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Décisions

CJCE, 3 décembre 1974, n° 33-74

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

van Binsbergen

Défendeur :

Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor de Metaalnijverheid

CJCE n° 33-74

3 décembre 1974

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnance du 18 avril 1974, parvenue au greffe de la Cour le 15 mai suivant, le Centrale Raad van Beroep a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, des questions relatives à l'interprétation des articles 59 et 60 du traité instituant la Communauté économique européenne, relatifs à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté ;

2. Que ces questions ont été soulevées incidemment, au cours d'un litige porté devant ladite juridiction, au sujet de l'admission de la personne choisie en qualité de mandataire par le demandeur au principal ;

3. Qu'il apparaît du dossier que la partie en cause avait confié la défense de ses intérêts à un mandataire de nationalité néerlandaise assurant la représentation des justiciables auprès de juridictions devant lesquelles le ministère d'avocat n'est pas obligatoire ;

4. Que ce mandataire ayant, en cours d'instance, transféré sa résidence des Pays-Bas en Belgique, sa capacité à représenter la partie devant le Centrale Raad van Beroep a été contestée en raison d'une disposition de la législation néerlandaise, aux termes de laquelle seules les personnes établies aux Pays-Bas peuvent agir en qualité de mandataire devant cette juridiction ;

5. Que l'intéressé ayant invoqué en sa faveur les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté, le Centrale Raad van Beroep a soumis à la Cour deux questions relatives à l'interprétation des articles 59 et 60 du traité ;

Sur la portée matérielle des articles 59 et 60 :

6. Attendu qu'il est demandé d'interpréter les articles 59 et 60 au regard d'une disposition de la législation nationale selon laquelle seules des personnes établies sur le territoire national sont en droit d'agir, devant certaines juridictions, en qualité de mandataire judiciaire ;

7. Attendu que l'article 59 - dont l'alinéa 1er est seul en cause dans ce contexte - dispose que " dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont progressivement supprimées au cours de la période de transition à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation " ;

8. Que l'article 60, après avoir défini dans ses alinéas 1 et 2 la notion de services au sens du traité, précise en son alinéa 3 que, sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l'Etat où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet Etat impose à ses propres ressortissants ;

9. Que la question posée vise dès lors à déterminer si l'exigence, dans le cas du mandataire judiciaire, d'un établissement permanent sur le territoire de l'Etat où la prestation doit être fournie peut être conciliée avec la prohibition, par les articles 59 et 60, de toutes restrictions à la libre prestation des services dans la Communauté ;

10. Attendu que les restrictions dont l'élimination est prévue par les articles 59 et 60 comprennent toutes exigences, imposées au prestataire en raison notamment de sa nationalité ou de la circonstance qu'il ne possède pas de résidence permanente dans l'Etat où la prestation est fournie, non-applicables aux personnes établies sur le territoire national ou de nature à prohiber ou gêner autrement les activités du prestataire ;

11. Qu'en particulier, l'exigence, pour le prestataire, d'une résidence permanente sur le territoire de l'Etat où la prestation doit être fournie peut, selon les circonstances, avoir pour conséquence d'enlever tout effet utile à l'article 59 dont l'objet est, précisément, d'éliminer les restrictions à la libre prestation de services de la part de personnes non-établies dans l'Etat sur le territoire duquel la prestation doit être fournie ;

12. Que, compte tenu de la nature particulière des prestations de services, on ne saurait cependant considérer comme incompatibles avec le traité les exigences spécifiques, imposées au prestataire, qui seraient motivées par l'application de règles professionnelles justifiées par l'intérêt général - notamment les règles d'organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle et de responsabilité - incombant à toute personne établie sur le territoire de l'Etat où la prestation est fournie, dans la mesure où le prestataire échapperait à l'emprise de ces règles en raison de la circonstance qu'il est établi dans un autre Etat membre ;

13. Que, de même, on ne saurait dénier à un Etat membre le droit de prendre des dispositions destinées à empêcher que la liberté garantie par l'article 59 soit utilisée par un prestataire dont l'activité serait entièrement ou principalement tournée vers son territoire, en vue de se soustraire aux règles professionnelles qui lui seraient applicables au cas où il serait établi sur le territoire de cet Etat, une telle situation pouvant être justiciable du chapitre relatif au droit d'établissement et non de celui des prestations de service ;

14. Attendu qu'en conformité de ces principes, on ne saurait considérer comme incompatible avec les dispositions des articles 59 et 60 l'exigence, en ce qui concerne les auxiliaires de la justice, d'un établissement professionnel stable dans le ressort de juridictions déterminées, au cas où cette exigence est objectivement nécessaire en vue de garantir l'observation de règles professionnelles liées, notamment, au fonctionnement de la justice et au respect de la déontologie ;

15. Que tel ne saurait cependant être le cas lorsque, dans un Etat membre, la prestation de certains services n'est soumise à aucune sorte de qualification ou de discipline professionnelle et lorsque l'exigence d'une résidence permanente est déterminée par référence au territoire de l'Etat ;

