CA Paris, 11e ch. B, 14 avril 1995, n° 4694-94
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Conseil national de l'Ordre des pharmaciens
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Texier
Conseillers :
MM. Chanut, Castel
Avocats :
Mes Maury, Guillard-Fabre
Michèle X, prévenue, a régulièrement relevé appel le 1er juin 1994 du jugement sus énoncé, rendu contradictoirement le 27 mai 1994 par la 31e chambre du Tribunal correctionnel de Paris
Elle se présente devant la cour, assistée de son conseil, qui dépose des conclusions tendant à l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré Madame X coupable des chefs de publicité pharmaceutique sans visa et d'exercice illégal de la pharmacie ; à la relaxe de la prévenue des fins de la poursuite ; subsidiairement, à une application modérée de la loi pénale et au prononcé d'une dispense de peine ; dans tous les cas, à la dispense d'inscription de la peine au bulletin numéro 2 du casier judiciaire de la prévenue ;
Le Ministère public, appelant incident, requiert la confirmation du jugement entrepris, tant sur la relaxe partielle que sur les condamnations ;
Le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, partie civile intimée, est représenté devant la cour par son conseil, qui dépose des conclusions tendant à :
- La confirmation du jugement entrepris, en déclarant que Madame X, Président Directeur de la société Y, s'est rendue coupable du délit d'exercice illégal de la pharmacie en effectuant, par des articles publiés dans la revue Télé magazine, incitant à l'acquisition des produits fabriqués et vendus par ladite société, dont elle vantait les vertus thérapeutiques, alors que ces produits sont réservés au monopole pharmaceutique, en raison tant de la législation particulière des plantes médicinales que de leur caractère de médicament par présentation et par fonction ;
- La confirmation du jugement sur les intérêts civils et les sommes allouées au titre des frais irrépétibles
- La publication de l'arrêt à intervenir dans le journal TV Magazine, aux frais de Madame X et la condamnation de celle-ci à payer une somme de 5 000 F HT pour les frais irrépétibles exposés devant la cour en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Sur ce,
Considérant que la prévenue a été poursuivie devant le Tribunal correctionnel de Paris pour avoir, à Paris, courant 1992 :
- Effectué une publicité de nature à induire en erreur sur la qualité du prestataire en se faisant passer pour une journaliste dans une publicité parue dans TV Magazine, alors qu'elle faisait de la publicité pour la vente d'un produit pour la société Y qu'elle représente ;
- Prêté à des produits autres que des médicaments, une action préventive ou curative, sans avoir sollicité l'attribution d'un visa de publicité, en l'espèce "gomme à cellulite" et "gommer les capitons" ;
- Exercé illégalement la profession de pharmacien en prêtant à certains produits des vertus thérapeutiques leur conférant la qualité de médicaments ;
Considérant qu'il résulte des éléments du dossier :
- Que la prévenue tenait une rubrique intitulée "Forme et santé" dans le journal TV Magazine, dont il est ressorti qu'elle s'apparentait plus à une publicité qu'à un article d'information écrit par un journaliste indépendant, alors qu'aucune mention ne faisait état d'un publi-reportage ou d'une publicité, et que Madame X se dit journaliste pigiste ;
- Qu'une consommatrice, Madame Boullenger, a appelé l'attention de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la région Île-de-France sur ladite rubrique, croyant qu'il s'agissait de conseils donnés par une diététicienne, et ayant acheté les produits cités qui, selon elle, ne lui avaient rien apporté ;
- Qu'elle s'est ensuite aperçue que Michèle X était responsable de la société Y et vendait les produits dont elle vantait les mérites dans ses rubriques ;
Considérant que l'enquête effectuée par le service des fraudes et la police a permis d'établir :
- Que l'ensemble des produits présentés étaient commercialisés par la société Y ;
- Que l'adresse et le numéro de téléphone indiqué comme étant ceux de la revue étaient en réalité ceux de la société de Madame X ;
- Que les produits présentés étaient annoncés comme ayant des propriétés thérapeutiques et des actions sur les dérèglements physiologiques, la prévenue affirmant, par exemple, que certains de ces produits traitaient l'angine de poitrine, l'infarctus et l'hyper-tension et qu'une cure de [produit] D restructure le coeur et débouche sur une véritable guérison" ;
