Livv
Décisions

CA Lyon, ch. soc. A, 2 mai 2005, n° 02-02730

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Huet

Défendeur :

SNAAM (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fouquet

Conseillers :

Mmes Morin, Durand

Avocats :

Mes Lambert Vernay, Rossi.

Cons. Prud'h. Lyon, du 4 avr. 2002

4 avril 2002

Expos2 du litige

Philippe Huet a été embauché le 19 septembre 1988 par la société Mure, en qualité de technicien.

Le 1er octobre 1994, il a été nommé directeur d'unité et a accédé à la classification de cadre - position B 12.

A la suite du plan de cession intervenu fin 1997, le contrat de travail de Philippe Huet s'est poursuivi avec la SA SNAAM.

Au cours de l'été 2000, Philippe Huet a interrogé sa direction sur l'évolution de ses fonctions et le rôle de Monsieur Martin.

Les 11 et 12 septembre 2000, la SA SNAAM a réclamé à Philippe Huet la restitution de son véhicule de fonction et de son téléphone portable.

Au dernier état de sa collaboration, Philippe Huet percevait un salaire brut mensuel de 28 560 F outre primes.

Le 28 septembre 2000, Philippe Huet a présenté sa démission à la SA SNAAM dans les termes suivants:

" Je me vois contraint de démissionner par la présente.

Je serai par conséquent en période de préavis pour une durée de trois mois débutant à compter de la réception de la présente.

Je considère toutefois que cette démission doit s'analyser en un licenciement abusif compte tenu des graves manquements à mon contrat de travail, que je suis en droit de vous reprocher.

Bien que la loi ne m'en fasse pas l'obligation, j'entends rappeler (de façon non exhaustive) quelques unes des nombreuses atteintes à mon contrat de travail justifiant amplement la requalification de la présente démission en licenciement abusif.

1°) ...depuis le 26 mars 1998, vous m'avez donné une délégation écrite en ma qualité de directeur d'unité pour les établissements de la SA SNAAM situés à Lyon et au Chambon Feugerolles.

... aujourd'hui vous avez méconnu ladite délégation, me faisant subir de ce fait un déclassement...

2°) sur les embauches auxquelles vous avez procédé nonobstant la délégation de pouvoir...

3°) sur les commandes qui ont été passées en violation de ma délégation de pouvoir...

4°) sur la facturation interne...

5°) sur les travaux et l'entretien du site Chambon Feugerolles...

6°) sur la gestion du personnel...

7°) sur la gestion commerciale du risque client...

8°) sur vos reproches concernant la quotation de chantiers en "assemblage sur chantiers ...

9°) sur la location d'un fax photocopieur

10°) sur les nombreuses brimades dont j'ai dernièrement fait l'objet...

11°) Je réitère... les reproches formulés dans ma lettre du 22 août 2000 concernant la nomination de Monsieur Martin, qui procède d'une volonté manifeste de me déclasser... "

A la suite d'une mésentente entre les parties sur les modalités d'exécution du préavis, la SA SNAAM en a dispensé Philippe Huet.

Philippe Huet a saisi le Conseil de prud'hommes de Lyon le 1er mars 2001 pour faire requalifier sa démission en licenciement abusif et la condamnation de la SA SNAAM au paiement de diverses sommes.

Par jugement du 4 avril 2002, le Conseil de prud'hommes, section encadrement, a débouté Philippe Huet de l'ensemble de ses demandes et la SA SNAAM de ses demandes reconventionnelles.

Philippe Huet a reçu notification de ce jugement le 9 avril 2002.

Il en a interjeté appel le 25 avril 2002 par lettre recommandée adressée au secrétariat greffe.

Philippe Huet sollicite l'infirmation du jugement, la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la SA SNAAM à lui payer les sommes suivantes:

- au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement : 16 662,97 euro

- à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 63 985,90 euro

- par application des dispositions de l'article 700 NCPC : 2 500 euro

En appel, il forme une demande additionnelle

* en paiement de 26 390,76 euro à titre de contrepartie financière contractuelle de la clause de non-concurrence et de 2 639,07 euro au titre des congés payés afférents

* ou de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts pour illicéité de la clause de non-concurrence.

