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Décisions

CA Colmar, 3e ch. civ., 10 mars 1994, n° 2706-92

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Horny (Epoux)

Défendeur :

CMDP de Saverne (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jurd (faisant fonction)

Conseillers :

M. Defer, Mme Bigot

Avocats :

Mes Harnist & Ackermann, Rolet, Heichelbech & Ass, Lutz

TI Molsheim, du 21 janv. 1992

21 janvier 1992

Par acte sous seing privé en date du 12 juin 1989, la Caisse de Crédit Mutuel de Saverne a prêté aux époux Horny une somme de 50 000 F au taux de 14,25 %, ce taux ayant été stipulé variable.

La déchéance du terme ayant été prononcée en raison du non-paiement de plusieurs échéances, la Caisse prêteuse, sur opposition à injonction de payer, a sollicité la condamnation solidaire des époux Horny au paiement des sommes de:

- 41 731,27 F avec les intérêts au taux contractuel de 14,25 % l'an à compter du 27 novembre 1990,

- 3 000 F au titre des frais irrépétibles.

Par jugement en date du 21 janvier 1992, le Tribunal d'instance de Molsheim, saisi de l'opposition, a condamné solidairement les époux Horny au paiement d'une somme de 41 731,27 F avec les intérêts au taux de 14,25 % à compter du 27 novembre 1991.

Les époux Horny ont relevé appel de ce jugement dans les formes et délais légaux par déclaration remise au greffe de la cour le 24 avril 1992.

Résumé des prétentions des parties.

* Les époux Horny.

Sur la recevabilité de leur contestation, ils exposent que la loi du 10 janvier 1978 n'a pas pour objet de modifier les conditions de formation du contrat ni les règles légales qui régissent les obligations, qu'en conséquence si les formalités spécifiques à la loi du 10 janvier 1978 sont soumises au délai de deux ans de forclusion, les règles du droit commun subsistent quant aux modalités de fixation du taux d'intérêt.

Ils font valoir que les caisses de Crédit Mutuel, bien qu'étant constituées sous forme coopérative, sont soumises à la loi du 24 janvier 1984 et au décret du 24 juillet 1984 et doivent respecter la réglementation du crédit, notamment celle relative au taux effectif global ; que la clause de révision, qui laisse à la seule caisse prêteuse, en vertu de critères internes, le soin de fixer le taux d'intérêt révisé, est nulle, peu important que les organes de décision soient élus ; qu'ainsi, ils sont en droit de revendiquer la restitution des intérêts déjà versés et de ne rembourser à la caisse que le capital encore dû.

Ils concluent ainsi :

"Déclarer l'appel recevable et bien-fondé,

Réformer en toutes ses dispositions le jugement n° 1 91 00495 rendu par le Tribunal d'instance de Molsheim en date du 21 janvier 1992.

Et statuant à nouveau :

Déclarer la demande de la CMDP Saverne irrecevable et mal-fondée,

Constater la nullité de la clause d'intérêt conventionnelle.

Enjoindre à la CMDP Saverne de fixer les montants dus en vertu du capital emprunté,

Amputer ledit capital des intérêts déjà versés.

Condamner la CMDP à verser un montant de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

Condamner la CMDP aux entiers frais et dépens."

* La CMP de Saverne.

Elle fait valoir au préalable que la contestation des époux Horny est irrecevable, en effet ceux-ci sont forclos par application de l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978, qu'en effet, l'offre préalable a été acceptée le 12 juin 1989 et est devenue définitive après l'écoulement du délai de rétractation de sept jours, qu'ils n'ont manifesté leur contestation qu'après avoir formé opposition le 30 août 1991 à l'ordonnance d'injonction de payer, soit plus de deux ans après le jour où le contrat de prêt est devenu définitif.

Subsidiairement, au fond, elle soutient que les caisses de Crédit Mutuel sont soumises à un statut spécifique, qu'en adhérent à un groupement mutualiste, l'emprunteur s'est contractuellement soumis aux décisions du conseil d'administration de la caisse qui lui sont opposables, que l'exigence énoncée par l'article 1129 du Code civil est donc remplie, les décisions de ce conseil n'étant nullement potestatives à l'égard du sociétaire.

