CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 16 décembre 2004, n° 03-07711
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Association J'aime la France
Défendeur :
Association Valeurs de France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bardy
Conseillers :
Mmes Liauzun, Simonnot
Avoués :
SCP Gas, SCP Boiteau Pedroletti
Avocats :
Mes Carbuccia, Bigot
L'association J'aime la France est appelante du jugement rendu 13 octobre 2003 par le Tribunal de grande instance de Nanterre, lequel, statuant sur l'action engagée à son encontre par l'association Valeurs de France pour agissements de concurrence déloyale et parasitaires, a dit qu'elle s'était rendue coupable de manœuvres déloyales au préjudice de la demanderesse et lui a fait défense d'utiliser, de publier, reproduire, diffuser de quelque manière que ce soit la dénomination "J'aime le France" en ce compris son nom de domaine www j'aimelafrance.org et ce sous astreinte de 150 euro par infraction constatée, à compter du premier jour du mois suivant lequel ce jugement sera devenu définitif, débouté la demanderesse de sa demande en paiement de dommages et intérêts et ordonné la publication du jugement par extrait et alloué à la demanderesse la somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 5 mars 2004, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, l'association J'aime la France conclut à la réformation du jugement et prie la cour, statuant à nouveau, de condamner l'intimée à lui payer la somme de 3 000 euro pour procédure abusive et celle de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et que soit ordonnée la publication de l'arrêt à intervenir dans deux quotidiens nationaux, aux frais de l'intimée.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 24 septembre 2004, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, l'association Valeurs de France conclut à la confirmation du jugement sauf du chef des dispositions la déboutant de sa demande de dommages et intérêts et prie la cour, statuant à nouveau, de condamner l'appelante à lui payer la somme de 30 000 euro de dommages et intérêts outre la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce,
Considérant qu'il convient de rappeler que l'association Valeurs de France a été déclarée en préfecture le 31 décembre 2002, la publicité légale afférente ayant été effectuée le 15 février 2003, que son conseil d'administration se composait de quatre membres dont Kamel Zmit son président et Rachid Nekkaz, secrétaire général, que l'objet de l'association aux termes de l'article 2 des statuts était de développer la conscience civique des citoyens français et notamment de rencontres et débats publics afin de relancer l'esprit civique, l'intérêt et la participation des Français aux grands débats de sociétés, que son action est centrée sur deux axes, le premier étant une pétition citoyenne à l'ensemble des élus de France pour le vote d'une loi rendant automatique l'inscription de tous les citoyens sur les listes électorales et son vote à la date symbolique du 21 avril 2003, et le second étant le lancement d'une opération intitulée "J'aime la France" consistant à donner la possibilité aux citoyens de participer aux débats de sociétés les intéressant en sensibilisant les élus locaux pour promouvoir le dialogue local, que monsieur Nekkaz a démissionné de l'association le 23 janvier 2003 et a créé une association dénommée "J'aime la France" déclarée le 18 février 2003 dont l'objet est de "développer la conscience civique des citoyens français par des actions auprès des pouvoirs publics et sur le terrain en invitant par ailleurs tous les Français et les Françaises à s'exprimer sur ce qu'ils aimeraient voir changer dans le domaine de la vie sociale, culturelle, politique et économique";
Considérant que l'appelante soutient que le risque de confusion retenu par le tribunal n'est pas démontré, que l'association Valeurs de France n'a pas lancé véritablement son opération restée à l'état de projet, qu'en tout état de cause les idées sont de libre parcours et qu'on ne peut lui faire reproche d'avoir une action similaire, que le terme "J'aime la France" est une expression générique dépourvue de toute originalité, que la presse n'a pu faire l'écho que de sa propre activité dès lors que l'association valeurs de France n'en a eu aucune, qu'il n'y avait aucune identité de dirigeants et sièges sociaux, qu'en outre il est faux d'admettre qu'elle s'est appropriée les investissements réalisés par l'association valeurs de France, laquelle n'en a réalisé aucun, que la situation concurrentielle n'est pas caractérisée et que la preuve d'un préjudice n'est pas rapportée ;
