CJCE, 8 avril 1976, n° 48-75
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Royer
LA COUR,
1. Attendu que, par jugement du 6 mai 1975, parvenu au greffe de la Cour le 29 mai suivant, confirme par arrêt de la Cour d'appel de Liège du 22 décembre 1975, parvenu au greffe de la Cour le 30 décembre suivant, le Tribunal de première instance de Liège a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une série de questions relatives à l'interprétation des articles 48, 53, 56, 62 et 189 du traité CEE ainsi que des directives du Conseil n° 64-221, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO 1964, p. 850) et n° 68-360, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des Etats membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté (JO 1968, n° L 257, p. 13) ;
2. Que ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une poursuite pénale intentée contre un ressortissant français sous la prévention d'entrée illégale et de séjour illégal sur le territoire belge ;
3. Qu'il résulte du dossier que le prévenu a été, dans son pays d'origine, condamné du chef de proxénétisme et poursuivi pour divers vols à main armée sans avoir été cependant, selon les renseignements disponibles, condamné de ce chef ;
4. Que l'épouse du prévenu, également de nationalité française, exploitant dans la région de Liège un café-dancing, en qualité d'employée de la société propriétaire de l'établissement, le prévenu l'y avait rejointe, en négligeant cependant d'accomplir les formalités administratives d'inscription au registre de la population ;
5. Que les autorités compétentes, ayant décelé son séjour, ont pris à son égard une mesure d'éloignement du territoire et introduit contre lui des poursuites du chef de séjour illégal qui ont abouti à une première condamnation judiciaire ;
6. Qu'à la suite d'un bref séjour en Allemagne, le prévenu est retourné sur le territoire belge pour y rejoindre son épouse, négligeant, à nouveau de se soumettre aux formalités légales en matière de contrôle des étrangers ;
7. Qu'ayant été à nouveau intercepté par la police, il a été placé sous mandat d'arrêt lequel cependant n'a pas été confirmé par l'autorité judiciaire ;
8. Qu'avant la levée d'écrou, le prévenu s'est toutefois vu signifier un arrêté ministériel de renvoi, pris au motif que 'le comportement personnel de Royer fait juger sa présence dangereuse pour l'ordre public' et que l'intéressé 'n'a pas respecté les conditions mises au séjour des étrangers et n'a pas de permis d'établissement dans le Royaume';
9. Qu'à la suite de cet arrêté de renvoi, le prévenu semble avoir quitté effectivement le territoire belge, la poursuite du chef d'entrée illégale et de séjour illégal suivant son cours devant le tribunal de première instance ;
Sur les dispositions communautaires applicables :
10. Attendu que la juridiction nationale n'a pas encore, au stade actuel de la procédure, qualifié définitivement la situation du prévenu au regard des dispositions du droit communautaire qui lui sont applicables ;
11. Que les faits retenus par la juridiction nationale et le choix des textes de droit communautaire dont elle a demandé l'interprétation permettent d'envisager à ce sujet différentes hypothèses, selon que le prévenu relève des dispositions du droit communautaire en raison d'une activité professionnelle qu'il aurait lui-même exercée, ou d'un emploi qu'il aurait lui-même recherché, ou encore comme conjoint d'une personne bénéficiant des dispositions du droit communautaire en raison de son activité professionnelle, de manière que sa situation pourrait relever alternativement :
a) du chapitre du traité relatif aux travailleurs et, plus particulièrement, de l'article 48, dont la mise en œuvre a été assurée par le règlement du Conseil n° 1612-68 du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2) et la directive du Conseil n° 68-360, ou
b) des chapitres relatifs au droit d'établissement et aux services, notamment des articles 52, 53, 56, 62 et 66, mis en œuvre par la directive du Conseil n° 73-148, du 21 mai 1973, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des Etats membres à l'intérieur de la Communauté en matière d'établissement et de prestation de services (JO 1973, n° L 172, p. 14) ;
12. Qu'il apparaît cependant d'un rapprochement entre ces différentes dispositions que celles-ci sont fondées sur les mêmes principes en ce qui concerne tant l'entrée et le séjour sur le territoire des Etats membres, des personnes relevant du droit communautaire, que l'interdiction de toute discrimination exercée à leur égard en raison de la nationalité ;