- que, par ailleurs, dans le magazine "Voici" du 6 au 12 juillet 1992, avait été diffusée une publicité concernant deux produits commercialisés par Y "A" et "B", qui fait référence à des allégations soumises préalablement à l'obtention d'un visa de publicité, en application de l'article L. 551 du Code de la santé publique, à savoir "gomme à cellulite" et "gommer les capitons" ;
1°) - Sur la publicité de nature à induire en erreur :
Considérant que le tribunal a relaxé Madame X de ce chef de prévention au motif que celle-ci était bien rémunérée en qualité de pigiste, ainsi qu'en attestent ses fiches de paie ;
Considérant que la parution, en 1992, de 9 rubriques "Forme et santé - Les conseils de Madame X" dans la revue TV Magazine sous forme d'information "neutre" sur les moyens de prévenir diverses affections, parfois graves, par des produits à base de plantes tous fabriqués par la société Y, dont la prévenue est le PDG, en donnant comme adresse pour la correspondance non pas celle du magazine ou de la rédactrice, mais celle de Y, était pour le moins contestable de la part d'une "journaliste" ;
Considérant, toutefois, que la qualité de pigiste de la prévenue a été établie ; qu'il est également constant qu'elle a fait paraître des articles dans d'autres revues, de 1988 à 1991, comme " Femme pratique ", " Médecine douce ", " Confidences " ou " Ici Paris " et a été co-auteur d'un livre paru en 1982 ; que le tribunal sera donc confirmé en ce qu'il a estimé que la tromperie sur sa qualité de journaliste n'était pas formellement établie ;
2°) - Sur le défaut de visa :
Considérant que la défense soutient, pour demander la relaxe :
- Que les produits litigieux ("A" en aérosol présenté comme une "gomme à cellulite et pour gommer le capiton" et "B", tisane pour obtenir les mêmes effets) ne doivent pas être confondus avec les produits cosmétiques ou d'hygiène corporelle ;
- Qu'ils ne sont en aucun cas présentés dans les publicités visées comme favorisant le traitement d'une quelconque pathologie ou dérèglement physiologique ;
- Que les termes de "gomme à cellulite" ou "effacer les rondeurs" se réfèrent bien à des critères d'esthétique et en aucun cas à des troubles physiologiques ou physiques liés à une pathologie ou à une affection ;
- Qu'un professeur honoraire, Monsieur Henri Nargeolet, atteste qu'il n'est pas nécessaire de demander un visa pour les deux publicités précitées ;
Considérant que l'article L. 551 du Code de la santé publique soumet à visa préalable : "la publicité ou la propagande, sous quelque forme que ce soit, en faveur des produits autres que les médicaments ... 1 présentés comme favorisant le diagnostic, la prévention ou le traitement des maladies, des affections relevant de la pathologie chirurgicale et des dérèglements physiologiques ..." ;
Considérant que la prévenue soutient à tort que l'utilisation d'expressions comme "gomme à cellulite" et "pour gommer le capiton" ne correspondent pas à cette définition, alors qu'elle donne elle-même, dans un livre qu'elle a signé, intitulé "La Beauté, c'est naturel", la définition suivante de la cellulite : "La cellulite commence par un oedème, suivi de la perte de l'élasticité du tissu conjonctif, finit à un stade avancé par une véritable sclérose tissulaire qui perturbe les systèmes vasculaire et neuro-sensitif", décrivant ainsi une véritable affection physiologique ; que, par ailleurs, le capiton est considéré comme un amas adipeux visible ;
Considérant que ces définitions décrivent bien des dérèglements physiologiques ; que la publicité pour les produits présentés comme devant assurer leur traitement doit donc être soumise au visa préalable, pour permettre à la Commission de contrôle d'évaluer la conformité des assertions soutenues avec les propriétés réelles du produit ; que la prévenue ne peut prétendre que l'emploi des termes "gomme à cellulite" ou "gomme à capitons" ne relève que de l'esthétique ou de l'hygiène corporelle ; qu'en outre, elle n'établit pas que les publicités concurrentes citées n'aient pas fait l'objet d'un visa ; que, si tel avait été le cas, elles seraient d'ailleurs passibles de tomber sous le coup de la loi ; que le tribunal a jugé à bon droit que l'infraction prévue à l'article 2 du décret n° 87-772 du 23 septembre 1987 était constituée pour les produits A et B ;
3°) - Sur l'exercice illégal de la pharmacie
Considérant qu'à l'appui de sa demande de relaxe, la défense soutient :
- Que les produits litigieux ne sont ni des médicaments par présentation ou par destination, ni des médicaments par fonction ;