Considérant qu'une association a le droit de se défendre contre des agissements déloyaux d'une autre association qui tendent à tirer profit de l'action de la première en faisant l'économie de ses propres investissements ;
Considérant que dès lors que l'action se fonde sur le terrain de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires, il est vain pour l'appelante d'invoquer la banalité de l'expression "J'aime la France" qui ne serait qu'une expression générique sans originalité ;
Considérant d'une part et contrairement à ce qui est soutenu, que l'association Valeurs de France justifie d'une action effectivement engagée au moment de la constitution de l'association J'aime La France, qu'en effet l'association Valeurs de France, abstraction faite de l'erreur de date portée sur les documents, a lancé sa pétition citoyenne auprès de citoyens et d'élus dont elle a obtenu des réponses dans le sens d'une adhésion à son action, son action s'exerçant également sur son site Internet, qu'elle justifie tout autant de la formalisation de son projet d'opération "J'aime la France" lancée de façon expérimentale dans deux villes, Courbevoie et Vénissieux, que son action a reçu un écho dans la presse, preuve d'une certaine notoriété ou reconnaissance du débat d'idées qu'elle a suscité notamment sur le vote obligatoire, qu'elle justifie en outre que son action n'est pas étrangère au dépôt de la proposition de loi le 26 mars 2003 par monsieur Lucas visant à l'inscription automatique de tous les citoyens français sur les listes électorales, monsieur Lucas ayant été destinataire de la pétition qu'il a signée ;
Considérant d'autre part qu'il est établi que l'association J'aime la France a repris servilement les opérations développées par l'association Valeurs de France en s'appropriant non seulement le nom mais aussi le concept de son opération phare, proposant sur son site Internet le vote d'une loi sur l'automaticité de l'inscription sur les listes électorales et en lançant l'opération "J'aime la France" dont elle s'est attribuée le nom, pour relancer le dialogue civique local, qu'à cet égard la lecture comparée du projet d'opération lancée par l'association Valeurs de France et du projet lancé par l'association J'aime la France suffit à démontrer l'emprunt servile ;
Considérant en outre que le fondateur de l'association J'aime la France est un ancien membre de l'association Valeurs de France et que le siège de l'association J'aime la France a été situé à son adresse personnelle, ce qui se justifie mais qui ajoute à la confusion en ce que cette adresse était connue comme celle du siège social de la première, que le risque de confusion est avéré puisque la presse s'est méprise sur la paternité des initiatives lancées puisque dans un article paru dans Libération le 10 avril 2003 et un article paru dans le Parisien, les deux associations ont été confondues ;
Considérant que de tels agissements constituent bien des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, l'action de l'association J'aime la France se situant et se développant dans le sillage de l'action de l'association Valeurs de France dont l'antériorité est établie ;
Considérant que la confusion ainsi créée est de nature à entraver le développement de l'action de l'association Valeurs de France, ce qui caractérise bien le préjudice résultant pour elle de cette action parasitaire ;
Considérant que les premiers juges ont fait une juste évaluation de ce préjudice et des mesures les mieux appropriées à sa réparation, qu'il convient, déboutant l'appelante de ses prétentions de ce chef et l'intimée de son appel incident, de confirmer le jugement en considération de la pertinence des motifs expressément adoptés de ce chef ;
Considérant que le sort réservé à l'appel principal rend sans fondement la demande en paiement de dommages et intérêts et pour frais irrépétibles formulée par l'appelante ;
Considérant qu'il sera fait droit en équité à la demande de l'association Valeurs de France en paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que l'appelante dont les prétentions sont rejetées, doit supporter la charge des dépens ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Reçoit l'appel mais le dit mal-fondé, Déboute de l'appel incident, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Condamne l'appelante à payer à l'intimée la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne l'appelante aux dépens avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.