Il reprend les griefs formulés contre l'employeur dans sa lettre de démission.

Il rappelle qu'il a été contraint à la démission, laquelle doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il invoque les dispositions de la convention collective nationale du bâtiment visée par son contrat de travail.

Il indique que son préjudice est très important car il n'a pu bénéficier d'une prise en charge par l'ASSEDIC, n'a retrouvé un travail qu'en créant une société, laquelle n'a pu le rémunérer.

La SA SNAAM demande la confirmation du jugement et le rejet de la demande additionnelle formée en appel.

Elle persiste à affirmer qu'elle n'a pas cherché à évincer Philippe Huet, qui n'a pas cessé d'intervenir dans la gestion au quotidien de son unité:

* s'agissant de la gestion du personnel, en exerçant le pouvoir de recruter et sanctionner, les contrats étant seulement formalisés et signés par le directeur général adjoint pour des raisons de sécurité juridique, comme pour les autres usines,

* s'agissant des commandes en procédant de manière autonome pour le matériel concernant exclusivement son usine et en étant consulté pour l'acquisition de machines de grande valeur qui faisaient l'objet de commandes globales par la direction générale,

Elle indique que le projet de recréer des directions régionales n'était pas nouveau, que Philippe Huet s'était d'ailleurs porté candidat à ce poste mais que du fait de son absence Monsieur Martin a assumé l'intérim de directeur régional jusqu'à son départ à la retraite, d'autres directeurs régionaux ou opérationnels étant ensuite nommés.

En ce qui concerne la demande nouvelle d'indemnisation de la clause de non- concurrence, elle expose que l'interdiction était limitée à la zone géographique des usines, dont Philippe Huet avait la direction, soit Vénissieux et Chambon Feugerolles, ce qui lui laissait une grande liberté. Elle fait valoir que les cadres de l'entreprise bénéficiaient d'avantages importants tels que des primes annuelles représentant 3 mois de salaire pouvant être considérées pour partie comme rémunérant cette clause.

Motifs de la décision

* sur la rupture du contrat de travail

Lorsqu'un salarié donne sa démission en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Philippe Huet fait grief à son employeur, le 22 août 2000 de l'avoir déclassé en le plaçant sous la responsabilité de Monsieur Martin, en contradiction avec les pouvoirs les plus larges, qui lui avaient été délégués le 26 mars 1998.

Toutefois, en confiant à un salarié une délégation de pouvoir, l'employeur ne se prive pas de ses propres prérogatives et de son pouvoir de direction et de contrôle.

Philippe Huet ne peut reprocher à la SA SNAAM d'avoir assorti la responsabilité qu'elle lui donnait en lui confiant la direction de deux usines d'un tempérament consistant dans la nécessité de soumettre des décisions importantes à un supérieur hiérarchique, Monsieur Subtil.

S'agissant du recrutement du personnel, les pièces produites aux débats par la SA SNAAM démontrent que la signature des contrats de travail par la direction générale était une pratique courante dans les différents sites, dont les directeurs avaient reçue la même délégation de pouvoir que Philippe Huet.

Philippe Huet n'avait antérieurement pas pris ombrage de cette pratique, comme le démontre le contrat de travail de Monsieur Christian Dumas embauché le 20 avril 1998 en qualité de technico-commercial, signé par Monsieur Gildas Collon, alors qu'il avait reçu sa candidature.

D'autres pièces établissent que Philippe Huet transmettait de manière habituelle et spontanément à la direction des demandes d'établissement de contrats de travail.

Philippe Huet date sa rétrogradation de fait à la décision de déménager sur le site du Chambon Feugerolles et d'y développer une activité " armatures standard " en décembre 1999.

