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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 18 février 2005, n° 03-21309

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Publications du jour (SARL)

Défendeur :

Pierre Horay Editeur (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

Mme Regniez, M. Marcus

Avoués :

SCP Grappotte-Benetreau, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Dominguez, Ryterbrand

T. com. Paris, du 3 oct. 2003

3 octobre 2003

LA COUR, est saisie de l'appel formé par la société à responsabilité limitée Publications du Jour à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris (affaires contentieuses 15e chambre) le 3 octobre 2003 qui a:

- Dit que, par la publication de deux ouvrages ayant les mêmes titres et du même genre que ceux édités par la société anonyme Pierre Horay éditeur intitulés "j'attends un enfant" et "j'élève mon enfant", la société Publications du Jour a violé les dispositions de l'article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle et s'est rendue coupable de concurrence déloyale au préjudice de la société Pierre Horay éditeur;

- Fait interdiction à la société Publications du Jour de commercialiser les deux "dossiers pratiques" litigieux intitulés "j'attends un enfant" et "j'élève mon enfant" ainsi que la référence à ces deux titres dans toute autre brochure dont elle assurait la publication, et plus généralement, d'utiliser l'un quelconque des deux titres litigieux pour désigner tout ouvrage du même genre que ceux édités par la société Pierre Horay éditeur et ce sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à compter de la signification du jugement;

- Condamné la société Publications du Jour à payer à la société Pierre Horay éditeur à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi, toutes causes confondues, la somme de 60 000 euro;

- Ordonné la publication du dispositif du jugement dans deux journaux ou revues au choix de la société Pierre Horay éditeur et aux frais de la société Publications du Jour sans que le coût par insertion ne puisse excéder la somme HT de 5 000 euro;

- Ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie, sauf pour les publications;

- Condamné la société Publications du Jour à payer à la société Pierre Horay

Editeur la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC et aux dépens.

La société Pierre Horay éditeur est l'éditeur de l'ouvrage de Mme Laurence Pernoud intitulé "j'attends un enfant" et de son complément "j'élève mon enfant". Ayant constaté la présence dans une maison de la presse d'une publication intitulée "j'élève mon enfant" faisant partie de la collection "les dossiers pratiques", dans laquelle figurait un ouvrage intitulé "j'attends un enfant", elle a fait assigner le 12 décembre 2002 la société Publications du Jour devant le Tribunal de commerce de paris. C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision aujourd'hui entreprise.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 3 janvier 2005, la SARL Publications du Jour, appelante, demande à la cour de:

- Débouter la société Pierre Horay éditeur de toutes ses demandes, fins et conclusions;

A titre subsidiaire

- dire et juger que la société Pierre Horay éditeur ne justifie pas d'un préjudice réellement subi;

- Ordonner le remboursement par la société Pierre Horay éditeur à la société Publications du Jour de la somme de 60 000 euro;

- Condamner la société Pierre Horay éditeur à verser 5 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC à la société Publications du Jour et en tous les dépens d'instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 18 juin 2004, la société anonyme Pierre Horay éditeur, intimée, demande à la cour de:

- Dire et juger qu'en procédant à la publication des deux ouvrages intitulés "j'attends un enfant" et "j'élève mon enfant", la société Publications du Jour a violé les dispositions de l'article L. 112-4 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle au préjudice de la société Pierre Horay éditeur;

- Dire et juger que la société Publications du Jour s'est par ailleurs rendue coupable d'actes de concurrence parasitaire;

- Confirmer le jugement rendu le 3 octobre 2003 par le Tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a condamné la société Publications du Jour à réparer le dommage cause par sa faute, prononcé une condamnation à payer des dommages et intérêts et à payer le coût de deux publications judiciaires au choix de la demanderesse, dans la limite de 5 000 euro par insertion;

- Déclarer la société Pierre Horay éditeur recevable et bien fondée en son appel incident;

- Condamner la société Publications du Jour à verser à la société Pierre Horay éditeur la somme de 80 000 euro en réparation du dommage par elle subi;

- Faire injonction à la société Publications du Jour de remettre, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, l'ensemble des documents comptables certifiés par un expert comptable indépendant, permettant d'attester du nombre d'exemplaires de chacun des ouvrages litigieux fabriqués et vendus soit par l'intermédiaire des messageries lyonnaises de presse, soit par tout autre moyen, ainsi que le chiffre d'affaires et le bénéfice réalisés;

- Condamner la société Publications du Jour à verser à la société Pierre Horay éditeur la somme de 12 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens, en ce compris les frais de constats d'huissier avancés par la concluante, sur autorisation judiciaire.

