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Décisions

CJCE, 26 février 1991, n° C-180/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Díez de Velasco

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Kakouris, Schockweiler, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn

CJCE n° C-180/89

26 février 1991

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 mai 1989, la Commission a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater qu'en subordonnant la prestation de services de guides touristiques qui accompagnent un groupe de touristes en provenance d'un autre État membre, lorsqu'il s'agit de visites guidées dans des endroits autres que des musées ou monuments historiques qui requièrent l'intervention d'un guide spécialisé, à la possession d'une licence, supposant l'acquisition d'une qualification déterminée sanctionnée par la réussite d'un examen, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité CEE.

2 Les dispositions visées par le présent recours sont contenues à l'article 11 de la loi du 17 mai 1983 (GURI n° 141 du 25.5.1983, p. 4091). Selon ces dispositions, les guides touristiques sont ceux qui, à titre professionnel, accompagnent des personnes seules ou des groupes de personnes dans les visites d'œuvres d'art, de musées, de galeries, de fouilles archéologiques, en commentant les points d'intérêt historique, artistique ou architectural, les paysages et les curiosités naturelles.

3 Le 10 février 1987, la Commission a, en application de l'article 169 du traité CEE, adressé au Gouvernement italien une lettre de mise en demeure. Selon cette lettre, l'Italie ne s'était pas conformée aux exigences du droit communautaire, en particulier à l'article 59 du traité CEE, en ce qui concerne la prestation de services des guides touristiques voyageant avec un groupe de touristes en provenance d'un autre État membre. Par lettre du 22 juin 1987, les autorités italiennes ont contesté le point de vue de la Commission. Le 20 avril 1988, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle a réitéré son point de vue et invité le Gouvernement italien à adopter les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois. Ayant constaté que le Gouvernement italien n'acceptait pas son point de vue, la Commission a introduit le présent recours.

4 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et des arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

5 A titre liminaire, il y a lieu d'observer que les activités d'un guide touristique originaire d'un État membre autre que l'Italie et qui accompagne les participants à un voyage organisé en Italie à partir de cet État membre peuvent être exercées sous deux régimes juridiques distincts. Un bureau de tourisme établi dans un autre État membre peut faire appel aux guides qu'il emploie lui-même. Dans ce cas de figure, c'est le bureau de tourisme qui rend le service aux touristes par l'intermédiaire de ses propres guides touristiques. Mais un tel bureau de tourisme peut également engager des guides touristiques indépendants, qui sont établis dans cet autre État membre. Dans ce cas de figure, le service est rendu par le guide touristique au bureau de tourisme.

6 Les deux cas susmentionnés visent donc des prestations de services fournies respectivement par le bureau de tourisme au profit des touristes et par le guide touristique indépendant au profit du bureau de tourisme. De telles prestations, qui sont limitées dans le temps et qui ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes, constituent des activités rémunérées au sens de l'article 60 du traité.

7 Il convient de vérifier si ces activités entrent dans le champ d'application de l'article 59 du traité.

8 Si l'article 59 du traité n'envisage expressément dans ses termes que la situation d'un prestataire établi dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation, son objet n'en est pas moins d'éliminer les restrictions à la libre prestation de services de la part de personnes non établies dans l'État sur le territoire duquel la prestation doit être fournie (voir arrêt du 10 février 1982, Transporoute, point 14, 76-81, Rec. p. 417). Ce n'est que lorsque tous les éléments pertinents de l'activité en cause se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre que les dispositions du traité relatives à la libre prestation de services ne s'appliquent pas (arrêt du 18 mars 1980, Debauve, point 9, 52-79, Rec. p. 833).

9 En conséquence, les dispositions de l'article 59 doivent s'appliquer dans tous les cas où un prestataire de services offre des services sur le territoire d'un État membre autre que celui dans lequel il est établi, quel que soit le lieu où sont établis les destinataires de ces services.

10 S'agissant en l'espèce, et dans les deux cas de figure énoncés au point 7 du présent arrêt, de prestations de services effectuées dans un État membre autre que celui de l'établissement du prestataire, l'article 59 du traité trouve à s'appliquer.

