CJCE, 22 mars 1983, n° 42-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République française
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 février 1982, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la réglementation communautaire vitivinicole et de l'article 30 du traité CEE
- en ayant soumis les opérations de dédouanement des vins de table italiens à un délai dépassant considérablement le temps nécessaire à la réalisation des opérations matérielles admissibles et en subordonnant la mise à la consommation à une analyse systématique ;
- en ayant omis d'ouvrir rapidement la procédure de régularisation des transports d'un certain nombre de lots de vin italien dès que les documents d'accompagnement ont été présentés à ses postes frontière ;
- en ayant subordonné dans de nombreux cas la régularisation du transport des vins italiens bloqué à des postes frontière à la transmission, par les autorités italiennes, des documents et des pièces sur lesquelles ces autorités fondent leur attestation ;
- en ayant retardé le dédouanement même dans les cas régularisés.
2. Selon la Commission, soutenue par le Gouvernement italien intervenant, c'est à cause de ces pratiques que des retards considérables se sont produits dans la mise à la consommation du vin de table en vrac importé en France, en provenance d'Italie, à partir du mois d'août 1981, et à nouveau à partir de fin janvier 1982, et que des quantités importantes de vin de table italien dépassant à certains moments 1 000 000 d'hectolitres sont restées bloquées pendant plusieurs semaines et même plusieurs mois à différents postes frontière en France. Les pratiques en cause auraient été adoptées par les autorités françaises dans le but d'entraver les importations de vin de table en vrac en provenance d'Italie et d'en réduire le volume, considéré trop élevé par rapport aux besoins du marché. Il s'agirait par conséquent de mesures équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation, interdites par l'article 30 du traité CEE.
3. Le Gouvernement français conteste que les pratiques litigieuses ont eu pour but de réduire le volume des importations, et fait valoir qu'elles visaient à assurer le respect de la réglementation communautaire en matière vitivinicole ainsi que la protection des consommateurs, de la santé et de la vie des personnes contre des opérations de fraude et des pratiques interdites et insalubres.
1°) Sur les antécédents et le déroulement des pratiques litigieuses
4. Avant d'examiner plus en détail les pratiques litigieuses, il y a lieu de rappeler les circonstances qui ont entouré leur adoption.
5. Durant des années, les formalités à accomplir avant la mise à la consommation des vins importés en France en provenance d'Italie n'ont pas donné lieu à des difficultés particulières.
6. Entre avril 1980 et 1981, les autorités françaises ont adressé aux autorités italiennes quelques communications concernant des irrégularités ou des infractions qu'elles avaient constatées sur des transports des vins italiens, et en particulier des cas de pollution de transport de vin dues à l'utilisation de moyens de transport inappropriés. La question de savoir si les autorités italiennes ont réagi d'une façon appropriée et en temps utile à ces communications est contestée entre les parties.
7. En été 1981, la situation sur le marché vitivinicole en France était caractérisée par une forte augmentation des importations de vins de table en provenance d'Italie. Cette augmentation entraînait une baisse des prix sur le marché. Des manifestations violentes se sont produites, dans le milieu des viticulteurs du midi de la France, pour protester contre cette situation.
8. Il résulte de documents présentés à la Cour par la Commission qu'au mois de juillet 1981, le comité national du commerce communautaire des vins et spiritueux, en continuant une pratique déjà poursuivie depuis plusieurs années, a proposé de limiter, par des accords d'autodiscipline, les importations de vins de table d'Italie à un volume qu'il jugeait acceptable et qui était évalué à 425 000 hectolitres par mois. La question de savoir si et dans quelle mesure le ministre français de l'agriculture a participé et donné son appui à de telles propositions est restée contestée entre les parties.
