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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 23 juin 1981, n° sic-349

BOURGES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Malleret

Défendeur :

Lapeyre (SA), Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières (Sté), Delos (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bribet

Conseillers :

MM. Veyrières, Gros Abadie, Avoués : Mes Rahon, Tracol, Bart, Guillaumin

Avocats :

Mes Agliany, Vathaire, Bonnefond.

T. com., Issoudun, du 5 févr. 1980

5 février 1980

Que ces assignations ont abouti au jugement frappé d'appel Attendu que le tribunal a estimé :

Que, contrairement à l'argumentation de M. Malleret, qui soutenait que la demande formée par la SA Lapeyre et Cie était nécessairement fondée sur l'article 1641 du Code Civil et qu'elle était irrecevable pour non respect du bref délai de l'article 1648 du même Code, cette action était en réalité engagée sur le fondement de la responsabilité décennale. Qu'elle était dès lors recevable et fondée ;

Que par contre la demande de garantie formée par M. Malleret contre la société Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières, basée sur le vice caché affectant les tuiles livrées par cette dernière société, était irrecevable, le bref délai de l'article 1648 n'ayant pas été respecté ;

Qu'il y avait lieu de retenir, concernant les défectuosité des tuiles, les conclusions de M. Varaine, commis en qualité d'expert par avant dire droit du 5 avril 1977 ;

Attendu que l'appelant conclut à la réformation du jugement et demande à la Cour :

- A titre principal : de rejeter la demande de la SA Lapeyre et Cie, le bref délai de l'article 1648 du Code Civil n'ayant pas été respecté, dès lors que les premiers troubles sont survenus en 1970, et que l'assignation est du 28 octobre 1976 ;

- Subsidiairement de faire droit à son action en garantie contre la société Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières, et de le mettre hors de cause ;

- Plus subsidiairement de constater qu'il ignorait le vice affectant les tuiles, qu'il est un vendeur de bonne foi, de prononcer la résolution de la vente, et de dire qu'il ne peut être tenu qu'à la restitution du prix des tuiles, soit de la somme de 8 015 F ;

Qu'il fait valoir :

Qu'à tort le tribunal l'a considéré comme soumis à la responsabilité décennale des constructeurs, alors que son rôle s est borné à vendre les tuiles à la SA Lapeyre et Cie ;

Que l'action engagée à son encontre ne peut avoir pour base que l'article 1641 du Code Civil, mais qu'elle doit être déclarée irrecevable par application de l'article 1648, le bref délai prévu par ce texte n'ayant pas été respecté. Qu'en effet, Attendu que M. Malleret Jean, propriétaire des Etablissement Malleret, a interjeté régulièrement appel d'un jugement du Tribunal de commerce d'Issoudun du 5 février 1980 qui :

- l'a condamné à remplacer, à ses frais, dans un délai de mois, la totalité des tuiles livrées par lui à la SA Lapeyre et Cie

- l'a condamné à verser à la SA Lapeyre et Cie la somme de 1 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

- l'a débouté de sa demande de garantie formée contre la SA Sodima-Grandes tuileries de Roumazières, fabricant des tuiles ;

- l'a condamné aux dépens de l'instance ;

- a débouté la SA Lapeyre et Cie de sa demande de dommages-intérêts ;

Attendu qu'il est acquis aux débats :

Que, les 5 octobre 1966 et 14 novembre 1966, M. Malleret a vendu à la SA Lapeyre et Cie des tuiles destinées à la couvert- de deux bâtiments à usage de dépôt appartenant à cette dernière société ;

Que la mise en œuvre de ce matériau a été réalisé par M. Guillot, entrepreneur à Ardentes ;

Que la réception a eu lieu au mois de mai 1967 ;

Que des infiltrations d'eau sont apparues dès 1970, et qu'un certain nombre de tuiles ont été remplacées entre 1970 et 1976 ;

Que, le 28 octobre 1976, la SA Lapeyre et Cie a assigné M. Malleret devant le Tribunal de commerce d' Issoudun, pour le contraindre à remplacer la totalité des tuiles de couvertures, et pour obtenir en outre sa condamnation à des dommages intérêts ;