11 Il convient ensuite d'examiner si la prestation en cause a fait déjà l'objet d'une réglementation communautaire.

12 Le Gouvernement italien souligne à cet égard qu'il y a lieu de distinguer la profession de guide touristique de celle de guide accompagnateur. Or, il résulte du quatorzième considérant et de l'article 2, paragraphe 5, de la directive 75-368-CEE du Conseil, du 16 juin 1975, relative à des mesures destinées à favoriser l'exercice effectif de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services pour diverses activités (ex-classe 01 à classe 85 CITI), et comportant notamment des mesures transitoires pour ces activités (JO L 167, p. 22), que seule la profession de guide accompagnateur a fait l'objet d'une harmonisation communautaire. Le fait d'être habilité à exercer l'activité de guide accompagnateur n'impliquerait, par conséquent, nullement le droit d'exercer l'activité de guide touristique.

13 Cette argumentation ne peut être accueillie. Il suffit de relever, en effet, que la Commission n'a nullement soutenu que les deux professions étaient identiques et que l'accompagnateur touristique pouvait indifféremment exercer cette activité ou celle de guide touristique. Elle ne se réfère, dans sa requête, qu'à la fonction de guide touristique remplie par la personne qui se déplace avec un groupe de touristes, sans évoquer le point de savoir si cette personne remplit également la fonction de guide accompagnateur.

14 Il convient donc d'examiner la question de savoir si, en l'absence d'harmonisation communautaire, l'application de la réglementation italienne en cause aux guides touristiques qui accompagnent un groupe de touristes en provenance d'un autre État membre est compatible avec les articles 59 et 60 du traité CEE.

15 Les articles 59 et 60 du traité exigent non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction à la libre prestation de services imposée au motif que le prestataire est établi dans un État membre différent de celui où la prestation est fournie. En particulier, l'État membre ne peut subordonner l'exécution de la prestation de services sur son territoire à l'observation de toutes les conditions requises pour un établissement, sous peine de priver de tout effet utile les dispositions destinées à assurer la libre prestation de services.

16 Il convient de constater, à cet égard, que l'exigence posée par les dispositions susmentionnées de la législation italienne constitue une telle restriction. En subordonnant la prestation de services des guides touristiques voyageant avec un groupe de touristes en provenance d'un autre État membre à la possession d'un titre déterminé, cette législation empêche, en effet, tout à la fois les bureaux de tourisme de fournir cette prestation à l'aide de leur propre personnel et les guides touristiques indépendants d'offrir leurs services à ces bureaux pendant des voyages organisés. Elle empêche également les touristes, participant à de tels voyages organisés, de recourir aux prestations en cause selon leur choix.

17 Compte tenu, cependant, des exigences propres à certaines prestations, le fait, pour un État membre, de subordonner celles-ci à des conditions de qualification du prestataire, en application des règles régissant ces types d'activités sur son territoire, ne saurait être considéré comme incompatible avec les articles 59 et 60 du traité. Toutefois, la libre prestation des services en tant que principe fondamental du traité ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par l'intérêt général et s'appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État destinataire, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi. En outre, lesdites exigences doivent être objectivement nécessaires en vue de garantir l'observation des règles professionnelles et d'assurer la protection des intérêts qui constitue l'objectif de celles-ci (voir, entre autres, arrêt du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne, point 27, 205-84, Rec. p. 3755).

18 Il s'ensuit que ces exigences ne peuvent être considérées comme compatibles avec les articles 59 et 60 du traité que s'il est établi qu'il existe, dans le domaine de l'activité considérée, des raisons impérieuses liées à l'intérêt général qui justifient des restrictions à la libre prestation des services, que cet intérêt n'est pas déjà assuré par les règles de l'État où le prestataire est établi et que le même résultat ne peut pas être obtenu par des règles moins contraignantes.

19 Le Gouvernement italien fait valoir, ensuite, que cette réglementation vise la protection des intérêts généraux, liés à la protection des consommateurs et à la conservation du patrimoine historique et artistique national. En ce qui concerne la protection des consommateurs, il souligne que la réglementation vise à garantir la qualité de la prestation pour protéger ainsi le destinataire réel de celle-ci, à savoir le touriste. L'intérêt de la conservation du patrimoine historique et artistique national serait assuré par l'intermédiaire que constitue le guide touristique entre le visiteur et le bien culturel. Or, dans le cas spécifique d'un voyage organisé d'un groupe de touristes étrangers, la protection de cet intérêt est importante dans la mesure où, compte tenu de leurs origines culturelles différentes et de la durée limitée des visites, ces touristes ne conservent du bien culturel que l'image et la connaissance que le guide touristique leur aura transmises.

20 Il convient de constater que l'intérêt général lié à la protection des consommateurs et la conservation du patrimoine historique et artistique national peuvent constituer des raisons impératives justifiant une restriction à la libre prestation de services. Cependant, l'exigence en cause résultant de la réglementation italienne va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection de cet intérêt, pour autant qu'elle soumet l'activité du guide touristique qui accompagne des groupes de touristes en provenance d'un autre État membre à la possession d'une licence.