9. A partir de mi-août 1981, les autorités françaises ont renforcé les mesures de contrôle sur les importations de vins de table italiens. Elles ont, d'une part, refusé d'accepter un grand nombre des documents d'accompagnement pour les transports des vins en question et ont, d'autre part, systématiquement soumis le vin à des contrôles sanitaires et oenologiques par voie d'analyse, avant la mise à la consommation des lots concernés. Ces pratiques ont eu pour conséquence le blocage de quantités importantes de vins de table à la frontière.
10. En raison de ces pratiques, la Commission a ouvert deux procédures en manquement, au cours desquelles elle a adressé au Gouvernement français deux avis motivés.
11. Par le premier avis motivé, en date du 2 octobre 1981, la Commission a fait valoir qu'en ayant omis d'ouvrir rapidement la procédure de régularisation des transports d'un certain nombre de lots, en subordonnant dans de nombreux cas la régularisation à la transmission, de la part des autorités italiennes, des documents et des pièces sur lesquels ces autorités fondaient leurs attestations, et en retardant le dédouanement même dans les cas régularisés, la République française avait manqué aux obligations lui incombant en vertu de la réglementation communautaire vitivinicole et de l'article 30 du traité.
12. Par le second avis motivé, en date du 9 octobre 1981, la Commission a fait valoir que le fait de soumettre les opérations de dédouanement de vins de table italiens à un délai dépassant considérablement le temps nécessaire à la réalisation des opérations matérielles admissibles et de subordonner la mise à la consommation à une analyse systématique constituait une mesure équivalant à une restriction quantitative à l'importation, interdite par l'article 30 du traité CEE et un manquement aux obligations qui incombaient à la République française en vertu du règlement n° 337-79 du Conseil.
13. Les autorités françaises n'ont procédé à la libération des transports ainsi bloqués que progressivement, jusqu'à la fin de l'année, après un arrangement, intervenu le 13 octobre 1981 à Pise, avec le Gouvernement italien. Cet arrangement prévoyait notamment la libération, dans les deux mois, du vin bloqué ainsi que l'intervention des deux Gouvernements intéressés auprès de la Commission pour que ce déblocage soit accompagné d'aides communautaires à des contrats de stockage. Selon les documents présentés par la Commission, parallèlement à ce déblocage un arrêt total des chargements de vin en Italie a été pratiqué par les membres du comité national du commerce communautaire des vins et spiritueux dans le cadre d'un accord d'autolimitation.
14. A la même époque, le Gouvernement français a annoncé à la Commission au sujet des analyses jusque-la effectuées systématiquement sur tous les lots de vin importés, que les autorités françaises se contenteraient désormais d'analyses effectuées par sondage pour une opération sur dix.
15. Au mois de janvier 1982, les mises à la consommation de vin de table importé en provenance d'Italie ont à nouveau atteint un volume très élevé, à savoir plus de 875 507 hectolitres. A la fin du mois de janvier, de nouvelles manifestations violentes se sont produites contre ces importations dans le milieu vitivinicole du midi de la France.
16. Au début du mois de février, les autorités françaises ont à nouveau renforcé les mesures de contrôle sur les importations de vin de table italien, refusant d'accepter des documents d'accompagnement au motif d'irrégularités et effectuant des analyses à raison de trois lots sur quatre. Une communication adressée par le Gouvernement français à la Commission au sujet de ces contrôles renforcés, par télex du 2 février 1982, contient à ce sujet, entre autres, le passage suivant : " une vive inquiétude est née dans le milieu vitivinicole du midi à la suite de la forte progression des importations de vin en provenance d'Italie au cours du mois de janvier 1982 à des prix nettement inférieurs à ceux du marché. En conséquence, le Gouvernement a pris dès le 30 janvier les dispositions nécessaires pour que des analyses de qualité plus nombreuses soient effectuées par les services administratifs compétents avant la mise sur le marché. Contrairement à ce qui a été indiqué par certains organes de presse, les importations n'ont pas été arrêtées mais ralenties en vue de revenir à un rythme normal ". Des quantités importantes de vin de table en provenance d'Italie ont à nouveau été bloquées à la frontière à la suite de ces mesures de contrôle renforcé.