13. Qu'en particulier, l'article 10 du règlement n° 1612-68, l'article 1 de la directive n° 68-360 et l'article 1 de la directive n° 73-148 étendent, en des termes identiques, l'application du droit communautaire en matière d'entrée et de séjour sur le territoire des Etats membres au conjoint de toute personne relevant de ces dispositions ;
14. Qu'à son tour, la directive n° 64-221 vise, aux termes de son article 1, les ressortissants d'un Etat membre qui séjournent ou se rendent dans un autre Etat membre de la Communauté, soit en vue d'exercer une activité salariée ou non-salariée, soit en qualité de destinataires de services, y compris le conjoint et les membres de la famille ;
15. Qu'il apparaît de ce qui précède que des dispositions matériellement identiques du droit communautaire s'appliquent dans un cas tel que celui de l'espèce, dès lors qu'existe soit directement dans le chef de l'intéressé, soit dans le chef de son conjoint, un lien de rattachement avec le droit communautaire au titre de l'une quelconque des dispositions citées ;
16. Que c'est dans le cadre de ces considérations préliminaires et sans préjudice du droit, pour la juridiction nationale, de qualifier au regard des dispositions du droit communautaire la situation soumise à son appréciation, qu'il sera répondu aux questions posées par le tribunal de première instance ;
Sur les 1re, 2e, 3e et 4e questions (source des droits conférés par le traité en matière d'entrée et de séjour sur le territoire des Etats membres) :
17. Attendu que, par les 1re, 2e, 3e et 4e questions, il est demandé, en substance, de déterminer, notamment au regard de l'article 48 du traité et des directives n° 64-221 et 68-360, la source du droit, pour les ressortissants d'un Etat membre, d'entrer sur le territoire d'un autre Etat membre et d'y séjourner, ainsi que l'effet, sur l'exercice de ce droit, des pouvoirs exercés par les Etats membres en matière de police des étrangers ;
18. Que, plus particulièrement, il est demandé de préciser à cet égard,
a) si ce droit est conféré directement par le traité ou d'autres dispositions du droit communautaire ou s'il ne prend naissance que par l'effet d'un titre de séjour délivré par l'autorité compétente d'un Etat membre, reconnaissant la situation individuelle d'un ressortissant d'un autre Etat membre au regard des dispositions du droit communautaire,
b) si, des termes de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive n° 68-360 il faut inférer une obligation, pour les Etats membres, de délivrer un titre de séjour dès lors que l'intéressé est en mesure d'apporter la preuve de ce qu'il relève des dispositions du droit communautaire ;
c) si l'omission, par le ressortissant d'un Etat membre, de remplir les formalités légales relatives au contrôle des étrangers constitue, en soi, un comportement menaçant l'ordre et la sécurité publics et si un tel comportement peut dès lors justifier une décision d'éloignement ou de privation provisoire de liberté,
d) si une mesure d'éloignement prise à la suite d'une telle omission relève de la 'prévention générale' ou de considérations de 'prévention spéciale', rattachées au comportement personnel de l'individu qui en fait l'objet ;
19. Attendu qu'aux termes de l'article 48, la libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté ;
20. Qu'elle comporte le droit, selon le 3e paragraphe du même article, de trouver accès au territoire des Etats membres, de s'y déplacer librement, d'y séjourner afin d'y exercer un emploi et d'y demeurer après la fin de celui-ci ;
21. Qu'aux termes de l'article 52, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont progressivement supprimées, cette suppression devant être complète au terme de la période de transition ;
22. Que selon l'article 59, sont supprimées, dans les mêmes conditions, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté ;
23. Que ces dispositions, qui s'analysent en une prohibition, pour les Etats membres, d'opposer des restrictions ou des obstacles à l'entrée et au séjour de ressortissants des autres Etats membres sur leur territoire, ont pour effet de conférer directement des droits à toute personne relevant du champ d'application personnel des articles cités, tel qu'ils ont été ultérieurement précisés par les dispositions prises en application du traité par voie de règlement ou de directive ;
24. Que cette interprétation a été reconnue par tous les actes de droit dérivé pris pour la mise en œuvre des dispositions citées du traité ;
25. Qu'ainsi, l'article 1 du règlement n° 1612-68 dispose que tout ressortissant d'un Etat membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a 'le droit d'accéder à une activité salariée et de l'exercer sur le territoire d'un autre Etat membre', alors que l'article 10 du même règlement étend 'le droit de s'installer' aux membres de la famille du bénéficiaire ;
