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Décisions

CJCE, 13 décembre 1983, n° 222-82

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Apple and Pear Development Council

Défendeur :

K.J. Lewis Ltd

CJCE n° 222-82

13 décembre 1983

LA COUR,

1. Par ordonnance du 19 juillet 1982, parvenue à la Cour le 23 août suivant, la Tunbridge Wells County Court a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation notamment des articles 30, 34 et 38 à 47 du traité, des articles 42 et 60, paragraphe 1, de l'acte d'adhésion de 1972 et du règlement (CEE) n° 1035-72 du Conseil, du 18 mai 1972, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (JO L 118, p. 1), en vue d'apprécier, d'une part, la compatibilité, avec ces dispositions, de la réglementation britannique concernant l'" Apple and Pear Development Council " (Conseil de développement dans le secteur des pommes et des poires) et, d'autre part, les conséquences d'une incompatibilité éventuelle pour la taxe qui sert au financement de ce Conseil.

2. Il ressort du dossier que l'" Apple and Pear Development Council " (ci-après dénommé le " Council " a été institué par un arrêté ministériel adopté conformément à une loi de 1947 intitulée " Industriel Organisation and Development Act " (loi relative à l'organisation et au développement de l'industrie), qui habilite le ministre compétent à prendre des arrêtés " portant création d'un Conseil de développement " pour un secteur de l'industrie, si cela lui paraît opportun " " afin d'accroître l'efficacité ou la productivité de l'industrie, améliorer ou développer le service qu'elle rend ou qu'elle pourrait rendre à la Communauté ou lui permettre de rendre un tel service de façon plus économique ". Avant de prendre un tel arrêté, le ministre doit consulter des personnes représentant un nombre substantiel d'opérateurs exerçant des activités ou employés dans le secteur en question. Le ministre n'a pas le droit de prendre un tel arrêté, à moins qu'il ne soit convaincu que la " création d'un Conseil de développement est souhaitée par un nombre substantiel de personnes occupées dans ledit secteur ". Le degré de soutien à l'existence d'un Conseil de développement doit être réexaminé périodiquement.

3. En 1966, les producteurs de pommes et de poires ont pris l'initiative de s'adresser au ministre de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation pour lui demander de créer un Conseil de développement dans leur secteur. Après avoir procédé aux consultations prévues par la loi, le ministre a arrêté l'" Apple and Pear Development Council order " de 1966 (s.i. 1966-1579 - arrêté portant création du Conseil de développement dans le secteur des pommes et des poires), qui est entré en vigueur le 23 décembre 1966. Depuis, la question du maintien du " Council " a été revue à plusieurs reprises, conformément à la loi, et la réglementation actuelle est contenue dans un arrêté du 6 mai 1980 (s.i. 1980-623 - ci-après dénommé l'arrêté de 1980).

4. Le " Council " se compose de membres désignés par le ministre. Les membres se repartissent comme suit : 8 producteurs, 2 salariés, 2 indépendants et 2 spécialistes en matière de commercialisation et de distribution.

5. Selon l'annexe à l'arrêté de 1980, les fonctions du " Council " sont les suivantes :

" 1. Promouvoir ou entreprendre des recherches scientifiques.

2. Promouvoir ou effectuer des recherches concernant le matériel et l'équipement, ainsi que les méthodes de production, la gestion et l'utilisation du travail, y compris la recherche et le développement de matériels, équipements et méthodes nouveaux et l'amélioration de ceux existants, la détermination des avantages des différentes alternatives offertes et la direction d'établissements expérimentaux et de tests au niveau commercial.

3. Promouvoir la production et la gestion de produits standard.

a) Désigner les personnes devant participer à un système visant à promouvoir la production et la commercialisation de produits standard en ce qui concerne les prix auxquels elles devraient tenter de vendre de tels produits, et effectuer des recherches pour permettre au " Council " de donner des conseils en ce sens (ajouté par l'arrêté du 17 décembre 1980).

4. Promouvoir une meilleure définition des désignations commerciales et l'uniformité dans l'utilisation de celles-ci.

5. Certifier les produits, enregistrer les marques commerciales certifiées et déterminer les fonctions des propriétaires de telles marques.

6. Promouvoir ou entreprendre des recherches en vue d'améliorer les accords de commercialisation et de distribution des produits.

