CJCE, président, 25 juillet 1991, n° C-221/89
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
The Queen
Défendeur :
Secretary of State for Transport, ex parte Factortame Ltd
LA COUR,
1 Par ordonnance du 10 mars 1989, parvenue à la Cour le 17 juillet suivant, la High Court d'Angleterre et du pays de Galles a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, quatre questions préjudicielles sur l'interprétation des dispositions du droit communautaire relatives notamment au droit d'établissement et des principes de proportionnalité et de non-discrimination en raison de la nationalité, en vue de décider de la compatibilité avec ce droit de la législation nationale relative aux conditions exigées pour l'enregistrement des bateaux de pêche.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant au Secretary of State for Transport (ci-après "ministre des Transports ") la société Factortame Ltd et d'autres sociétés régies par le droit du Royaume-Uni, ainsi que les administrateurs et les actionnaires de ces sociétés dont la plupart sont des ressortissants espagnols (ci-après "demandeurs au principal ").
3 Il ressort du dossier que les demandeurs au principal sont propriétaires ou exploitants de 95 bateaux de pêche qui étaient inscrits au registre des bateaux britanniques au titre du Merchant Shipping Act 1894 (loi sur la navigation marchande de 1894). Cinquante-trois de ces navires étaient à l'origine immatriculés en Espagne et battaient pavillon espagnol, mais ils ont été immatriculés dans le registre britannique à des dates diverses à compter de 1980. Les 42 navires restants ont toujours été enregistrés au Royaume-Uni, mais ils ont été achetés par les sociétés à des dates diverses, principalement depuis 1983.
4 Le régime légal concernant l'immatriculation des bateaux de pêche britanniques a été radicalement modifié par la partie II du Merchant Shipping Act 1988 (loi sur la navigation marchande de 1988, ci-après "loi de 1988 "), et les Merchant Shipping (Registration of Fishing Vessels) Regulations 1988 (règlements de 1988 relatifs à l'immatriculation des bateaux de pêche, ci-après "règlements de 1988"; S.I 1988, n° 1926). Il est constant que le Royaume-Uni a procédé à cette modification afin de mettre un terme à la pratique dite du "quota hopping", à savoir la pratique qui, selon le gouvernement du Royaume-Uni, consiste dans le "pillage" des quotas de pêche attribués au Royaume-Uni par des navires battant pavillon britannique mais qui ne sont pas authentiquement britanniques.
5 La loi de 1988 a prévu l'établissement d'un nouveau registre dans lequel doivent désormais être immatriculés tous les bateaux de pêche britanniques, y compris ceux qui étaient déjà immatriculés dans l'ancien registre général au titre de la loi sur la navigation marchande de 1894. Néanmoins, seuls les bateaux de pêche répondant aux conditions énoncées à l'article 14 de la loi de 1988 peuvent être immatriculés dans le nouveau registre.
6 Cet article dispose, en son paragraphe 1, que, sauf dérogation décidée par le ministre des Transports, un navire de pêche ne peut être inscrit dans le nouveau registre que :
c) si l'affréteur, l'armateur exploitant ou l'exploitant du navire est une personne ou société qualifiée ".
b) s'il est exploité à partir du Royaume-Uni et que son utilisation est dirigée et contrôlée à partir du Royaume-Uni, et
c) si l'affréteur, l'armateur exploitant ou l'exploitant du navire est une personne ou société qualifiée ".
Selon le paragraphe 2 du même article, un navire de pêche est réputé appartenir à un propriétaire britannique si la propriété nominale (legal ownership) est en totalité détenue par une ou plusieurs personnes ou sociétés qualifiées et si la propriété effective (beneficial ownership) du navire appartient à une ou plusieurs sociétés qualifiées ou à 75 % au moins à une ou plusieurs personnes qualifiées; le paragraphe 7 de la même disposition précise que, par "personne qualifiée", il faut entendre une personne qui est citoyen britannique, résidant et domicilié au Royaume-Uni, et par "société qualifiée", une société constituée au Royaume-Uni et y ayant son centre d'activités (principal place of business), dont 75 % au moins du capital social est détenu par une ou plusieurs personnes ou sociétés qualifiées et dont 75 % au moins des administrateurs sont des personnes qualifiées.
