CJCE, 1re ch., 12 juin 1980, n° 88-79
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ministère public
Défendeur :
Siegfried Grunert
LA COUR,
1. Par jugement du 22 mars 1979, parvenu à la Cour le 1er juin suivant, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a pose, en application de l'article 177 du traité CEE, deux questions concernant l'interprétation de la directive N 64-54 du conseil du 5 novembre 1963, relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant les agents conservateurs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine (JO N 12 du 27 janvier 1964, p . 161), et de la directive N 70- 357 du conseil du 13 juillet 1970, relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant les substances ayant des effets anti-oxygènes et pouvant être employées dans les denrées destinées à l'alimentation humaine (JO L 157, p . 31).
2. Le tribunal a été saisi d'une poursuite pénale dirigée contre un gérant de société, qui est prévenu d'avoir mis en vente et vendu, connaissant sa destination, un produit propre à effectuer la falsification des denrées servant à l'alimentation de l'homme, en l'espèce un conservateur contenant de l'acide lactique et de l'acide citrique. Le produit en question était utilisé dans la fabrication de charcuterie et il était commercialisé par la société gérée par le prévenu.
3. Le jugement de renvoi constate que la réglementation française applicable interdit l'addition aux denrées alimentaires de toutes substances qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation préalable expresse, que ni l'acide lactique, ni l'acide citrique n'ont fait l'objet d'une telle autorisation, et que leur utilisation est donc interdite aux termes de la réglementation nationale. Toutefois, le tribunal a considéré que la directive N 64-54, ainsi que certaines autres directives, établissent une liste des seuls agents conservateurs autorisés dans les Etats membres pour la protection des denrées destinées à l'alimentation humaine et que cette liste comprend l'acide lactique et l'acide citrique.
4. Par sa première question, le tribunal demande à la Cour de dire si les Etats membres avaient pour obligation d'autoriser dans leurs législations nationales l'ensemble des conservateurs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine et énumérés dans les directives N 64-54 et N 70-357, ou s'ils devaient seulement interdire l'emploi de toutes les substances non comprises dans ces énumérations.
5. L'article 1 de la directive N 64-54 interdit aux Etats membres d'autoriser, pour la protection des denrées destinées à l'alimentation humaine contre les altérations provoquées par des micro-organismes, l'emploi d'agents conservateurs autres que ceux énumérés à son annexe, où figure entre autres l'acide lactique. L'article 2, paragraphe 2, précise que la directive n'affecte pas les dispositions nationales déterminant les denrées alimentaires auxquelles les agents conservateurs énumérés à l'annexe peuvent être ajoutés, mais il spécifie aussi que ces dispositions ne doivent pas avoir pour effet d'exclure totalement l'emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine de l'un des agents conservateurs ainsi énumérés.
6. D'après ses considérants, la directive ne constitue qu'un premier stade du rapprochement des législations nationales dans le domaine des agents conservateurs, stade caractérisé par l'établissement d'une liste unique des agents conservateurs dont l'emploi peut être autorise. Dans un deuxième stade, le rapprochement des législations devra considérer individuellement les denrées destinées à l'alimentation humaine auxquelles les agents conservateurs autorisés par la directive pourront être ajoutés.
7. Il résulte des dispositions de la directive N 70-357, et notamment de ses articles 1 et 9, ainsi que de ses considérants, que le même système a été adopté pour les agents anti-oxygènes. L'acide lactique et l'acide citrique figurent à l'annexe de cette directive.
8. Au stade actuel du rapprochement des législations nationales dans le domaine des agents conservateurs et des agents anti-oxygènes, les Etats membres ne sont donc pas obliges d'autoriser l'emploi dans les denrées alimentaires de toutes les substances considérées comme utilisables par les deux directives . Les Etats membres ont gardé une certaine liberté pour fixer leurs propres règles quant à l'addition des agents conservateurs et anti-oxygènes aux denrées alimentaires, a la double condition qu'aucun agent conservateur ou anti-oxygène ne soit autorise qui ne figure pas à l'une des listes annexées aux directives et que l'emploi d'un agent conservateur ou anti-oxygène qui y figure ne soit pas totalement interdit.
9. Il convient d'observer que les deux directives en question concernent l'emploi d'agents conservateurs ou anti-oxygènes dans les denrées alimentaires ; en ce qui concerne la commercialisation de ces substances, elles comportent seulement l'obligation pour les Etats membres, prévue à l'article 9 de la directive N 64-54 et à l'article 8 de la directive N 70-357, de prendre toutes dispositions utiles pour que ces substances ne puissent être mises dans le commerce que si leurs emballages ou récipients portent certaines indications.
10. Compte tenu de ces dispositions, et comme l'emploi des agents conservateurs et anti-oxygènes énumérés par les deux directives ne peut pas être interdit pour toutes les denrées alimentaires, une interdiction générale de commercialiser ces substances serait cependant de nature a faire obstacle à l'application des normes communautaires et devrait des lors être considérée comme contraire aux objectifs que les deux directives visent a atteindre.
11. Il y a donc lieu de répondre à la première question que les directives N 64-54 et N 70-357 obligent les Etats membres à ne pas autoriser l'emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine d'agents conservateurs ou d'agents anti-oxygènes qui ne sont pas énumérés dans les listes annexées à ces directives. Toutefois, la liberté des Etats membres d'interdire ou d'autoriser l'emploi de ces substances ne doit pas avoir pour effet d'exclure totalement l'emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine d'un des agents conservateurs ou anti-oxygènes compris dans ces listes, ni de faire obstacle à toute commercialisation d'un tel agent.
12. Par sa deuxième question, le tribunal demande à la Cour de dire si le ressortissant d'un Etat membre peut invoquer les dispositions des directives N 64-54 et N 70-357 au cas où la législation nationale applicable serait contraire à ces directives.
13. Il ressort du jugement de renvoi que, par cette question, le tribunal voudrait savoir si les dispositions des deux directives qui font l'objet de la première question peuvent être invoquées devant une juridiction nationale.
14. Les considérations relatives à la première question ont montre que, si dans leur généralité les deux directives laissent une large liberté aux Etats membres d'autoriser, ou de ne pas autoriser, l'emploi dans les denrées alimentaires des agents conservateurs et anti-oxygènes énumérés dans leurs annexes, les législations des Etats membres ne peuvent cependant plus interdire tout emploi dans les denrées alimentaires d'un de ces agents conservateurs ou anti-oxygènes, ni faire obstacle à toute commercialisation d'un tel agent. La défense faite aux Etats membres d'introduire ou de maintenir des dispositions législatives ou réglementaires en ce sens est inconditionnelle et suffisamment précise pour permettre a un justiciable de l'invoquer devant une juridiction nationale s'il est exposé au risque de se voir appliquer de telles dispositions législatives ou réglementaires.
15. Il convient dès lors de répondre à la deuxième question que, dans la mesure où les directives N 64-54 et N 70-357 ne permettent pas aux Etats membres d'interdire tout emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine d'un des agents conservateurs ou anti-oxygènes compris dans les listes figurant en annexe, ni de faire obstacle à toute commercialisation d'un tel agent, leurs dispositions peuvent être invoquées devant les juridictions nationales.
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Sur les dépens
16. Les frais exposes par le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas et par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient a celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
Statuant sur les questions a elle soumises par le Tribunal de grande instance de Strasbourg par jugement du 22 mars 1979, dit pour droit :
1°) les directives du conseil N 64-54, du 5 novembre 1963, et N 70-357, du 13 juillet 1970, obligent les Etats membres à ne pas autoriser l'emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine d'agents conservateurs ou d'agents anti-oxygènes qui ne sont pas énumérés dans les listes annexées à ces directives. Toutefois, la liberté des Etats membres d'interdire ou d'autoriser l'emploi de ces substances ne doit pas avoir pour effet d'exclure totalement l'emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine d'un des agents conservateurs ou anti-oxygènes compris dans ces listes, ni de faire obstacle à toute commercialisation d'un tel agent.
2°) dans la mesure ou les directives N 64-54 et N 70-357 ne permettent pas aux Etats membres d'interdire tout emploi dans les denrées destinées à l'alimentation humaine d'un des agents conservateurs ou anti- oxygènes compris dans les listes figurant en annexe, ni de faire obstacle à toute commercialisation d'un tel agent, leurs dispositions peuvent être invoquées devant les juridictions nationales.