16. Qu'au regard d'une activité professionnelle relevant ainsi, à l'intérieur d'un Etat membre, d'un régime de liberté totale, l'exigence d'une résidence sur le territoire de cet Etat constitue une restriction incompatible avec les articles 59 et 60 du traité, lorsque le bon fonctionnement de la justice peut être satisfait grâce à des mesures moins contraignantes, telles que l'élection d'un domicile pour les besoins des communications judiciaires ;

17. Qu'il y a donc lieu de répondre à la question posée que les articles 59, alinéa 1er, et 60, alinéa 3, du traité CEE doivent être interprétés en ce sens qu'une législation nationale ne saurait rendre impossible, par l'exigence d'une résidence permanente sur le territoire, la prestation de services par des personnes établies sur le territoire d'un autre Etat membre, dès lors que la prestation de services n'est soumise à aucune condition particulière par la législation nationale applicable ;

Sur la question de l'applicabilité directe des articles 59 et 60 :

18. Attendu qu'en outre, il est demandé si les articles 59, alinéa 1er, et 60, alinéa 3, du traité CEE sont directement applicables et créent, pour les justiciables, des droits subjectifs que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder ;

19. Attendu que la question posée doit être résolue dans le cadre de l'ensemble du chapitre relatif aux services en tenant compte, pour le surplus, des dispositions relatives au droit d'établissement auxquelles il est renvoyé par l'article 66 ;

20. Attendu qu'en vue de l'élimination progressive, au cours de la période de transition, des restrictions visées par l'article 59, l'article 63 a prévu l'élaboration d'un " programme général " - fixé par décision du Conseil du 18 décembre 1961 (JO 1962, p. 32) - dont la mise en œuvre doit être assurée au moyen d'un ensemble de directives ;

21. Que, dans le système du chapitre relatif aux prestations de services, ces directives sont destinées à accomplir des fonctions diverses, la première étant d'éliminer, au cours de la période de transition, les restrictions à la libre prestation des services, la seconde consistant à introduire, dans la législation des Etats membres, un ensemble de dispositions destinées à faciliter l'exercice effectif de cette liberté, notamment par la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et la coordination des législations relatives à l'exercice des activités non-salariées ;

22. Qu'il appartient encore à ces directives de résoudre les problèmes spécifiques résultant de la circonstance qu'à défaut d'établissement permanent, le prestataire pourrait ne pas être pleinement soumis aux règles professionnelles en vigueur dans l'Etat où la prestation est exécutée ;

23. Qu'en ce qui concerne l'échelonnement, dans le temps, de la mise en œuvre du chapitre relatif aux services, l'article 59, interprété à la lumière de la disposition générale de l'article 8, paragraphe 7, du traité, traduit la volonté d'aboutir à l'élimination des restrictions à la libre prestation des services pour la fin de la période de transition, terme extrême pour l'entrée en vigueur de l'ensemble des règles prévues par le traité ;

24. Que les dispositions de l'article 59, dont l'application devait être préparée au moyen de directives pendant la période de transition, sont ainsi devenues inconditionnelles à l'expiration de celle-ci ;

25. Qu'elles comportent l'élimination de toutes discriminations à l'encontre du prestataire en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu'il se trouve établi dans un Etat membre autre que celui où la prestation doit être fournie ;

26. Qu'en ce qui concerne à tout le moins l'exigence spécifique de nationalité ou de résidence, les articles 59 et 60 comportent ainsi une obligation de résultat précise dont l'exécution, par les Etats membres, ne saurait être retardée ou compromise par l'absence des dispositions qui devaient intervenir dans le cadre des pouvoirs institués en vertu des articles 63 et 66 ;

27. Qu'il y a donc lieu de répondre que les articles 59, alinéa 1er, et 60, alinéa 3, ont un effet direct et peuvent, dès lors, être invoqués devant les juridictions nationales, en tout cas dans la mesure où ils visent à l'élimination de toutes discriminations à l'encontre du prestataire en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu'il réside dans un Etat membre autre que celui où la prestation doit être fournie ;

Quant aux dépens :

28. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de l'Irlande, le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

29. Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le Centrale Raad van Beroep, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Centrale Raad van Beroep par ordonnance du 18 avril 1974, dit pour droit :

1) Les articles 59, alinéa 1er, et 60, alinéa 3, du traité CEE doivent être interprétés en ce sens qu'une législation nationale ne saurait rendre impossible, par l'exigence d'une résidence permanente sur le territoire, la prestation de services par des personnes établies sur le territoire d'un autre Etat membre, dès lors que la prestation de services n'est soumise à aucune condition particulière par la législation nationale applicable ;

2) Les articles 59, alinéa 1er, et 60, alinéa 3, ont un effet direct et peuvent, dès lors, être invoqués devant les juridictions nationales, en tout cas dans la mesure où ils visent à l'élimination de toutes discriminations à l'encontre du prestataire en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu'il réside dans un Etat membre autre que celui où la prestation doit être fournie.