17. Le 4 mars 1982, la Cour, statuant au provisoire sur une demande de la Commission, a ordonné ce qui suit :
" 1°) en attendant l'arrêt au principal, la République française est tenue d'observer les limitations ci-après spécifiées en ce qui concerne les pratiques relatives à la mise à la consommation en France de vins importés en provenance d'Italie :
A) en dehors de cas particuliers où des indices spécifiques peuvent justifier un soupçon de fraude, la fréquence des analyses avant la mise à la consommation des lots concernés ne doit pas dépasser quinze pour cent des lots présentés à la frontière.
B) la durée des analyses effectuées avant la mise à la consommation des lots concernés ne doit pas dépasser 21 jours à partir de la présentation de ces lots et des documents à la frontière, sauf si des motifs particuliers justifient exceptionnellement des analyses spécifiques.
C) la mise à la consommation des lots de vin ne peut être refusée pour des motifs d'irrégularités des documents d'accompagnement que s'il s'agit d'irrégularités substantielles.
D) lorsque des irrégularités substantielles sont constatées par les autorités françaises, elles doivent en informer sans délai, avec la documentation nécessaire, les autorités italiennes. Tout lot dont le document d'accompagnement a été régularisé par les autorités italiennes doit immédiatement être mis à la consommation.
2°) lorsque la mise à la consommation de quantités de vin en provenance d'Italie dépassant au total 50 000 hectolitres est refusée durant une période dépassant 21 jours pour des motifs soit d'analyses, soit d'irrégularités des documents d'accompagnement, les autorités françaises devront informer la Commission des raisons d'un tel refus. "
18. Apres cette ordonnance, les importations de vin italien en France n'ont plus donné lieu à des difficultés particulières.
2°) sur l'objet de la procédure en manquement
19. Par les quatre griefs formulés dans sa requête, la Commission vise en substance à faire constater que les autorités françaises ont restreint les quantités de vin de table importé en vrac en provenance d'Italie au moyen de retards apportés à la mise à la consommation des transports par les deux groupes de pratiques qui ont fait l'objet des avis motivés des 2 et 9 octobre 1981, à savoir le refus des documents d'accompagnement pour les transports de vin italien, d'une part, et la soumission des vins importés à des contrôles par voie d'analyses systématiques, d'autre part.
20. Il y a lieu d'observer qu'une partie des retards incriminés, à savoir le déblocage progressif et ralenti des quantités retenues à la frontière à la suite de l'arrangement intervenu le 13 octobre 1981 entre les Gouvernements français et italien et la reprise des pratiques litigieuses au début du mois de février et poursuivies jusqu'au mois de mars 1982, ont eu lieu postérieurement aux avis motivés. Toutefois, il est constant qu'il s'agit soit de faits déjà dénoncés dans les avis motivés et qui se sont poursuivis ultérieurement, soit de faits intervenus postérieurement à ces avis, mais de même nature que ceux qui étaient visés par ces avis et qui sont constitutifs d'un même comportement.
3°) Sur le refus des documents d'accompagnement
21. Il convient d'examiner en premier lieu les retards intervenus du fait des pratiques des autorités françaises concernant les documents d'accompagnement et la procédure de régularisation de ceux-ci.
22. La Commission, soutenue par le Gouvernement italien, fait valoir que les documents d'accompagnement que les autorités françaises ont refusé d'accepter à partir de la mi-août 1981 ne présentaient pas effectivement des irrégularités substantielles justifiant, conformément à la réglementation communautaire en la matière, un tel refus.
23. Le Gouvernement français affirme que les documents étaient irréguliers et qu'il était donc autorise à les refuser. En outre, il incomberait à la Commission de prouver que les documents refuses n'étaient pas incorrects, ce que la Commission n'aurait pas réussi à faire.
