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Décisions

CA Angers, ch. corr., 1 avril 2004, n° 03-00744

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AFOC de la Sarthe, UFC de la Sarthe

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Linden

Conseillers :

MM. Vermorelle, Midy

Avocats :

Mes Pechenart, Beaudouin.

TGI Le Mans, du 24 nov. 2003

24 novembre 2003

Rappel de la procédure

La prévention

Bernard M est prévenu d'avoir à Mulsanne, le 8 février 2001 :

- par quelque moyen que ce soit même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non à un contrat, trompé ou tenté de tromper les consommateurs sur les qualités substantielles et les risques inhérents à l'utilisation d'un produit ménager, en l'espèce un nettoyant décirant " X " avec cette circonstance que les faits ont eu pour conséquence de rendre l'utilisation de la marchandise ou la prestation de service dangereuse pour la santé de l'homme ou de l'animal;

- effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la composition et les qualités substantielles du nettoyant décirant " X ".

Le jugement :

Le Tribunal correctionnel de Le Mans, par jugement du 24 novembre 2003:

* Sur l'action publique

- a déclaré Bernard M coupable des faits qui lui sont reprochés,

- l'a condamné à une amende délictuelle de huit mille euro (8 000 euro).

* Sur l'action civile

- a reçu l'Union Fédérale des Consommateurs de la Sarthe (UFC 72) et l'Association Force Ouvrière Consommateur de la Sarthe (AFOC) en leurs constitutions de partie civile.

- a déclaré Bernard M entièrement responsable du préjudice subi par les victimes.

- l'a condamné à payer:

à l'UFC 72 :

* la somme de cinq cents euro (500 euro) à titre de dommages et intérêts,

* la somme de trois cent cinquante euro (350 euro) en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

à l'AFOC:

* la somme de mille euro (1 000 euro) à titre de dommages et intérêts,

* la somme de mille euro (1 000 euro) à titre de dommages et intérêts,

* la somme de trois cents cinquante euro (350 euro) en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

- a dit que les sommes allouées au titre des dommages et intérêts produiront intérêts au taux légal à compter du jour du présent jugement.

- a dit n'y avoir lieu à publication,

- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- a condamné en outre Bernard M aux dépens de l'action civile.

Les appels :

Appel a été interjeté par:

Monsieur Bernard M, le 26 novembre 2003 sur les dispositions pénales et civiles.

Monsieur le Procureur de la République, le 26 novembre 2003.

LA COUR,

Le 8 février 2001 un agent de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la Sarthe a effectué un contrôle au magasin Leroy Merlin de Mulsanne dans le rayon des produits d'entretien exposées à la vente en libre service et relevant de la réglementation "substances dangereuses".

Parmi ces produits figurait un nettoyant décirant commercialisé sous la marque "X", fabriqué par la société Y et distribué par la société X2, dite société X2, dont Bernard M est le gérant.

Estimant que l'étiquetage du produit n'était pas conforme à la réglementation, notamment en ce qu'il ne comportait pas diverses mentions obligatoires pour les produits contenant certaines substances dangereuses pour la santé humaine, et en ce qu'il était susceptible d'induire le consommateur en erreur sur les qualités écologiques prêtées au produit, le contrôleur a procédé au prélèvement officiel de trois échantillon et fait pratiquer une analyse par le laboratoire de l'administration.

A la suite de ces opérations l'administration a relevé les infractions de tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme et de publicité mensongère.

C'est dans ces conditions que Bernard M, gérant de la société X2, dite société X2, a été cité devant le Tribunal correctionnel du Mans pour avoir, par quelque moyen que ce soit même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non à un contrat, trompé ou tenté de tromper les consommateurs sur les qualités substantielles et les risques inhérents à l'utilisation d'un produit ménager, en l'espèce un nettoyant décirant "Maison rendre l'utilisation de la marchandise ou la prestation de service dangereuse pour la santé de l'homme ou de l'animal et pour avoir effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la composition et les qualités substantielles du nettoyant décirant "X'.

Bernard M a régulièrement relevé appel du jugement du 24 novembre 2003. Devant la cour, il conteste les infractions reprochées et demande sa relaxe.