Les intentions qu'il prête à l'employeur de l'écarter volontairement de cette activité, du fait d'intérêts détenus par sa belle-famille dans une entreprise concurrente, ne reposent sur aucun fondement tangible.

Philippe Huet n'a pas été démis de cette fonction puisqu'il s'agissait de l'adjonction d'une activité nouvelle.

Il relève du pouvoir de direction de l'employeur de placer à la tête d'un établissement ou d'un département la personne lui paraissant la plus apte à tenir le poste et la SA SNAAM explique de manière convaincante qu'elle a souhaité confier cette activité faisant appel à une technique spécifique à un spécialiste, en l'occurrence Monsieur Eynard, ingénieur spécialement qualifié.

La création d'un échelon intermédiaire et la désignation de Monsieur Martin ont été précipitées par l'arrêt maladie prolongé de Philippe Huet, qui ne peut valablement critiquer les décisions prises par ce dernier alors que, absent, il n'était pas en mesure d'y procéder.

Au surplus, l'employeur ne peut être suspecté d'avoir procéder à un recrutement dans le but d'évincer Philippe Huet, Monsieur Bernard Martin étant un très ancien cadre de l'entreprise, qui était l'auteur de sa propre embauche.

Philippe Huet, qui avait expressément demandé le 10 mars 1998, à ne plus bénéficier de l'usage personnel de son véhicule de fonction, ne peut faire grief à la SA SNAAM de lui avoir demandé restitution de cette voiture le 11 septembre 2000, lorsqu'elle a eu connaissance que son absence devait se prolonger jusqu'au 5 novembre 2000.

Il en est de même du téléphone portable, sur lequel les clients continuaient à tenter de joindre la société.

L'examen des éléments qui lui ont été soumis n'a pas permis à la cour de se persuader que Philippe Huet a fait l'objet, de la part de son employeur, d'un déclassement ou de brimades.

Elle a acquis la conviction que la démission du salarié ne se justifie pas par le non-respect par l'employeur des obligations qui lui incombent et que les griefs qui lui sont faits par le salarié ne sont pas fondés.

En conséquence, la démission de Philippe Huet ne peut emporter les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

* sur la clause de non-concurrence

Une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière.

Le salarié qui a respecté une clause de non-concurrence illicite en l'absence de contrepartie financière peut prétendre à des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi du fait que l'employeur lui a imposé une clause nulle portant atteinte à sa liberté d'exercer une activité professionnelle.

Tel est le cas de Philippe Huet, dont le contrat de travail était assorti d'une clause de non concurrence, aux termes de laquelle il s'engageait, en cas de résiliation de celui-ci, " à ne pas apporter sa contribution, tant sous forme d'activité salariée que sous toute autre forme, à toute entreprise qui exercerait une activité de même nature... ou susceptible de la concurrencer, ni à exercer une telle activité pour (son) propre compte "

Cette interdiction était limitée dans l'espace aux régions géographiques dans lesquelles il aura exercé ses responsabilités et dans le temps à une période d'un an.

Une contrepartie financière n'était cependant prévue qu'en cas de licenciement pour un motif autre que la faute grave ou lourde.

L'absence de contrepartie financière en cas de démission rend une telle clause nulle.

Philippe Huet, dont il n'est pas contesté qu'il a respecté cette clause de non-concurrence illicite,, doit être déclaré bien-fondé en sa demande de dommages et intérêts.

La cour estime qu'il sera justement indemnisé du préjudice, qui lui a été causé par la restriction apportée à sa liberté d'entreprendre une nouvelle activité professionnelle, par l'allocation de 26 123,66 euro.

La cour estime ne pas devoir faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à l'espèce.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Lyon le 4 avril 2002, déboutant Philippe Huet de ses demandes, Y ajoutant, déclare illicite la clause de non-concurrence contractuelle sans contrepartie financière, Condamne la SA SNAAM à payer à Philippe Huet la somme de vingt six mille cent vingt-trois euro soixante-six (26 123,66 euro) à ce titre, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SA SNAAM aux dépens de la procédure d'appel.