CJCE, 3e ch., 7 juillet 1988, n° 143-87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Stanton, L'Étoile 1905 (SA)
Défendeur :
INASTI
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Moitinho de Almeida
Avocat général :
M. Mancini
Juges :
MM. Everling, Galmot
Avocats :
Mes Bayart, de Dorlodot, Herbert
LA COUR,
1. Par arrêt du 30 avril 1987, parvenu au greffe de la Cour le 11 mai 1987, le Tribunal du travail (treizième chambre) de Bruxelles a posé, en vertu de l'article 177 du traité, deux questions préjudicielles relatives à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services.
2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige qui oppose l'Institut National pour l'Assurance des Travailleurs Indépendants (ci-après "INASTI") à M. Stanton et à la société dont il est administrateur, depuis 1979, au sujet du paiement des cotisations au régime social belge des travailleurs indépendants au titre de cette activité professionnelle.
3. M. Stanton exerce une activité salariée au Royaume-Uni et cotise à ce titre au régime britannique de sécurité sociale des travailleurs salariés. Il demande à être exempté du paiement de la cotisation en question sur le fondement de l'article 12, paragraphe 2, de l'arrêté royal n° 38 organisant le statut social des travailleurs indépendants (Moniteur belge du 29.7.1967). Il résulte de cette disposition que le travailleur indépendant n'est redevable d'aucune cotisation si ses revenus en cette qualité n'atteignent pas un plafond déterminé et si, en dehors de cette activité, il exerce habituellement et en ordre principal une autre activité professionnelle.
4. L'INASTI fait cependant valoir que l'"autre activité professionnelle" mentionnée à l'article 12, paragraphe 2, précité, et telle que précisée par l'article 35 de l'arrêté royal du 19 décembre 1967 (Moniteur belge du 29.12.1967), modifié par l'arrêté royal du 15 juillet 1970, concerne uniquement des fonctions de salarié d'un régime belge de sécurité sociale.
5. Estimant que les thèses ainsi présentées par les parties au litige soulevant un problème d'interprétation du droit communautaire, le Tribunal du travail de Bruxelles a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) Le refus, par un Etat membre, d'exonérer totalement ou partiellement le ressortissant d'un autre Etat membre, prestataire de services dans ce (premier) Etat membre, du paiement dans celui-ci des cotisations de sécurité sociale relatives à son statut de travailleur indépendant du chef de son activité comme tel y exercée à titre subsidiaire, alors qu'il est assujetti à titre principal dans cet autre Etat membre en qualité de travailleur salarié, pour le seul motif que son activité de travailleur salarié, exercée 'habituellement et en ordre principal', l'est hors du territoire de l'Etat membre où la prestation est réalisée, est-il, ou non, compatible avec le prescrit et/ou l'esprit des articles 7, 8, alinéas 1 et 7, 52, 59, alinéa 1, 60, alinéa 3, et 65 du traité de Rome, du 25 mars 1957, instituant la CEE (approuvée par la loi belge du 2 décembre 1957) ?
2) Dans la négative, les dispositions communautaires applicables ne sont-elles pas incompatibles avec les paragraphes 1 et 3 de l'article 35 de l'arrêté royal (belge) du 19 décembre 1967, portant règlement général en exécution de l'arrêté royal n° 38, du 27 juillet 1967, organisant le statut social des travailleurs indépendants, au sens ou ceux-ci ne viseraient, comme 'autre activité professionnelle' - que celle de travailleur indépendant -, qu'une activité exercée de toute manière en Belgique, même dans le cas où ces textes ne l'indiqueraient pas explicitement ?"
6. Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, des dispositions de droit national et de droit communautaire en cause, ainsi que des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
7. Il convient de préciser qu'un régime communautaire des travailleurs indépendants a été mis en place par le règlement n° 1390-81 du Conseil, du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille le règlement n° 1408-71 du Conseil (JO L 143, p. 1). Aux termes de l'article 2 de ce règlement, celui-ci n'ouvre aucun droit pour une période antérieure à la date de son entrée en vigueur. Or, il résulte de son article 4 que ledit règlement n'est entré en vigueur que le 1er juillet 1982, soit à une date postérieure aux périodes concernées par le litige au principal (1979 à 1980). Ce règlement est donc inapplicable à ces litiges, et c'est à juste titre que la question posée se réfère exclusivement à certaines dispositions du traité.