7 Enfin, l'article 14, paragraphe 4, permet au ministre des Transports de déroger à la condition de la nationalité en faveur d'un particulier, en tenant compte de la durée de la période pendant laquelle ce dernier a résidé au Royaume-Uni et participé aux activités de pêche dans ce pays.
8 La loi et les règlements de 1988 sont entrés en vigueur le 1er décembre 1988. Toutefois, en vertu de l'article 13 de la loi, la validité des immatriculations effectuées sous l'empire du régime antérieur a été prorogée, à titre transitoire, jusqu'au 31 mars 1989.
9 Lors de l'ouverture de la procédure qui a donné lieu au litige au principal, les 95 bateaux de pêche des demandeurs au principal ne répondaient pas à l'une au moins des conditions d'immatriculation prévues par l'article 14 de la loi de 1988 et ne pouvaient donc pas être immatriculés dans le nouveau registre.
10 Étant donné que ces bateaux allaient être privés du droit de pêcher à partir du 1er avril 1989, les demandeurs au principal ont contesté, par une demande d'examen judiciaire qu'ils ont introduite le 16 décembre 1988 devant la High Court, Queen's Bench Division, la compatibilité de la partie II de la loi de 1988 avec le droit communautaire.
11 C'est en vue de résoudre ce litige que la High Court a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"Question 1
Le droit communautaire a-t-il une incidence sur les conditions fixées par un État membre dans les dispositions qu'il arrête afin de déterminer quels sont ceux des bateaux qui peuvent légitimement être immatriculés dans cet État, battre son pavillon et en avoir la nationalité?
Question 2
15 Le 1er janvier 1986, l'Espagne est devenue membre de la Communauté. Pour la pêche, les articles 156 à 164 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO L 302 du 15.11.1985) instaurent, pour la période allant jusqu'au 31 décembre 2002, un régime transitoire, qui limite le nombre des navires de pêche battant pavillon espagnol pouvant exercer leurs activités dans les eaux relevant de la juridiction des États membres de l'ancienne Communauté à 300 navires figurant sur une liste nominative, dont seuls 150 sont autorisés à exercer leur activité simultanément.
a) soit la propriété exclusive de ressortissants de cet État membre, qui y résident et y sont domiciliés, ou appartienne à une société dont 75 % au moins du capital ont pour propriétaires, en tant que 'legal owners'et 'beneficial owners'des ressortissants de cet État, y ayant leur résidence et leur domicile, et dont au moins 75 % des administrateurs sont ressortissants de cet État, y résident et y ont leur domicile (ci-après 'société qualifiée'); et que
b) les 'beneficial owners'de ce bateau de pêche soient, à concurrence d'au moins 75 %, des ressortissants de cet État membre, qui y résident et y sont domiciliés, ou, pour la totalité, une ou plusieurs sociétés qualifiées, ou, pour partie, une ou plusieurs sociétés qualifiées, sous réserve que des ressortissants de cet État membre, qui y résident et y sont domiciliés, doivent être titulaires d'au moins 75 % des autres droits sur le bateau; et
c) que le bateau soit exploité et ses opérations dirigées et contrôlées à partir de l'intérieur de cet État membre; et
d) qu'il ait pour affréteur ou exploitant un ressortissant de cet État membre, qui y réside et qui y est domicilié, ou une société qualifiée,
dans des circonstances où aucune exception n'est prévue en faveur de ressortissants d'autres États membres, si ce n'est le pouvoir de l'État membre de déroger à la condition de la nationalité en faveur d'un particulier compte tenu de la durée de la période pendant laquelle il a résidé dans l'État membre et a participé aux activités de l'industrie de la pêche de cet État membre?
Question 3
La réponse à la question 2 est-elle différente lorsqu'il existe des quotas de prises nationaux attribués aux États membres en application de la politique commune en matière de pêche?
Question 4
Les réponses aux questions 2 et 3 sont-elles différentes lorsque la mise en application de la disposition en cause a eu pour objet et pour effet que plusieurs bateaux de pêche qui, immédiatement avant la date de l'entrée en vigueur de cette disposition, étaient dûment immatriculés dans l'État membre en cause et autorisés à pêcher par cet État membre et qui étaient dans une large mesure la propriété effective (beneficial ownership) de ressortissants d'un autre État membre, qui y résidaient et qui y étaient domiciliés, ne réunissaient plus les conditions requises pour battre le pavillon du premier État membre, de sorte qu'ils cessaient de réunir les conditions requises pour pêcher en imputant les prises sur les quotas attribués au premier État membre sous le régime de la politique commune en matière de pêche, à moins que la propriété et la gestion des bateaux ne soient transférées à des ressortissants du premier État membre, qui y résident et qui y sont domiciliés, conformément à ce que prévoit ladite disposition?"