Dans ses conclusions auxquelles la cour se réfère expressément il soutient en substance :

- que les dispositions réglementaires invoquées n'étaient pas en vigueur lors de la fabrication du produit et de sa mise en vente, qu'il existe un usage consistant à permettre l'écoulement des stocks en cas de modification de la réglementation, qu'en tout état de cause le produit ne présentait aucun risque d'ingestion en raison du puissant vomitif qui entrait dans sa composition, que l'élément matériel de l'infraction n'est donc pas constitué,

- que quand bien même l'infraction serait établie elle ne lui serait pas imputable dans la mesure où la société X2 n'est qu'un simple distributeur agissant comme agent commercial de la société Y qui était seule responsable de l'étiquetage,

- que le caractère biodégradable du produit est incontestable de sorte que l'élément matériel de l'infraction de publicité mensongère n'est pas établi,

- qu'en tout état de cause, il n'est pas l'annonceur au sens de l'article L. 1 21 -5 du Code de la consommation.

Le Ministère public a requis la confirmation du jugement de même que l'Association Force ouvrière consommateurs de la Sarthe, partie civile qui a en outre sollicité une indemnité de 500 euro.

L'Union fédérale des consommateurs de la Sarthe a demandé la réformation de la décision et sollicité la somme de 1 000 euro à titre de dommages-intérêts et une indemnité de 500 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale (sommes qu'elle a inversées dans le dispositif de ses conclusions.)

Motifs de la décision

Sur l'action publique

- sur la tromperie

Considérant que la société X2 a pour associés, outre Bernard M, divers fabricants soucieux de faciliter la commercialisation de leurs produits dans les magasins Leroy Merlin ; que la société Z, depuis absorbée par la société X2, a concédé à la société Z2, par contrat non daté, la licence d'exploitation de la marque X dont elle est propriétaire, et ce, sur les produits nettoyant et dégraissant spéciaux et solvants spéciaux à base de dérivée terpéniques ; que par ailleurs la société Y a conclu avec la société W0 un contrat d'agent commercial, dont l'exemplaire produit n'est pas daté, par lequel elle confie à celle-ci la vente à la société Leroy Merlin de la gamme de produits X en contrepartie d'un commissionnement ; que même si elles ont le même gérant en la personne de Bernard M, les sociétés X2 et W0 n'ont aucun lien d'associés;

Considérant que c'est dans ces conditions que la société Z2 a été amenée à fabriquer un produit décirant en v~e de sa vente par la société X2 à la société Leroy Merlin sous la marque "X";

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier et des déclarations de Bernard M à l'audience que la société X2 était effectivement l'interlocuteur unique de la centrale d'achat Leroy Merlin qui lui commandait le nettoyant décirant X ; qu'elle passait commande des produits auprès de la société Z2 qui les lui facturait ; qu'elle faisait ensuite procéder à la livraison en son nom ; qu'elle facturait le prix à la société Leroy Merlin qui la payait ; que contrairement à ce qui est soutenu, il n'existait aucun contrat d'agent commercial entre la société Z2 et la société X2 laquelle effectuait donc des opérations classiques d'achat et de revente, ainsi qu'il résulte des factures ;

Considérant qu'il est constant que l'emballage et l'étiquetage du produit incriminé comportaient la mention" R10 inflammable, ne pas vaporiser vers une flamme ou un corps incandescent, >30 % d'hydrocarbures aliphatiques"

Considérant qu'il n'est pas contesté que le produit en cause dont le point éclair est de 50°, comporte les éléments suivants:

- hydrocarbures aliphatiques : plus de 10 %, (73 %) possédant une viscosité cinématique inférieure à 7 x 10 - 6m2/s à 40) C, (1,50 mm2/s) avec une tension superficielle moyenne inférieure ou égale à 33 mN/m à 25 C (en l'occurrence 25,3 dyn/cm)

