CA Paris, 5e ch. A, 1 décembre 2004, n° 02-12132
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Parfums Parour (Sté)
Défendeur :
RDW (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Picque, Roche
Avoués :
SCP Grappotte-Benetreau, SCP Narrat-Peytavi
Avocats :
Mes Wigniolle, Bertrand.
Courant 1997, la société de droit belge RDW est entrée en relations commerciales avec la société Parfums Parour dont l'objet était la fabrication et la vente de produits de parfumerie et lui a commandé différents articles et produits qu'elle se réservait de distribuer sur le marché français et européen.
Alors que le chiffre d'affaires des ventes réalisées auprès de la société RDW par la société Parfums Parour s'était élevé pour l'année 1998 à la somme de 469 931 euro, cette dernière informait son partenaire, par courrier du 15 février 1999, de son intention de cesser toutes relations commerciales à compter de ce jour.
Estimant que cette rupture intervenue sans préavis était abusive et méconnaissait les dispositions de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la société RDW a, par acte du 26 octobre 1999, assigné la société Parfums Parour devant le Tribunal de commerce de Paris en réparation des divers préjudices subis de ce chef.
Par jugement du 27 juin 2002 le tribunal saisi a, notamment :
- condamné la société Parfums Parour à payer à la société RDW la somme de 75 157,37 euro à titre de dommages et intérêts,
- condamné la société RDW à payer à la société Parfums Parour la somme de 21 619,68 euro au titre du règlement d'un solde de factures non acquitté et reconventionnellement réclamé par cette dernière,
- compensé les créances entre les parties et condamné la société Parfums Parour à payer à la société RDW la somme de 53 537,68 euro;
Régulièrement appelante la société Parfums Parour a, par conclusions enregistrées le 5 octobre 2004, sollicité de la cour de:
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu,
- déclarer irrecevable comme nouvelles les demandes formées par la société RDW dans ses écritures signifiées le 18 septembre 2003,
Et statuant à nouveau,
- dire et juger que la société RDW a manqué à ses obligations à son endroit,
- dire et juger qu'elle était bien fondée à résilier sans préavis les relations commerciales avec la société RDW,
- dire et juger que cette dernière est redevable du règlement des factures impayées émises au titre de la taxe sur l'alcool,
En conséquence,
- débouter la société RDW de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la société RDW à lui payer la somme de 41 698,61 euro, en règlement du reliquat des factures,
- condamner en outre la société RDW aux dépens et à lui payer la somme de 3 500 euro, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions enregistrées le 20 octobre 2004 la société RDW intimée, a prié la cour de:
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit brutale et abusive la rupture des relations commerciales entre les parties,
- en conséquence,
- condamner la société Parfums Parour à lui payer la somme de 331 262 euro au titre du gain manqué pendant la période de préavis qui aurait dû être respectée,
- condamner la société Parfums Parour à lui payer la somme de 17 422 euro au titre du manque à gagner résultant du refus d'honorer certaines commandes ainsi que celle de 98 495 euro au titre des investissements réalisés par la société et n'ayant pu être amortis du fait du rupture brutale,
- condamner la société Parfums Parour à lui payer la somme de 75 000 euro au titre du préjudice moral subi suite aux courriers adressés à ses clients,
- confirmer qu'elle ne reste devoir au titre de factures non réglées que la somme de 21 619,68 euro,
- débouter la société Parfums Parour de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Parfums Parour aux dépens et à lui payer la somme de 7.500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce
Sur la rupture des relations commerciales contre les sociétés Parfums Parour et RDW.