24. Selon le règlement n° 1153-75 de la Commission, du 30 avril 1975, établissant les documents d'accompagnement et relatif aux obligations des producteurs et des commerçants autres que les détaillants dans le secteur vitivinicole (JO L 113, p. 1), tout transport de vin dans la communauté donne lieu à l'établissement d'un document d'accompagnement vitivinicole, sur un formulaire conforme aux modèles annexés à ce règlement. Pour les produits de la communauté, à l'exception des vins de qualité produits dans des régions déterminées et des vins vines, il s'agit du document VA 1. Les documents d'accompagnement et leurs copies éventuelles sont établis par le ou les organismes compétents de l'Etat membre où débute le transport ou par l'autorité habilitée à cet effet, suivant les indications fournies par l'expéditeur et sous la responsabilité de ce dernier, et ceci en due forme selon les règles strictes du règlement.
25. Il découle de cette réglementation que les autorités françaises étaient en droit de contrôler que tout transport de vin en vrac en provenance d'Italie présenté à la frontière était effectivement accompagne d'un document VA 1 dûment rempli, émanant des services compétents italiens.
26. Toutefois, les dispositions précitées doivent être interprétées à la lumière du deuxième considérant du règlement n° 1153-75 selon lequel l'exigence des documents d'accompagnement ne doit pas se traduire par une entrave aux échanges ou à la commercialisation des produits du secteur. Il s'ensuit que seules des erreurs ou irrégularités d'un document qui ont un caractère substantiel et qui sont par conséquent de nature à le rendre inapte à remplir sa fonction de fournir, sous forme d'un document officiel, l'information nécessaire sur la nature du produit peuvent justifier des objections contre un document et, partant, des obstacles aux importations.
27. Il ressort du dossier que les irrégularités invoquées par les autorités françaises ont été, selon les cas, de nature et d'importance différentes. Ainsi, contrairement a ce qui est prévu par le règlement n° 1153-75, dans certains cas, les documents semblent ne pas avoir été remplis à la machine à écrire ou en caractère d'imprimerie, tout en étant néanmoins lisibles, ou avoir été remplis d'une façon incomplète, tout en contenant cependant indirectement toutes les informations nécessaires. De telles irrégularités ne peuvent cependant pas être considérées comme substantielles et ne peuvent pas justifier des objections contre un document.
28. Par contre, dans d'autres cas, ainsi qu'il a été admis à l'audience par la Commission et par le Gouvernement italien, le défaut des indications requises, dans un certain nombre de formulaires VA 1, était de nature à rendre ces documents d'accompagnement inaptes à remplir leur fonction ci-dessus décrite. Ainsi dans certains cas le titre alcoométrique, ou l'indication de l'autorité italienne ayant établi le document, manquait, dans d'autres cette indication était illisible, dans d'autres encore le document ne portait pas l'indication même indirecte permettant l'identification de l'Etat membre d'origine. De telles irrégularités doivent être considérées comme substantielles, justifiant des objections contre un document.
29. En l'espèce, il n'a pas été possible de constater si tous les documents concernés ont été irréguliers ou non et si ces irrégularités ont présenté un caractère substantiel ou non, étant donne qu'aussi bien la Commission que le Gouvernement français ont déclaré ne pas être en mesure de produire ces documents. Il est cependant possible d'admettre qu'au moins une partie des documents présentaient des irrégularités d'une nature permettant en principe de soulever des objections contre ces documents.
30. L'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1153-75 dispose que " lorsqu'il est constaté que des produits circulent sans document d'accompagnement ou sous le couvert d'un document inapplicable, l'organisme compétent de l'Etat membre où la constatation est faite ou tout autre organisme charge de contrôle prend les dispositions nécessaires pour régulariser et éventuellement sanctionner ce transport irrégulier ". Il en découle qu'afin de ne pas entraver d'une façon injustifiée les échanges, les autorités qui constatent des irrégularités doivent procéder en premier lieu à la régularisation de celles-ci.