12 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la première question
13 Il y a lieu de relever, en premier lieu, qu'en l'état actuel du droit communautaire la compétence de déterminer les conditions d'immatriculation des bateaux appartient aux États membres. En ce qui concerne en particulier les bateaux de pêche, la Cour, dans l'arrêt du 19 janvier 1988, Pesca Valentia, point 13 (223-86, Rec. p. 83), a dit pour droit que les dispositions du règlement (CEE) n° 101-76 du Conseil, du 19 janvier 1976, portant établissement d'une politique commune des structures dans le secteur de la pêche (JO L 20, p.19) se référaient à des navires de pêche "battant pavillon" d'un des États membres ou y "immatriculés", mais que la définition de ces notions revenait aux législations des États membres.
14 Néanmoins, il convient de rappeler que les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire (voir en dernier lieu arrêts du 7 juin 1988, Grèce/Commission, point 9, 57-86, Rec. p. 2855, et du 21 juin 1988, Commission/Grèce, point 7, 127-87, Rec. p. 3333).
15 Le gouvernement du Royaume-Uni et les gouvernements belge et hellénique font valoir toutefois qu'il en va différemment lorsqu'il s'agit de la compétence que le droit international public reconnaît à chaque État de définir souverainement les conditions auxquelles il accorde son pavillon à un bateau. Ils invoquent à cet égard l'article 5, paragraphe 1, de la convention de Genève du 29 avril 1958 sur la haute mer (Recueil des traités des Nations unies 450, n° 6465), qui est libellé comme suit :
"Chaque État fixe les conditions auxquelles il accorde sa nationalité aux navires ainsi que les conditions d'immatriculation et du droit de battre son pavillon. Les navires possèdent la nationalité de l'État dont ils sont autorisés à battre pavillon. Il doit exister un lien substantiel entre l'État et le navire : l'État doit notamment exercer effectivement sa juridiction et son contrôle, dans les domaines technique, administratif et social, sur les navires battant son pavillon."
16 Cette argumentation ne pourrait avoir de valeur que si les exigences du droit communautaire relatives à l'exercice, par les États membres, de leur compétence retenue en matière d'immatriculation des bateaux se trouvaient en conflit avec les règles du droit international.
17 Par conséquent, il convient de répondre à la première question qu'en l'état actuel du droit communautaire il appartient aux États membres de déterminer, conformément aux règles générales du droit international, les conditions nécessaires pour permettre l'immatriculation d'un bateau dans leurs registres et pour accorder à ce bateau le droit de battre leur pavillon, mais que, dans l'exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter les règles du droit communautaire.
Sur la deuxième question
18 Par cette question, la juridiction nationale demande si les trois conditions, auxquelles la loi de 1988 subordonne l'immatriculation des bateaux de pêche au Royaume-Uni, sont compatibles avec le droit communautaire. Elle doit donc être analysée comme suit :
"1. Le droit communautaire et notamment les principes de la liberté d'établissement, de la non-discrimination en raison de la nationalité et de la proportionnalité doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un État membre exige comme conditions d'immatriculation d'un bateau de pêche dans son registre national que :
a) les propriétaires (legal owners et beneficial owners), les affréteurs et les exploitants du bateau soient des ressortissants de cet État membre ou des sociétés constituées dans cet État et que, dans ce dernier cas, 75 % au moins du capital social d'une telle société soit détenu par des ressortissants de cet État membre ou par des sociétés remplissant les mêmes conditions et que 75 % des administrateurs de cette société soient des ressortissants de cet État membre;
b) ces propriétaires (legal owners et beneficial owners), affréteurs, exploitants, actionnaires et administrateurs, selon le cas, aient leur résidence et domicile dans cet État membre;
c) le bateau soit exploité et son utilisation dirigée et contrôlée à partir du territoire de cet État membre?
