CJCE, 6e ch., 7 mai 1992, n° C-104/91
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Colegio Oficial de Agentes de la Propriedad Inmobiliaria
Défendeur :
Aguirre Borrell, Newman, Gil de Biedma (Consorts), Cepeda Ruiz
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schockweiler
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
MM. Mancini, Kakouris, Díez de Velasco, Murray
Avocat :
Me Zarzalejos Nieto
LA COUR,
1 Par ordonnance du 21 février 1991, parvenue à la cour le 2 avril suivant, le Juzgado de Instrucción n° 20 de Madrid a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives aux articles 52 et 57 du traité CEE et à la directive 67-43-CEE du Conseil, du 12 janvier 1967, concernant la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services pour les activités non salariées relevant: 1) du secteur des "Affaires immobilières (sauf 6401)" (groupe ex 640 CITI), 2) du secteur de certains "Services fournis aux entreprises non classés ailleurs" (groupe 839 CITI; JO 1967, 10, p. 140).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une action pénale introduite par le Colegio Oficial de Agentes de la Propiedad Inmobiliaria, association professionnelle officielle des agents immobiliers, contre la société Aguirre Newman, représentée par ses conseillers délégués, MM. S. Aguirre et S. K. Newman, du chef d'exercice illicite de la profession d'agent immobilier.
3 Considérant que le litige soulevait des questions relatives à l'interprétation du droit communautaire, le Juzgado de Instrucción n° 20 de Madrid a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la cour de justice se soit prononcée sur les questions suivantes:
"1) La réglementation communautaire de la liberté d'établissement, prévue par les articles 52 et suivants du traité CEE et par la directive 67-43, et l'état actuel de mise en œuvre des dispositions de l'article 57, paragraphe 1, du traité doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils permettent à un État membre de condamner pénalement un citoyen d'un autre État membre en possession d'un titre qui a été valablement délivré dans son pays d'origine et n'a pas été homologué dans le pays où ledit citoyen entend s'établir et exercer son activité professionnelle d'agent immobilier?
2) La réglementation communautaire précitée doit-elle être interprétée en ce sens que l'article 57, paragraphe 1, du traité, qui impose au Conseil l'obligation d'arrêter des directives visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres dans un délai raisonnable, et l'absence de mise en œuvre de cette obligation pendant 24 ans en ce qui concerne les agents immobiliers permettent à un État membre de maintenir l'exigence d'un examen pour celui qui entend exercer ladite activité professionnelle et est en possession du titre correspondant, délivré dans son pays d'origine?"
4 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire au principal, du déroulement de la procédure et des observations écrites présentées à la cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la cour.
5 Pour des considérations tenant à la cohérence du raisonnement, il y a lieu de répondre d'abord à la seconde question, tendant, en substance, à savoir si et à quelles conditions, en l'absence de directive relative à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats ou autres titres concernant la profession d'agent immobilier, les articles 52 et 57 du traité permettent aux autorités d'un État membre, saisies d'une demande d'autorisation d'exercer cette profession introduite par un ressortissant d'un autre État membre qui est en possession d'un diplôme ou d'un titre relatif à l'exercice de cette même profession dans son État d'origine, de maintenir l'exigence d'un examen.
6 En vue de répondre à cette question, il convient de préciser, à titre liminaire, que, ainsi qu'il a été constaté dans l'arrêt du 28 janvier 1992, López Brea (C-330-90 et C-331-90, Rec. p. I-0000), la directive 67-43 se limite à exiger la suppression de toute discrimination, directe ou indirecte, en raison de la nationalité, mais ne vise pas à harmoniser les conditions prévues dans les réglementations nationales régissant l'accès à la profession d'agent immobilier ou l'exercice de celle-ci.
7 Il y a lieu de relever ensuite que, en l'absence d'harmonisation des conditions d'accès à une profession, les États membres sont en droit de définir les connaissances et qualifications nécessaires à l'exercice de cette profession et d'exiger la production d'un diplôme attestant la possession de ces connaissances et qualifications (voir arrêts du 15 octobre 1987, Heylens, point 10, 222-86, Rec. p. 4097, et du 7 mai 1991, Vlassopoulou, point 9, C-340-89, Rec. p. I-0000).
8 Il convient toutefois de rappeler que, en fixant à la fin de la période de transition la réalisation de la liberté d'établissement, l'article 52 du traité prescrit une obligation de résultat précise dont l'exécution devait être facilitée, mais non conditionnée, par la mise en œuvre d'un programme de mesures progressives (voir arrêts du 28 juin 1977, Patrick, point 10, 11-77, Rec. p. 1199, et du 7 mai 1991, Vlassopoulou, précité, point 13).
