CJCE, 1re ch., 14 octobre 2004, n° C-36/02
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Omega Spielhallen- und Automatenaufstellungs-GmbH
Défendeur :
Oberbürgermeisterin der Bundesstadt Bonn.
LA COUR,
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 49 CE à 55 CE sur la libre prestation des services et des articles 28 CE à 30 CE sur la libre circulation des marchandises.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un pourvoi en "Revision" introduit devant le Bundesverwaltungsgericht par la société Omega Spielhallen- und Automatenaufstellungs-GmbH (ci-après "Omega"), à l'occasion duquel cette dernière a mis en cause la compatibilité avec le droit communautaire d'un arrêté d'interdiction adopté à son encontre par l'Oberbürgermeisterin der Bundesstadt Bonn (ci-après l'"autorité de police de Bonn") le 14 septembre 1994.
Les faits, la procédure au principal et la question préjudicielle
3 Omega, qui est une société de droit allemand, exploitait à Bonn (Allemagne), depuis le 1er août 1994, une installation dénommée "laserdrome", normalement destinée à la pratique du "laser-sport". Cette installation a continué à être exploitée après le 14 septembre 1994, Omega ayant obtenu de pouvoir continuer provisoirement l'exploitation par ordonnance du Verwaltungsgericht Köln (Allemagne) en date du 18 novembre 1994. L'équipement utilisé par Omega dans son établissement, comprenant notamment des appareils de visée à laser semblables à des mitraillettes ainsi que des capteurs de rayons installés soit dans des couloirs de tir, soit sur les gilets portés par les joueurs, a été initialement développé à partir d'un jouet pour enfant librement disponible dans le commerce. Cet équipement s'étant révélé techniquement insuffisant, Omega a eu recours, à partir d'une date non spécifiée mais postérieure au 2 décembre 1994, à l'équipement fourni par la société britannique Pulsar International Ltd (devenue Pulsar Advanced Games Systems Ltd, ci-après "Pulsar"). Toutefois, un contrat de franchisage avec Pulsar n'a été conclu que le 29 mai 1997.
4 Avant même l'ouverture au public du "laserdrome", une partie de la population avait manifesté son opposition à ce projet. Au début de l'année 1994, l'autorité de police de Bonn a enjoint à Omega de lui fournir un descriptif précis du déroulement du jeu prévu pour ce "laserdrome" et, par lettre du 22 février 1994, l'a avertie de son intention de prendre un arrêté d'interdiction au cas où il serait possible d'y "jouer à tuer" des personnes. Omega a répondu, le 18 mars 1994, qu'il s'agirait uniquement d'atteindre des capteurs fixes installés dans des couloirs de tir.
5 Ayant observé que le jeu pratiqué dans le "laserdrome" avait également pour but d'atteindre des capteurs placés sur les gilets portés par les joueurs, l'autorité de police de Bonn a, le 14 septembre 1994, pris un arrêté à l'encontre d'Omega lui interdisant "de permettre ou de tolérer dans son [...] établissement des jeux ayant pour objet de tirer sur des cibles humaines au moyen d'un rayon laser ou d'autres installations techniques (par exemple infrarouge), donc, en enregistrant les tirs ayant atteint leur cible, de 'jouer à tuer' des personnes", sous astreinte de 10 000 DEM par partie jouée en contravention de cet arrêté.
6 Ledit arrêté a été pris sur le fondement de l'habilitation conférée par l'article 14, paragraphe 1, de l'Ordnungsbehördengesetz Nordrhein-Westfalen (loi applicable aux autorités de police en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, ci-après l' "OBG NW"), lequel dispose:
"Les autorités de police peuvent prendre les mesures nécessaires pour prévenir dans des cas particuliers un danger menaçant la sécurité publique ou l'ordre public."
7 Selon l'arrêté d'interdiction du 14 septembre 1994, les jeux qui se déroulaient dans l'établissement exploité par Omega constituaient un danger pour l'ordre public, étant donné que les actes homicides simulés et la banalisation de la violence qu'ils engendrent sont contraires aux valeurs fondamentales prévalant dans l'opinion publique.
8 La réclamation déposée par Omega contre cet arrêté a été rejetée par la Bezirksregierung Köln (autorité administrative locale de Cologne) le 6 novembre 1995. Par jugement du 3 septembre 1998, le Verwaltungsgericht Köln a rejeté le recours contentieux. L'appel introduit par Omega a également été rejeté, le 27 septembre 2000, par l'Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (Allemagne).