8. Il convient de rappeler, à cet égard, que, en vertu de l'article 7 du traité, est interdite toute discrimination en raison de la nationalité dans le domaine d'application du traité.
9. Il ressort cependant du dossier que la règlementation nationale, qui est à l'origine du litige au principal, est indistinctement applicable à tous les travailleurs indépendants exerçant une activité professionnelle en Belgique et n'opère aucune discrimination en fonction de la nationalité de ces travailleurs. S'il est vrai qu'elle défavorise ceux de ces travailleurs qui occupent à titre principal un emploi salarié dans un autre Etat membre que la Belgique, il n'a été produit devant la Cour aucun élément d'information permettant d'établir que ces travailleurs défavorisés sont exclusivement ou principalement des non-nationaux. Il n'apparaît donc pas que la réglementation nationale en cause puisse être regardée, non plus, comme opérant une discrimination indirecte en raison de la nationalité. Il convient, dans ces conditions, d'écarter du débat l'article 7 du traité.
10. Il y a lieu de rappeler, ensuite, que l'article 52, alinéa 1, du traité prescrit la suppression des restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre et qu'en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour il s'agit d'une norme de droit communautaire directement applicable. Le respect de cette norme s'imposait donc aux Etats membres, même si, en l'absence de réglementation communautaire sur le statut social des travailleurs indépendants, ils demeuraient compétents pour légiférer en la matière.
11. Ainsi que l'a jugé la Cour (voir notamment l'arrêt du 12 juillet 1984, Klopp, 107-83, Rec. p. 2971, et l'arrêt du 28 janvier 1986, Commission/France, 270-83, Rec. p. 285), la liberté d'établissement ne se limite pas au droit de créer un seul établissement à l'intérieur de la Communauté, mais comporte la faculté de créer et de maintenir, dans le respect des règles professionnelles, plus d'un centre d'activité sur le territoire de celle-ci.
12. Ces considérations sont tout aussi valables pour un salarié, établi dans un Etat membre, qui désire accomplir, en outre, un travail indépendant dans un autre Etat membre.
13. L'ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent ainsi à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur l'ensemble du territoire de la Communauté et s'opposent à une réglementation nationale qui pourrait défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent étendre leurs activités hors du territoire d'un seul Etat membre.
14. La réglementation d'un Etat membre qui exonère d'une cotisation au régime des travailleurs indépendants les personnes qui exercent à titre principal une activité salariée dans cet Etat membre, mais refuse cette exonération aux personnes qui exercent à titre principal une activité salariée dans un autre Etat membre, a pour effet de défavoriser l'exercice d'activités professionnelles hors du territoire de cet Etat membre. Les articles 48 et 52 du traité s'opposent donc à une telle réglementation.
15. Il convient enfin de relever que la disposition nationale litigieuse n'offre aucune protection sociale complémentaire aux intéressés, lesquels sont affiliés au régime de sécurité sociale et de pension de l'Etat membre où ils exercent leur activité salariée principale. La gêne apportée à l'exercice d'activités professionnelles hors du territoire d'un seul Etat membre ne peut donc, en tout état de cause, trouver de ce chef aucune justification.
16. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles que les articles 48 et 52 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un Etat membre refuse aux travailleurs indépendants exerçant sur son territoire le bénéfice de l'exemption de cotisation prévue par la réglementation nationale fixant le statut social des travailleurs indépendants, au motif que l'activité salariée susceptible de donner droit à l'exemption est exercée sur le territoire d'un autre Etat membre.
Sur les dépens :
17. Les frais exposés par le Gouvernement belge et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (troisième chambre),
Statuant sur les questions à elle posées par le Tribunal du travail (treizième chambre) de Bruxelles, par arrêt du 30 avril 1987, dit pour droit :
Les articles 48 et 52 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un Etat membre refuse aux travailleurs indépendants exerçant sur son territoire le bénéfice de l'exemption de cotisation prévue par la réglementation nationale fixant le statut social des travailleurs indépendants, au motif que l'activité salariée susceptible de donner droit à l'exemption est exercée sur le territoire d'un autre Etat membre.