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CJCE, 5e ch., 4 mai 1995, n° C-79/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République hellénique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gulmann

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Edward, Puissochet, Sevón

CJCE n° C-79/94

4 mai 1995

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 1er mars 1994, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en concluant un accord-cadre pour la fourniture exclusive de gaze à l'usage des hôpitaux et de l'armée par six firmes textiles grecques et en ne publiant pas l'avis y afférent au Journal officiel des Communautés européennes, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 77-62-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1977, L 13, p. 1), telle que modifiée, en dernier lieu, par la directive 88-295-CEE, du 22 mars 1988 (JO L 127, p. 1, ci-après la "directive").

2 Par arrêté du 19 juillet 1991, le ministère de l'Industrie, de l'Énergie et de la Technologie hellénique a entériné l'accord-cadre qu'il avait signé avec six firmes textiles grecques. Selon cet accord, tous les hôpitaux et unités de soins ainsi que l'armée grecque devaient acheter certains types de gaze auprès desdites firmes, dans les conditions prévues par l'accord-cadre et pendant une période de trois ans pouvant être prorogée de deux années supplémentaires.

3 Il est constant qu'aucune procédure d'appel d'offres n'a été lancée pour lesdites fournitures et qu'aucun avis relatif au marché en question n'a été publié au Journal officiel des Communautés européennes.

4 Par lettre du 9 septembre 1991, la Commission a attiré l'attention du Gouvernement hellénique sur le fait qu'un tel accord et la procédure utilisée pour sa conclusion ne respectaient pas la directive, et notamment son article 9. N'ayant obtenu aucune réponse, la Commission a, par lettre du 14 novembre 1991, mis ce gouvernement en demeure de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer à la directive. N'adhérant pas aux observations formulées par le Gouvernement hellénique dans sa réponse du 8 janvier 1992, la Commission lui a adressé un avis motivé l'invitant à prendre, dans un délai de deux mois, les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions de la directive.

5 Dans ses lettres du 10 décembre 1992 et du 13 février 1993, le Gouvernement hellénique a reconnu qu'il avait enfreint la directive. Il a en outre déclaré qu'il envisageait de dénoncer unilatéralement l'accord avant sa date d'expiration et de lancer un nouvel appel à la concurrence pour la fourniture de gaze dans le courant de l'année 1993. Étant donné qu'aucune suite n'a été donnée à ces déclarations, la Commission a introduit le présent recours.

Sur la recevabilité

6 La République hellénique conteste la recevabilité du présent recours.

7 A cet égard, elle fait d'abord observer que, dans les lettres susmentionnées, elle a reconnu l'infraction que lui reproche la Commission et qu'elle s'est engagée à prendre les mesures nécessaires pour assurer à l'avenir le respect du droit communautaire. Or, dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 10 mars 1987, Commission/Italie (199-85, Rec. p. 1039), la Commission aurait considéré comme suffisant un engagement écrit de la commune de Milan de respecter à l'avenir toutes les dispositions de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5). En introduisant le présent recours, la Commission n'aurait donc pas respecté le principe d'égalité de traitement des États membres.

8 La République hellénique fait valoir ensuite que, en application de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), la Commission doit agir avant la conclusion du contrat en cause si elle considère qu'il y a violation des dispositions communautaires en matière de passation de marchés publics. Or, en l'espèce, la Commission n'est intervenue qu'au stade de l'exécution de l'accord litigieux.

9 Cette argumentation ne saurait être accueillie.

10 En ce qui concerne la violation alléguée du principe d'égalité de traitement, il suffit de relever que, à supposer même que l'affaire Commission/Italie, précitée, ait été comparable à celle-ci - ce qui n'est pas le cas, comme l'avocat général l'a démontré au point 17 de ses conclusions - la Commission n'était en tout état de cause pas tenue de suivre la même attitude dans la présente affaire. On peut d'ailleurs observer que, si la Commission devait en toutes circonstances se contenter de simples engagements de la part des États, valables pour l'avenir, elle fournirait à ceux-ci un moyen facile de se protéger contre une procédure en manquement au titre de l'article 169 du traité.

11 Quant à l'argument tiré de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 89-665, précitée, il y a lieu de rappeler (arrêt du 24 janvier 1995, Commission/Pays-Bas, C-359-93, non encore publié au Recueil, point 13) que la procédure particulière prévue par cette directive ne peut déroger ni se substituer aux compétences que tire la Commission de l'article 169 du traité.

12 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le recours est recevable.

Sur le fond

13 Pour justifier le non-respect des règles de publicité prévues par l'article 9 de la directive, le Gouvernement hellénique fait valoir, d'une part, que l'accord-cadre ne constitue qu'une structure à l'intérieur de laquelle sont passés de nombreux marchés de fournitures dont la valeur respective n'excède pas le seuil des 200 000 écus établi à l'article 5, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la directive. D'autre part, la gaze en question n'aurait pu être fournie que par les six producteurs grecs, parties à l'accord-cadre, aucun producteur établi dans un autre État membre n'ayant encore manifesté d'intérêt à l'égard de ce type de marché. Ce serait pour cette raison que l'accord-cadre aurait été conclu conformément aux dispositions de la dérogation prévue par l'article 6, paragraphe 4, sous c), de la directive.

14 Cette argumentation ne saurait être accueillie.

15 S'agissant de l'argument tiré de la valeur des marchés en cause, il convient de relever que l'accord-cadre confère une unité aux divers marchés qu'il régit et que la valeur globale de ces derniers excède 200 000 écus. Par ailleurs, comme la Commission l'a fait valoir à juste titre, toute autre interprétation de l'article 5, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la directive permettrait aux opérateurs de contourner les obligations qu'elle établit.

16 Quant à l'allégation du Gouvernement hellénique selon laquelle seuls les six producteurs parties à l'accord-cadre pouvaient livrer les fournitures en question, il y a lieu de relever que, même si ce fait était prouvé, il ne rentrerait pas dans le champ d'application des dérogations prévues à l'article 6, paragraphe 4, de la directive et, en particulier, de celle qui se trouve sous c).

17 En conséquence, il y a lieu de constater le manquement dans les termes des conclusions de la Commission.

Sur les dépens

18 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République hellénique ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

Déclare et arrête:

1) En concluant un accord-cadre pour la fourniture exclusive de gaze à l'usage des hôpitaux et de l'armée par six firmes textiles grecques et en ne publiant pas l'avis y afférent au Journal officiel des Communautés européennes, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 77-62-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, telle que modifiée, en dernier lieu, par la directive 88-295-CEE, du 22 mars 1988.

2) La République hellénique est condamnée aux dépens.