9 Par la suite, Omega a formé un pourvoi en "Revision" devant le Bundesverwaltungsgericht. À l'appui de son pourvoi elle invoque, parmi de nombreux autres moyens, l'atteinte portée par l'arrêté litigieux au droit communautaire, en particulier à la liberté de prestation des services consacrée à l'article 49 CE, étant donné que son "laserdrome" devait utiliser l'équipement et la technique fournis par la société britannique Pulsar.
10 Le Bundesverwaltungsgericht considère que, en application du droit national, le pourvoi en "Revision" introduit par Omega doit être rejeté. Il se demande, toutefois, si cette solution est compatible avec le droit communautaire, en particulier les articles 49 CE à 55 CE sur la libre prestation des services et les articles 28 CE à 30 CE sur la libre circulation des marchandises.
11 Selon la juridiction de renvoi, c'est à juste titre que l'Oberverwaltungsgericht a conclu que l'exploitation commerciale d'un "jeu à tuer" dans le "laserdrome" d'Omega constituait une atteinte à la dignité humaine, notion établie à l'article 1er, paragraphe 1, première phrase, de la loi fondamentale allemande.
12 La juridiction de renvoi expose que la dignité humaine est un principe constitutionnel auquel est susceptible de porter atteinte soit un traitement dégradant d'un adversaire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, soit un éveil ou un renforcement chez le joueur d'une attitude niant le droit fondamental de chaque personne à être reconnue et respectée, tel que la représentation, comme dans le cas d'espèce, d'actes fictifs de violence à des fins de jeu. Une valeur constitutionnelle suprême telle que la dignité humaine ne saurait être écartée dans le cadre d'un jeu de divertissement. Les droits fondamentaux invoqués par Omega ne sauraient, au regard du droit national, modifier cette appréciation.
13 S'agissant de l'application du droit communautaire, la juridiction de renvoi estime que l'arrêté en cause porte atteinte à la libre prestation des services prévue à l'article 49 CE. En effet, Omega aurait conclu un contrat de franchisage avec une société britannique, laquelle serait mise dans l'impossibilité de fournir des prestations à son client allemand alors qu'elle fournit des prestations comparables dans l'État membre où elle a son siège. Il conviendrait d'envisager également une atteinte à la libre circulation des marchandises prévue à l'article 28 CE, dans la mesure où Omega souhaite acquérir au Royaume-Uni des biens d'équipement pour son "laserdrome", notamment des appareils de visée laser.
14 La juridiction de renvoi considère que l'affaire au principal donne l'occasion de préciser davantage les conditions auxquelles le droit communautaire soumet la restriction d'une certaine catégorie de prestations de services ou de l'importation de certaines marchandises. Elle relève que, selon la jurisprudence de la Cour, les obstacles à la libre prestation des services découlant de mesures nationales indistinctement applicables ne peuvent être acceptés que si ces mesures sont justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, si elles sont propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles visent et si elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre. Il serait indifférent, aux fins d'apprécier la nécessité et la proportionnalité de ces mesures, qu'un autre État membre ait pris des mesures de protection différentes (voir arrêts du 21 septembre 1999, Läärä e.a., C-124-97, Rec. p. I-6067, points 31, 35 et 36, et du 21 octobre 1999, Zenatti, C-67-98, Rec. p. I-7289, points 29, 33 et 34).
15 La juridiction de renvoi se demande cependant si, à la lumière de l'arrêt du 24 mars 1994, Schindler (C-275-92, Rec. p. I-1039), une conception commune du droit dans tous les États membres est une condition requise pour que ces États soient habilités à restreindre discrétionnairement une certaine catégorie de prestations protégées par le traité CE. Sur la base d'une telle interprétation de l'arrêt Schindler, précité, l'arrêté litigieux pourrait difficilement être confirmé s'il n'est pas possible de dégager une conception commune du droit en ce qui concerne l'appréciation, dans les États membres, des jeux de divertissement avec simulations d'actes de mise à mort.
16 Elle relève que les deux arrêts précités, Läärä e.a. et Zenatti, rendus ultérieurement à l'arrêt Schindler, précité, pourraient donner l'impression que la Cour ne s'en est plus strictement tenue à une conception commune du droit en vue de restreindre la libre prestation des services. Si tel était le cas, le droit communautaire n'empêcherait pas, selon la juridiction de renvoi, la confirmation de l'arrêté en cause. En raison de l'importance fondamentale du principe de la dignité humaine, en droit communautaire aussi bien qu'en droit allemand, il n'y aurait pas lieu de s'interroger davantage sur le caractère proportionné de la mesure nationale restreignant la liberté de prestation des services.
