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Décisions

CA Agen, 1re ch., 5 mars 1991, n° 896-88

AGEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chabrie (Epoux), Frances (Epoux)

Défendeur :

La Caisse d'Epargne et Prévoyance (Sté), Murat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louiset

Conseillers :

Mme Roger, M. Bastier

Avoués :

SCP Narran, Mes Brunet, Burg

Avocats :

Mes Gonelle, Boudey

TGI Agen, du 30 juin 1988

30 juin 1988

Faits et procédure

La Cour se réfère à l'exposé des faits et de la procédure contenu dans son arrêt précédent du 11 décembre 1989 qui a ordonné une expertise après avoir rappelé les moyens et prétentions des parties afin de rechercher si le terrain était constructible ou non et dans l'affirmative quel serait le montant des frais supplémentaires pour asseoir la fondation de la maison projetée ;

L'expert avait en outre pour mission de préciser si les nuisances éventuelles pouvant entourer une construction sur cette ancienne décharge pouvaient être ignorées dans leur technicité par les époux Chabrie ;

L'expert a déposé son rapport et les parties reviennent devant la Cour en lecture de ce rapport ;

Moyens et prétentions des parties

Les consorts Chabrie rappellent les conclusions du rapport d'expertise selon lequel le terrain qui leur été vendu était inapte à l'usage prévu c'est-à-dire n'était constructible qu'avec un surcoût de fondation d'au moins 25% ; qu'ils n'étaient pas en mesure d'apprécier à leur juste valeur les problèmes soulevés par les projets de construction même dans l'hypothèse où ils connaissaient l'existence d'une ancienne décharge publique sur ce terrain ;

Ils demandent en conséquence la résolution de la vente intervenue entre les époux Chabrie et M . Murat, la condamnation de Murat au remboursement de la somme de 90 400 F montant des effets du prix de vente ainsi qu'au paiement de la somme de 30 000 F de dommages- intérêts et celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Dans des conclusions postérieures les appelants indiquent que la bonne ou la mauvaise foi du vendeur est totalement indifférente en matière de demande de nullité pour erreur sur la substance et rappellent, qu'ainsi qu'ils l'avaient indiqué avant l'expertise, cette erreur était déterminante puisqu'ils n'auraient pas acheté la parcelle s'ils avaient connu les problèmes qui se posaient pour construire sur celle-ci ;

Très subsidiairement, les consorts Chabrie fondent leur action sur l'existence d'un vice caché et rappellent que l'information qui leur a été donnée n'a été que très partielle et ne leur a pas permis de se rendre compte de l'ampleur des problèmes qui se posaient pour la construction de leur maison d'habitation ;

A leur première demande, les consorts Chabrie ajoutent celle consistant à condamner Murat à les relever indemnes du montant des intérêts moratoires et de la clause pénale qu'ils seront condamnés à payer à la Caisse d'Epargne ;

Murat rappelle tout d'abord qu'il convient de faire une distinction entre les droits que les consorts Chabrie peuvent avoir à son égard pour leur avoir vendu un terrain qui n'était pas constructible et ceux qu'ils peuvent avoir à l'égard de l'entreprise " Les Maisons de chez nous " pour leur avoir, compte tenu de leur intention de faire construire un immeuble trouvé et fait acquérir un terrain sur lequel le projet de construction ne pouvait pas être réalisé, compte tenu des moyens financiers qui étaient les leur ;

Murat estime constant que les consorts Chabrie n'ignoraient pas l'existence de la décharge, Mme Chabrie étant la petite fille du gardien de cette décharge ; Murat ne conteste pas que les consorts Chabrie n'étaient pas en mesure d'apprécier à leur juste valeur les problèmes soulevés par leur projet de construction de ce terrain et estime normal qu'ils aient fait confiance sur le plan technique à l'intermédiaire et à l'entreprise " Les Maisons de chez nous " ;

Il ajoute qu'il en est de même pour lui qui n'est pas un professionnel et qui a fait confiance à des tiers pour leur vendre son terrain ;

Il demande à la Cour d'éliminer sa mauvaise foi et affirme qu'il n'a pas tenté de vendre aux consorts Chabrie un terrain qu'il savait impropre à l'usage que les consorts Chabrie voulaient en faire ;

Rappelant que l'expert a chiffré à 156 538 F le surcoût des travaux rendus nécessaires par les fondations et l'assainissement Murat précise qu'il est ouvert aux époux Chabrie une action en responsabilité contre l'entreprise et celui qui en son nom a prospecté et découvert le terrain sur lequel la construction devait être édifiée ;

Il estime être bien fondé à s'abriter derrière les énonciations de l'acte sous-seing privé de l'acte notarié précisant que l'acquéreur prendra les biens sans pouvoir exercer aucun recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit et notamment en raison du mauvais état du sol ou du sous-sol, des vices apparents ou cachés, la présence de la décharge ne pouvant en aucune façon être considérée comme un vice caché.

Il demande en conséquence la confirmation pure et simple du jugement déféré et la condamnation des Chabrie en tous les dépens.

La Caisse d'Epargne s'en remet à justice sur le bien fondé de la demande de résiliation ; elle rappelle qu'elle a assigné ses débiteurs pour les voir condamner conjointement et solidairement au paiement de la somme principale de 142 993 F avec les intérêts de retard au taux légal de 9,50% depuis le 25 novembre 1987 au jour du règlement ;

Que les appelants sollicitent à son encontre le bénéfice de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1979 prévoyant la suspension de l'exécution du contrat de prêt au cas de difficultés relatives au contrat de construction ;

Quelle que soit la solution retenue par la Cour, la Caisse d'Epargne demande la confirmation du jugement déféré et la condamnation conjointe et solidaire des consorts Chabrie-Frances au paiement des sommes dues et dans l'hypothèse où il serait fait droit à la résiliation ils demandent à la Cour de dire que les sommes dues à la charge de Murat seront directement remises entre les mains de la Caisse d'Epargne à due concurrence de sa créance.