26. Que l'article 4 de la directive n° 68-360 dispose que les Etats membres reconnaissent 'le droit de séjour sur leur territoire' aux personnes visées, en ajoutant que ce droit est 'constaté' par la délivrance d'un titre de séjour particulier ;
27. Qu'à son tour, la directive n° 73-148 constate dans son préambule que la liberté d'établissement ne peut être pleinement réalisée que 'si un droit de séjour permanent est reconnu aux personnes appelées à en bénéficier' et que la libre prestation de services implique que le prestataire et le destinataire soient assurés 'd'un droit de séjour correspondant à la durée de la prestation';
28. Que ces dispositions montrent que les autorités législatives de la Communauté avaient conscience de ce que, par le règlement et les directives en cause, sans créer de droits nouveaux en faveur des personnes protégées par le droit communautaire, elles ont précisé le champ d'application et les modalités de l'exercice de droits conférés directement par le traité ;
29. Qu'il apparaît ainsi que la réserve formulée par les articles 48, paragraphe 3, et 56, paragraphe 1, du traité, relative à la sauvegarde de l'ordre public, de la sécurité publique et de la santé publique, doit être comprise non comme une condition préalable posée à l'acquisition du droit d'entrée et de séjour, mais comme ouvrant la possibilité d'apporter, dans des cas individuels et en présence d'une justification appropriée, des restrictions à l'exercice d'un droit directement dérivé du traité ;
30. Que ces considérations permettent de donner les réponses suivantes aux questions spécifiques posées par la juridiction nationale ;
31. a) Attendu qu'il résulte de ce qui précède que le droit des ressortissants d'un Etat membre d'entrer sur le territoire d'un autre Etat membre et d'y séjourner, aux fins voulues par le traité - notamment pour y rechercher ou exercer une activité professionnelle, salariée ou indépendante, ou pour y rejoindre leur conjoint ou leur famille - constitue un droit directement conféré par le traité ou, selon le cas, les dispositions prises pour la mise en œuvre de celui-ci ;
32. Qu'il faut en conclure que ce droit est acquis indépendamment de la délivrance d'un titre de séjour par l'autorité compétente d'un Etat membre ;
33. Que l'octroi de ce titre est, dès lors, à considérer non comme un acte constitutif de droits, mais comme un acte destiné à constater, de la part d'un Etat membre, la situation individuelle d'un ressortissant d'un autre Etat membre au regard des dispositions du droit communautaire ;
34. b) Attendu qu'aux termes de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive n° 68-360, et sans préjudice de ce qui est dit à l'article 10 de la même directive, les Etats membres 'reconnaissent' le droit de séjour sur leur territoire aux personnes qui sont en mesure de présenter les documents indiqués par la même directive, le droit de séjour étant 'constaté' par la délivrance d'une carte de séjour spéciale ;
35. Que les dispositions citées de la directive ont pour objet de déterminer les modalités pratiques qui régissent l'exercice de droits conférés directement par le traité ;
36. Qu'il en résulte que le droit de séjour doit donc être reconnu par les autorités des Etats membres à toute personne relevant des catégories désignées à l'article 1 de la directive et qui est en mesure de prouver, par la présentation des documents spécifiés au paragraphe 3 de l'article 4, l'appartenance à l'une de ces catégories ;
37. Qu'il y a donc lieu de répondre à la question posée que l'article 4 de la directive n° 68-360 implique, pour les Etats membres, l'obligation de délivrer le titre de séjour à toute personne qui apporte la preuve, par les documents appropriés, de ce qu'elle appartient à l'une des catégories déterminées par l'article 1 de la même directive ;
38. c) Attendu qu'il faut encore déduire de ce qui précède que la simple omission, par le ressortissant d'un Etat membre, des formalités légales relatives à l'accès, au déplacement et au séjour des étrangers, ne saurait justifier une décision d'éloignement ;
39. Que, s'agissant de l'exercice d'un droit acquis en vertu du traité même, un tel comportement ne saurait être considéré comme constituant, en soi, une atteinte à l'ordre ou à la sécurité publics ;
40. Que serait, dès lors, contraire aux dispositions du traité toute décision d'éloignement prise par les autorités d'un Etat membre, à l'encontre du ressortissant d'un autre Etat membre relevant du traité, si elle était fondée exclusivement sur le motif tiré de l'omission, par l'intéressé, de se soumettre aux formalités légales relatives au contrôle des étrangers ou de l'absence d'un titre de séjour ;