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce :
- "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure";
Considérant que pour contester l'existence même de la brusque rupture alléguée par la société RDW, la société Parfums Parour soutient que la relation qu'elle entretenait avec cette dernière ne saurait être qualifiée de "relation commerciale établie" au sens de l'article précité en l'absence de tout écrit la formalisant et eu égard tant à la brièveté de celle-ci qu'à la faiblesse du chiffre d'affaires réalisé;
Considérant, toutefois, qu'il sera, tout d'abord, relevé que l'existence de relations commerciales stables entre les parties, laquelle se traduit par un courant d'affaires continu formé par la rencontre à chaque fois d'une offre et d'une acceptation, n'est nullement subordonnée à l'existence d'un écrit préalable en définissant le cadre ; qu'en l'espèce il ressort des pièces produites par la société RDW, et notamment des multiples commandes et factures versées aux débats, que la société Parfums Parour a réalisé dans ses relations avec elle un chiffre d'affaires de 120 018,90 euro en 1997, 469 931,31 euro en 1998 et 51 791,93 euro en 1999 pour une période d'un mois et demi ; qu'au regard de ces chiffres les deux sociétés étaient ainsi, au jour de la rupture, engagées dans un courant d'affaires constant ; qu'au demeurant, en prétendant que les chiffres d'affaires susmentionnés ne correspondraient pas "aux prévisions et objectifs qui avaient été déterminés avec la société RDW, à savoir un chiffre d'affaires annuel de 2 286 735,20 euro" l'appelante révèle, implicitement mais nécessairement, la réalité du partenariat existant entre les intéressées avec les objectifs y afférents ; qu'enfin, par un document sommaire versé aux débats, les parties avaient prévu le principe de la distribution par l'intimée en France et en d'autres pays des produits de l'appelante et, donc, confirmé l'effectivité de leurs relations ;
Considérant, en deuxième lieu, que ni l'article L. 442-6, 5° précité ni l'article 1134 alinéa 3 du Code civil n'exigent que des relations commerciales aient perduré pendant une durée de temps minimale pour que la rupture brutale de celles-ci puisse être sanctionnée; que de telles relations peuvent, en effet, être considérées comme suffisamment établies dès leur origine et la longueur de celles-ci est - en tant que telle - sans effet sur la caractérisation de la brutalité de la rupture; qu'en l'occurrence les relations entre les parties au litige ont duré près de 17 mois et revêtaient une importance substantielle ainsi que le révèle le montant des chiffres d'affaires susmentionnés ; que la société Parfums Parour ne saurait donc, sauf à ajouter à la législation applicable, solliciter que soient écartés les articles susvisés au seul motif d'une prétendue brièveté des rapports entretenus avec l'intimée ;
Considérant, en troisième lieu, que si l'appelante soutient, cependant, que lesdits chiffres d'affaires exclueraient également la mise en œuvre de l'article L. 442-6, 5° "celui-ci ne devant s'appliquer qu'aux relations entre sociétés dont le chiffre d'affaires laisse augurer une progression", il sera souligné que ledit article ne prévoit nullement une telle condition et qu'en tout état de cause aucune diminution significative du chiffre d'affaires mensuel moyen afférent aux années 1997 et 1999 ne ressort de l'examen des pièces du dossier ; qu'au demeurant l'exigence avancée par l'appelante d'une nécessaire et constante progression des résultats commerciaux générés méconnaîtrait directement tant les dispositions de l'article dont il est excipé que la réalité économique elle-même ;
Considérant en quatrième lieu que l'appelante prétend à titre subsidiaire que la rupture qui lui est reprochée serait, en tout état de cause, justifiée par la non-réalisation par la société RDW des objectifs commerciaux prévus ainsi que par la violation par l'intéressée de son engagement de ne pas vendre les produits "Parour" sur le territoire français ; que, toutefois, la société Parfums Parour, au-delà d'affirmations non corroborées, ne produit aucun élément susceptible de démontrer que l'obtention d'objectifs déterminés aurait pu conditionner de quelque manière que ce soit la poursuite des relations avec l'intéressée ; que par ailleurs, l'appelante a toujours été informée de la destination des produits commandés et de leur commercialisation sur le territoire français ainsi que le révèle le document sommaire susmentionné établi par les parties, lequel prévoyait expressément la distribution des produits concernés dans différents pays dont la France, et, plus généralement, l'ensemble des commandes et factures mentionnant, toutes, l'adresse de leurs destinataires;