7. Promouvoir et entreprendre des recherches en matière de consommation et d'utilisation des produits du secteur.

8. Promouvoir la conclusion d'accords concernant l'existence d'organisations coopératives fournissant du matériel et des équipements, en vue de la coordination de la production, de la commercialisation et de la distribution des produits du secteur.

9. Promouvoir le commerce d'exportation, y compris la promotion ou la conclusion d'accords en vue de la publicité.

10. Promouvoir ou conclure des accords afin que le public du Royaume-Uni connaisse mieux les produits du secteur et les méthodes d'utilisation.

11. Promouvoir ou entreprendre la collecte et l'établissement de statistiques.

12. Conclure des accords en vue de permettre la mise à disposition des informations obtenues et de donner des conseils dans des domaines relevant de l'une quelconque des fonctions du " Council ".

6. Les activités du " Council " sont financées par une taxe que celui-ci est habilité à imposer aux producteurs en Angleterre et au Pays de Galles en vertu de l'arrêté de 1980. Depuis l'adhésion du Royaume-Uni aux Communautés, le montant annuel maximal de la taxe, qui doit être approuvée par le ministre, a été augmentée, en plusieurs étapes, de 3 UKL par acre (a peu près 7,50 UKL par hectare) à 40 UKL par hectare. Les producteurs ayant moins de deux hectares plantés de 50 pommiers ou poiriers sont exempts de la taxe.

7. Les producteurs visés sont obligés de se faire enregistrer et de fournir au " Council " des déclarations et des renseignements sur les activités qu'ils exercent dans le secteur.

8. Le " Council " a engagé une procédure civile devant la County Court de Tunbridge Wells, visant à faire condamner trois producteurs à lui payer la taxe pour l'exercice 1980-1981. Par demande reconventionnelle, les défendeurs ont réclamé la restitution des taxes annuelles payées par eux depuis le 1er janvier 1973. Ils ont fait valoir que le maintien du " Council " était contraire au droit communautaire depuis le jour même de l'adhésion du Royaume-Uni et que ladite taxe aurait du être supprimée, en tant que taxe d'effet équivalant à un droit de douane, au plus tard le 1er février 1973, conformément à l'article 60 de l'acte d'adhésion.

9. C'est dans ces circonstances que la County Court a décidé de poser à la Cour les questions suivantes :

Première question

Les articles 30 et 34 et/ou 38 à 47 du traité CEE et/ou les articles 42 et 60, paragraphe 1, (de l'acte) d'adhésion et/ou le règlement (CEE) n° 1035-72 du Conseil, dans sa version modifiée, s'opposent-ils à ce qu'un Etat membre adopte et/ou maintienne des mesures réglementaires ou administratives ?

(i) établissant et/ou maintenant dans une partie de cet Etat membre un organisme (ci-après le " Council " ayant la constitution et/ou les fonctions décrites dans les United Kingdom Statutory Instruments n° 1579 de 1966 et/ou n° 623 de 1980

et/ou

(ii) imposant aux personnes exerçant une activité dans le secteur de la production de pommes et de poires (ci-après " le secteur " et disposant (a) avant le 1er avril 1976 (mais après le 1er avril 1971) dans cette partie de l'Etat membre de terres d'une superficie de 5 acres ou plus, plantées de pommiers ou de poiriers au nombre de 50 ou plus et/ou (b) disposant, après le 1er avril 1976, dans cette partie de l'Etat membre, de terres d'une superficie de 2 hectares ou plus, l'obligation de se faire enregistrer auprès du " Council " et qualifiant de délit le manquement à cette obligation

et/ou

(iii) permettant au " Council ", sous réserve de l'approbation du ministre de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation, d'imposer aux producteurs enregistrés l'obligation de fournir des déclarations et des renseignements sur les activités exercées par eux et faisant partie du secteur, et qualifiant de délit le manquement à cette obligation

et/ou

(iv) permettant au " Council " de frapper les producteurs assujettis à l'obligation d'enregistrement d'une taxe annuelle obligatoire basée sur la superficie des terres occupées par eux dans le cadre de l'activité exercée dans le secteur, afin de permettre au " Council " de faire face à ses dépenses administratives et autres

et/ou

(v) exemptant de ces mesures les producteurs disposant de moins de 2 hectares de terres ou de terres plantées d'un nombre de pommiers ou de poiriers inférieur à 50 ?