9 Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante que, dans la mesure où le droit communautaire n'en a pas lui-même disposé, les objectifs du traité, et notamment la liberté d'établissement, peuvent se trouver réalisés par des mesures édictées par les États membres, qui, aux termes de l'article 5 du traité, sont tenus de prendre "toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté" et de s'abstenir de "toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité" (voir arrêts du 28 avril 1977, Thieffry, point 16, 71-76, Rec. p. 765, et du 7 mai 1991, Vlassopoulou, précité, point 14).
10 A cet égard, il convient de constater que des conditions nationales de qualifications, même appliquées sans discrimination tenant à la nationalité, peuvent avoir pour effet d'entraver l'exercice, par les ressortissants des autres États membres, du droit d'établissement qui leur est garanti par l'article 52 du traité. Tel pourrait être le cas si les règles nationales en question faisaient abstraction des connaissances et qualifications déjà acquises par l'intéressé dans un autre État membre (voir arrêt du 7 mai 1991, Vlassopoulou, précité, point 15).
11 Il s'ensuit qu'il incombe à un État membre, saisi d'une demande d'autorisation d'exercer une profession dont l'accès est, selon la législation nationale, subordonné à la possession d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle, de prendre en considération les diplômes, certificats et autres titres que l'intéressé a acquis dans le but d'exercer cette même profession dans un autre État membre, en procédant à une comparaison entre les compétences attestées par ces diplômes et les connaissances et qualifications exigées par les règles nationales (voir arrêt du 7 mai 1991, Vlassopoulou, précité, point 16).
12 Cette procédure d'examen doit permettre aux autorités de l'État membre d'accueil de s'assurer objectivement que le diplôme étranger atteste, dans le chef de son titulaire, de connaissances et qualifications sinon identiques, du moins équivalant à celles attestées par le diplôme national. Cette appréciation de l'équivalence du titre étranger doit être faite exclusivement en tenant compte du degré des connaissances et qualifications que ce titre permet, compte tenu de la nature et de la durée des études et de la formation pratique qui s'y rapporte, de présumer dans le chef du titulaire (voir arrêt du 15 octobre 1987, Heylens, précité, point 13).
13 Dans le cadre de cet examen, un État membre peut toutefois prendre en considération les différences objectives relatives tant au cadre juridique de la profession en question dans l'État membre de provenance qu'à son champ d'activité. Dans le cas de la profession d'agent immobilier, un État membre est donc fondé à procéder à un examen comparatif des titres professionnels, en tenant compte des différences relevées entre les ordres juridiques nationaux concernés (voir arrêt du 7 mai 1991, Vlassopoulou, précité, point 18).
14 Si cet examen comparatif des titres aboutit à la constatation que les connaissances et qualifications attestées par le titre étranger correspondent à celles exigées par les dispositions nationales, l'État membre est tenu d'admettre que ce titre remplit les conditions posées par celles-ci. Si, par contre, la comparaison ne révèle qu'une correspondance partielle entre ces connaissances et qualifications, l'État membre d'accueil est en droit d'exiger que l'intéressé démontre qu'il a acquis les connaissances et qualifications manquantes (voir arrêt du 7 mai 1991, Vlassopoulou, précité, point 19).
15 Il y a lieu de souligner enfin que l'examen de la correspondance entre les connaissances et qualifications attestées par le titre étranger et celles requises par la législation de l'État membre d'accueil doit être effectué par les autorités nationales selon une procédure qui soit conforme aux exigences du droit communautaire concernant la protection effective des droits fondamentaux conférés par le traité aux ressortissants communautaires. Il s'ensuit que toute décision des autorités nationales, prise dans le cadre de cet examen, doit être susceptible d'un recours de nature juridictionnelle permettant de vérifier sa légalité par rapport au droit communautaire et que l'intéressé doit pouvoir obtenir connaissance des motifs de la décision prise à son égard (voir arrêts du 15 octobre 1987, Heylens, précité, point 17, et du 7 mai 1991, Vlassopoulou, précité, point 22).
