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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 22 septembre 2000, n° 1998-06725

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MFD (Sté), Monnet (ès-qual.)

Défendeur :

Cornet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Briottet

Conseillers :

Mmes Deurbergue, Bernard, Avoués : Me Baufume, SCP Monin

Avocats :

Mes Tombarel, Perrin

TGI Paris, 1re ch., 1re sect., du 27 oct…

27 octobre 1997

Par jugement rendu le 27 octobre 1997, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné la SA Maison Française de Distribution "MFD" à payer à Madame Brigitte Cornet la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

La Société MFD a relevé appel. - Dans ses conclusions signifiées en son nom et en celui de Monsieur Jean-Michel Monnet son liquidateur amiable, la SA MFD admet que l'action dirigée à son encontre par Madame Cornet soit fondée sur la responsabilité délictuelle qu'elle aurait engagée en faisant croire à la promesse d'un gain illusoire grâce à deux opérations promotionnelles intitulées Grand Jeu MFD et tirage d'avril 1996 et organisées au cours du premier semestre 1996. - En revanche, l'appelante soutient que Madame Cornet ne démontre pas qu'elle ait commis une faute ni n'apporte la preuve d'un quelconque préjudice. - Pour elle, les documents adressés aux consommateurs et concernant "le Grand Jeu MFD", loterie avec pré-tirage, sont clairement rédigés. - Il s'en déduit de façon incontestable qu'elle n'a jamais prétendu que Madame Cornet était gagnante d'une somme de 35 000 F et qu'elle ne s'est donc pas engagée à remettre cette somme ; - Quant au jeu "Tirage d'avril 1996" organisé parallèlement au "Grand Jeu MFD", la SA MFD affirme que la seule lecture du bon de participation fait apparaître qu'il y a deux jeux puisqu'il y a deux bons et relève qu'en outre le document concernant le tirage d'avril 1996 indiquait "deux chances de gagner" de façon à attirer encore l'attention sur l'existence de deux jeux parallèles. - Elle conteste toute confusion volontairement entretenue entre ces deux jeux. - Elle rappelle que bien qu'elle n'y soit pas obligée légalement, elle a choisi d'informer totalement le consommateur en lui adressant les règlements, et que rien n interdisait de faire figurer un règlement à l'intérieur de l'enveloppe, le consommateur en étant avisé dans la correspondance. - Enfin, la SA MFD souligne qu'à aucun moment il n'est précisé que Madame Cornet a gagné le prix du Tirage d'avril 1996 dont le gagnant devait être tiré au sort par un huissier de justice. - Elle conclut au débouté des demandes présentées par Madame Cornet d'autant que cette dernière n'apporterait aucun élément permettant d'établir l'existence d'un préjudice. - Elle requiert en tout état de cause 5 000 F de frais irrépétibles.

Madame Cornet réplique pour l'essentiel qu'elle a été destinataire en mai 1996 d'un courrier de la SA MFD non daté, sur deux pages recto-verso portant l'avertissement suivant sur sa première page "Bravo, Madame Cornet, vous avez gagné le plus gros chèque au "Grand Jeu MFD" ! ". - Elle indique qu'elle n'a découvert l'existence de deux jeux parallèles dans le courrier litigieux et n'a été informée qu'elle aurait gagné 5 F au "Grand Jeu MFD" que par les écritures de la SA MFD devant le Tribunal. - Madame Cornet fait valoir, en effet, que le document litigieux ne permettait pas au lecteur moyennement intelligent et attentif de découvrir l'existence de ces deux jeux, de les distinguer et d'en appréhender les règles propres à chacun d'eux. - Elle assure que la rédaction et la présentation de ce document témoignent de la volonté de la SA MFD de confondre et tromper son destinataire. - L'intimée précise que quant à elle, elle était convaincue d'avoir gagné le chèque de 35 000 F stipulé comme étant le plus gros lot dans le règlement figurant au dos de la première page. - Madame Cornet prétend que la confusion s'est poursuivie au- delà du document litigieux puisque lorsqu'elle a réclamé son prix, la SA MFD lui répondra par lettre du 9 juillet 1996, en invoquant le seul "tirage d'avril 1996" auquel "il s'avère que vous n'êtes pas gagnante du prix mis enjeu". - L'intimée sollicite, en conséquence, la confirmation du jugement dont elle adopte pour le surplus la motivation quant au principe de la condamnation de la SA MFD en application de l'article 1382 du Code Civil. - Elle est, toutefois, appelante incidente pour réclamer que les dommages-intérêts qui lui ont été alloués en réparation de son préjudice moral et matériel, soient fixés à la somme de 35 000 F, soit à hauteur du "plus gros chèque possible" qu'elle avait été assurée d'avoir gagné. - Elle demande en outre 6 000 F de frais irrépétibles.

Sur quoi,

Considérant que c'est par des motifs pertinents que la Cour adopte que le Tribunal a exactement décrit les documents adressés par la SA MFD à Madame Cornet en mai 1996 et analysé les artifices employés dans la rédaction et la présentation du courrier sur 2 pages recto et verso (soit 4 pages) par la SA MFD pour persuader la destinataire que son numéro tiré au sort lui avait permis de se voir attribuer le premier prix du "Grand Jeu MFD" tirage d'avril 1996 d'une valeur de 35 000 F ;

Considérant que seule en effet une lecture particulièrement minutieuse et attentive que le consommateur moyen n'a pas vocation ni pour habitude de faire, surtout quand il lui est annoncé personnellement en première page d'une lettre qu'il est gagnant du plus gros lot, permettait, comme le Tribunal l'a relevé, de déceler l'existence de deux jeux et la soumission du gain à une division entre divers attributaires pour "le Grand Prix MFD" et à un pré-tirage au sort pour le "tirage d'avril 1996";

Considérant qu'il est amplement établi ainsi, que la SA MFD organisateur de ces loteries a voulu tromper Madame Cornet en lui adressant un document qui l'a particulièrement prédisposée à croire à la réalité d'un gain qui n'était pour chaque jeu qu'hypothétique et qui ne pouvait qu'induire en erreur une personne de bonne foi, peu important qu'elle soit ou non moyennement intelligente et attentive ;

Considérant que Madame Cornet a subi un préjudice moral certain, constitué par la personnalisation du document envoyé et la vaine croyance dans l'acquisition d'une somme importante; - qu'il est constant que la déception du consommateur qui espérait un gain est d'autant plus grande que la tromperie dont il a été victime émane d'une grande entreprise à laquelle des milliers de consommateurs faisaient confiance; - qu'il sera fait droit à l'entière demande de dommages-intérêts de Madame Cornet calculée à hauteur du montant du gain qu'elle espérait de bonne foi, soit 35 000 F ; - que le jugement entrepris sera réformé de ce seul chef ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer au surplus la somme supplémentaire de 5 000 F à Madame Cornet en application de l'article 700 du NCPC en cause d'appel ;

Par ces motifs: Contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions non contraires au présent arrêt; L'émendant de ce seul chef et statuant à nouveau: Condamne la SA Maison Française de Distribution "MFD" et Monsieur Jean-Michel Monnet ès qualités de liquidateur amiable de la SA Maison Française de Distribution à payer à Madame Brigitte Cornet la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts ; Y ajoutant, Condamne la SA Maison Française de Distribution et Monsieur Monnet ès qualités à payer à Madame Cornet la somme supplémentaire de 5 000 F en application de l'article 700 du NCPC en cause d'appel; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires; Condamne la SA Maison Française de Distribution et Monsieur Monnet ès qualités aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Admet Maître Baufume, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.