Deuxième question

Si la réponse à l'ensemble ou à une quelconque partie de la première question devait être affirmative, le fait (à condition qu'il soit établi) que le " Council " ait été créé et/ou maintenu avec l'approbation expresse de ceux des producteurs qui, d'après l'étude mentionnée ci-dessus (dans l'ordonnance), étaient favorables au maintien du " Council " et représentaient en superficie de terres la proportion qui y est mentionnée, et après consultation d'organisations apparemment représentatives d'un grand nombre de personnes exerçant des activités ou employées dans le secteur, affecte-t-il cette réponse et, dans l'affirmative, de quelle manière ?

Troisième question

Si l'une des mesures décrites dans la première question ou si une partie d'une telle mesure est incompatible avec une ou plusieurs des dispositions de droit communautaire mentionnées dans la première question, la disposition de droit communautaire avec laquelle une telle mesure ou partie de mesure est incompatible produit-elle un effet direct à l'intérieur des Etats membres de la Communauté, avec pour conséquence de conférer aux particuliers des droits que ceux-ci tirent de l'existence de la Communauté et qu'ils peuvent faire valoir devant les tribunaux d'un Etat membre, et dans l'affirmative,

(i) cette disposition de droit communautaire peut-elle être invoquée par un producteur comme moyen de défense opposé à une demande du " Council " visant à obtenir le paiement de ladite taxe annuelle et, dans l'affirmative, une telle disposition de droit communautaire peut-elle constituer à cet égard un moyen de défense ayant pour effet une exonération totale ou partielle et, dans le dernier cas, comment cette exonération partielle doit-elle être déterminée

et/ou

(ii) cette disposition de droit communautaire peut-elle fonder une demande visant à obtenir la restitution de taxes annuelles payées par un producteur et, dans l'affirmative,

(a) une telle disposition de droit communautaire peut-elle fonder une demande visant à obtenir la restitution de la totalité de ces taxes ou seulement une demande portant sur une partie de celles-ci et, dans le dernier cas, comment cette partie doit-elle être déterminée ;

(b) la voie d'un recours visant à obtenir la restitution de taxes annuelles acquittées est-elle ouverte dans le cas où le paiement est intervenu avant la promulgation de l'arrêt de la Cour de justice dans la presente affaire ou ne l'est-elle que pour les (éventuels) paiements susceptibles d'être effectués après ladite promulgation

et/ou

(iii) en décidant d'ordonner la restitution de taxes annuelles payées par un producteur, les tribunaux d'un Etat membre peuvent-ils tenir compte du fait que l'argent procuré par les taxes annuelles a été utilise par le " Council " à des fins qui ont procuré ou auraient pu procurer un avantage au producteur ?

Quatrième question

Si l'une des mesures décrites dans la première question ou si une partie d'une telle mesure est incompatible avec l'article 30 ou 34 du traité CEE, de tels conflits sont-ils survenus à la date mentionnée à l'article 42 (de l'acte) d'adhésion ou à la date mentionnée à l'article 60, paragraphe 1, de celui-ci ?

Sur la première question

10. Par cette question, le juge national cherche, en premier lieu, à savoir si les dispositions communautaires indiquées dans la question s'opposent à l'établissement ou au maintien d'un organisme ayant une constitution telle que celle du " Council ", lorsque cet organisme est financé par une taxe perçue auprès des producteurs disposant d'un potentiel de production qui dépasse certaines limites et lorsque ces producteurs sont tenus de se faire enregistrer auprès de l'organisme et de lui fournir des déclarations et des renseignements sur leurs activités dans le secteur en cause. En second lieu, le juge demande si un tel organisme peut être contraire auxdites dispositions en raison de ses fonctions.

11. A cet égard, il convient d'observer que la compatibilité d'un tel organisme avec le droit communautaire dépend avant tout des fonctions qu'il exerce. En vue de répondre à la première question, il faut donc examiner d'abord le caractère des fonctions du " Council ", telles qu'elles sont décrites dans l'annexe précitée à l'arrêté de 1980.

Quant aux fonctions du " Council " en général

12. Il ressort de cette description que le " Council " n'est pas une organisation de producteurs, au sens du titre ii du règlement (CEE) n° 1035-72 précité, qui participe à l'administration du régime des prix et des interventions prévu par ce règlement. Le " Council " n'a pas pour objet d'agir en tant qu'intermédiaire pour la vente des produits, ni d'intervenir sur le marché. Il s'ensuit que l'examen des fonctions confiées au " Council " doit porter sur la question de savoir si leur exercice est susceptible d'entraver d'une autre manière soit le commerce intracommunautaire, soit le fonctionnement de l'organisation commune des marchés établie dans ce secteur en vertu des règles du traité relatives à la politique agricole.