21 En effet, l'accompagnement professionnel dont il s'agit en l'espèce s'effectue dans des conditions particulières. Le guide touristique indépendant ou employé se déplace avec les touristes qu'il accompagne en circuit fermé; ils se déplacent temporairement, en groupe, de l'État membre de leur établissement vers l'État membre à visiter.

22 Dans ces conditions, l'exigence d'une licence, imposée par l'État membre de destination, a pour effet de réduire le nombre de guides touristiques ayant vocation à accompagner les touristes en circuit fermé, ce qui peut amener un organisateur de voyages à faire appel plutôt à des guides locaux, employés ou établis dans l'État membre où la prestation est réalisée. Or, cette conséquence pourrait présenter l'inconvénient, pour les touristes, bénéficiaires des prestations de services en cause, de ne pas pouvoir disposer d'un guide qui soit familier avec leur langue, leurs intérêts et leurs attentes spécifiques.

23 Il y a lieu d'observer, en outre, qu'une exploitation rentable de ces voyages en groupe dépend de la réputation commerciale de l'organisateur qui est soumis à la pression concurrentielle d'autres bureaux de tourisme et que le maintien de cette réputation et la pression concurrentielle entraînent déjà une certaine sélection des guides touristiques et un contrôle de la qualité de leurs prestations. Cette circonstance est susceptible de contribuer, en fonction des attentes spécifiques des groupes de touristes en cause, à la protection des consommateurs et à la conservation du patrimoine historique et artistique national, lorsqu'il s'agit de visites guidées dans les lieux autres que les musées ou les monuments historiques susceptibles de n'être visités qu'avec un guide professionnel.

24 Il s'ensuit que, compte tenu de l'importance des restrictions qu'elle comporte, la réglementation en cause est disproportionnée par rapport au but visé, à savoir la conservation du patrimoine historique et artistique de l'État membre où le voyage est effectué ainsi que la protection des consommateurs.

25 Le Gouvernement italien fait valoir, enfin, qu'il est impossible de limiter l'application de la réglementation en cause aux visites guidées dans certains musées, monuments et sites culturels ou historiques particuliers, ouverts au public. Il estime, en effet, que, si cette réglementation ne concernait qu'un nombre très limité de ces objets ou lieux, les exigences de protection du consommateur et du patrimoine culturel national en souffriraient. Il ajoute que, si cette réglementation s'appliquait, au contraire, à tous les objets ou lieux dotés d'une signification culturelle importante, elle s'appliquerait inévitablement aux objets et lieux qui font normalement l'objet d'une visite de la part des touristes participant à des voyages organisés.

26 Il est vrai que la Commission a excepté de son recours les visites guidées dans certains musées ou monuments susceptibles de n'être visités qu'avec un guide spécialisé. Toutefois, comme elle l'a expliqué lors de l'audience, cette exception ne concerne que les cas où des réglementations nationales imposent, en raison des caractéristiques particulières de certains lieux, des qualifications spécifiques et complémentaires à celles qui sont requises pour obtenir la licence de guide touristique visée par le présent recours.

27 Contrairement à ce que soutient le Gouvernement italien, le fait qu'une telle exception n'a qu'une portée limitée ne saurait affecter la protection du consommateur et du patrimoine culturel. En effet, il résulte des considérations qui précèdent que, en dehors de ces lieux spécifiques, cette protection est de toute façon suffisamment assurée lorsqu'il s'agit des guides touristiques qui effectuent leurs prestations dans un groupe fermé de touristes accomplissant un voyage touristique au départ d'un autre État membre.

28 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en subordonnant la prestation de services de guides touristiques qui accompagnent un groupe de touristes en provenance d'un autre État membre, lorsqu'il s'agit de visites guidées dans des endroits autres que des musées ou monuments historiques qui requièrent l'intervention d'un guide spécialisé, à la possession d'une licence délivrée après qualification déterminée sanctionnée par la réussite préalable d'un examen, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité CEE.

Sur les dépens

29 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République italienne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) La République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité CEE, en subordonnant la prestation de services des guides touristiques voyageant avec un groupe de touristes en provenance d'un autre État membre, lorsqu'il s'agit de visites guidées dans des endroits autres que des musées ou monuments historiques qui requièrent l'intervention d'un guide spécialisé, à la possession d'une licence délivrée après qualification déterminée sanctionnée par la réussite préalable d'un examen.

2) La République italienne est condamnée aux dépens.