- Que les articles rédigés par Madame X sont totalement indépendants et distincts des produits qui sont l'objet de ces articles, lesquels ne sont pas des prospectus ou ouvrages accompagnant les produits à la vente ; qu'ils ne sont pas joints aux produits ;
- Que les notions de "médicament" et de "remède" ne doivent pas être confondues, la seconde étant plus large que la première ; qu'en l'occurrence, il s'agissait de remèdes ;
- Qu'il ne peut, non plus, s'agir de médicaments par fonction, car, les produits visés comme tels doivent être destinés à agir sur les fonctions organiques et avoir réellement cette faculté et non pas simplement être présentés comme tels ; qu'à défaut, il s'agit de médicaments par présentation ;
- Que la vente de plantes médicinales inscrites à la pharmacopée, mais dont l'usage est principalement alimentaire, condimentaire ou hygiénique n'entre pas dans le champ de l'exercice illégal de la pharmacie, les produits n'ayant pas été présentés comme permettant de traiter des affections, mais de favoriser un bon fonctionnement de l'organisme ;
- Qu'enfin, il n'y a pas d'élément intentionnel, la prévenue s'étant bornée à vanter les vertus de produits naturels, et d'exercer ainsi en toute bonne foi son métier de journaliste ; que, de plus, elle s'est entourée des conseils d'un consultant, Monsieur Henri Nargeollet, "pour vérifier la conformité des activités commerciales de la société (Y) avec la loi et les règlements, notamment en matière de publicité" ;
Considérant que, pour sa part, le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens prétend :
- Que tous les articles litigieux comportent l'indication d'un ou plusieurs produits spécifiques à base de plantes ou de mélanges de plantes médicinales préconisés avec une posologie précise ;
- Que les plantes de la société Y ne pouvaient être en vente libre et étaient soumises au monopole pharmaceutique, certaines n'étant pas libéralisées et d'autres n'étant pas vendues en l'état mais sous forme de gélules ou de mélange ;
- Qu'elles présentent le caractère de médicament par présentation et par fonction ;
- Que le tribunal a estimé à tort qu'il ne pouvait se prononcer sur la présentation desdits produits parce que les emballages, étiquettes, notices ou prospectus n'étaient pas versés aux débats, l'identification du produit et l'article de presse écrit par Madame X donnant de façon suffisante les caractéristiques du médicament par présentation ;
- Que les produits Y sont essentiellement composés de plantes médicinales, dont l'action thérapeutique est établie pour certaines et qui, pour les autres, peuvent être utilisées en vue de restaurer, modifier ou corriger les fonctions organiques, ce qui constitue la caractéristique du médicament par fonction, sans qu'il soit nécessaire d'en démontrer l'efficacité ;
- Que la prévenue ne saurait contester son rôle actif dans la diffusion et la vente desdits produits et prétendre que ses articles n'avaient aucun lien avec l'activité de la société Y, qui les fabriquait et les vendait par correspondance ; qu'elle ne peut prétendre non plus ignorer la législation applicable, alors qu'elle connaissait parfaitement les plantes médicinales dont elle vantait les effets thérapeutiques et qu'elle a agi dans un but commercial, au mépris de la santé publique ;
Considérant que le contrôleur de la répression des fraudes a constaté dans les rubriques "Forme et santé" de TV Magazine que la prévenue faisait état des propriétés thérapeutiques de divers produits agissant sur des dérèglements physiologiques :
- "mauvaise circulation" : C ;
- "améliore les varices, la couperose, le cholestérol" : D ;
- "protège contre une atteinte cardiaque, traitement de l'angine de poitrine et de l'hypertension" : E ;
- "contre le stress, l'insomnie, la constipation, la spasmophilie" : F ;
- "douleurs articulaires, anti-inflammatoire" : G ;
- "rides et fatigues" - "l'arme universelle" : H ;
Considérant que, comme l'a souligné à bon droit le tribunal, la prévenue, PDG de la société Y, vante dans ses différents articles le pouvoir bénéfique de ses produits pour le traitement de maladies, et non, comme elle le prétend, des "remèdes" par les plantes contre des petits maux quotidiens ; que ces produits répondent bien à la définition du médicament donnée par l'article L. 511 du Code de la santé publique et l'article 1 de la directive 65-656 de l'Union européenne du 26 janvier 1965 ;
"On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l'homme ou à l'animal en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques" ;