13. A cet égard, il convient, en premier lieu, de constater que les activités relatives à la recherche scientifique ou technique, à l'établissement de statistiques, à la diffusion parmi les producteurs des informations obtenues, ainsi que des fonctions purement consultatives, ne sont pas de nature à entraver ni le commerce intracommunautaire, ni le fonctionnement de l'organisation commune des marchés.

14. Par contre, la description des autres fonctions confiées au " Council " dans l'annexe à l'arrêté ne permet pas, en soi, d'exclure que de telles fonctions puissent être exercées d'une manière qui serait susceptible d'entraver soit le commerce intracommunautaire, soit le bon fonctionnement de l'organisation commune des marchés et qui, partant, pourrait être incompatible avec les dispositions communautaires indiquées dans la question préjudicielle.

15. Il ressort toutefois du dossier que le " Council " s'occupe essentiellement de la publicité et de la promotion sur le marché britannique ainsi que de l'amélioration de la qualité des fruits indigènes commercialisés sur ce marché. Il convient donc d'examiner dans quelle mesure de telles activités peuvent être incompatibles avec les dispositions communautaires indiquées par le juge national. En ce qui concerne les mesures de publicité et de promotion, cet examen doit notamment porter sur l'interprétation de l'article 30 du traité, qui interdit, entre autres, toutes mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation. En ce qui concerne les activités du " Council " dans le domaine de la qualité, celles-ci doivent, en revanche, être examinées à la lumière des normes de qualité prévues par la réglementation portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes.

Quant aux activités de publicité en particulier

16. Pour ce qui est de la publicité et de la promotion, il résulte du dossier que le " Council ", en dehors d'une publicité pour les pommes et les poires en général, organise des campagnes concernant, de manière spécifique, les pommes et les poires anglaises et galloises et, en particulier, certaines variétés qui sont typiques de la production anglaise et galloise.

17. Ainsi que la Cour l'a constaté dans son arrêt du 24 novembre 1982 (Commission/Irlande, 249-81, Recueil p. 4005), une campagne publicitaire en faveur de la vente et de l'achat de produits indigènes peut, sous certaines conditions, tomber sous le coup de l'interdiction prévue à l'article 30 du traité, lorsqu'elle est soutenue par les pouvoirs publics. En effet, un organisme tel que le " Council ", qui est institué par le Gouvernement d'un Etat membre et qui est financé par une taxe imposée aux producteurs, ne peut pas, par rapport au droit communautaire, jouir de la même liberté, en ce qui concerne les moyens de publicité employés, que celle dont bénéficient les producteurs eux-mêmes ou les associations de producteurs de caractère volontaire.

18. En particulier, un tel organisme a le devoir de s'abstenir de toute publicité visant à déconseiller l'achat des produits des autres Etats membres ou à déprécier ces produits aux yeux des consommateurs. Il ne doit pas non plus conseiller aux consommateurs d'acheter les produits indigènes uniquement en raison de leur origine nationale.

19. Par contre, l'article 30 ne s'oppose pas à ce qu'un tel organisme mette en valeur, dans sa publicité, les qualités spécifiques des fruits produits à l'intérieur de l'Etat membre en cause ou organise des campagnes de promotion pour la vente de certaines variétés en indiquant leurs propriétés particulières, même si ces variétés sont typiques de la production nationale.

20. Dans les observations qu'elle a présentées à la Cour, la Commission a fait valoir que des campagnes de promotion en faveur de certaines variétés pouvaient avoir comme résultat d'exclure d'autres variétés du marché et de rendre nécessaire soit dans l'Etat membre concerné, soit dans d'autres Etats membres qui exportent ces dernières variétés, l'application des mesures d'intervention prévues par l'organisation commune des marchés à l'égard de telles variétés.

21. S'il est vrai qu'une telle distorsion des conditions de concurrence, incompatible avec le bon fonctionnement de l'organisation commune des marchés, pourrait se produire sur un marché où les mesures de publicité porteraient exclusivement ou essentiellement sur certaines variétés à l'exclusion des autres, cette considération ne saurait toutefois justifier l'interdiction de toute campagne de promotion par laquelle un organisme tel que le " Council " met en valeur les propriétés de certaines variétés et indique les utilisations auxquelles ces variétés se prêtent de manière spécifique.