Elle fait valoir encore que les dispositions de l'article 7 du décret du 24 juillet 1984 ont été respectées, alors surtout que le prêt litigieux est constaté par une offre préalable conforme à la loi du 10 janvier 1978 ; qu'enfin, c'est le taux fixé à l'origine au contrat qui doit recevoir application pendant toute la durée du prêt en cas d'annulation de la clause de variabilité du taux.

Elle conclut ainsi :

" Déclarer l'appel irrecevable en tout cas mal-fondé,

Débouter les époux Horny représentés par leur liquidateur de toutes leurs fins et prétentions,

En conséquence :

Confirmer le jugement entrepris.

Condamner Me Claus, ès-qualité de liquidateur au paiement d'une indemnité de 5 000 F pour procédure abusive et au paiement d'une indemnité supplémentaire de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Condamner Me Claus, ès-qualité aux entiers frais et dépens de la procédure de premier ressort et d'appel, y compris la procédure d'injonction de payer.

Dire que les indemnités précités, ainsi que les frais et dépens bénéficient du privilège des frais de justice et qu'ils seront payés par préférence. "

Discussion.

Vu la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les écrits des parties auxquels il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et arguments.

I. Sur la recevabilité de l'action des époux Horny.

L'article 27 de la loi du 10 janvier 1978, après avoir donné compétence au tribunal d'instance, dispose notamment, que les actions engagées doivent être formées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance, à peine de forclusion, le point de départ du délai de forclusion étant le premier incident non régularisé après le premier aménagement ou rééchelonnement conclu entre les intéressés, ou après adoption d'un plan de rééchelonnement ou décision du juge.

La présente instance n'entre pas dans le champ d'application de cet article en ce qui concerne le délai de deux ans de l'article 27 de la loi précitée.

En effet, si cette loi a soumis au délai de forclusion les formalités spécifiques du contrat de crédit, ainsi que les litiges relatifs à l'exécution de celui-ci, les règles de droit commun subsistent quant aux modalités de la fixation du taux d'intérêt, modalités qui ne sont pas prévues par cette loi, mais par celle du 28 décembre 1966 et celle du 24 janvier 1984 sur les banques et ses textes d'application, les dispositions de la loi du 10 janvier 1978 relatives au taux d'intérêt étant seulement relatives à la connaissance qui doit être donnée à l'emprunteur du coût effectif de l'opération de crédit envisagée.

La demande est donc recevable en la forme.

II. Au fond.

Il résulte de l'article 1129 du Code civil qu'il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce, que la quantité de la chose peut être incertaine, pourvue qu'elle soit déterminée.

La loi du 24 janvier 1984 sur les banques fait entrer les caisses mutuelles dans son champ d'application dans le respect des textes législatifs et réglementaires qui les régissent ;

Organisme bancaire, la CMDP de Saverne est soumise aux dispositions de la loi du 28 décembre 1966, empreintes d'un ordre public de protection et relatives notamment aux prêts d'argent.

Il résulte de la combinaison de l'article 1129 du Code civil et des articles 1 à 4 de la loi du 28 décembre 1966 que le taux effectif global amortissant un contrat de prêt doit être déterminé ou déterminable même lorsqu'il est variable.

Le contrat signé par les époux Horny comporte la clause suivante :

" Le taux d'intérêt est stipulé variable selon l'option choisie ;

En effet, conformément à son statut de coopérative et au but non-lucratif de son activité, la caisse prêteuse révise, en hausse ou en baisse, les conditions débitrices des prêts accordés à ses sociétaires en les fixant à des taux qui lui permettent de remplir son objet social.

La fédération du Crédit Mutuel d'Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté, aux termes de l'article 4b des statuts de la caisse prêteuse, est expressément chargée de représenter et de faire valoir les droits, intérêts et actions communs des sociétaires de la caisse. A ce titre, elle fixe périodiquement un taux maximum pour ce type de crédit. Le taux ci-dessus ainsi que tout nouveau taux intervenant à la suite d'une révision ne pourront excéder ce taux maximum. L'emprunteur sera informé de toute variation de taux et du montant des nouvelles échéances tenant compte du nouveau taux.

Le règlement par prélèvement de la première échéance modifiée, non suivi de réserves écrites de la part de l'emprunteur, valent acceptation des nouveaux taux et tableau d'amortissement.

En cas de désaccord, les parties conviennent, selon l'article 1592 du Code civil, de laisser la fixation du taux à l'arbitrage du Président de la Fédération du Crédit Mutuel d'Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté. Ce taux ainsi fixé s'appliquera à la présente convention jusqu'à la prochaine révision des taux, lesquels seront déterminés par la caisse prêteuse dans les conditions prévues ci-dessus.

En cas de variation du taux, le montant des échéances ci-dessus sera recalculé en fonction du nouveau taux d'intérêt afin que la durée initialement prévue soit respectée ";

Le seul critère de révision révélé par cette clause est la nécessité pour la caisse de remplir son objet social ;

Cette nécessité est elle-même appréciée par un organe fédéral émanation de la caisse prêteuse, sans que soit prévu aucun critère objectif lié au marché financier extérieur à la volonté de cet organe ;

Il importe peu que, l'emprunteur nécessairement sociétaire ait adhéré aux statuts donnant dans ce domaine compétence à la fédération, dès lors qu'en sa qualité de consommateur de crédit, le sociétaire emprunteur ne saurait être privé du droit de se prévaloir de la règle d'ordre public de la loi du 28 décembre 1966 et de l'article 1129 du Code civil et qu'il n'est pas démontré que les mécanismes de la mutualité font obstacle sur le plan économique ou sur le plan juridique au respect de cette règle ;

Atteinte d'un vice d'indétermination extrinsèque, la clause de variabilité est également atteinte d'un vice intrinsèque dans la mesure où la fédération ne fixe qu'un taux maximum sans que soit déterminée à l'époque de la conclusion du contrat ou ultérieurement la marge de fluctuation entre ce taux maximum et, le taux initial d'abord, les taux révisés ensuite ;

Il s'ensuit que la clause de variabilité est nulle en raison de son indétermination, cette nullité n'étant nullement affectée par l'existence d'une convention d'arbitrage laquelle désigne comme arbitre le Président de la Fédération qui ne peut être considéré comme un tiers ;

Au surplus, la seule présence, dans un contrat partiellement exécuté, d'une clause susceptible d'être annulée, n'implique pas l'exécution en connaissance de cause et la renonciation à la nullité ;

Qu'aucun écrit ni aucune circonstance ayant entouré l'exécution n'établit en l'espèce une telle renonciation ;

Lorsqu'un contrat de prêt est assorti d'un taux d'intérêt variable, le taux initial, déterminé, n'est qu'un reflet instantané de cette variabilité laquelle constitue l'essence de la convention ;

Le maintien du taux conventionnel initial en cas d'annulation de la clause de variabilité méconnaît en conséquence non seulement la volonté des parties, mais encore les intérêts protégés, l'emprunteur qui a obtenu le prononcé de la nullité ne pouvant plus, lorsque le contrat continue par ailleurs d'être exécuté, bénéficier de la baisse éventuelle des taux, possibilité qui était pourtant prévue par les parties et constitue la loi du contrat.

Il s'ensuit que cette nullité doit être sanctionnée par l'application du taux légal.

La caisse intimée doit être invitée à présenter sur cette base un décompte de sa créance portant tant sur les échéances régulièrement réglées que sur celles demeurées impayées ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré, Déclare l'appel régulier et recevable en la forme. Au fond, infirme le jugement attaqué et, statuant à nouveau : Dit que les époux Horny sont recevables à soulever la nullité de la clause d'intérêt assortissant le contrat les liant à la caisse intimée. Prononce la nullité de cette clause et dit qu'au taux contractuel se trouve substitué le taux légal. Enjoint à la caisse intimée de présenter le décompte de sa créance pour ce qui concerne tant les échéances régulièrement réglées que celles demeurées impayées.