiqué que le décret du 4 mai 1999 avait été transposé dans l'article 66 de la loi financière n° 488, du 23 décembre 1999, portant sur l'année 2000 (GURI n° 302, du 27 décembre 1999), de sorte que cette transposition répondait aux exigences de droit et de sécurité juridique invoquées par la Commission.
17 Selon une jurisprudence constante, l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 17 septembre 1996, Commission/Italie, C-289-94, Rec. p. I-4405, point 20, et du 12 décembre 1996, Commission/Italie, C-302-95, Rec. p. I-6765, point 13).
18 Or, en l'espèce, ce délai expirait deux mois après la notification de l'avis motivé du 10 août 1998.
19 Il s'ensuit que les dispositions législatives ou réglementaires adoptées après l'expiration dudit délai ne peuvent pas être prises en compte.
20 Il résulte de ce qui précède que, en adoptant les articles 1er, paragraphe 5, et 2 du texte coordonné, ainsi que les décrets relatifs aux "pouvoirs spéciaux" définis dans le cas des privatisations de l'ENI SpA et de Telecom Italia SpA, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52, 59 et 73 B du traité.
Sur les dépens :
21 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
déclare et arrête:
1) En adoptant les articles 1er, paragraphe 5, et 2 du texte coordonné du décret-loi n° 332, du 31 mai 1994, converti, après modification, en loi n° 474, du 30 juillet 1994, portant dispositions pour l'accélération des procédures de vente des participations détenues par l'État et des organismes publics dans des sociétés par action, ainsi que les décrets relatifs aux "pouvoirs spéciaux" définis dans le cas des privatisations de l'ENI SpA et de Telecom Italia SpA, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52, 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 43 CE et 49 CE) et 73 B du traité CE (devenu article 56 CE).
2) La République italienne est condamnée aux dépens.