Quant aux activités relatives à la qualité

22. En ce qui concerne la qualité des fruits indigènes commercialisés sur le marché britannique, il ressort du dossier que le " Council " formule des recommandations concernant le calibrage des fruits commercialisés au début de la saison et que ces recommandations sont plus exigeantes que ce qui est prescrit par les normes de qualité communautaires. En outre, les rapports annuels du " Council " font apparaître que celui-ci effectue des visites de contrôle sur les marchés de gros et qu'il signale les cas de non-respect de ces recommandations aux producteurs en cause ainsi qu'aux organisations auxquelles les grossistes concernés sont affiliés.

23. A cet égard, il convient de souligner que la réglementation portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes comporte un système de normes de qualité qui est applicable aux produits ici en cause et qui présente un caractère exhaustif. A moins que cette réglementation n'en dispose autrement, les Etats membres et, à plus forte raison, des organismes tels que le " Council ", sont donc empêchés d'imposer des dispositions unilatérales concernant la qualité des fruits commercialisés par les producteurs.

24. Les normes communautaires n'excluent certainement pas une concurrence sur la qualité des produits entre les producteurs d'un Etat membre ou entre ceux-ci et les importateurs. Elles ne s'opposent pas non plus à ce que les producteurs veillent à la renommée des produits nationaux ni à ce qu'un organisme tel que le " Council " donne des conseils aux producteurs à cet égard, sous la forme de pures recommandations concernant la qualité et la présentation des fruits commercialisés. Par contre, toute tentative de la part d'un tel organisme d'imposer le respect de ces recommandations en appliquant des sanctions quelconques ou en exploitant l'autorité que lui confère sa constitution en vue d'exercer une pression sur les producteurs ou sur les commerçants, serait contraire au caractère exhaustif de la réglementation communautaire.

25. Il appartient au juge national d'apprécier, sur la base des éléments d'interprétation indiqués ci-dessus, si et, la cas échéant, dans quelle mesure l'exercice, par le " Council ", des fonctions que la réglementation nationale lui a confiées est incompatible avec le droit communautaire.

Quant à l'affiliation obligatoire

26. Par les sous-questions (ii) et (v), le juge national pose, de manière spécifique, la question de savoir si les dispositions communautaires indiquées dans la première question s'opposent à l'obligation, pour les producteurs disposant d'un potentiel de production qui dépasse certaines limites, de s'affilier à un organisme comme celui de l'espèce.

27. A cet égard, il convient de constater que les dispositions du titre II du règlement (CEE) n° 1035-72 précité relatif aux organisations de producteurs n'excluent pas l'existence d'autres organisations auxquelles les producteurs doivent s'affilier. Il y a lieu également de faire observer que, selon les informations contenues dans le dossier, l'organisme en cause n'exerce pas de fonctions qui visent les échanges intracommunautaires.

28. Dans ces circonstances, l'obligation de s'affilier à un tel organisme ne saurait être considérée comme incompatible avec les dispositions indiquées dans la question que si les activités de l'organisme sont elles-mêmes contraires à ces dispositions.

Quant à la taxe imposée aux producteurs

29. Par la sous-question (iv), le juge national demande, en outre, si une taxe comme celle de l'espèce est incompatible, en tant que telle, avec les dispositions communautaires indiquées dans la première question.

30. En ce qui concerne les articles 30 et 34 du traité, il suffit, à cet égard, de rappeler, ainsi que la Cour l'a fait, entre autres dans son arrêt du 22 mars 1977 (Iannelli & Volpi, 74-76, Recueil p. 557), que les taxes ne relèvent pas, en tant que mesures de nature fiscale ou d'effet équivalent, desdits articles mais des articles 9 à 16 et 95 du traité. Comme la taxe en cause ne s'applique pas aux produits importés et ne frappe les produits destinés à l'exportation qu'au même titre que les produits commercialisés sur le marché intérieur, une telle taxe ne pose pas non plus de problèmes en rapport avec ces derniers articles.

31. Or, selon la jurisprudence de la Cour et, notamment, son arrêt du 26 octobre 1983 (de Samvirkende Danske Landboforeninger, 29-82, Recueil p. 3299), une taxe imposée aux producteurs agricoles est incompatible avec les dispositions communautaires relatives à la politique agricole, dans la mesure où elle aurait pour effet soit par son incidence sur la formation des prix, soit par la modification de la structure des exploitations agricoles qui pourraient en résulter, d'entraver le fonctionnement des mécanismes prévus dans le cadre de l'organisation commune des marchés. S'il appartient au juge national d'apprécier si et, le cas échéant, dans quelle mesure la taxe, dont il est appelé à connaître, a effectivement eu de tels effets, il convient toutefois de remarquer qu'en règle générale, une taxe dont le produit est essentiellement utilisé à des mesures de publicité qui autrement auraient dû être financées par les producteurs eux-mêmes, ne saurait avoir de tels effets.

32. Toutefois, il y a lieu de souligner que la perception d'une taxe telle que celle de l'espèce serait contraire au droit communautaire, dans la mesure où elle servirait à financer des activités qui sont incompatibles avec les dispositions indiquées dans la question préjudicielle.

33. Il convient donc de répondre à la première question que :

a) Les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises et à l'agriculture, ainsi que la réglementation relative à l'organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes, ne s'opposent pas à ce qu'un Etat membre adopte ou maintienne des mesures réglementaires ou administratives:

(i) établissant un Conseil de développement dans le secteur de production de fruits, composé de membres désignés par le ministre compétent, notamment parmi les producteurs en cause,

et

(ii) imposant aux seuls producteurs dudit secteur, disposant d'une plantation fruitier qui dépasse des limites minimales fixées, de se faire enregistrer auprès du Conseil, de fournir à celui-ci des déclarations et des renseignements sur leurs activités dans le secteur, et de financer les dépenses administratives et autres du Conseil par le paiement d'une taxe annuelle,

Dans la mesure où les activités de ce Conseil consistent à établir des statistiques, encourager ou effectuer des recherches, mettre les résultats ainsi obtenus à la disposition des producteurs et donner à ceux-ci des conseils techniques dans le domaine de la production fruitière ;

b) Lesdites dispositions ne s'opposent pas à ce qu'un tel Conseil mette en valeur, dans sa publicité, les qualités spécifiques des fruits produits à l'intérieur de l'Etat membre en cause, ni à ce qu'il organise des campagnes de promotion pour la vente de certaines variétés en indiquant leurs propriétés particulières, même si ces variétés sont typiques de la production nationale; par contre, il serait contraire à l'article 30 du traité qu'un tel organisme fasse, de la publicité visant à déconseiller l'achat des produits des autres Etats membres ou à déprécier ces produits aux yeux des consommateurs, ou conseille à ceux-ci d'acheter les produits indigènes uniquement en raison de leur origine nationale ;

c) Ces dispositions ne s'opposent pas non plus à ce qu'un tel Conseil formule à l'adresse des producteurs, dans le cadre de ses fonctions consultatives générales, des recommandations concernant la qualité et la présentation des fruits commercialisés; par contre, il serait contraire au caractère exhaustif du système des normes communes de qualité qu'un tel organisme tente d'imposer le respect des normes différentes de ces normes communes, en appliquant des sanctions quelconques ou en exploitant l'autorité que lui confère sa constitution en vue d'exercer une pression sur les producteurs ou sur les commerçants ;

d) Les dispositions indiquées ci-dessus s'opposeraient aux obligations, pour les producteurs, de s'affilier à un tel organisme ou d'en financer les activités par le paiement d'une taxe, dans la mesure où ces activités seraient contraires auxdites dispositions.

Sur la deuxième question

34. Ainsi qu'il ressort de ce qui précède, la réponse donnée à la première question tient compte, d'une part, du caractère des fonctions remplies par l'organisme en cause et, d'autre part, de son caractère en tant qu'organisme institué par le Gouvernement d'un Etat membre et financé par une taxe imposée aux producteurs par une réglementation nationale. Par contre, la procédure suivie par le Gouvernement en établissant ledit organisme et, notamment, le caractère et les résultats des consultations auxquelles le Gouvernement aurait procédé avant de prendre ses décisions relatives à la création ou au maintien de l'organisme ne revêtent aucune importance pour la réponse à donner.

35. Il convient donc de répondre à la deuxième question que le fait que le Conseil en cause a été créé et maintenu avec l'approbation expresse de producteurs qui représentent plus de la moitié des terres plantées, et après consultation d'organisations apparemment représentatives d'un grand nombre de personnes exerçant des activités ou employées dans le secteur, n'affecte pas la réponse donnée à la première question.