2. La réponse à la question figurant sous 1 ci-avant, est-elle différente lorsqu'est prévue la possibilité de déroger, en faveur d'un particulier, à la condition de la nationalité, compte tenu de la durée de la période pendant laquelle il a résidé dans ledit État membre et participé aux activités de l'industrie de la pêche de cet État?"
Quant aux conditions tenant à la nationalité, à la résidence et au domicile ((point 1, sous a) et b) de la deuxième question reformulée))
19 A l'audience de plaidoiries, la Commission a fait valoir que l'immatriculation d'un bateau constituait en elle-même un acte d'établissement au sens des articles 52 et suivants du traité et que, par conséquent, les règles relatives à la liberté d'établissement étaient applicables.
20 Il convient de relever, à cet égard, que la notion d'établissement, au sens des articles 52 et suivants du traité, comporte l'exercice effectif d'une activité économique au moyen d'une installation stable dans un autre État membre pour une durée indéterminée.
21 Par conséquent, l'immatriculation d'un bateau ne comporte pas nécessairement un établissement au sens du traité, notamment lorsque le bateau n'est pas utilisé pour l'exercice d'une activité économique ou lorsque la demande d'immatriculation est effectuée par une personne, ou pour le compte d'une personne, qui n'est pas établie dans l'État concerné et qui ne va pas s'y établir.
22 Toutefois, lorsque le bateau constitue un instrument pour l'exercice d'une activité économique comportant une installation stable dans l'État concerné, son immatriculation ne peut pas être dissociée de l'exercice de la liberté d'établissement.
23 Il s'ensuit que les conditions posées à l'immatriculation des bateaux ne doivent pas faire obstacle à la liberté d'établissement, au sens des articles 52 et suivants du traité.
24 Le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement belge font cependant valoir que l'enregistrement d'un bateau dans un État membre n'est pas un préalable nécessaire à l'établissement dans cet État, parce que les personnes physiques ou les sociétés qui veulent mener, à partir par exemple du Royaume-Uni, des opérations d'exploitation de leurs bateaux, même des bateaux de pêche, dans le cadre d'opérations liées à son territoire, ne sont pas empêchées de le faire; un tel établissement au Royaume-Uni serait possible pour tout navire enregistré dans l'un des autres États membres.
25 Ce point de vue ne saurait être retenu. Selon l'article 52, deuxième alinéa, du traité, la liberté d'établissement comporte, pour les ressortissants d'un État membre, "l'accès aux activités non salariées et leur exercice... dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants...".
26 Le gouvernement du Royaume-Uni et les gouvernements belge, danois et hellénique sont d'avis que le traité ne s'oppose pas à une condition de nationalité du type de celle qui est en cause en l'espèce au principal, parce qu'il ne saurait y avoir de discrimination sur la base de la nationalité que dans l'hypothèse où la législation d'un État membre traiterait différemment les sujets de droit, en raison de leur différence de nationalité. Or, en l'occurrence, il ne s'agirait pas d'un traitement discriminatoire fondé sur la nationalité mais d'une condition d'octroi de la nationalité et, dans ce domaine, les États membres pourraient décider librement à qui ils confèrent leur nationalité et à qui ils la refusent, qu'il s'agisse de personnes physiques ou de navires.
27 A cet égard il y a lieu de relever que la "nationalité" des navires, qui ne sont pas des sujets de droit, est une expression qui désigne une notion différente de la "nationalité" des personnes physiques.
28 L'interdiction de discrimination en raison de la nationalité, énoncée notamment, en ce qui concerne le droit d'établissement, à l'article 52 du traité, vise les différences de traitement entre les personnes physiques ressortissantes des États membres ainsi qu'entre les sociétés assimilées à ces personnes physiques en vertu de l'article 58.
29 Par conséquent, chaque État membre, dans l'exercice de sa compétence aux fins de définir les conditions requises pour accorder sa "nationalité" à un navire, est tenu de respecter l'interdiction de discrimination des ressortissants des États membres en raison de leur nationalité.
30 Il découle de ce qui précède que l'article 52 du traité s'oppose à une condition du type de celle visée en l'espèce au principal exigeant une nationalité déterminée des personnes physiques, propriétaires ou affréteurs d'un bateau et, dans le cas d'une société, des détenteurs du capital social et de ses administrateurs.