31. Cette régularisation doit s'effectuer en application du règlement n° 359-79 du Conseil, du 5 février 1979, relatif à la collaboration directe des instances chargées par les Etats membres du contrôle du respect des dispositions communautaires et nationales dans le domaine vitivinicole (JO L 54, p. 136). L'article 4 de ce règlement prévoit, en cas de doute, que l'instance compétente demande à celle de l'Etat membre d'origine de vérifier les documents ainsi que les mentions dans les registres. Selon son article 3, l'instance compétente peut demander toute information utile, et en particulier la transmission des pièces et documents probants, s'il existe un " soupçon motivé " que le produit n'est pas conforme aux dispositions vitivinicoles.
32. Un soupçon motivé dans le sens de l'article 3, précité, permettant de demander des enquêtes approfondies et la transmission de pièces probantes, doit se baser sur des indices concrets concernant un transport individuel. Contrairement à la thèse développée par le Gouvernement français, l'on ne saurait déduire un soupçon généralisé contre toutes les importations de vin italien de quelques irrégularités ou infractions constatées antérieurement dans des cas individuels. En aucun cas, de simples erreurs de forme dans les documents d'accompagnement ne sauraient justifier un soupçon motivé. En l'absence d'un soupçon motivé dans un cas concret, les autorités françaises ne pouvaient donc exiger que de simples vérifications et confirmations de la part des autorités italiennes aux fins de la régularisation des transports concernés.
33. Il résulte des différentes communications par lesquelles le Gouvernement français a adressé aux autorités italiennes des demandes relatives aux documents VA 1 irréguliers que ces demandes avaient systématiquement pour objet, sans que le moindre soupçon motivé fut allègue, des demandes d'études approfondies et visaient notamment à obtenir les documents d'accompagnement ayant suivi la marchandise lors des transports préalables en Italie, entre le lieu de production et les entrepôts d'où elle avait été acheminée vers la France, les autorités françaises ayant refusé de reconnaître comme suffisante la simple confirmation par télex, après vérification, des documents VA 1 par les autorités italiennes.
34. Il s'ensuit qu'aux fins de la régularisation des documents irréguliers les autorités françaises ont posé des exigences qui n'étaient pas couvertes par la réglementation communautaire en la matière.
35. Le Gouvernement italien à fait valoir en outre que, selon une pratique réciproque des autorités françaises et italiennes, établie depuis plusieurs années, des irrégularités comme celles constatées à partir de la mi-août 1981 dans l'établissement des documents VA 1 étaient fréquentes et acceptées de la part des autorités des deux Etats membres. Les autorités françaises auraient changé, brusquement et sans préavis, cette pratique en matière de contrôle des documents. Afin d'étayer cet argument, le Gouvernement italien a présenté à la Cour une série de documents VA 1 antérieurs à l'époque litigieuse, établis en partie par les autorités françaises et en partie par les autorités italiennes, qui, malgré des irrégularités du type ci- dessus mentionné ont été acceptés par les autorités des deux pays sans faire l'objet de contestation. Le Gouvernement français n'a présenté aucun argument de nature à mettre en doute l'existence d'une telle pratique.
36. Afin d'éviter des entraves aux importations, l'obligation de collaboration entre les Etats membres qui est inhérente au système communautaire exige que dans un tel cas de changement de pratique un préavis soit donné aux autorités de l'Etat membre intéressé concernant la nouvelle pratique afin de ne pas mettre celles-ci dans l'impossibilité de se préparer à la nouvelle pratique et d'en tenir compte dans l'établissement des documents VA 1.