Considérant, dans ces conditions, qu'en décidant unilatéralement et sans préavis de rompre ses relations avec la société RDW la société Parfums Parour a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article précité et s'est, dès lors, obligée à réparer le préjudice causé à son partenaire de ce chef;
Sur le préjudice subi par la société RDW
Sur la recevabilité des demandes indemnitaires présentées
Considérant que si, se fondant sur les dispositions de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile aux termes duquel "les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions" la société Parfums Parour excipe de l'irrecevabilité des demandes indemnitaires présentées en cause d'appel par la société RDW dont les montants sont supérieurs à celles formées en première instance et qui correspondent, au surplus, à de nouveaux chefs de préjudice, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 565 du même code "les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent" ; que, par ailleurs, aux termes de l'article 566 du dit code "Les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément" ; qu'en l'espèce, les demandes formées par la société RDW tant en première instance qu'en appel ne visent qu'à obtenir réparation du préjudice résultant de la rupture des relations commerciales l'ayant liée à l'appelante et tendent ainsi aux mêmes fins ; que si en cause d'appel l'intimée a explicité et développé ses prétentions originaires, ses demandes actuelles ne sont nullement nouvelles mais accessoires et complémentaires à celles déjà présentées ; qu'ainsi l'exception d'irrecevabilité formée par l'appelante ne peut qu'être rejetée;
Sur les montants sollicités
Considérant qu'eu égard à la durée des relations ayant existé entre les parties, à l'importance de la contribution apportée par la société RDW au développement des parts de marché de l'appelante sur le territoire français et, surtout, aux conséquences économiques et financières pour l'intéressée de la perte soudaine de la distribution des produits Parour et, par là même, du bénéfice des efforts et investissements consentis à cette fin, les premiers juges ont procédé à une juste appréciation du préjudice subi par l'intimée du fait de l'absence de tout préavis à la résiliation litigieuse en l'évaluant à trois mois de commissions, soit à la somme, non contestée entant que telle, de 75 157,37 euro ; qu'en revanche, la société RDW ne saurait également solliciter la réparation de la perte de commandes en cours, celle-ci étant déjà nécessairement prise en compte dans l'indemnisation ci-dessus accordée, ni celle des investissements promotionnels engagés, lesquels sont inhérents à son activité de commercialisation de produits en vue de leur revente et ne sauraient donc faire l'objet d'une prise en compte spécifique; qu'enfin, l'intimée ne justifie pas de la réalité de l'atteinte à son image de marque que lui auraient causé tant la soudaine rupture de ses relations avec l'appelante que les courriers que cette dernière aurait adressés à ses clients ; que, bien au contraire, celle-ci produit un courrier du 9 mars 1999 par lequel elle assurait la société RDW de son souci de ne pas ternir son image dans son milieu professionnel ;
Sur le solde de factures réclamé par la société Parfums Parour
Considérant que si la société appelante sollicite le paiement par la société RDW de la somme de 41 698,61 euro, laquelle correspondrait au montant de factures de ses produits restées impayées, elle ne justifie pas, par les pièces produites, de l'existence d'une créance certaine supérieure à celle de 21 619,68 euro que l'intimée reconnaît expressément lui devoir et que celle-ci sera, dès lors, condamnée à lui payer;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions le jugement condamnant, après compensation entre les sommes mises à la charge de chacune des parties, la société Parfums Parour à payer à la société RDW la somme de 53 537,68 euro et de débouter les intéressées du surplus de leurs conclusions respectives;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Parfums Parour à payer à la société RDW la somme de 5 000 euro au titre des frais hors dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels, principal et incident, jugés réguliers en la forme, Au fond, les rejetant, confirme le jugement, Déboute les parties du surplus de leurs conclusions respectives, Condamne la société Parfums Parour aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Narrat-Peytavi, avoué, La condamne aussi à verser à l'intimée la somme de 5 000 euro au titre des frais hors dépens.