Ceci étant exposé, la cour :

Considérant que la société Publications du Jour fait grief aux premiers juges d'avoir dit que les publications litigieuses créaient une confusion dans l'esprit du public et que les actes de concurrence déloyale dénoncés étaient avérés;

Qu'elle fait valoir que les titres "j'attends un enfant" et "j'élève mon enfant" ne sont que la reprise d'expressions courantes, c'est-à-dire de formules génériques insusceptibles d'appropriation ; qu'elle ajoute que les modes de distribution de ses publications et de celles de sa contradictrice sont distincts et que les clientèles elles-mêmes sont différentes ; qu'elle n'est pas responsable du fait que ses ouvrages et ceux de l'intimée ont pu être placés côte à côte par un marchand qui est somme toute seul responsable d'une telle présentation ; que, par ailleurs, les publications en cause ne sont selon elle pas comparables dans leur aspect et leur contenu ni par leur prix ; qu'elle fait aussi valoir qu'elle n'a fait qu'exercer les droits découlant de la liberté de la presse et de la libre concurrence; qu'elle nie avoir commis la moindre faute et prétend qu'en tout état de cause le préjudice allégué n'est nullement démontré;

Mais considérant que l'examen des ouvrages en présence révèle que ceux édités par l'appelante sont en réalité non point de simples magazines, mais tout comme ceux de l'intimée des livres, sur la couverture desquels figurent exactement les mêmes titres présentés avec la même césure entre d'une part sur l'un, "j'attends" et sur l'autre, "j'élève", d'autre part le reste de la formule ; que le risque de confusion était au demeurant tellement patent qu'il a été constaté par huissier une mise en vente matériellement groupée qui, si elle n'a certes pas été opérée sur place par la société Publications du Jour, n'en résulte pas moins à l'évidence de l'identité apparente qu'elle a indûment créée; qu'il importe peu que les ouvrages en cause puissent être sensiblement différents de par leur contenu suppose concerner des publics distincts, puisque dans les deux cas on se trouve en présence de livres ayant rigoureusement le même titre, diffusés dans des conditions qui conduisent à leur mise en vente simultanée et s'adressant visiblement aux mêmes lecteurs potentiels, à savoir des parents en attente d'enfant et des parents ayant eu un enfant ; que si les titres précités ne sont effectivement pas originaux, ce qui n'est d' ailleurs pas contesté, il n'en reste pas moins qu'ils peuvent être utilisés pour désigner une œuvre de l'esprit, ce que fait la société Pierre Horay éditeur depuis près d'un demi siècle, et qu'en application de l'article L. 112-4 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle la société publication du jour ne pouvait plus dès lors les employer pour désigner une œuvre de l'esprit similaire à l'œuvre première dans des conditions générant un risque de confusion entre les œuvres en présence que les principes généraux de la liberté de la presse et de celle du commerce ne font pas obstacle à l'application du texte spécial susvisé; qu'il est manifeste que l'appelante, qui a au demeurant depuis radicalement changé le titrage utilisé, a commis les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés ; qu'en revanche il n'est pas démontré qu'elle avait entendu profiter spécialement de la notoriété de sa concurrente et de son image pour se placer dans son sillage et bénéficier illicite ment d'un avantage commercial ; que le parasitisme invoqué ne peut dans ces conditions être retenu;

Considérant que pas davantage qu'en première instance la société Publications du Jour n'a entendu fournir des éléments précis relatifs à l'ensemble des diffusions incriminées ; qu'il apparaît que les magistrats consulaires ont, au vu des éléments du dossier, exactement chiffré le montant de la réparation et déterminé les mesures complémentaires; qu'il n'apparaît pas utile de décerner l'injonction de produire exigée, dès lors que la cour dispose déjà des éléments lui permettant d'asseoir sa décision;

Considérant en conséquence que le jugement entrepris doit être entièrement confirmé avec pour seul ajout, par rapport aux points qui précèdent, que la mesure de publication judiciaire devra tenir compte du présent arrêt;

Considérant qu'il y a lieu de faire partiellement droit à la prétention fondée par l'intimée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant qu'aux termes du jugement confirmé il a déjà été statué sur le sort des dépens de première instance en fonction des éléments alors produits; que la liste figurant à l'article 695 du nouveau Code de procédure civile est limitative et qu'il n'est allégué aucune omission qui serait imputable au tribunal ; que dès lors la cour n'a pas à prendre en considération les frais de constat exposés avant même l'introduction de l'instance devant le tribunal et se bornera à prononcer une condamnation portant sur les dépens d'appel;

Par ces motifs, LA COUR : Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris; Y ajoutant : - Dit que les mesures de publication devront tenir compte du présent arrêt, - Condamne la société Publications du Jour à payer à la société Pierre Horay éditeur la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejetant toute autre demande, condamne la société Publications du Jour aux dépens d'appel dont le recouvrement pourra être poursuivi par la SCP Fisselier Chiloux Boulay conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.