37. En outre, la procédure prévue à l'article 8 du règlement n° 359-79, précité, selon laquelle les représentants des Etats membres se réunissent régulièrement dans le cadre du comité de gestion des vins afin d'évoquer les problèmes soulevés par l'application de ce règlement et tout autre problème relatif au contrôle uniforme des dispositions communautaires dans le secteur vitivinicole, aurait du être utilisée en l'espèce. Cette procédure vise en effet à éviter les difficultés pouvant résulter de mesures unilatérales ou de l'absence d'uniformité dans l'application de la réglementation communautaire et les entraves à la libre circulation des marchandises qui en découlent.
38. Il s'ensuit qu'en modifiant brusquement la pratique établie, les autorités françaises ont violé une obligation qui leur incombe en vertu du droit communautaire.
39. La Commission et le Gouvernement italien ont encore fait valoir que les demandes adressées par les autorités françaises aux autorités italiennes concernant des irrégularités de documents VA 1 visaient en partie des opérations remontant à plusieurs mois ou plusieurs semaines.
40. Lorsqu'une irrégularité de documents d'accompagnement est constatée, l'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1153-75 impose aux autorités nationales concernées l'obligation de prendre sans délai les mesures nécessaires pour permettre une éventuelle régularisation du transport irrégulier, afin d'éviter des retards injustifiés dans la mise à la consommation du vin concerné.
41. En l'espèce, le Gouvernement français n'a pas contesté les allégations détaillées du Gouvernement italien sur des retards importants dans les demandes adressées aux autorités italiennes dans certains cas. Il convient donc d'admettre que, sous cet aspect encore, les pratiques des autorités françaises en matière de contrôle des documents d'accompagnement n'étaient pas, dans tous les cas, conformes à la réglementation communautaire.
42. La Commission et le Gouvernement italien ont enfin fait valoir que les autorités françaises n'ont pas procédé à la mise à la consommation des transports de vin bloqués même dans les cas régularisés.
43. A cet égard, il y a lieu d'observer que la libération des transports bloqués à partir du mois d'août 1981 a été effectuée, indépendamment de toute régularisation des documents, selon les modalités de l'arrangement politique, convenu entre le Gouvernement français et le Gouvernement italien a pise, le 13 octobre 1981.
44. Les autorités françaises ont donc, également sous cet aspect, manqué à l'obligation qui leur incombait en vertu de la réglementation communautaire vitivinicole de procéder à la régularisation des transports de vins accompagnés de documents irréguliers.
45. Il résulte de ce qui précède que les pratiques des autorités françaises concernant le contrôle des documents étaient contraires à la réglementation vitivinicole. Elles constituent en même temps une violation de l'article 30 du traité CEE interdisant les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent.
4°) Sur les contrôles oenologiques par analyses systématiques
46. Il y a lieu d'examiner, en second lieu, les retards dans la mise à la consommation qui ont eu pour cause la pratique des autorités françaises de soumettre systématiquement les lots de vin italien à des analyses avant la mise à la consommation.
47. Selon la Commission et le Gouvernement italien, les autorités françaises auraient effectué les analyses systématiques avant la mise à la consommation afin de retarder celle-ci et de restreindre le volume des importations. En tout cas, il ne serait pas nécessaire aux fins de contrôles oenologiques de bloquer des quantités importantes de vin à la frontière, et la durée des analyses qui était de plusieurs semaines aurait dépassé de loin le délai acceptable qui serait de quelques jours.
48. Le Gouvernement français soutient que les analyses ont eu pour but d'assurer le respect de la réglementation communautaire vitivinicole, la protection des consommateurs et la santé et la vie des personnes. Le délai cause par ces opérations serait inhérent à la nature de telles analyses.
49. Il est constant que les autorités françaises ont systématiquement soumis le vin de table importé en vrac d'Italie a des analyses, et ceci pendant la première période en question pour la totalité des lots de vin italien et a partir de début février 1982 à raison de trois lots sur quatre, qu'elles ont fait dépendre la mise à la consommation du lot concerne des résultats des analyses et que ces résultats n'étaient pas connus avant plusieurs semaines en raison des délais que comportait la procédure appliquée.
50. A cet égard, il y a lieu de constater tout d'abord que de tels contrôles oenologiques sont susceptibles, en raison notamment des délais et des frais de stockage supplémentaires qui peuvent en découler pour l'importateur, de rendre les importations plus difficiles et plus onéreuses. Il s'ensuit que ces procédés - qu'ils soient systématiques ou non - constituent des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives au sens de l'article 30 du traité CEE, interdites par cette disposition, sous réserve des exceptions prévues par le droit communautaire et, en particulier, par l'article 36 du traité.
51. En vertu de l'article 36 du traité, l'article 30 ne fait pas obstacle aux restrictions d'importation justifiées notamment par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes. Toutefois, une telle restriction étant dérogatoire au principe de libre circulation des marchandises, elle n'est conforme aux traites que dans la mesure où elle est nécessaire pour atteindre ces mêmes objectifs, et où elle ne constitue ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le commerce entre Etats membres.
52. On ne saurait exclure que, dans certains cas, des contrôles sanitaires par voie d'analyses peuvent être un moyen approprié pour prévenir des dangers résultant, par exemple, de pratiques oenologiques interdites ou de l'utilisation de moyens de transport impropres et peuvent servir à assurer la protection de la santé et de la vie des personnes.
53. Il convient d'ajouter que différentes dispositions de la réglementation communautaire en matière vitivinicole, telle que l'article 64 du règlement n° 337-79 du Conseil, du 5 février 1979, portant organisation commune du marché vitivinicole (JO L 54, p. 1) et l'article 46, paragraphe 2, du règlement n° 355-79, du Conseil, du 5 février 1979, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins et des mouts de raisins (JO L 54, p. 99), confient aux autorités nationales la responsabilité d'assurer le respect de la réglementation communautaire. Dans ce contexte encore, des contrôles par voie d'analyses peuvent être un moyen utile pour découvrir des infractions à la réglementation en question.
54. Toutefois, les contrôles effectués doivent être nécessaires pour atteindre les objectifs visés, et ils ne doivent pas créer des entraves aux importations qui soient disproportionnées par rapport à ces objectifs.
55. En ce qui concerne la fréquence admissible des prises d'analyses, il y a lieu d'observer que celle-ci a fortement varié au cours de la période en question. Alors qu'au mois d'août 1981, la totalité des lots de vin était soumise à des prises d'analyses, des contrôles par sondage dans 10 pour cent des cas étaient juges suffisants après les arrangements conclus a pise en octobre 1981, fréquence qui a ensuite de nouveau été portée à un contrôle de trois lots sur quatre fin janvier 1982. Aucune justification n'a pu être apportée par le Gouvernement français pour ces variations qui ne semblent donc pas avoir été en relation avec des exigences impératives découlant des objectifs susvisés. Ces prises d'analyses ont été effectuées, sans qu'il y ait des faits concrets justifiant un soupçon de fraude ou d'irrégularités dans des cas d'espèce.
56. La fréquence de ces prises d'analyses était nettement supérieure aux contrôles occasionnels effectues sur des transports de vin français à l'intérieur du pays. Il est constant que des contrôles sont également effectués par les autorités italiennes afin d'assurer tant la conformité, avec la réglementation communautaire, des vins produits en Italie que la protection des consommateurs, de la santé et de la vie des personnes. Les autorités françaises étaient obligées de tenir compte de l'existence de ces contrôles dans le pays d'origine du vin. En aucun cas des falsifications ou des irrégularités constatées dans des cas individuels, antérieurement à l'époque ici en question, ne sauraient justifier un soupçon généralisé à l'égard de toutes les importations de vins italiens et permettre des prises d'analyses systématiques alors qu'aucune pratique similaire n'existe pour du vin français.
57. Il s'ensuit que les autorités françaises n'étaient pas en droit d'effectuer des contrôles systématiques par voie d'analyse et devaient se limiter, en l'absence de tout soupçon motive par des indices concrets dans des cas individuels, à des contrôles par sondage.