Que, le 27 novembre 1976, M. Malleret a assigné en garant la SA Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières, fabricant des tuiles ;

Que, le 12 mars 1979, cette dernière société et la société CMPR (Céramique du Midi-Perrusson- Rhomer) intervenante, ont appelé dans la cause, en déclaration de jugement commun, M. Delos Michel et son épouse, née Delecourt Marie-Hélène, anciens actionnaires des Grandes Tuileries de Roumazières, demeurés soi disant responsables du passif de cette société les ventes sont du 5 octobre 1966 et du 14 novembre 1966. Les premiers troubles remontent à 1970 et l'assignation n'a eu lieu que le 28 octobre 1976 ;

Que paradoxalement, le tribunal a estimé irrecevable, pour non respect du bref délai de l'article 1648, son action en garantie contre la société Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières alors qu'il ne pouvait exercer cette action avant d'avoir été lui-même assigné ;

Que dès lorsqu'il est reconnu que le vice caché affectant les tuiles est un vice de fabrication, la société Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières doit être déclarée directement responsable à l'égard de la SA Lapeyre et Cie, et qu'il y a lieu de le mettre hors de cause ;

Qu'il ignorait le vice de la chose vendue. Qu'il ne peut dès lors, par application de l'article 1646 du Code Civil être tenu qu'à restituer le prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente. Qu'on ne peut considérer qu'en sa qualité de vendeur professionnel il avait connaissance du vice si l'on retient :

- Qu'il est indiqué par l'expert que les tuiles Roumazières couramment employées étaient d'excellente tenue ;

- que ces tuiles n'ont jamais été détenues par lui ;

- que Monsieur Lapeyre marchand de matériaux avait les mêmes qualifications professionnelles que lui ;

Attendu que la SA Lapeyre et Cie, formant appel incident, demande :

A titre principal

- La confirmation du jugement en ce qu'il porte condamne de M. Malleret au remplacement des tuiles dans un délai de trois mois ;

- La condamnation de M. Malleret à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages intérêts, et celle de 3 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- L'application à M. Malleret d'une astreinte de 100 F par jour de retard, à compter de l'expiration du délai de 3 mois ;

- La condamnation de M. Malleret au cas où le marché se résilié, au paiement, à titre de dommages- intérêts de la somme de 289 181 F, représentant le coût actuel de la restauration à l'identique de la toiture ;

Subsidiairement

De la recevoir dans son "appel éventuel" contre la Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières, de condamner cet dernière société à remplacer à ses frais la totalité des tuiles, dans les trois mois de l'arrêt à intervenir, et à lui payer la somme de 10 000 F de dommages-intérêts, ainsi que celle de 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Plus subsidiairement

En cas de résiliation du marché, de condamner la Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières à lui payer la somme de 289 781 F, coût de la restauration à l'identique de la toiture ;

Qu'elle soutient :

Que le bref délai de l'article 1648 du Code Civil n'a p été méconnu. Qu'en effet, l'évolution de la dégradation des tuiles a été progressive, et que rien ne permettait en 1970 de prévoir que les neuf dixièmes de la toiture devraient faire ultérieurement l'objet d'une réfection ;

Que M. Malleret, vendeur professionnel de matériaux de construction, est censé avoir connaissance des vices cachés affectant la chose vendue ;

Que la toiture étant, en raison de la gravité des désordres, impropre à sa destination, il y a lieu de toute manière à application de la garantie décennale ;

Attendu que la société Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières conclut au rejet de l'action en garantie engagée à son encontre, faisant valoir d'une part, que le bref délai de l'article 1648 du Code Civil n'a pas été observé, et d'autre part que le vice dont les tuiles seraient affectées n'est pas établi avec certitude l'expert n'ayant pas fait procéder à une analyse en laboratoire qui, seule, aurait pu en révéler l'existence ;

Attendu que dans ses dernières écritures, reçues au Secrétariat Greffe de la Cour le 9 décembre 1980, la SA Lapeyre et Cie indique qu'elle a fait procéder, en 1979, à la réfection de la toiture pour le prix de 377 159 F. Qu'elle précise que cette somme comprend le coût de fournitures et de travaux constituant une amélioration par rapport à la toiture primitive. Que, modifiant ses précédentes conclusions, elle demande à titre principal la condamnation de M. Malleret à lui payer la somme de 289 781 F, coût actualisé de la réparation de la toiture selon les prévisions de l'expert, ainsi que 10 000 F de dommages-intérêts et 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Qu'elle conclut subsidiairement au paiement de ces sommes par la société Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières ;