16 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la seconde question posée par le Juzgado de Instrucción n 20 de Madrid, telle que reformulée, que les articles 52 et 57 du traité doivent être interprétés en ce sens que,
- en l'absence de directive relative à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats ou autres titres concernant la profession d'agent immobilier, les autorités d'un État membre, saisies d'une demande d'autorisation d'exercer cette profession introduite par un ressortissant d'un autre État membre, qui est en possession d'un diplôme ou d'un titre relatif à l'exercice de cette même profession dans son État d'origine, sont tenues d'examiner dans quelle mesure les connaissances et qualifications attestées par les diplômes ou titres professionnels acquis par l'intéressé dans son État d'origine correspondent à celles exigées par la réglementation de l'État d'accueil;
- dans le cas où la correspondance entre les diplômes ou titres n'est que partielle, les autorités de l'État d'accueil sont en droit d'exiger que l'intéressé établisse qu'il a acquis les connaissances et les qualifications manquantes, en le soumettant, au besoin, à un examen;
- la décision refusant au ressortissant d'un autre État membre la reconnaissance ou l'équivalence du diplôme ou du titre professionnel délivré par l'État membre dont il est ressortissant doit être susceptible d'un recours de nature juridictionnelle permettant de vérifier sa légalité par rapport au droit communautaire, et l'intéressé doit pouvoir obtenir connaissance des motifs à la base de la décision.
17 Par la première question, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si et dans quelles conditions les articles 52 et 57 du traité s'opposent à ce qu'un État membre sanctionne pénalement l'exercice d'une profession réglementée par un ressortissant d'un autre État membre, qui ne remplit pas les conditions exigées par le droit de l'État membre d'accueil.
18 A cet égard, il convient de rappeler qu'il résulte de la réponse donnée à la seconde question que les autorités de l'État d'accueil sont tenues d'examiner l'équivalence du diplôme ou titre professionnel, délivré par un autre État membre à un ressortissant communautaire, avec le diplôme ou le titre exigé par le droit du premier État, et que la procédure d'examen doit répondre à certaines conditions en ce qui concerne, en particulier, la motivation d'une décision négative et les voies de recours ouvertes contre celle-ci.
19 Sous réserve du respect de ces conditions, les règles du traité en matière de liberté d'établissement n'affectent pas la compétence des États membres de réprimer l'exercice illégal, par un ressortissant d'un autre État membre, d'une profession réglementée, en particulier dans l'hypothèse où le ressortissant communautaire a omis de solliciter l'examen d'équivalence du diplôme ou titre professionnel délivré dans son État d'origine avec celui requis dans l'État d'accueil, ou dans celle où cette équivalence n'a pas été établie.
20 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question, telle que reformulée, que les articles 52 et 57 du traité ne s'opposent pas à ce qu'un État membre sanctionne pénalement l'exercice d'une profession réglementée par un ressortissant d'un autre État membre, qui ne remplit pas les conditions exigées par le droit de l'État membre d'accueil, dans la mesure où celui-ci respecte les conditions résultant de la réponse à la question précédente.
Sur les dépens :
21 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Juzgado de Instrucción n 20 de Madrid, par ordonnance du 21 février 1991, dit pour droit:
1) Les articles 52 et 57 du traité CEE doivent être interprétés en ce sens que,
- en l'absence de directive relative à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats ou autres titres concernant la profession d'agent immobilier, les autorités d'un État membre, saisies d'une demande d'autorisation d'exercer cette profession introduite par un ressortissant d'un autre État membre, qui est en possession d'un diplôme ou d'un titre relatif à l'exercice de cette même profession dans son État d'origine, sont tenues d'examiner dans quelle mesure les connaissances et qualifications attestées par les diplômes ou titres professionnels acquis par l'intéressé dans son État d'origine correspondent à celles exigées par la réglementation de l'État d'accueil;
- dans le cas où la correspondance entre les diplômes ou titres n'est que partielle, les autorités de l'État d'accueil sont en droit d'exiger que l'intéressé établisse qu'il a acquis les connaissances et les qualifications manquantes, en le soumettant, au besoin, à un examen;
- la décision refusant au ressortissant d'un autre État membre la reconnaissance ou l'équivalence du diplôme ou du titre professionnel délivré par l'État membre dont il est ressortissant doit être susceptible d'un recours de nature juridictionnelle permettant de vérifier sa légalité par rapport au droit communautaire et l'intéressé doit pouvoir obtenir connaissance des motifs à la base de la décision.
2) Les articles 52 et 57 du traité ne s'opposent pas à ce qu'un État membre sanctionne pénalement l'exercice d'une profession réglementée par un ressortissant d'un autre État membre, qui ne remplit pas les conditions exigées par le droit de l'État membre d'accueil, dans la mesure où celui-ci respecte les conditions résultant de la réponse à la question précédente.