41. Qu'il convient cependant de préciser à cet égard, d'une part, qu'il reste loisible aux Etats membres d'éloigner de leur territoire un ressortissant d'un autre Etat membre lorsque les besoins de l'ordre et de la sécurité publics sont mis en cause pour des motifs autres que l'omission des formalités relatives au contrôle des étrangers, sans préjudice des limites imposées à leur pouvoir d'appréciation par le droit communautaire, précisées par la Cour dans son arrêt du 26 octobre 1975 (affaire 36-75, Rutili) ;
42. Que, d'autre part, le droit communautaire n'empêche pas les Etats membres de rattacher à la méconnaissance des prescriptions nationales relatives au contrôle des étrangers toutes sanctions appropriées - autres qu'une mesure d'éloignement du territoire - qui seraient nécessaires en vue d'assurer l'efficacité de ces dispositions ;
43. Qu'en ce qui concerne la question de savoir s'il est loisible à un Etat membre de prendre des mesures de privation provisoire de liberté à l'égard d'un étranger relevant du traité en vue de l'éloignement du territoire, la constatation s'impose, en premier lieu, qu'aucune mesure de ce caractère ne pourrait entrer en ligne de compte dans les cas où une décision d'éloignement du territoire serait contraire au traité ;
44. Que, d'autre part, la légitimité d'une mesure de privation provisoire de liberté prise à l'égard d'un étranger qui n'aurait pas justifié relever du traité, ou qui pourrait faire l'objet d'un éloignement du territoire pour des motifs autres que l'omission des formalités relatives au contrôle des étrangers, dépend des dispositions du droit national et des engagements internationaux assumés par l'Etat membre concerné, le droit communautaire comme tel ne prévoyant pas à ce stade des obligations spécifiques pour les Etats membres à ce sujet ;
45. d) Attendu qu'aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la directive n° 64-221 'les mesures d'ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu qui en fait l'objet';
46. Que cette disposition impose aux Etats membres l'obligation de porter leur appréciation, en ce qui concerne les exigences de l'ordre et de la sécurité publics, au regard de la situation individuelle de toute personne protégée par le droit communautaire et non sur base d'appréciations globales ;
47. Qu'il apparaît toutefois de ce qui précède que le fait d'avoir omis d'accomplir les formalités légales relatives à l'accès, au déplacement et au séjour des étrangers ne saurait, en lui-même, constituer une atteinte à l'ordre et à la sécurité publics au sens du traité ;
48. Qu'un tel comportement ne peut donc donner en soi lieu à l'application des mesures envisagées par l'article 3 de la directive citée ;
49. Qu'il apparaît dès lors que cette partie des questions posées est, en conséquence de ce qui précède, devenue sans objet ;
50. Attendu qu'il y a donc lieu de répondre aux questions posées que le droit, pour les ressortissants d'un Etat membre, d'entrer sur le territoire d'un autre Etat membre et d'y séjourner est directement conféré, à toute personne relevant du champ d'application du droit communautaire, par le traité - notamment ses articles 48, 52 et 59 - ou, selon le cas, les dispositions prises pour la mise en œuvre de celui-ci, indépendamment de tout titre de séjour délivré par l'Etat d'accueil ;
51. Que la simple omission, par le ressortissant d'un Etat membre, des formalités relatives à l'accès, au déplacement et au séjour des étrangers n'est pas de nature à constituer, en elle-même, un comportement menaçant l'ordre et la sécurité publics et ne saurait dès lors, à elle seule, justifier ni une mesure d'éloignement ni une détention provisoire en vue d'une telle mesure ;
Sur la 5e question (exécution des mesures d'éloignement et droit de recours)
52. Attendu que, par la 5e question, il est demandé en substance si une décision d'éloignement ou le refus de délivrer un titre de séjour ou d'établissement peut, au regard des exigences du droit communautaire, donner lieu à des mesures d'exécution immédiates, ou si une telle décision ne sort ses effets qu'après épuisement des recours exercés devant les juridictions nationales ;
53. Attendu qu'aux termes de l'article 8 de la directive n° 64-221 toute personne frappée d'une mesure d'éloignement du territoire doit pouvoir introduire contre cette décision les recours ouverts aux nationaux contre les actes administratifs ;
54. Qu'à défaut, l'intéressé doit avoir, à tout le moins, aux termes de l'article 9, la possibilité de faire valoir ses moyens de défense devant une autorité compétente, différente de celle qui a pris la mesure restrictive de sa liberté ;
55. Qu'il convient de préciser, à cet égard, que toutes dispositions doivent être prises par les Etats membres en vue d'assurer, à toute personne frappée par une mesure restrictive de ce genre, la jouissance effective de la sauvegarde que constitue, pour elle, l'exercice de ce droit de recours ;
56. Que cette garantie deviendrait cependant illusoire si les Etats membres pouvaient, par l'exécution immédiate d'une décision d'éloignement, priver l'intéressé de la possibilité de faire fruit, utilement, des moyens de recours dont la jouissance lui est garantie par la directive n° 64-221 ;
57. Que, dans le cas des recours juridictionnels visés par l'article 8 de la directive n° 64-221, l'intéressé doit à tout le moins recevoir la possibilité, dès avant l'exécution de la mesure d'éloignement, d'introduire son recours et d'obtenir ainsi la suspension de l'exécution de la mesure prise ;
58. Que cette conclusion se dégage également du lien établi par la directive entre l'article 8 et l'article 9, étant donné que la procédure visée par cette dernière disposition est obligatoire, entre autres, chaque fois que les recours juridictionnels dont il est question à l'article 8 'n'ont pas d'effet suspensif';
59. Que, selon l'article 9, la procédure de recours devant une autorité compétente doit, sauf cas d'urgence, être préalable à la décision d'éloignement ;
60. Qu'il résulte de ce qui précède que, dans les cas où un recours juridictionnel au sens de l'article 8 est ouvert, la décision d'éloignement ne saurait être exécutoire avant que l'intéressé ait été en mesure d'introduire un tel recours ;
61. Que, dans le cas où un tel recours ne serait pas ouvert ou, tout en étant ouvert, n'aurait pas d'effet suspensif, la décision ne pourrait être prise - sauf urgence dûment justifiée - tant que l'intéressé n'a pas reçu l'occasion de se pourvoir devant l'autorité désignée par l'article 9 de la directive n° 64-221 et tant que cette autorité ne s'est pas prononcée ;
62. Attendu qu'il y a donc lieu de répondre à la question posée qu'une décision d'éloignement ne saurait être exécutée, sauf urgence dûment justifiée, à l'égard d'une personne protégée par le droit communautaire avant que l'intéressé ait été en mesure d'épuiser les recours dont l'exercice lui est assuré par les articles 8 et 9 de la directive n° 64-221 ;
Sur les 6e, 7e et 8e questions (prohibition de nouvelles restrictions) :
63. Attendu que, par les 6e, 7e et 8e questions, il est demandé de dire si, en vertu des articles 53 et 62 du traité, prohibant l'introduction, par un Etat membre, de nouvelles restrictions à l'établissement de ressortissants des autres Etats membres et à la liberté effectivement atteinte en matière de prestation de services, un Etat membre peut revenir à des dispositions ou pratiques moins libérales que celles qu'il avait précédemment appliquées ;
64. Que, plus particulièrement, il est demandé de préciser à cet égard :
a) si des dispositions nationales, dont l'effet est de rendre moins libérales les dispositions antérieurement appliquées, sont justifiées lorsqu'elles ont pour objet d'aligner le droit national sur les directives de la Communauté en la matière,
b) si l'interdiction de nouvelles restrictions s'applique également aux dispositions de caractère formel et procédural en dépit de ce que, pour la mise en œuvre des directives, l'article 189 du traité CEE réserve aux Etats membres 'la compétence quant à la forme et aux moyens';
65. a) Attendu que les articles 53 et 62 impliquent l'interdiction non seulement d'introduire de nouvelles restrictions par rapport à la situation existant au moment de l'entrée en vigueur du traité, mais encore de revenir sur des mesures de libéralisation prises par les Etats membres, qui constituent l'exécution d'obligations résultant du droit communautaire ;
66. Qu'à cet égard, les mesures prises par la Communauté, notamment sous forme de directives, pour la mise en œuvre des dispositions du traité peuvent fournir une indication en ce qui concerne la portée des obligations assumées par les Etats membres ;
67. Que tel est le cas, en particulier, de la directive n° 64-221 qui précise un certain nombre de limites mises à la liberté d'appréciation des Etats membres et d'obligations incombant à ceux-ci en matière de sauvegarde de l'ordre public, de la sécurité publique et de la santé publique ;
68. Qu'on ne saurait, par contre, invoquer la règle des articles 53 et 62 dans des cas où il serait établi que des avantages accordés par un Etat membre aux ressortissants d'autres Etats membres ne constituent pas l'exécution d'une obligation définie par le droit communautaire ;
69. b) Attendu qu'on ne saurait voir une opposition entre l'interdiction de nouvelles restrictions, par les articles 53 et 62, et la disposition de l'article 189 qui réserve aux Etats membres, dans la mise en œuvre des directives, 'la compétence quant à la forme et aux moyens';
70. Qu'en effet, le choix des formes et moyens ne peut être opéré que dans le respect des prescriptions et interdictions résultant du droit communautaire ;
71. Qu'en ce qui concerne les directives destinées à mettre en œuvre la libre circulation des personnes, une importance particulière a été attachée par les institutions compétentes de la Communauté à un ensemble de prescriptions de caractère formel et procédural destinées à garantir le fonctionnement pratique du régime instauré par le traité ;
72. Que ceci est le cas notamment de la directive n° 64-221 relative aux mesures spéciales justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, en ce sens que certaines parmi les garanties prévues par cette directive en faveur des personnes protégées par le droit communautaire - à savoir l'obligation de communiquer à toute personne frappée d'une mesure restrictive les motifs de la décision prise à son égard et de lui donner accès à une voie de recours - sont, précisément, de caractère procédural ;
73. Qu'il en résulte l'obligation, pour les Etats membres, de choisir, dans le cadre de la liberté qui leur est laissée par l'article 189, les formes et moyens les plus appropriés en vue d'assurer l'effet utile des directives, compte tenu de l'objet de celles-ci ;
74. Attendu qu'il y a donc lieu de répondre aux questions posées que les articles 53 et 62 du traité prohibent l'introduction, par un Etat membre, de nouvelles restrictions à l'établissement de ressortissants d'autres Etats membres et à la liberté effectivement atteinte en matière de prestations de services, empêchant les Etats membres de revenir à des dispositions ou pratiques moins libérales pour autant que les mesures de libéralisation prises constituent l'exécution d'obligations découlant des dispositions et objectifs du traité ;
75. Que la liberté laissée par l'article 189 aux Etats membres quant au choix des formes et moyens, en matière d'exécution des directives, laisse entière leur obligation de choisir les formes et moyens les plus appropriés en vue d'assurer l'effet utile des directives ;
Quant aux dépens :
76. Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
77. Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le Tribunal de première instance de Liège, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de première instance de Liège, dit pour droit :
1) Le droit, pour les ressortissants d'un Etat membre, d'entrer sur le territoire d'un autre Etat membre et d'y séjourner est directement conféré, à toute personne relevant du champ d'application du droit communautaire, par le traité - notamment ses articles 48, 52 et 59 - ou, selon le cas, les dispositions prises pour la mise en œuvre de celui-ci, indépendamment de tout titre de séjour délivré par l'Etat d'accueil.
2) L'article 4 de la directive n° 68-360 implique, pour les Etats membres, l'obligation de délivrer le titre de séjour à toute personne qui apporte la preuve, par les documents appropriés, de ce qu'elle appartient à l'une des catégories visées par l'article 1 de la même directive.
3) La simple omission, par le ressortissant d'un Etat membre, des formalités relatives à l'accès, au déplacement et au séjour des étrangers n'est pas de nature à constituer, en elle-même, un comportement menaçant l'ordre et la sécurité publics et ne saurait dès lors, à elle seule, justifier ni une mesure d'éloignement, ni une détention provisoire en vue d'une telle mesure.
4) Une décision d'éloignement ne saurait être exécutée, sauf urgence dûment justifiée, à l'égard d'une personne protégée par le droit communautaire avant que l'intéressé ait été en mesure d'épuiser les recours dont l'exercice lui est assuré par les articles 8 et 9 de la directive n° 64-221.
5) Les articles 53 et 62 du traité prohibent l'introduction, par un Etat membre, de nouvelles restrictions à l'établissement de ressortissants d'autres Etats membres et à la liberté effectivement atteinte en matière de prestations de services, empêchant les Etats membres de revenir à des dispositions ou pratiques moins libérales pour autant que les mesures de libéralisation prises constituent l'exécution d'obligations découlant des dispositions et objectifs du traité.
6) La liberté laissée par l'article 189 aux Etats membres quant aux choix des formes et moyens, en matière d'exécution des directives, laisse entière leur obligation de choisir les formes et moyens les plus appropriés en vue d'assurer l'effet utile des directives.