17 C'est dans ces conditions que le Bundesverwaltungsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Est-il compatible avec les dispositions du traité instituant la Communauté européenne relatives à la libre prestation des services et à la libre circulation des marchandises que le droit national impose l'interdiction d'une activité économique déterminée - en l'occurrence l'exploitation d'un 'laserdrome' où sont simulés des actes homicides - parce qu'elle est contraire aux valeurs fondamentales consacrées par la constitution?"
Sur la recevabilité de la question préjudicielle
18 L'autorité de police de Bonn s'interroge sur la recevabilité de la question préjudicielle et, plus précisément, sur l'applicabilité des règles de droit communautaire relatives aux libertés fondamentales dans ce litige. Selon elle, l'arrêté d'interdiction pris le 14 septembre 1994 n'a affecté aucune opération ayant un caractère transfrontalier et il n'a donc pas pu restreindre les libertés fondamentales garanties par le traité. Elle relève que, à la date d'adoption dudit arrêté, l'installation que Pulsar aurait offert de fournir à Omega n'avait pas encore été livrée et aucun contrat de franchisage n'obligeait cette dernière à adopter la variante du jeu concernée par l'interdiction.
19 Il convient toutefois de relever que, en vertu d'une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379-98, Rec. p. I-2099, point 38; du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390-99, Rec. p. I-607, point 18; du 27 février 2003, Adolf Truley, C-373-00, Rec. p. I-1931, point 21; du 22 mai 2003, Korhonen e.a., C-18-01, Rec. p. I-5321, point 19, et du 29 avril 2004, Kapper, C-476-01, non encore publié au Recueil, point 24).
20 En outre, il résulte de cette même jurisprudence que le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n'est possible que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire sollicitée n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir arrêts précités PreussenElektra, point 39; Canal Satélite Digital, point 19; Adolf Truley, point 22; Korhonen e.a., point 20, et Kapper, point 25).
21 Tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, même s'il ressort du dossier que, au moment de l'adoption de l'arrêté du 14 septembre 1994, Omega n'avait pas encore formellement conclu des contrats de fourniture ou de franchisage avec la société établie au Royaume-Uni, il suffit de constater que cet arrêté est en tout état de cause, eu égard à sa nature prospective et au contenu de l'interdiction qu'il édicte, susceptible de restreindre le développement futur de relations contractuelles entre les deux parties. Il n'apparaît donc pas de manière manifeste que la question posée par la juridiction de renvoi, qui porte sur l'interprétation des dispositions du traité garantissant les libertés de prestation des services et de circulation des marchandises, n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal.
22 Il s'ensuit que la question préjudicielle posée par le Bundesverwaltungsgericht doit être déclarée recevable.
Sur la question préjudicielle
23 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir, d'une part, si l'interdiction d'une activité économique pour des raisons tirées de la protection de valeurs fondamentales consacrées par la constitution nationale, telles que, en l'occurrence, la dignité humaine, est compatible avec le droit communautaire et, d'autre part, si la faculté dont disposent les États membres de restreindre, pour de telles raisons, des libertés fondamentales garanties par le traité, à savoir les libertés de prestation des services et de circulation des marchandises, est subordonnée, comme pourrait l'indiquer l'arrêt Schindler, précité, à la condition que cette restriction repose sur une conception du droit commune à tous les États membres.
24 À titre liminaire, il convient de déterminer dans quelle mesure la restriction constatée par la juridiction de renvoi est susceptible d'affecter l'exercice des libertés de prestation des services et de circulation des marchandises, lesquelles sont régies par des dispositions différentes du traité.
25 À cet égard, il y a lieu de constater que l'arrêté litigieux, en interdisant à Omega d'exploiter son "laserdrome" selon le modèle de jeu développé par Pulsar et légalement commercialisé par celle-ci au Royaume-Uni, notamment sous le régime de franchisage, affecte la liberté de prestation des services que l'article 49 CE garantit tant aux prestataires qu'aux destinataires de ces services établis dans un autre État membre. En outre, dans la mesure où l'exploitation du modèle de jeu développé par Pulsar implique l'utilisation d'un équipement spécifique, lequel est commercialisé également de manière licite au Royaume-Uni, l'interdiction imposée à Omega est de nature à dissuader cette dernière d'acquérir l'équipement en cause, portant ainsi atteinte à la liberté de circulation des marchandises garantie par l'article 28 CE.