Motifs de la décision

Attendu qu'il est démontré par le rapport d'expertise et les documents produits que le terrain acquis par les époux Chabrie est totalement impropre à l'usage qu'ils voulaient en faire à savoir al construction d'une maison ;

Attendu en effet que la presque totalité de la parcelle est occupée par une ancienne décharge publique qui n'a pas été remblayée conformément aux règles de l'environnement et qui ne pourrait être déclarée constructible que dans la mesure où un surcroît de fondation serait prévu ainsi que des travaux d'assainissement le tout d'un montant de 156 538 F ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que les époux Chabrie ont commis une erreur sur la substance, ayant vicié leur volonté et leur consentement ;

Que pour cette seule raison l'acte de vente de la parcelle doit être annulé ;

Attendu par ailleurs que le vendeur ne saurait s'abriter derrière la clause de non garantie contenue dans l'acte de vente et tenant notamment au mauvais état du sol ou du sous-sol dès lors qu'il a incomplètement informé les acheteurs des circonstances dans lesquelles la décharge publique a été exploitée puis comblée ;

Attendu en effet que l'acte du 19 septembre 1986 porte la mention suivante : " M. Murat a informé l'acquéreur du fonds qu'une partie du terrain vendu a fait l'objet d'une exploitation de carrière qui a été comblée depuis plus de quinze ans. "

Attendu que le propriétaire du terrain savait parfaitement :

1°) qu'il ne s'agissait pas d'une exploitation de carrière mais d'une décharge publique,

2°) que la presque totalité du terrain vendu était occupé par cette décharge,

3°) que celle-ci avait été exploitée jusqu'à la fin 1982 soit moins de quatre ans avant l'acte du 19 septembre 1986 et non plus de quinze ans.

Attendu que sans aller jusqu'à affirmer que M. Murat connaissait les difficultés auxquelles les époux Chabrie allaient s'exposer pour la construction de leur maison, il est néanmoins permis d'affirmer que la fausse déclaration contenue dans l'acte sous-seing privé engage sa responsabilité et l'empêche de se prévaloir de la clause de non garantie contenue à l'acte ;

Attendu que la circonstance que Mme Chabrie ait eu connaissance de l'existence de la décharge publique ne dispensait pas le vendeur de mentionner les conditions exactes dans lesquelles cette décharge avait été exploité puis comblée ;

Que par ailleurs l'expert souligne que les consorts Chabrie n'étaient certainement pas en mesure d'apprécier à leur juste valeur les problèmes soulevés par leur projet de construction sur ce terrain ;

Attendu que deux fondements juridiques à l'action en résolution peuvent être retenus par la Cour dans ces circonstances :

1°) les vices du consentement avec l'erreur portant sur la substance même de la chose,

2°) les vices cachés, les acquéreurs n'étant pas en mesure de connaître les anomalies contenues dans les profondeurs du terrain ;

Attendu qu'il convient dans ces conditions de prononcer la résolution judiciaire du contrat de vente ;

Attendu que les consorts Chabrie n'indiquent pas avec précision les conséquences qu'ils entendent tirer de la résolution de cette vente ;

Qu'ils se fondent d'une part sur l'article 20 de la loi du 13 juillet 1979 pour demander la suspension du contrat de prêt mais n'indiquent pas quelle conséquence cette clause pourrait avoir sur les sommes qu'ils doivent à la Caisse d'Epargne en ce qui concerne notamment le taux des intérêts pendant la période de suspension ;

Attendu par ailleurs qu'ils ne s'expliquent pas davantage sur la clause contenue dans l'acte de prêt concernant l'annulation du contrat ;

Attendu que la Caisse d'Epargne n'apporte pas davantage de précision sur les conséquences d'une éventuelle clause de suspension du contrat de prêt se bornant à demander que les sommes mises à la charge de Murat lui soient directement remises ;

Attendu qu'en réalité la Caisse d'Epargne persiste à demander les intérêts de retard depuis le 25 novembre 1987 jusqu'au jour du règlement ;

Attendu que Murat ne s'explique pas non plus sur les sommes demandées par la Caisse d'Epargne, qu'il pourrait être amené à régler lui-même ;

Attendu que la Cour n'est pas en possession des éléments lui permettant de statuer sur les conséquences de l'annulation du contrat de vente du terrain ;

Qu'il convient en conséquence de renvoyer les parties à conclure sur ce point avant le 3 avril 1991.

Attendu qu'il convient en l'état de réserver les dépens.

Par ces motifs

LA COUR, Réformant le jugement du Tribunal de grande instance d'Agen du 30 juin 1988, Prononce l'annulation du contrat de vente intervenu entre les époux Chabrie et Albert Murat portant sur un terrain situé sur al commune de Sainte Colombe de Villeneuve, Condamne en conséquence Murat à rembourser aux époux Chabrie le montant du prix de vente avec les intérêts de droit au taux légal depuis la date de l'assignation et le montant des frais de transcription du présent arrêt, Sur les conséquences quant au contrat de prêt passé par les époux Chabrie avec la Caisse d'Epargne, sursoit à statuer, Impartit un délai aux appelants ainsi qu'aux autres parties pour conclure sur ce point, Renvoie l'affaire pour les conclusions des consorts Chabrie au 3 avril 1991. Réserve les dépens.