Considérant, en outre, que l'article L.512-4 du Code de la santé publique réserve aux pharmacies la vente de plantes médicinales inscrites à la pharmacopée, le décret n° 79-480 du 15 juin 1979 autorisant la vente libre de 34 plantes, à condition qu'elles ne soient pas mélangées et soient vendues en l'état ;
Considérant qu'il ressort des éléments du dossier que les produits commercialisés par la prévenue sont composés pour partie de plantes (prêle, ginseng, fenouil, algue rouge...) et sont vendus sous forme de mélanges ou gélules, en violation des exigences du décret précité, ce que Madame X ne conteste pas ;
Considérant que le médicament par fonction concerne toutes les substances pouvant avoir un effet réel ou supposé sur le fonctionnement de l'organisme, aux termes de la jurisprudence récente tant de la Cour de cassation (Assemblée plénière) que de la Cour de justice des Communautés européennes ; que tel est bien le cas de plusieurs substances vendues par la société Y et vantées par la prévenue dans ces articles ; qu'en particulier l'affirmation aux lecteurs d'une revue de télévision selon laquelle une cure de D "restructure le coeur et débouche sur une véritable guérison" de l'angine de poitrine et de l'hypertension assimile incontestablement ce produit à un médicament capable de modifier, corriger ou restaurer le fonctionnement de l'organisme, sans en préciser les limites et les contre-indications ; que ce produit a fait l'objet d'une demande d'inscription dans la liste des additifs à but nutritionnel, mais ne semble pas avoir bénéficié d'un agrément ; qu'en tout cas, celui-ci n'est pas versé aux débats par la prévenue ; que le fait qu'il soit vendu par d'autres sociétés ne saurait exonérer la prévenue de sa responsabilité ;
Considérant, enfin, que l'examen des emballages des divers produits vendus par la prévenue montre qu'ils entrent aussi dans la définition du médicament par présentation, comme ayant l'apparence implicite d'un médicament " entraînant la conviction d'un consommateur moyennement avisé ", aux termes de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, et ce d'autant plus qu'ils sont présentés avec une posologie ;
Considérant, à titre d'exemple, que l'emballage du [produit] "C" porte les mentions suivantes : "Boire chaque matin, à jeun, une dose pure ou diluée dans un verre d'eau ... La cure de 24 jours peut être prolongée ou répétée. En cas de besoin accru, 2 doses par jour, matin et soir, avant le repas" ; que l'ensemble des produits versés aux débats sont emballés dans des boîtes très semblables à un quelconque médicament, prescrivent une posologie et précisent la composition (mélange de plusieurs substances à base de plantes, présentées sous forme de gélules ou d'ampoules) ;
Considérant que la prévenue ne saurait être suivie dans son argumentation sur l'absence d'intention délictuelle, alors qu'elle se présente comme une spécialiste des plantes médicinales qu'elle affirme connaître parfaitement ; qu'elle n'ignore pas les textes applicables en matière d'exercice illégal de la pharmacie ; qu'elle a agi dans un but commercial, en vantant les vertus thérapeutiques de produits présentés comme susceptibles de guérir de graves maladies comme l'angine de poitrine, alors qu'elle n'a aucun titre pour commercialiser et promouvoir de tels produits et que ses rubriques portaient toujours sur des produits commercialisés par la société Y qu'elle dirige ; que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant qu'il ne serait pas équitable de laisser à la partie civile la totalité des frais irrépétibles exposés devant la cour pour lesquels il lui sera alloué la somme de 3 000 F ; que, par contre, il n'y a pas lieu à publication de la présente décision
Considérant, enfin, qu'il n'y a pas lieu de dispenser la prévenue de l'inscription de la présente condamnation au bulletin n° 2 de son casier judiciaire, la preuve n'étant pas rapportée que ladite inscription lui porte préjudice dans l'exercice de ses activités professionnelles ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Après délibéré, Reçoit les appels de la prévenue et du Ministère public ; Confirme le jugement déféré tant sur la relaxe partielle que sur les autres dispositions pénales et civiles, Y ajoutant, Condamne Michèle X à payer au Conseil national de l'Ordre des pharmaciens la somme de 3 000 F pour les frais irrépétibles exposés devant la cour, par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Rejette toutes autres demandes ou conclusions comme inopérantes ou mal fondées ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable la condamnée.