Attendu que M. Delos Michel et son épouse Delecourt Marie-Hélène, également intimés par M. Malleret, ont constitué avoué mais n'ont pas déposé de conclusions. Qu'il y a lieu de les mettre hors de cause, dès lors qu'aucune demande n'a été formulée à leur encontre ;

Sur l'appel principal de M. Malleret :

Attendu qu'il ressort de l'exposé qui précède que M. Malleret a seulement fourni à la SA Lapeyre et Cie les tuiles ayant servi à la couverture, ce matériau ayant été mis en œuvre par une autre entreprise ;

Attendu que c'est dès lors à tort que le tribunal a fait application à M. Malleret de la responsabilité décennale des articles 1792 et 2270 du Code Civil, l'action engagée à son encontre ne pouvant être fondée que sur les articles 1641 et suivants du même Code ;

Attendu que l'expert Varaine a constaté que la surface de la couverture était parsemée de tuiles détériorées, que la face antérieure des tuiles présentait des éclats et des écaillages d'importance variable, les côtes et nervures étant soit cassées, soit affectées de fissures, que des cratères étaient visibles sur les deux faces, et que la face antérieure présentait souvent des efflorescences blanchâtres. Qu'il a estimé que les détériorations ainsi relevées étaient anormales, qu'elles entraînaient un défaut d'étanchéité de la couverture, et qu'elles étaient dues à la matière première utilisée, ainsi qu'à la préparation du matériau qu'en effet, la terre comportait une quantité trop importante d'éléments calcaires, transformés en chaux pendant la cuisson. Que la réhydratation lente de cette chaux, qui s'accompagnait d'une augmentation de volume, entraînait le soulèvement et l'élimination de la pellicule superficielle de terre cuite. Que les fissurations provenaient d'un retrait d'origine thermique, soit lors de la cuisson, soit par suite d'un brusque refroidissement. Que les autres accidents de surface traduisaient une tendance à la gélivité de la terre cuite. Que la couverture devait être refaite ;

Attendu que le vice caché affectant la tuile vendue par M. Malleret est dès lors établi sans qu'il soit nécessaire, comme l'a soutenu à tort la société Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières, de faire procéder à des analyses en laboratoire. Qu'il est suffisamment caractérisé par le défaut d'étanchéité de la couverture constaté par l'expert ;

Attendu qu'on relève d'autre part dans le rapport d'expert que si les premiers troubles se sont manifestés en 1970, ils étaient minimes au départ, et qu'ils se sont accentués par la suite. Que pendant la période comprise entre 1970 et le 29 avril 1976, date à laquelle la société Lapeyre et Cie a demandé la réfection de la couvertures à M. Malleret, ce dernier, de même que la société Sodima- Grandes Tuileries de Roumazières ont fourni gratuitement des tuiles de remplacement ;

Attendu qu'il apparaît ainsi que la société Lapeyre s'est mis en rapport, dès l'apparition des premiers désordres, avec M. Malleret, qui a informé à son tour le fabricant. Que les intéressés sont restés en relation jusqu'au 28 octobre 1976, date à laquelle les désordres s'étant considérablement aggravés, et une entente amiable s'avérant impossible, la SA Lapeyre et Cie a assigné M. Malleret. Qu'il se déduit de cette situation que la société Lapeyre et Cie a fait toutes diligences dès les premières manifestations de vice affectant les tuiles, dont la gravité ne lui est apparue qu'au fur et à mesure de l'évolution des dégradation. Qu'elle a eu recours à une procédure judiciaire dès qu'elle n'a pu par des démarches amiables, obtenir le remplacement des tuiles devenues impropres à leur usage, et qu'on ne peut dès lors lui rechercher de n'avoir pas respecté le bref délai de l'article 1648 du Code Civil. Que son action contre M. Malleret est en conséquence recevable ;

