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Décisions

CJCE, 7 mai 1991, n° C-340/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vlassopoulou

Défendeur :

Ministerium für Justiz, Bundes- und Europaangelegenheiten Baden-Württemberg

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Avocat général :

M. Van Gerven

Juges :

MM. Sir Gordon Slynn, Kakouris, Joliet, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn

Avocat :

Me Vlassopoulou

CJCE n° C-340/89

7 mai 1991

LA COUR,

1 Par ordonnance du 18 septembre 1989, parvenue à la Cour le 3 novembre suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 52 du traité CEE.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige qui oppose Mme Vlassopoulou, avocat de nationalité hellénique inscrit au barreau d'Athènes, au Ministerium fuer Justiz, Bundes - und Europaangelegenheiten Baden-Wuerttemberg (ministère de la Justice, des Affaires fédérales et européennes de Bade-Wurtemberg, ci-après "ministère ") qui a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exercer la profession de Rechtsanwalt (avocat) auprès de l'Amstgericht Mannheim, ainsi que des Landgerichten Mannheim und Heidelberg.

3 Outre ses diplômes helléniques, Mme Vlassopoulou détient un doctorat en droit de l'université de Tuebingen (Allemagne). Depuis juillet 1983, elle a travaillé dans une étude d'avocats allemands à Mannheim et a, en novembre 1984, été autorisée à traiter des affaires juridiques d'autrui relevant du droit hellénique et du droit communautaire, conformément au Rechtsberatungsgesetz (loi relative au conseil juridique, 1939, BGBl. III, p. 303). En ce qui concerne le droit allemand, Mme Vlassopoulou pratique sous la responsabilité d'un de ses confrères allemands du cabinet.

4 Le 13 mai 1988, Mme Vlassopoulou a déposé sa demande d'admission au barreau auprès du ministère. La décision litigieuse a été prise par le ministère au motif que Mme Vlassopoulou ne remplissait pas les conditions d'aptitude à exercer des fonctions judiciaires, nécessaires pour accéder à la profession d'avocat. Ces conditions sont prescrites par l'article 4 du Bundesrechtsanwaltordnung (règlement fédéral sur la profession d'avocat, 1959, BGBl. I, p. 565, ci-après "BRAO "). En substance, cette aptitude est réputée acquise par des études de droit auprès d'une université allemande, par la réussite du premier examen d'État et par un stage préparatoire sanctionné par un second examen d'État. Le ministère a d'ailleurs précisé que l'article 52 du traité CEE ne conférait pas le droit à l'intéressée d'exercer sa profession en République fédérale d'Allemagne sur la base de sa qualification professionnelle acquise en Grèce.

5 Le recours formé par Mme Vlassopoulou contre ce refus a été rejeté par l'Ehrengerichtshof (Conseil de l'ordre des avocats). L'intéressée s'est ensuite pourvue contre cette décision de rejet devant le Bundesgerichtshof qui, considérant que le litige soulevait une question relative à l'interprétation de l'article 52 du traité, a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante :

"Est-il contraire à la liberté d'établissement prévue à l'article 52 du traité CEE qu'un ressortissant de la Communauté, qui est déjà admis à exercer et exerce dans son pays d'origine la profession d'avocat (Rechtsanwalt) et qui est admis à exercer les fonctions de conseil juridique (Rechtsbeistand) depuis cinq ans dans le pays d'établissement, où il travaille également dans un cabinet d'avocats qui y est installé, ne puisse être admis au barreau dans le pays d'établissement qu'en application des dispositions légales de ce dernier?"

6 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

7 Il convient de rappeler que, aux termes de l'article 52, deuxième alinéa, du traité, "la liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice... dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants...".

8 Selon les gouvernements italien et allemand, il ressort de cette disposition que, en l'absence tant de règles communautaires visant la coordination des conditions d'accès aux activités non-salariées d'avocat et l'exercice de celles-ci que de directives tendant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, un État membre est en droit de faire dépendre l'inscription au barreau de la réalisation de conditions non discriminatoires édictées par le droit national.

9 A cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que, en l'absence d'harmonisation des conditions d'accès à une profession, les États membres sont en droit de définir les connaissances et qualifications nécessaires à l'exercice de cette profession et d'exiger la production d'un diplôme, attestant la possession de ces connaissances et qualifications (voir arrêt du 15 octobre 1987, Unectef, point 10, 222-86, Rec. p. 4097).

10 Il est constant qu'aucune mesure n'a encore été arrêtée au titre de l'article 57, paragraphe 2, du traité concernant l'harmonisation des conditions d'accès aux activités d'avocat.

11 En outre, lors de l'introduction de la demande de Mme Vlassopoulou, le 13 mai 1988, aucune directive en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes donnant accès à la profession d'avocat n'avait été arrêtée en vertu de l'article 57, paragraphe 1, du traité.

12 La directive 89-48-CEE relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16), arrêtée par le Conseil le 21 décembre 1988 et que les États membres sont tenus de mettre en œuvre avant le 4 janvier 1991, ne s'applique pas aux faits en cause.

13 Il convient toutefois de rappeler, en second lieu, que, en fixant à la fin de la période de transition la réalisation de la liberté d'établissement, l'article 52 du traité prescrit une obligation de résultat précise dont l'exécution devait être facilitée mais non conditionnée par la mise en œuvre d'un programme de mesures progressives (voir arrêt du 28 juin 1977, Patrick, point 10, 11-77, Rec. p. 1199).

14 Il découle d'ailleurs de l'arrêt du 28 avril 1977, Thieffry, point 16 (71-76, Rec. p. 765), que, dans la mesure où le droit communautaire n'en a pas lui-même disposé, les objectifs du traité, et notamment la liberté d'établissement, peuvent se trouver réalisés par des mesures édictées par les États membres qui, aux termes de l'article 5 du traité, sont tenus de prendre "toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté" et de s'abstenir de "toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité ".

15 A cet égard, il convient de constater que des conditions nationales de qualification, même appliquées sans discrimination tenant à la nationalité, peuvent avoir pour effet d'entraver l'exercice, par les ressortissants des autres États membres, du droit d'établissement qui leur est garanti par l'article 52 du traité. Tel pourrait être le cas si les règles nationales en question faisaient abstraction des connaissances et qualifications déjà acquises par l'intéressé dans un autre État membre.

16 Il s'ensuit qu'il incombe à un État membre, saisi d'une demande d'autorisation d'exercer une profession dont l'accès est, selon la législation nationale, subordonné à la possession d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle, de prendre en considération les diplômes, certificats et autres titres que l'intéressé a acquis dans le but d'exercer cette même profession dans un autre État membre en procédant à une comparaison entre les compétences attestées par ces diplômes et les connaissances et qualifications exigées par les règles nationales.

17 Cette procédure d'examen doit permettre aux autorités de l'État membre d'accueil de s'assurer objectivement que le diplôme étranger atteste, dans le chef de son titulaire, de connaissances et qualifications sinon identiques, du moins équivalentes à celles attestées par le diplôme national. Cette appréciation de l'équivalence du diplôme étranger doit être faite exclusivement en tenant compte du degré des connaissances et qualifications que ce diplôme permet, compte tenu de la nature et de la durée des études et formations pratiques qui s'y rapportent, de présumer dans le chef du titulaire (voir arrêt du 15 octobre 1987, 222-86, précité, point 13).

18 Dans le cadre de cet examen, un État membre peut, toutefois, prendre en considération des différences objectives relatives tant au cadre juridique de la profession en question dans l'État membre de provenance qu'à son champ d'activité. Dans le cas de la profession d'avocat, un État membre est donc fondé à procéder à un examen comparatif des diplômes en tenant compte des différences relevées entre les ordres juridiques nationaux concernés.

19 Si cet examen comparatif des diplômes aboutit à la constatation que les connaissances et qualifications attestées par le diplôme étranger correspondent à celles exigées par les dispositions nationales, l'État membre est tenu d'admettre que ce diplôme remplit les conditions posées par celles-ci. Si, par contre, la comparaison ne révèle qu'une correspondance partielle entre ces connaissances et qualifications, l'État membre d'accueil est en droit d'exiger que l'intéressé démontre qu'il a acquis les connaissances et qualifications manquantes.

20 A cet égard, il incombe aux autorités nationales compétentes d'apprécier si les connaissances acquises dans l'État membre d'accueil, dans le cadre soit d'un cycle d'études, soit d'une expérience pratique, peuvent valoir aux fins d'établir la possession des connaissances manquantes.

21 Si la réglementation de l'État membre d'accueil exige l'accomplissement d'un stage professionnel ou une pratique professionnelle, il incombe à ces mêmes autorités nationales de juger si une expérience professionnelle, acquise soit dans l'État membre de provenance, soit dans l'État membre d'accueil, peut être considérée comme satisfaisant, en tout ou partie, cette exigence.

22 Il y a lieu de souligner, enfin, que l'examen de la correspondance entre les connaissances et qualifications attestées par le diplôme étranger et celles requises par la législation de l'État membre d'accueil doit être effectué par les autorités nationales selon une procédure qui soit conforme aux exigences de droit communautaire, concernant la protection effective des droits fondamentaux conférés par le traité aux ressortissants communautaires. Il s'ensuit que toute décision doit être susceptible d'un recours de nature juridictionnelle permettant de vérifier sa légalité par rapport au droit communautaire et que l'intéressé doit pouvoir obtenir connaissance des motifs de la décision prise à son égard (voir arrêt du 15 octobre 1987, 222-86, précité, point 17).

23 En conséquence, il y a lieu de répondre à la question posée par le Bundesgerichtshof que l'article 52 du traité CEE doit être interprété en ce sens que les autorités nationales d'un État membre, saisies d'une demande d'autorisation d'exercer la profession d'avocat, introduite par un ressortissant communautaire qui est déjà admis à exercer cette même profession dans son pays d'origine et qui exerce des fonctions de conseil juridique dans cet État membre, sont tenues d'examiner dans quelle mesure les connaissances et qualifications attestées par le diplôme acquis par l'intéressé dans son pays d'origine correspondent à celles exigées par la réglementation de l'État d'accueil; dans le cas où la correspondance entre ces diplômes n'est que partielle, les autorités nationales en question sont en droit d'exiger que l'intéressé établisse qu'il a acquis les connaissances et qualifications manquantes.

Sur les dépens :

24 Les frais exposés par les Gouvernements de la République fédérale d'Allemagne et de la République italienne ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent pas faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle posée par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 18 septembre 1989, dit pour droit :

L'article 52 du traité CEE doit être interprété en ce sens que les autorités nationales d'un État membre, saisies d'une demande d'autorisation d'exercer la profession d'avocat, introduite par un ressortissant communautaire qui est déjà admis à exercer cette même profession dans son pays d'origine et qui exerce des fonctions de conseil juridique dans cet État membre, sont tenues d'examiner dans quelle mesure les connaissances et qualifications attestées par le diplôme acquis par l'intéressé dans son pays d'origine correspondent à celles exigées par la réglementation de l'État d'accueil; dans le cas où la correspondance entre ces diplômes n'est que partielle, les autorités nationales en question sont en droit d'exiger que l'intéressé établisse qu'il a acquis les connaissances et qualifications manquantes.