58. Le Gouvernement français lui-même a déclaré à la suite de l'avis motivé que des analyses dans un cas sur dix seraient suffisantes. Compte tenu de cette appréciation, les analyses systématiques que les autorités françaises ont effectuées sur la totalité des lots ou à raison de trois lots sur quatre dépassent la fréquence admissible des contrôles par voie d'analyses et constituent un traitement discriminatoire par rapport aux contrôles auxquels est soumis du vin de production nationale en France.
59. En ce qui concerne la durée de quelques semaines des opérations matérielles des analyses, il y a lieu d'observer que la durée inhérente à de telles analyses de vin peut varier selon les circonstances de l'espèce, en particulier selon la nature des analyses a effectuer. En l'espèce, la Cour ne dispose pas d'informations suffisantes sur le déroulement des analyses dans des cas concrets pour pouvoir examiner si les délais entre les prélèvements aux fins d'analyses et les communications des résultats ont dépassé le temps nécessaire.
60. Il y a cependant lieu de constater que lorsque des prélèvements aux fins d'analyses sont effectues sur des vins français, ceci n'entraîne pas automatiquement le blocage du vin en question jusqu'à ce que les résultats des analyses soient connus, les dispositions de la réglementation communautaire sur la tenue de registre et sur les documents d'accompagnement permettant normalement de retrouver et d'identifier, une fois que les résultats d'analyses sont connus, un transport de vin.
61. En cas d'analyses par sondage sur des transports de vin importé, le fait de retenir le transport de vin concerné à la frontière jusqu'à ce que les résultats des analyses soient connus constitue, dès lors que de telles analyses comportent des délais importants, dépassant quelques jours, et compte tenu de la possibilité de retrouver et d'identifier un transport de vin, une entrave disproportionnée et discriminatoire aux importations. Il n'en serait autrement que si des analyses étaient prises dans un cas individuel en raison d'un soupçon motivé de fraude ou d'irrégularité du produit concerné. Or, le Gouvernement français n'a pas allègue des cas concrets d'existence d'un tel soupçon.
62. Il y a lieu de mentionner en outre qu'il ressort du télex susmentionné du 2 février 1982 ainsi que de l'ensemble des circonstances que les prises d'analyses visaient à retarder la mise à la consommation des transports concernes et à restreindre ainsi la quantité des importations de vin en provenance d'Italie.
63. Il s'ensuit que tant en raison de la fréquence des analyses qu'en raison du fait que les transports ainsi contrôles étaient, dans tous les cas, retenus à la frontière, la pratique des autorités françaises en matière de contrôle par voie d'analyses systématiques était contraire aux exigences des articles 30 et 36 du traité CEE.
64. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de constater qu'en retardant la mise à la consommation de vins de table importés en vrac d'Italie par les modalités du contrôle et de la régularisation des documents d'accompagnement VA 1 et des contrôles systématiques par voie d'analyses, et en restreignant ainsi, entre les mois d'août 1981 et mars 1982, les importations de ces vins de table, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE et de la réglementation communautaire vitivinicole.
Sur les dépens
65. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La partie défenderesse ayant succombe, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante qui a appuyé la partie requérante ainsi que ceux occasionnes par la procédure visant a ordonner des mesures provisoires, réserves dans l'ordonnance de la Cour du 4 mars 1982.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1°) en retardant la mise à la consommation de vins de table importés en vrac d'Italie par les modalités du contrôle et de la régularisation des documents d'accompagnement VA 1 et des contrôles systématiques par voie d'analyses, et en restreignant ainsi, entre les mois d'août 1981 et mars 1982, ces importations de vins de table, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE et de la réglementation communautaire vitivinicole.
2°) la partie défenderesse est condamnée aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante ainsi que ceux occasionnes par la procédure visant a ordonner des mesures provisoires.