Sur la troisième question

36. Par cette question, le juge national cherche à obtenir les éléments d'interprétation du droit communautaire qui lui sont nécessaires pour juger des conséquences d'une incompatibilité éventuelle du régime en cause avec les dispositions communautaires indiquées dans sa première question.

37. A cet égard, il convient, en premier lieu, de souligner que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les articles 30 et 34 du traité confèrent aux particuliers des droits que ceux-ci peuvent faire valoir devant les tribunaux d'un Etat membre. Quant aux règlements portant organisation commune des marchés, ce même effet direct découle de ce que, selon l'article 189 du traité, les règlements sont directement applicables dans tout Etat membre.

38. En second lieu, il convient de rappeler, ainsi que la Cour l'a fait, entre autres dans son arrêt du 27 mars 1980 (Denkavit Italiana, 61-79, Recueil p. 1205), que l'interprétation des règles du droit communautaire, donnée par la Cour dans le cadre de l'article 177 du traité, peut et doit être appliquée par le juge national même à des rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation, si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l'application desdites règles se trouvent réunies .

39. Il s'ensuit que les dispositions communautaires indiquées ci-dessus constituent un moyen de défense opposable à une demande visant à obtenir le paiement d'une taxe incompatible avec ces dispositions et qu'elles peuvent également fonder une demande visant à obtenir la restitution d'une telle taxe perçue indûment.

40. Dans l'hypothèse où une taxe sert à financer un organisme dont une partie des activités est jugée contraire au droit communautaire, il appartient au juge national d'apprécier si, compte tenu de l'importance des activités en cause, cette circonstance entache la légalité de la taxe et doit entraîner une exonération totale ou partielle.

41. Il appartient également à ce juge de déterminer, selon son droit national, si et dans quelle mesure une telle taxe doit être remboursée, et si et pour combien ce droit à remboursement est éventuellement compensé par les avantages directs que les activités dudit organisme ont procurés au contribuable intéressé.

42. Il convient donc de répondre à la troisième question que :

a) Les articles 30 et 34 du traité et les règlements portant organisation commune des marchés confèrent aux particuliers des droits que ceux-ci peuvent faire valoir devant les tribunaux d'un Etat membre ;

b) Ces dispositions constituent un moyen de défense opposable à une demande en paiement d'une taxe incompatible avec elles et peuvent fonder une demande visant à obtenir la restitution d'une telle taxe, même si le paiement est intervenu avant le moment où cette incompatibilité résulte d'une interprétation donnée par la Cour dans le cadre de l'article 177 du traité ;

c) Dans l'hypothèse où une taxe sert à financer un organisme dont une partie des activités est jugée contraire au droit communautaire, il appartient au juge national d'apprécier si, compte tenu de l'importance des activités en cause, cette circonstance entache la légalité de la taxe et doit entraîner une exonération totale ou partielle ;

d) Dans cette même hypothèse, il appartient également au juge national de déterminer, selon son droit national, d'une part, si et dans quelle mesure la taxe doit être remboursée et, d'autre part, si et pour combien ce droit à remboursement est éventuellement compensé par les avantages directs que les activités dudit organisme ont procurés au contribuable intéressé.

Sur la quatrième question

43. Par sa dernière question, le juge national demande, en substance, si, pour les produits soumis à l'organisation commune des marchés lors de l'adhésion du Royaume-Uni, la suppression des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives, prévue aux articles 30 et 34 du traité, est intervenue le 1 février 1973, ainsi que le prévoit l'article 60, paragraphe 1, de l'acte d'adhésion, ou si la suppression ne s'est produite que le 1er janvier 1975, date prévue par la règle générale énoncée à l'article 42, deuxième alinéa, de ce même acte.

44. Ainsi que la Cour l'a constaté dans son arrêt du 29 mars 1979 (Commission/Royaume-Uni, 231-8, Recueil p. 1447), les dispositions de l'article 60 dérogent aux règles générales prévues à l'article 42.

45. Il convient donc de répondre à la quatrième question que, pour les produits soumis à l'organisation commune des marchés agricoles lors de l'adhésion du Royaume-Uni, les dispositions du traité interdisant les mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives sont devenues applicables dans le Royaume-Uni le 1er février 1973, conformément à l'article 60, paragraphe 1, de l'acte d'adhésion.