Attendu que cette action apparaît également fondée au vu du résultat de l'expertise, l'expert ayant conclu à la nécessité d'une réfection de la couverture ;

Attendu que M. Malleret, vendeur professionnel de matériaux de construction, est censé connaître le vice affectant les tuiles et ne peut être admis à exciper de son ignorance. Que la circonstance que ce matériau n'ait pas été déposé chez lui est inopérant. Que sa responsabilité doit être retenue sur la base de l'article 1641 du Code Civil ;

Attendu que la SA Lapeyre et Cie, qui a fait mettre en place une couverture nouvelle en amiante ciment, ne demande plus le remplacement des tuiles, mais le coût des travaux de réfection à l'identique qui avaient été envisagés par l'expert. Qu'elle réclame de ce chef, après actualisation, la somme de 289 781 F ;

Attendu que cette société est en droit d'obtenir non seulement le remplacement des tuiles défectueuses ou leur valeur, mais aussi à titre d'indemnisation, le coût des travaux de réfection rendus nécessaires par les défectuosités de ce matériau. Que l'expert a évalué les travaux de restauration à la somme de 210 450 F, en fonction des prix pratiqués au mois de mai 1978. Qu'il y a lieu de lui accorder cette somme, actualisée au 30 septembre 1979, date d'achèvement, d'après l'état de situation versé aux débats, des travaux auxquels elle a fait elle-même procéder ;

Attendu que les premiers juges ont d'autre part rejeté à tort l'action en garantie engagée par M. Malleret contre la société Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières. Qu'en effet, cette dernière société, fabricant des tuiles, est responsable à l'égard de son acheteur du vice de fabrication affectant ce matériau. Que M. Malleret, qui ne pouvait actionner en garantie le fabricant avant d'avoir lui-même été assigné, ne peut se voir opposer le bref délai de l'article 1648. Que la société Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières doit être dès lors tenue de relever et garantir M. Malleret des condamnations prononcées contre lui. Mais que ce dernier, responsable personnellement à l'égard de la SA Lapeyre et Cie, ne peut être mis hors de cause comme il le réclame ;

Sur l'appel incident de la SA Lapeyre et Cie

Attendu que cette société est fondée à demander en outre la réparation du préjudice relevé par l'expert, résultant des infiltrations d'eau qui ont taché les menuiseries entreposées dans les bâtiments, de la nécessité de déplacer les marchandises en stock pour les soustraire à l'atteinte de la pluie, de procéder à des repiquages fréquents de la couverture, et de solder les menuiseries détériorées. Que la somme de 6 000 F, à laquelle l'expert a évalué ce préjudice, sera jugée suffisante ;

Attendu enfin qu'en raison de l'obligation où elle s'est trouvée d'engager une action judiciaire, la SA Lapeyre et Cie a engagé des frais non compris dans les dépens dont il est équitable que M. Malleret supporte la charge à concurrence de 2 500 F. Que le jugement dont appel doit être également être réformé à cet égard ;

Attendu que M. Malleret qui succombe pour partie dans son appel doit être condamné aux dépens

Par ces motifs

Reçoit en la forme l'appel principal de M. Malleret et l'appel incident de la SA Lapeyre et Cie ;

Au fond, confirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu dans son principe la responsabilité de M. Malleret et en ce qu'il a condamné ce dernier aux dépens ;

Le réforme pour le surplus

LA COUR,

Statuant de nouveau, Condamne M. Malleret à payer à la SA Lapeyre et Cie la somme de 210 450 F, montant des travaux de réfection évalués par l'expert Varaine, cette somme devant être actualisée en fonction de l'évolution de l'indice du coût de la construction publié par l'INSEE entre le mois de mai 1978 et le 30 septembre 1979, - 6 000 F à titre de dommages-intérêts supplémentaires, - 2 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute la SA Lapeyre et Cie du surplus de ses conclusions, Condamne M. Malleret aux dépens d'appel, Dit que la Société Sodima-Grandes Tuileries de Roumazières devra relever et garantir M. Malleret des condamnations ci-dessus ; Mets hors de cause les époux Delos-Delecourt ; Accorde à Maître Tracol, à Maître Rahon et à Maître Guillaumin, Avoués, le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.