31 Il en va de même de l'article 221 du traité qui impose aux États membres l'obligation d'accorder le traitement national en ce qui concerne la participation financière des ressortissants des autres États membres au capital des sociétés, au sens de l'article 58.
32 Quant à la condition selon laquelle les propriétaires, affréteurs et exploitants du navire et, dans le cas d'une société, ses actionnaires et administrateurs, doivent avoir leur résidence et domicile dans l'État d'immatriculation, il convient de constater qu'une telle condition, qui ne trouve pas une justification dans les droits et obligations que crée l'octroi à un navire d'un pavillon national, aboutit à une discrimination sur la base de la nationalité. En effet, les ressortissants de l'État concerné ont dans leur grande majorité leur résidence et domicile dans cet État, et satisfont donc automatiquement à cette condition, alors que les ressortissants des autres États membres devraient, dans la plupart des cas, déplacer leur résidence et domicile dans cet État pour remplir les exigences de sa législation. Il s'ensuit que l'article 52 s'oppose à une telle condition.
33 Il résulte de ce qui précède que les dispositions du droit communautaire et en particulier l'article 52 du traité CEE s'opposent à ce qu'un État membre exige comme conditions d'immatriculation d'un bateau de pêche dans son registre national que : a) les propriétaires (legal owners et beneficial owners), les affréteurs et les exploitants du bateau soient des ressortissants de cet État membre ou des sociétés constituées dans cet État et que, dans ce dernier cas, 75 % au moins du capital social d'une telle société soit détenu par des ressortissants de cet État membre ou par des sociétés remplissant les mêmes conditions et que 75 % des administrateurs de cette société soient des ressortissants de cet État membre; b) ces propriétaires (legal owners et beneficial owners), affréteurs, exploitants, actionnaires et administrateurs, selon le cas, aient leur résidence et domicile dans cet État membre.
Quant à la condition relative au lieu d'exploitation, de direction et de contrôle du bateau ((point 1, sous c), de la deuxième question reformulée)) :
34 A cet égard, il suffit d'observer qu'une condition exigée pour l'immatriculation d'un bateau et selon laquelle celui-ci doit être exploité et ses opérations dirigées et contrôlées à partir de l'intérieur de l'État membre d'immatriculation recouvre en substance la notion même d'établissement au sens des articles 52 et suivants du traité, qui comporte une installation stable. Il s'ensuit que ces articles, qui consacrent précisément la liberté d'établissement, ne sauraient être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une telle condition.
35 Une telle condition ne serait toutefois pas compatible avec lesdites dispositions si elle devait être interprétée de façon à exclure l'immatriculation dans l'hypothèse d'un établissement secondaire, où le centre de direction des opérations du bateau dans l'État d'immatriculation agirait suivant des instructions provenant d'un centre de décisions se trouvant dans l'État membre de l'établissement principal.
36 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la juridiction nationale que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'un État membre exige, comme condition d'immatriculation d'un bateau de pêche dans son registre national, que le bateau en question soit exploité et son utilisation dirigée et contrôlée à partir du territoire de cet État membre.
Quant à la possibilité de déroger à la condition de la nationalité (point 2 de la deuxième question reformulée)
37 Cette partie de la question soulève en substance le problème de savoir si la possibilité pour le ministre compétent d'un État membre de dispenser un particulier de la condition de la nationalité, compte tenu de la durée de la période pendant laquelle il a résidé dans cet État membre et participé aux activités de l'industrie de la pêche de cet État, est de nature à justifier, au regard du droit communautaire, la règle selon laquelle l'immatriculation d'un bateau de pêche est subordonnée à une condition de nationalité et une condition de résidence et de domicile.
38 Il convient de rappeler à cet égard que, selon la jurisprudence constante de la Cour, le seul fait que l'autorité compétente est habilitée à accorder des exemptions ou dérogations ne saurait justifier une mesure nationale contraire au traité, et ceci même si l'habilitation en question est en fait utilisée de façon libérale (voir notamment les arrêts du 24 janvier 1978, Van Tiggele, 82-77, Rec. p. 25, et du 16 décembre 1980, Fietje, 27-80, Rec. p. 3839).
39 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la juridiction nationale que la possibilité pour le ministre compétent d'un État membre de dispenser un particulier de la condition de la nationalité, compte tenu de la durée de la période pendant laquelle il a résidé dans cet État membre et participé aux activités de l'industrie de la pêche de cet État, n'est pas de nature à justifier, au regard du droit communautaire, la règle selon laquelle l'immatriculation d'un bateau de pêche est subordonnée à une condition de nationalité et une condition de résidence et de domicile.
Sur la troisième question
40 Il y a lieu de rappeler d'abord que, dans les arrêts du 14 décembre 1989, Agegate (C-3-87, Rec. p. 4459) et Jaderow (C-216-87, Rec. p. 4509), la Cour a relevé que, dans l'exercice de la compétence qui leur a été attribuée pour définir les modalités d'utilisation de leurs quotas, les États membres pouvaient déterminer ceux des bateaux de leurs flottes de pêche qui seront admis à puiser dans leurs quotas nationaux, à la condition que les critères utilisés soient compatibles avec le droit communautaire. Dans le dernier arrêt, la Cour a notamment dit pour droit qu'un État membre pouvait imposer des conditions visant à assurer que le bateau ait un lien économique réel avec cet État, dans la mesure où ce lien ne concerne que les relations entre les activités de pêche de ce bateau et les populations tributaires de la pêche ainsi que les industries connexes.
41 Il convient de relever ensuite qu'une législation nationale concernant l'immatriculation des bateaux, telle que celle en cause dans le litige au principal, n'a pas pour objet de définir les modalités d'utilisation des quotas. Par conséquent, quels que soient les objectifs poursuivis par le législateur national, une telle législation ne peut pas être justifiée par l'existence d'un régime communautaire de quotas nationaux.
42 Il y a donc lieu de répondre à la troisième question que l'existence du système actuel des quotas nationaux n'est pas de nature à modifier les réponses données à la deuxième question.
Sur la quatrième question
43 Il convient d'observer que cette question est posée dans l'hypothèse où la Cour considère que le droit communautaire ne s'oppose pas à des conditions de nationalité, de résidence et de domicile du type de celles qui font l'objet du litige au principal. Or, comme tel n'est pas le cas, il n'y a pas lieu de statuer sur la quatrième question.
Sur les dépens :
44 Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par les Gouvernements belge, danois, allemand, hellénique, espagnol et irlandais ainsi que par la Commission des Communautés européennes qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par la High Court d'Angleterre et du pays de Galles, par ordonnance du 10 mars 1989, dit pour droit :
1) En l'état actuel du droit communautaire il appartient aux États membres de déterminer, conformément aux règles générales du droit international, les conditions nécessaires pour permettre l'immatriculation d'un bateau dans leurs registres et pour accorder à ce bateau le droit de battre leur pavillon, mais dans l'exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter les règles du droit communautaire.
2) Les dispositions du droit communautaire et en particulier l'article 52 du traité CEE s'opposent à ce qu'un État membre exige comme conditions d'immatriculation d'un bateau de pêche dans son registre national que : a) les propriétaires (legal owners et beneficial owners), les affréteurs et les exploitants du bateau soient des ressortissants de cet État membre ou des sociétés constituées dans cet État et que, dans ce dernier cas, 75 % au moins du capital social d'une telle société soit détenu par des ressortissants de cet État membre ou par des sociétés remplissant les mêmes conditions et que 75 % des administrateurs de cette société soient des ressortissants de cet État membre; b) ces propriétaires (legal owners et beneficial owners), affréteurs, exploitants, actionnaires et administrateurs, selon le cas, aient leur résidence et domicile dans cet État membre.
3) Le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'un État membre exige, comme condition d'immatriculation d'un bateau de pêche dans son registre national, que le bateau en question soit exploité et son utilisation dirigée et contrôlée à partir du territoire de cet État membre.
4) La possibilité pour le ministre compétent d'un État membre de dispenser un particulier de la condition de la nationalité, compte tenu de la durée de la période pendant laquelle il a résidé dans cet État membre et participé aux activités de l'industrie de la pêche de cet État, n'est pas de nature à justifier, au regard du droit communautaire, la règle selon laquelle l'immatriculation d'un bateau de pêche est subordonnée à une condition de nationalité et une condition de résidence et de domicile.
5) L'existence du système actuel des quotas nationaux n'est pas de nature à modifier les réponses données à la deuxième question.