26 Toutefois, il convient de rappeler que lorsqu'une mesure nationale affecte tant la libre prestation des services que la libre circulation des marchandises, la Cour l'examine, en principe, au regard de l'une seulement de ces deux libertés fondamentales s'il s'avère que, dans les circonstances de l'espèce, l'une de celles-ci est tout à fait secondaire par rapport à l'autre et peut lui être rattachée (voir, en ce sens, arrêts Schindler, précité, point 22; Canal Satélite Digital, précité, point 31, et du 25 mars 2004, Karner, C-71-02, non encore publié au Recueil, point 46).
27 Dans les circonstances de l'affaire au principal, l'aspect de la libre prestation des services prévaut sur celui de la libre circulation des marchandises. En effet, l'autorité de police de Bonn et la Commission des Communautés européennes ont souligné à juste titre que l'arrêté litigieux ne restreint les importations de marchandises qu'en ce qui concerne l'équipement spécifiquement conçu pour la variante de jeu laser interdite et que ceci est une conséquence inéluctable de la restriction imposée à l'égard des prestations de services fournies par Pulsar. Par conséquent, ainsi que l'a estimé Mme l'avocat général au point 32 de ses conclusions, il n'y a pas lieu d'examiner de manière autonome la compatibilité de cet arrêté avec les dispositions du traité régissant la libre circulation des marchandises.
28 S'agissant de la justification de la restriction imposée par l'arrêté du 14 septembre 1994 à la liberté de prestation des services, l'article 46 CE, applicable en la matière en vertu de l'article 55 CE, admet des restrictions justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. En l'occurrence, il ressort du dossier que les motifs invoqués par l'autorité de police de Bonn pour l'adoption de l'arrêté d'interdiction mentionnent expressément le fait que l'activité concernée constitue un danger pour l'ordre public. Par ailleurs, la référence à un danger menaçant l'ordre public figure également à l'article 14, paragraphe 1, de l'OBG NW, habilitant les autorités de police à prendre les mesures nécessaires pour prévenir ce danger.
29 Dans la présente procédure, il est constant que l'arrêté litigieux a été adopté indépendamment de toute considération liée à la nationalité des prestataires ou destinataires des services faisant l'objet d'une restriction. En tout état de cause, les mesures de sauvegarde de l'ordre public relevant d'une dérogation à la liberté de prestation des services énumérée à l'article 46 CE, il n'est pas nécessaire de vérifier que ces mesures sont indistinctement applicables tant aux prestataires de services nationaux qu'à ceux établis dans d'autres États membres.
30 Toutefois, la possibilité pour un État membre de se prévaloir d'une dérogation prévue par le traité n'empêche pas le contrôle juridictionnel des mesures d'application de cette dérogation (voir arrêt du 4 décembre 1974, Van Duyn, 41-74, Rec. p. 1337, point 7). En outre, la notion d' "ordre public" dans le contexte communautaire et, notamment, en tant que justification d'une dérogation à la liberté fondamentale de prestation des services doit être entendue strictement, de sorte que sa portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de la Communauté (voir, par analogie avec la liberté de circulation des travailleurs, arrêts Van Duyn, précité, point 18, et du 27 octobre 1977, Bouchereau, 30-77, Rec. p. 1999, point 33). Il en découle que l'ordre public ne peut être invoqué qu'en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (voir arrêt du 14 mars 2000, Église de scientologie, C-54-99, Rec. p. I-1335, point 17).
31 Il n'en reste pas moins que les circonstances spécifiques qui pourraient justifier d'avoir recours à la notion d'ordre public peuvent varier d'un pays à l'autre et d'une époque à l'autre. Il faut donc, à cet égard, reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d'appréciation dans les limites imposées par le traité (arrêts précités Van Duyn, point 18, et Bouchereau, point 34).
32 Dans l'affaire au principal, les autorités compétentes ont estimé que l'activité concernée par l'arrêté d'interdiction menace l'ordre public en raison du fait que, selon la conception prévalant dans l'opinion publique, l'exploitation commerciale de jeux de divertissement impliquant la simulation d'actes homicides porte atteinte à une valeur fondamentale consacrée par la constitution nationale, à savoir la dignité humaine. Selon le Bundesverwaltungsgericht, les juridictions nationales qui ont été saisies de l'affaire ont partagé et confirmé la conception des exigences de la protection de la dignité humaine sur laquelle repose l'arrêté litigieux, cette conception devant par conséquent être tenue comme conforme aux prescriptions de la loi fondamentale allemande.