- d-limonène 14 g pour 100,

- solvants non miscibles avec l'eau >45 g/100 g

Considérant que s'agissant au vu de ces éléments d'une préparation nocive pouvant provoquer une atteinte des poumons en cas d'ingestion, le produit devait en application de l'arrêté du 20 juin 2000 être classé X n R 65 et non R 10 ; qu'il en résulte, ainsi que du décret du 29 décembre 1998, de l'arrêté du 21 février 1990, de celui du 20 avril 1994 et des articles R. 5152 et 5158 du Code de la santé publique, que l'emballage et l'étiquetage devaient comporter diverses mentions obligatoires qui faisaient défaut en l'espèce ; que manquaient notamment le numéro de téléphone du responsable de la mise sur le marché, qu'il soit fabricant ou distributeur, le nom chimique du d-limonène, des symboles et indications de danger, des phrases types indiquant les risques particuliers, l'indication d'un danger détectable au toucher, le symbole de danger inflammable qui devait être apposé compte tenu du point éclair à 50°;

Considérant par ailleurs que la fiche de données de sécurité mentionne comme seul produit dangereux le d-limonène, alors que les hydrocarbures aliphatiques constituaient la source de danger la plus importante, ce dont il résulte que la fiche de données de sécurité était inexacte dans ses rubriques premiers secours, informations toxicologiques;

Considérant que l'étiquetage des emballages n'était donc pas conforme à la réglementation en vigueur lors du contrôle, peu important à cet égard que les produits aient été fabriqués et mis en vente avant la publication le 25 juillet 2000 de l'arrêté du 20 juin 2000, aucun usage n'étant de nature à permettre l'écoulement de stocks non-conformes ;

Considérant que le produit en cause était vendu en libre service dans une grande surface, à destination de consommateurs non avertis en ce qui concerne les dangers potentiels du produit; que l'absence de la phrase R65 sur l'étiquette et des mentions réglementaires en découlant a eu pour conséquence de laisser ignorer par le consommateur tant la composition chimique exacte du produit que les éléments de dangerosité inhérents à l'utilisation de celui-ci;

Considérant enfin que l'étiquetage comportait l'assertion suivante: "eco-solvants organiques, une action pour l'environnement ce produit est rapidement biodégradable, il ne contribue pas à l'effet de serre, une double performance sécurité et confort pour l'utilisateur"; que la référence à la sécurité présentée par le produit avait pour effet de tromper la vigilance des consommateurs et de les induire en erreur sur la dangerosité même du produit ; qu'enfin l'absence de mention de phrases de danger sur l'ingestion et sur l'inflammation a eu pour conséquence de rendre le produit dangereux pour la santé de l'homme ou de l'animal ; que le caractère dangereux pour la santé du produit en cas d'ingestion était parfaitement connu du fabricant qui a introduit un vomitif pour limiter les risques d'ingestion malencontreuse ; que la présence de ce produit vomitif n'est cependant pas de nature à faire disparaître la réalité de la dangerosité du produit pour la santé qui résulte notamment du contact avec les muqueuses ; qu'en outre l'absence de certaines mentions laissait les professionnels appelés à intervenir en cas d'accident dans l'ignorance des mesures d'urgence les plus appropriées ;

Considérant que l'élément matériel de l'infraction de tromperie est donc établi ;

Considérant qu'il résulte des déclarations de M. A, ancien directeur technique de la société Z2 que les étiquetages des produits étaient effectués sur initiative de Bernard M ; que Mme M2, adjointe de direction à la société X2 a fait des déclarations comparables en indiquant que X2 concevait les emballages et étiquetages avec les différents industriels auxquels étaient soumis les bons à tirer, puis faisait réaliser ceux-ci pour le compte des fabricants ; qu'il résulte de ces déclarations concordantes que même s'il a utilisé les éléments d'information fournis par la société Y, Bernard M avait une part importante dans la conception des étiquetages des emballages, le témoignage du PDG de la société Z2, cité comme témoin par le prévenu, n'étant pas contradictoire avec ces affirmations de leurs collaborateurs respectifs;

Considérant qu'il est donc bien établi que non seulement Bernard M était le vendeur du produit incriminé mais également qu'il participait de manière très directe à l'élaboration des étiquetages; que s'il appartenait certes au fabricant de veiller à la conformité de ceux-ci, ce seul fait ne pouvait dispenser Bernard M d'exercer une veille très précise sur la réglementation relatives aux informations devant figurer sur les étiquettes ; qu'il pouvait d'autant moins se dispenser d'un contrôle qu'il savait que les produits contenaient des substances présentant une réelle dangerosité ; que la vigilance qui aurait dû être la sienne était simple à mettre en œuvre ; que la négligence de Bernard M à cet égard, alors qu'il connaissait nécessairement les risques inhérents au produit dont la fiche de données de sécurité lui avait été communiquée, caractérise l'intention délictuelle;