Sur les dépens

46. Les frais exposés par le Gouvernement danois, le Gouvernement britannique et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procedure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractere d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par la Country Court de Tunbridge Wells, par ordonnance du 19 juillet 1982, dit pour droit :

1) a) Les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises et à l'agriculture, ainsi que la reglementation relative à l'organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et legumes, ne s'opposent pas à ce qu'un Etat membre adopte ou maintienne des mesures reglementaires ou administratives :

(i) établissant un Conseil de développement dans le secteur de production de fruits, composé de membres désignés par le ministre compétent, notamment parmi les producteurs en cause,

et

(ii) imposant aux seuls producteurs dudit secteur, disposant d'une plantation fruitière qui depasse des limites minimales fixées, de se faire enregistrer auprès du Conseil, de fournir à celui-ci des déclarations et des renseignements sur leurs activités dans le secteur, et de financer les dépenses administratives et autres du Conseil par le paiement d'une taxe annuelle, dans la mesure où les activités de ce Conseil consistent à établir des statistiques, encourager ou effectuer des recherches, mettre les résultats ainsi obtenus à la disposition des producteurs et donner à ceux-ci des conseils techniques dans le domaine de la production fruitière ;

b) Lesdites dispositions ne s'opposent pas à ce qu'un tel conseil mette en valeur, dans sa publicité, les qualités spécifiques des fruits produits à l'intérieur de l'Etat membre en cause, ni à ce qu'il organise des campagnes de promotion pour la vente de certaines variétés en indiquant leurs propriétés particulières, même si ces variétés sont typiques de la production nationale ; par contre, il serait contraire à l'article 30 du traité qu'un tel organisme fasse de la publicité visant à déconseiller l'achat des produits des autres Etats membres ou à déprécier ces produits aux yeux des consommateurs ou conseille à ceux-ci d'acheter les produits indigènes uniquement en raison de leur origine nationale ;

c) Ces dispositions ne s'opposent pas non plus à ce qu'un tel conseil formule à l'adresse des producteurs, dans le cadre de ses fonctions consultatives générales, des recommandations concernant la qualité et la présentation des fruits commercialisés; par contre, il serait contraire au caractère exhaustif du système des normes communes de qualité qu'un tel organisme tente d'imposer le respect de normes différentes de ces normes communes, en appliquant des sanctions quelconques ou en exploitant l'autorité que lui confère sa constitution en vue d'exercer une pression sur les producteurs ou sur les commerçants ;

d) Les dispositions indiquées ci-dessus s'opposeraient aux obligations, pour les producteurs, de s'affilier à un tel organisme ou d'en financer les activités par le paiement d'une taxe, dans la mesure où ces activités seraient contraires auxdites dispositions.

2) Le fait que le Conseil en cause a été créé et maintenu avec l'approbation expresse de producteurs qui représentent plus de la moitié des terres plantées, et après consultation d'organisations apparemment représentatives d'un grand nombre de personnes exercent des activités ou employées dans le secteur, n'affecte pas la réponse donnée à la première question.

3) a) Les articles 30 et 34 du traité et les règlements portant organisation commune des marchés confèrent aux particuliers des droits que ceux-ci peuvent faire valoir devant les tribunaux d'un Etat membre ;

b) Ces dispositions constituent un moyen de défense opposable à une demande en paiement d'une taxe incompatible avec elles et peuvent fonder une demande visant à obtenir la restitution d'une telle taxe, même si le paiement est intervenu avant le moment où cette incompatibilité résulte d'une interprétation donnée par la Cour dans le cadre de l'article 177 du traité ;

c) Dans l'hypothèse où une taxe sert à financer un organisme dont une partie des activités est jugée contraire au droit communautaire, il appartient au juge national d'apprécier si, compte tenu de l'importance des activités en cause, cette circonstance entache la légalité de la taxe et doit entraîner une exonération totale ou partielle ;

d) Dans cette même hypothèse, il appartient également au juge national de déterminer, selon son droit national, d'une part, si et dans quelle mesure la taxe doit être remboursée et, d'autre part, si et pour combien ce droit à remboursement est éventuellement compensé par les avantages directs que les activités dudit organisme ont procurés au contribuable intéressé.

4) Pour les produits soumis à l'organisation commune des marchés agricoles lors de l'adhésion du Royaume-Uni, les dispositions du traité interdisant les mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives sont devenues applicables dans le Royaume-Uni le 1er février 1973, conformément à l'article 60, paragraphe 1, de l'acte d'adhésion.