33 Dans ce contexte, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect et que, à cet effet, cette dernière s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales revêt dans ce contexte une signification particulière (voir, notamment, arrêts du 18 juin 1991, ERT, C-260-89, Rec. p. I-2925, point 41; du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C-274-99 P, Rec. p. I-1611, point 37; du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C-94-00, Rec. p. I-9011, point 25, et du 12 juin 2003, Schmidberger, C-112-00, Rec. p. I-5659, point 71).
34 Ainsi que l'expose Mme l'avocat général aux points 82 à 91 de ses conclusions, l'ordre juridique communautaire tend indéniablement à assurer le respect de la dignité humaine en tant que principe général du droit. Il ne fait donc pas de doute que l'objectif de protéger la dignité humaine est compatible avec le droit communautaire, sans qu'il importe à cet égard que, en Allemagne, le principe du respect de la dignité humaine bénéficie d'un statut particulier en tant que droit fondamental autonome.
35 Le respect des droits fondamentaux s'imposant tant à la Communauté qu'à ses États membres, la protection desdits droits constitue un intérêt légitime de nature à justifier, en principe, une restriction aux obligations imposées par le droit communautaire, même en vertu d'une liberté fondamentale garantie par le traité telle que la libre prestation de services (voir, en ce qui concerne la libre circulation des marchandises, arrêt Schmidberger, précité, point 74).
36 Toutefois, il convient de relever que des mesures restrictives de la libre prestation des services ne peuvent être justifiées par des motifs liés à l'ordre public que si elles sont nécessaires pour la protection des intérêts qu'elles visent à garantir et seulement dans la mesure où ces objectifs ne peuvent être atteints par des mesures moins restrictives (voir, en ce qui concerne la libre circulation des capitaux, arrêt Église de scientologie, précité, point 18).
37 Il n'est pas indispensable, à cet égard, que la mesure restrictive édictée par les autorités d'un État membre corresponde à une conception partagée par l'ensemble des États membres en ce qui concerne les modalités de protection du droit fondamental ou de l'intérêt légitime en cause. S'il est vrai que, au point 60 de l'arrêt Schindler, précité, la Cour a fait référence aux considérations d'ordre moral, religieux ou culturel qui mènent tous les États membres à soumettre l'organisation de loteries et d'autres jeux d'argent à des restrictions, elle n'a pas entendu, par la mention de cette conception commune, formuler un critère général pour apprécier la proportionnalité de toute mesure nationale qui restreint l'exercice d'une activité économique.
38 Au contraire, ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence bien établie et postérieure à l'arrêt Schindler, précité, la nécessité et la proportionnalité des dispositions prises en la matière ne sont pas exclues au seul motif qu'un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État (voir, en ce sens, arrêts Läärä e.a., précité, point 36; Zenatti, précité, point 34, et du 11 septembre 2003, Anomar e.a., C-6-01, non encore publié au Recueil, point 80).
39 En l'occurrence, il y a lieu de relever, d'une part, que, selon la juridiction de renvoi, l'interdiction de l'exploitation commerciale de jeux de divertissement impliquant la simulation d'actes de violence contre les personnes, en particulier la représentation d'actes de mise à mort d'êtres humains, correspond au niveau de protection de la dignité humaine que la constitution nationale a entendu assurer sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne. D'autre part, il convient de constater que, en interdisant uniquement la variante du jeu laser qui a pour objet de tirer sur des cibles humaines et donc de "jouer à tuer" des personnes, l'arrêté litigieux n'est pas allé au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi par les autorités nationales compétentes.
40 Dans ces conditions, l'arrêté du 14 septembre 1994 ne saurait être regardé comme une mesure portant une atteinte injustifiée à la libre prestation des services.
41 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'une activité économique consistant en l'exploitation commerciale de jeux de simulation d'actes homicides fasse l'objet d'une mesure nationale d'interdiction adoptée pour des motifs de protection de l'ordre public en raison du fait que cette activité porte atteinte à la dignité humaine.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (première chambre) dit pour droit:
Le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'une activité économique consistant en l'exploitation commerciale de jeux de simulation d'actes homicides fasse l'objet d'une mesure nationale d'interdiction adoptée pour des motifs de protection de l'ordre public en raison du fait que cette activité porte atteinte à la dignité humaine.