- sur la publicité mensongère

Considérant que les emballages et les étiquettes comportaient les mentions suivantes : "eco-solvants organiques, une action pour l'environnement: ce produit est rapidement biodégradable, il ne contribue pas à l'effet de serre" ; qu'il s'agit d'éléments de publicité en vue d'amener le consommateur à acheter le produit; que la référence à une action pour l'environnement laisse supposer au consommateur que le produit vendu est sans danger pour l'environnement ; qu'en réalité il est constant qu'il contient 14 % de d-limonène (21 % même selon la fiche technique) que cette substance est classée "très toxique pour les organismes aquatiques, peut entraîner des effets néfastes à long terme pour l'environnement aquatique; que la fiche substance du d-limonène mentionne d'ailleurs "éviter les rejets en directs dans le milieu naturel. Éliminer le produit et son récipient comme produit dangereux. La destruction des déchets d'emballage se fera conformément à la réglementation en vigueur"; qu'il résulte de ces éléments que la publicité avait pour objet et pour effet de valoriser le produit avec des éléments d'information au mieux incomplets et partiels quant aux effets sur l'environnement, et qui laissaient penser aux consommateurs que l'usage du décirant était sans danger pour l'environnement; qu'ils les induisaient donc en erreur quant aux propriétés du produit et à ses effets réels sur l'environnement, peu important à cet égard qu'une partie du produit soit ou non effectivement rapidement bio-dégradable ; que l'élément matériel de l'infraction prévue par l'article L. 121-1 du Code de la consommation est donc établi;

Considérant qu'il résulte des déclarations de M A que les mentions relatives à l'environnement sont des arguments de pur marketing décidés avec Bernard M qui avait en charge la conception des emballages et des étiquettes ; que Bernard M a affectivement précisé que c'est à lui qu'appartenait la dimension marketing de l'étiquetage; que dès lors que les mentions relatives à l'environnement répondent à cet objectif, que le prévenu était le revendeur des produits à la société Leroy Merlin, il est bien l'auteur de l'infraction quand bien même ces projets ont été validés par la société Y et édités pour celle-ci ; que dans ces conditions il ne peut invoquer les dispositions de l'article L. 121-5 du Code de la consommation pour contester être l'auteur de l'infraction;

Considérant que Bernard M avait une exacte connaissance des données techniques sur les risques que le d-limonène faisait courir à l'environnement; qu'il a néanmoins élaboré les emballages et étiquetages ; que l'intention délictueuse est établie;

Considérant qu'au vu des éléments du dossier, et notamment de la faible commercialisation du produit, et du retrait rapide de celui-ci des rayons de vente suite aux diligences du prévenu, il apparaît que les premiers juges ont fait une juste appréciation de la sanction ;

Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions pénales ;

Sur l'action civile

Considérant que l'Union fédérale des consommateurs de la Sarthe n'a pas relevé appel du jugement entrepris ; que toutefois l'irrecevabilité de sa demande d'augmentation des dommages-intérêts n'a pas été soulevée;

Considérant que les deux parties civiles ont pour objet statutaire la défense des intérêts des consommateurs ; que les infractions commises leur ont donc occasionné un préjudice;

Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des préjudices subis;

Considérant que le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions;

Considérant qu'il y a lieu d'allouer à chacune des parties civiles une indemnité qu'il est équitable de fixer à 500 euro;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire à l'égard de toutes les parties, Confirme le jugement du Tribunal correctionnel du Mans du 24 novembre 2003 en toutes ses dispositions pénales et civiles Y ajoutant, Condamne Bernard M à payer à l'Union fédérale des consommateurs de la Sarthe et à l'association Force ouvrière consommateur de la Sarthe la somme de 500 euro chacune en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euro dont est redevable le condamné, conformément aux dispositions de l'article 1018-A du Code général des impôts. Ainsi jugé et prononcé par application des articles L. 213-2, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation.